Paroles de femmes (Moose, Burkina Faso) - article ; n°1 ; vol.57, pg 117-131
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Paroles de femmes (Moose, Burkina Faso) - article ; n°1 ; vol.57, pg 117-131

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Journal des africanistes - Année 1987 - Volume 57 - Numéro 1 - Pages 117-131
Mossi society describes women's speech as dangerous and destructive, unlike that of men, which is justified as being reasonable and constructive. At a closer look however, the social as well as religious value of women's speech is implicitly recognized as being more effective in certain circumstances, namely : education, consolidation of the household, blessings, peace, reconciliation and « documentation ». Since women are the point on which cosmic forces converge, they naturally possess a fertile, powerful speech. Conscious of their relative weakness, men take shelter in customary institutions, which they use to contain women's verbal force within the established ancestral order.
Cet article tente d'analyser la conception de la parole féminine chez les Moose du Burkina Faso. La société moaga décrit la parole de la femme comme essentiellement dangereuse et destructrice, à l'opposé de celle de l'homme dont elle s'efforce de légitimer le caractère raisonnable et constructif. Pourtant, à l'analyse, on perçoit une reconnaissance implicite des mérites et de la valeur socio-religieuse de cette parole féminine dans certaines circonstances où elle s'avère précisément plus efficace ; éducation, consolidation du foyer, bénédiction, paix, réconciliation, « documentation », constituent les résultats heureux de l'entreprise verbale des femmes responsables. En définitive, la femme étant le champ de convergence des forces cosmiques, elle possède tout naturellement un verbe puissant et fécond. L'homme, conscient de sa faiblesse devant elle, s'abrite derrière les institutions coutumières qu'il utilise comme moyen d'endiguer cette force verbale féminine dans le cadre de l'ordre ancestral établi.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Oger Kaboré
Paroles de femmes (Moose, Burkina Faso)
In: Journal des africanistes. 1987, tome 57 fascicule 1-2. pp. 117-131.
Résumé
Cet article tente d'analyser la conception de la parole féminine chez les Moose du Burkina Faso. La société moaga décrit la
parole de la femme comme essentiellement dangereuse et destructrice, à l'opposé de celle de l'homme dont elle s'efforce de
légitimer le caractère raisonnable et constructif. Pourtant, à l'analyse, on perçoit une reconnaissance implicite des mérites et de
la valeur socio-religieuse de cette parole féminine dans certaines circonstances où elle s'avère précisément plus efficace ;
éducation, consolidation du foyer, bénédiction, paix, réconciliation, « documentation », constituent les résultats heureux de
l'entreprise verbale des femmes responsables. En définitive, la femme étant le champ de convergence des forces cosmiques,
elle possède tout naturellement un verbe puissant et fécond. L'homme, conscient de sa faiblesse devant elle, s'abrite derrière les
institutions coutumières qu'il utilise comme moyen d'endiguer cette force verbale féminine dans le cadre de l'ordre ancestral
établi.
Abstract
Mossi society describes women's speech as dangerous and destructive, unlike that of men, which is justified as being reasonable
and constructive. At a closer look however, the social as well as religious value of women's speech is implicitly recognized as
being more effective in certain circumstances, namely : education, consolidation of the household, blessings, peace,
reconciliation and « documentation ». Since women are the point on which cosmic forces converge, they naturally possess a
fertile, powerful speech. Conscious of their relative weakness, men take shelter in customary institutions, which they use to
contain women's verbal force within the established ancestral order.
Citer ce document / Cite this document :
Kaboré Oger. Paroles de femmes (Moose, Burkina Faso). In: Journal des africanistes. 1987, tome 57 fascicule 1-2. pp. 117-
131.
doi : 10.3406/jafr.1987.2166
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1987_num_57_1_2166OGER KABORÉ
Paroles de femmes
Dans une recherche antérieure (1985), j'avais tenté, en suivant la démar
che de G. Calame-Griaule, une analyse de la conception de la parole chez les
Moose. En ébauchant sommairement l'examen des catégories de paroles telles
qu'elles existent dans cette société, je ne faisais que proposer, pour moi-même
comme pour d'autres chercheurs s'intéressant à la question, des axes pour des
recherches ultérieures plus approfondies.
Le présent article me permet donc de revenir sur la parole de la femme
chez les Moose. Il n'est pas question d'étudier ici la physiologie de la parole
féminine avec ses mécanismes et ses effets sur ses destinataires (choses déjà
connues dans la généralité), mais d'examiner la qualité de la parole dite en
situation et le jugement que la société (en particulier les hommes) tient sur
le discours féminin.
