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UNIVERSITÉ PARIS IV – SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE LITTÉRATURES FRANÇAISES ET COMPARÉE |__|__|__|__|__|__|__|__|__|__| (Nº d’enregistrement attribué par la bibliothèque) THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS IV Discipline : théâtre présentée et soutenue publiquement en Sorbonne par Diana PAKREVAN le 18 décembre 2009 Représentations du fait divers dans le théâtre français (1969-2004) Directeur de thèse : M. Jean-François LOUETTE JURY Mme Bernadette BOST M. Denis GUENOUN M. Jean-Pierre RYNGAERT Position de thèse Pourquoi de nombreuses pièces de théâtre contemporaines s’inspirent-elles de faits divers, un type d’information décrié, qui a mauvaise presse même parmi les journalistes, qui s’en occupent de mauvais gré ? En effet, il a la réputation d’être anecdotique, sans portée générale, relevant de la sphère du privé et suscitant une curiosité morbide chez le spectateur. Cette recherche vise à répondre à cette interrogation. Elle trouve une explication satisfaisante dans la confrontation qu’un théâtre à l’identité chancelante cherche avec les médias et leurs procédés. Autour de ce noyau, se greffent trois questions : quelles sont les représentations du monde offertes par les médias et le théâtre à travers le fait divers ? Quels sont les modes de représentations respectifs ? Quelle est la fonction du théâtre qui en résulte et en quoi s’écarte-t-elle de celles ...

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Langue Français

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UNIVERSITÉ PARIS IV – SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE LITTÉRATURES FRANÇAISES ET COMPARÉE
|__|__|__|__|__|__|__|__|__|__|
(Nº d’enregistrement attribué par la bibliothèque)
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS IV
Discipline : théâtre
présentée et soutenue publiquement en Sorbonne par
Diana P
AKREVAN
le 18 décembre 2009
Représentations du fait divers dans le théâtre français (1969-2004)
Directeur de thèse :
M. Jean-François L
OUETTE
JURY
Mme Bernadette B
OST
M. Denis G
UENOUN
M. Jean-Pierre R
YNGAERT
2
Position de thèse
Pourquoi de nombreuses pièces de théâtre contemporaines s’inspirent-elles de faits divers,
un type d’information décrié, qui a mauvaise presse même parmi les journalistes, qui s’en
occupent de mauvais gré ? En effet, il a la réputation d’être anecdotique, sans portée générale,
relevant de la sphère du privé et suscitant une curiosité morbide chez le spectateur.
Cette recherche vise à répondre à cette interrogation. Elle trouve une explication
satisfaisante dans la confrontation qu’un théâtre à l’identité chancelante cherche avec les médias
et leurs procédés. Autour de ce noyau, se greffent trois questions : quelles sont les
représentations du monde offertes par les médias et le théâtre à travers le fait divers ? Quels sont
les modes de représentations respectifs ? Quelle est la fonction du théâtre qui en résulte et en
quoi s’écarte-t-elle de celles qui sont propres aux moyens de communication de masse ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, cette thèse prend en compte un corpus suffisamment large
– une cinquantaine de pièces françaises, avec des clins d’oeil à des oeuvres d’autres pays – pour
vérifier ces hypothèses et montrer une unité de vues dans la diversité des approches choisies par
les auteurs
1
. La période choisie – l’après 68 – est marquée par des changements significatifs
aussi bien pour le théâtre que pour les médias. Pour ce qui est du théâtre, la crise de 1968
entraîne entre autres une mise à l’écart des écrivains par les créations collectives et par les
metteurs en scène. À partir des années 1970, on constate une graduelle revalorisation du texte
écrit. Dans mon étude sur la représentation du fait divers, le terme « représentation » n’est alors
pas à entendre au sens de « spectacle ». La représentation, dans ses rapports avec le réel, avec le
monde, est envisagée à partir de la pièce écrite, bien que chaque texte contienne un embryon de
mise en scène, cohérent avec le projet de l’auteur. C’est également à cette époque que la
perception négative du fait divers commence à se nuancer, jusqu’à sa réhabilitation.
La clé pour établir un parallèle pertinent et fondé entre les manières d’opérer du théâtre et
des médias par le biais du fait divers réside dans une analyse attentive de ce genre médiatique,
difficile à cerner à cause de la variété de thèmes qu’il aborde, tant et si bien qu’il n’a pas de
place assignée dans les journaux. À partir de quelques traits récurrents, les critiques ont proposé
des définitions sérieuses et élaborées, mais incomplètes, qui ne font pas l’unanimité. Sur la base
des études existantes et de la réflexion personnelle, j’ai proposé la définition suivante : le fait
divers est « un type d’information qui relate, sous forme de brève ou de récit, un fait concernant
un individu ou un ensemble d’individus, susceptible d’une généralisation ». C’est cette
propension à la généralisation qui constitue un premier point de contact essentiel entre les deux
domaines.
1
Michel Azama, André Benedetto, Denise Bonal, Joseph Danan, Alain Decaux et Robert Hossein, Michel Deutsch,
Martine Drai, Pierrette Dupoyet, Marguerite Duras, Eugène Durif, Monique Enckell, Franck Évrard, Guy Foissy,
Alain Gautré, Gérard Gelas, Jean-Claude Grumberg, Joseph Guglielmi, Joël Jouanneau, Bernard-Marie Koltès,
Jacques Kraemer, Jean Magnan, Philippe Minyana, Bernard Noël, Jean-Gabriel Nordmann, Roger Planchon, Jean-
Pierre Renault, Christian Rullier, Pierre Sabatier, Jean-Pierre Sarrazac, Christian Siméon, Tilly, Michel Vinaver,
Jean-Paul Wenzel.
3
Je me suis penchée en particulier sur les analyses des spécialistes en communication et
notamment sur les recherches de Marc Lits et Annik Dubied. Cette dernière consacre un ouvrage
à la construction du récit de fait divers (
Les Dits et les Scènes du fait divers
, 2004), qui a été une
référence fondamentale pour mon travail. En ce qui concerne les rapports entre fait divers
journalistique et théâtre, il n’existe pas, à ma connaissance, d’étude approfondie sur le sujet.
Une publication très récente, sous la direction d’E. André, M. Boyer-Weinmann et H. Kuntz
(
Tout contre le réel. Miroirs du fait divers. Littérature, théâtre, cinéma
, 2008), fait une large
place au théâtre et contient des éléments de réflexion fort intéressants. Je partage surtout l’idée,
exprimée dans l’épilogue, que les créateurs qui s’inspirent de faits divers sont déjà face à un
« événement fictionalisé » par les médias et qu’ils se livrent donc à un « réagencement de
second niveau ». Cependant, la contribution de nombreux chercheurs aboutit nécessairement à
des approches partielles, qui de plus ne s’appuient pas sur une définition commune du fait divers
ou s’arrêtent à une célèbre et aujourd’hui en partie contestée description de Barthes (« le rebut
inorganisé des nouvelles informes », indépendantes de leur contexte). Bien qu’il soit écrit par un
seul auteur, un autre ouvrage,
Outrage and Insight. Modern French Writers and the « Fait
Divers »
(1995) de D. H. Walker, apparaît lui aussi morcelé. Le chapitre 2 de
La Littérature
française au présent
(2005) de D. Viart et B. Vercier concerne « Fiction et faits divers ». Court
et consacré pour l’essentiel au roman, il contient néanmoins des idées importantes: la
représentation du réel rendue possible grâce à l’écriture du fait divers, le dialogue entre fiction et
réel, dans le refus du réalisme, et l’attention à la réception. Je citerai enfin
Fait divers et
littérature
(1997) de Franck Évrard qui, sans faire une place de choix au théâtre, a le mérite de
souligner la nature médiatisée du fait divers et d’évoquer des aspects essentiels, comme le
rapport que les écrivains établissent entre le fait divers et l’Histoire ou le mythe, ou encore
l’opposition entre le manichéisme et les clichés journalistiques d’un côté et, de l’autre, la
complexité et le recours à la polyphonie énonciative au théâtre.
Après avoir analysé en détail la construction du fait divers médiatique, cette thèse
entreprend de la confronter avec l’écriture dramatique de ce type d’information, dans les
structures qui semblent le plus affectées par ce contact : espace, temps, action et parole. Voici
alors comment les dramaturges répondent aux trois questions posées au début.
D’abord, quelles sont les représentations du monde qu’offrent les médias et le théâtre à
travers le fait divers ? En s’inspirant de faits divers, les auteurs renouent avec le réel. Il est donc
naturel de convoquer la notion controversée de représentation. Cependant, face au récit
journalistique, le théâtre n’a pas d’accès direct au réel. S’appuyant sur un ou des faits divers, il
devient nécessairement représentation de représentation. Les médias, qui opèrent le passage du
particulier au général grâce à un procédé de simplification, offrent, dans leur traitement du fait
divers, une représentation manichéenne du monde, où la frontière entre le bien (l’ordre, la
norme) et le mal (le désordre, le hors norme) est très nette. Le fait divers révèle alors les
dysfonctionnements de la société : il constitue une transgression qui ébranle la structure nous-je
à la base de celle-ci. Les causes du fait divers sont ramenées à des stéréotypes, selon un schéma
interprétatif préexistant qui vise à clôturer le sens : drame de la folie, crime passionnel ou
4
d’intérêt, suicide dû au divorce, au chômage ou à la perte du logement, accident provoqué sous
l’emprise de l’alcool ou de la drogue,…
D’un point de vue spatial, le fait divers suppose un espace scindé entre l’intérieur de la
société propre, ordonné, respectable (le Bien) et l’extérieur de la société sale, incompréhensible,
violent et dangereux, habité par des monstres et des fous qui sont sortis du droit chemin (le
Mal). Si un meurtre est commis à l’intérieur d’une famille, l’assassin est tout de suite qualifié de
monstre ou de désaxé, c’est-à-dire appartenant à l’extérieur.
Les dramaturges, qui considèrent que le recours à la folie comme explication du fait divers
est un choix trop commode qui recèle un refus de comprendre, mettent en doute l’étanchéité de
la cloison entre intérieur et extérieur. Soit ils renversent la représentation médiatique et
échangent les places respectives de ce qui se situe à l’intérieur et à l’extérieur – puisque la
société, l’État, le système sont beaucoup plus pervers que l’individu –, soit ils envisagent un
troublant amalgame, où règne l’indiscernable. Le dehors est partout, la distinction entre centre et
périphérie, norme et marge est factice ; le monde est peuplé de monstres à l’apparence
inoffensive. Les endroits qui sembleraient les plus rassurants, comme la maison ou le lieu de
travail, sont les lieux naturels du crime. Si l’on accepte le défi de la complexité au-delà de la
surface, on découvre qu’il n’y a pas de fous. Il n’y a que des hommes et des femmes qui
cherchent à fuir un réel insatisfaisant, en s’isolant dans un monde à part, et qui décident d’abolir
le réel en cas d’échec (voilà les causes d’un meurtre ou d’un suicide). Le fait divers – évasion
dans le monde ou évasion du monde – se définit alors pour les dramaturges comme l’insuccès
des tentatives de fuite loin d’un monde décevant.
D’un point de vue temporel, le fait divers suppose une césure entre un avant et un après, le
temps maîtrisé qui précède l’infraction à la norme et le temps non maîtrisé qui suit le
déraillement du parcours linéaire. Si les dramaturges reconnaissent qu’un changement subit et
irréversible se produit pour les victimes ou pour les spectateurs, ils nient cette imprévisibilité
pour la conception de l’acte commis par celui qui devient un « auteur » de fait divers. Pour les
transgresseurs, le moment de non-retour est antérieur. Trouvant le présent inacceptable, ils se
sont isolés dans un temps à part, notamment dans le passé, et ont décidé d’abolir le temps en
optant pour la mort lorsqu’ils ont échoué. Cependant, les auteurs étudiés ne se contentent pas
d’une perspective individuelle. Dans le passage au temps collectif, le fait divers qui se répète
n’est pas la fin de tout, mais l’expression d’une fin toujours recommencée par d’autres êtres
humains. À l’encontre de ceux qui estiment que le théâtre ne doit pas s’occuper de l’actualité,
c’est également sur ce terrain que les dramaturges cherchent une confrontation avec les médias.
Ils procèdent toutefois de façon différente. D’abord, ils s’inspirent souvent d’assassinats, comme
les moyens de communication de masse, mais ils offrent une large place à d’autres faits divers
moins conventionnels, surtout au suicide. L’atteinte à sa propre vie est souvent écartée par la
presse, étant donné que dans ce cas la société se sent sans défense parce que l’agression ne vient
pas de l’extérieur, mais naît en son propre sein. En outre, le passage du particulier au général n’a
pas lieu au prix d’une simplification, mais par le recours au contexte qui permet de comprendre
le fait divers dans le cadre de son époque, voire de comprendre une époque grâce au fait divers.
5
Le théâtre a néanmoins un atout supplémentaire par rapport aux médias, puisqu’il ne doit
pas respecter la contrainte de l’actualité immédiate. Le dramaturge peut donc se permettre un
saut dans le passé, en choisissant de fonder sa pièce sur un vieux fait divers pour souligner la
permanence des questions qu’il soulève, ou bien en partant d’un fait divers du présent pour le
relire à l’aune de l’Histoire. Dans ce dernier cas, les dramaturges s’inspirent notamment des
crimes antisémites qui renouvellent la brutalité insensée de la Shoah, ravivée par des
mouvements idéologiques comme le Front National. Le fait divers apparaît alors comme
l’Histoire au quotidien.
Un saut ultérieur dans le temps accompli par plusieurs auteurs ouvre ce genre médiatique à
l’éternité, principalement par le biais du mythe. Cette possibilité, déjà exploitée en partie par les
moyens de communication de masse, constitue une autre raison essentielle qui justifie l’intérêt
du théâtre pour le fait divers. À une époque où le théâtre peine à trouver des données communes
pour « accrocher » le spectateur, les dramaturges profitent de l’adhésion immédiate obtenue par
les journalistes autour d’un type d’information consensuelle de l’authenticité de laquelle ils se
portent garants. En effet, la première caractéristique d’un mythe vivant est la croyance de ceux
auxquels il est destiné. D’autres traits mythiques contenus dans le fait divers selon les médias et
repris au théâtre sont sa dimension paradigmatique, la répétition qui implique une conception
circulaire du temps, la présence d’oppositions binaires, une composante d’oralité et la capacité à
toucher l’imaginaire collectif. Cependant, il existe aussi des différences importantes entre les
deux approches. D’abord, pour les médias, la dimension archétypique du fait divers concerne
l’extérieur de la société, alors que dans les textes de théâtre analysés elle explique la nature
humaine, donc la société toute entière. Ensuite, dans le récit mythique, tout comme dans le récit
médiatique, qui visent au rétablissement de l’ordre, après le chaos introduit par la transgression
il y a un retour au cosmos. Dans les oeuvres étudiées en revanche, le passage du cosmos au
chaos n’implique pas, d’ordinaire, un retour au cosmos. En général, le fait divers, qui est relatif
au temps de la fin, peut être lu comme un mythe de la destruction où l’homme a perdu
définitivement la mémoire de la perfection originelle et où il est donc impossible d’envisager
une nouvelle cosmogonie, de revenir en arrière. En outre, le sens
a priori
donné par les
journalistes qui emportent la croyance des destinataires n’est pour les dramaturges qu’un
prélude qui permet de mieux ébranler leurs certitudes par la suite.
Très souvent, les dramaturges ne se bornent pas à suggérer une interprétation du monde
différente à partir des faits divers choisis dans les médias ; ils vont jusqu’à saper les « faits » –
premier élément de la locution « faits divers » – qui se révèlent opposés par rapport aux
apparences, secondaires dans leur déroulement au regard du fond, ou même impossibles à
déterminer.
Les représentations du monde différentes suggérées par les médias et par le théâtre
ressortent des modes de représentation différents qu’ils choisissent. Comme je l’ai dit, lorsqu’un
dramaturge s’inspire d’un fait divers, il est déjà face à une représentation. C’est d’ailleurs une
troisième raison de l’intérêt que le théâtre porte à ce genre médiatique : sa propension pour la
fiction, son être
faction
, un mélange de
fact
et de
fiction
. Comment peut-il avoir accès au réel,
6
puisqu’il est représentation de représentation, donc deux fois éloigné du représenté ? Les
manières de procéder du journaliste et de l’écrivain sont opposées. Tandis que le premier part du
réel pour aboutir à la fiction, le second part de la fiction pour s’approcher du réel. Il peut décider
de démanteler la représentation médiatique à travers le théâtre-journalisme ou le théâtre
documentaire. Il peut au contraire inventer de faux faits divers qui servent de modèles pour
mettre à nu les rouages de la construction médiatique d’une nouvelle, ou encore combler les
lacunes de l’information à l’aide de l’imagination pour arriver au fond du fait divers, très
souvent pour le lire avec les yeux du transgresseur.
Un élément fondamental du fait divers – genre médiatique à dominante narrative – est le
temps. Le temps dramatique est déterminant pour son interprétation. Modifier l’agencement des
faits signifie troubler l’enchaînement logique des événements. Le choix le plus fréquent est la
reconstitution après coup, qui s’intéresse plus au déroulement qu’au dénouement. Ce procédé
rappelle l’« entonnoir renversé », la forme journalistique qui consiste à livrer au début l’essentiel
de l’histoire et l’événement le plus récent et à développer les détails par la suite. La technique la
plus répandue et la plus opposée au procédé médiatique est la reconstitution après coup qui ne
suit pas du tout le déroulement linéaire, mais qui adhère à la temporalité chaotique introduite par
la transgression. Les bonds en arrière et en avant dans le temps traduisent à la fois le désordre, la
rupture du lien de causalité, l’incompréhension et le besoin de maîtriser le temps, de lui donner
un sens. L’impossibilité de saisir le déroulement des faits ou de démêler le vrai du faux
correspond en définitive au refus de conclure, au rejet d’une vérité