Cependant, pour une meilleure compréhension de mon propos, il est
important de rappeler que les Moose ainsi que d'autres sociétés africaines
conçoivent la parole comme un phénomène mystérieux, une entité vivante qui
prend sa source dans le domaine métaphysique. Cette haute conception de la
parole influence toute la vision du monde et le système de pensée des sociétés
africaines. Cette parole est « conçue, au niveau divin, comme créatrice, et au
niveau humain, comme fécondante » (Calame-Griaule 1985 : 1 071). Elle est
immatérielle mais, puisqu'elle se manifeste à travers l'homme physique, elle
puise sa substance dans les quatre éléments fondamentaux de la nature : l'eau,
l'air, la terre et le feu. Elle prend naissance dans le cœur de l'homme, suit
un chemin anatomique à travers divers organes qui l'élaborent, lui donnent
force, avant de l'expulser au dehors par la bouche pour accomplir une mis
sion précise. Selon l'état d'âme et le degré de maîtrise de la personne qui parle,
on peut entendre de bonnes ou de mauvaises paroles avec les effets corres
pondants chez leur destinataire.
Comme toute parole, celle de la femme offre un caractère ambivalent,
c'est-à-dire qu'elle oscille entre deux pôles : positif et négatif. Selon les causes
ou les intentions qui président à sa manifestation, il faut s'attendre à des paroles
amènes qui font plaisir à l'interlocuteur, fécondent les relations et contribuent
à la cohésion de la communauté, ou au contraire à des paroles coléreuses, amè-
res et destructrices entraînant l'inimitié et la désintégration de cette même com
munauté, qu'elle soit de nature institutionnelle, familiale ou villageoise. Mais
la société moaaga (essentiellement les hommes, mais parfois les femmes elles-
mêmes le reconnaissent) conçoit la parole féminine comme surtout négative
et dangereuse, à l'opposé de celle de l'homme, même si elle lui reconnaît quelque PAROLES DE FEMMES 118
côté positif. Nous aurons l'occasion de voir plus loin les raisons de cette con
ception apparemment partiale.
Il semble donc indiqué de suivre simplement cette logique du discours
moaaga c'est-à-dire de partir du pôle négatif pour déboucher sur le pôle posi
tif dont nous verrons qu'il est plus important qu'il n'y paraît d'abord.
LA « MAUVAISE BOUCHE » DE LA FEMME (PAG NO BEEDO)
De multiples expériences vécues par les hommes ont poussé ceux-ci à
conclure que la parole de la femme dans beaucoup de circonstances a des effets
négatifs. Quelques cas allant des plus simples aux plus marquants peuvent servir
à illustrer cette considération.
La femme n 'est pas maîtresse de sa bouche
II n'est peut-être pas nécessaire de trop insister ici sur le caractère pro
lixe du verbe féminin. Cette idée est très répandue dans les sociétés africai
nes : chez les Moose, on pense que la femme est congénitalement incapable
de contrôler sa parole (« pouvoir sa bouche », tôog-a nooré). Elle saisit la
moindre situation malencontreuse pour laisser libre cours à ses paroles désor
données, dont les conséquences peuvent être imprévisibles. C'est pourquoi la
liberté d'expression de la femme est scrupuleusement codifiée et même res
treinte par la société des hommes lorsqu'il s'agit d'affaires sérieuses à traiter.
Des règles et des interdits sont autant de garde-fous qui obligent la femme
à un usage plus modéré de sa parole1.
Les hommes pensent que le cœur de la femme est « accroupi » (sïiura
rôba me), toujours prêt à bondir, contrairement à celui de l'homme qui est
« couché », favorisant donc la réflexion et la modération2.
Une vieille femme reconnaît sur le ton de la plaisanterie — mais cela
est admirable et significatif — que la femme étant privée de la pomme d'Adam
(kokor yodre, « nœud de la gorge »), elle est incapable de retenir ses parol
es ; aucun obstacle ne les freine au niveau de la gorge pour lui laisser le temps
de réfléchir ! C'est pour cela, affirme-t-elle, que la femme profère parfois des
paroles blessantes, voire des injures graves, et regrette par la suite de les avoir
laissées s'échapper. Or les Moose comparent la parole à l'eau : une fois ver
sée, on ne peut plus la ramasser. Les oreilles absorbent la parole proférée
1. G. Calame-Griaule rapporte que « la femme, qui par nature est, dit-on, bavarbe, indiscrète, querelleuse,
reçoit dès son enfance des parures qui, tout en contribuant à l'embellir, l'aident à acquérir la maîtrise
de son verbe : anneaux (ou tatouages) de lèvres qui " surveillent " la sortie des paroles, anneaux d'oreilles
qui empêchent ses propos nocifs d'être écoutés » (1985 : 1 072-73). D. Zahan signale les mêmes prati
ques chez les Bambara visant à assurer le contrôle de la parole de la femme (1963 : 45).
2. Pour les Moose la parole germe dans le cœur. Quand celui-ci est secoué par la colère ou par des
ments d'animosité, ce sont des paroles de feu qui sortent si aucun contrôle ne leur barre la route. KABORÉ 119 OGER
comme la terre absorbe l'eau versée. On emploie souvent l'idéophone hâra-
rara, pour caractériser cette parole bruyante et incontr

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents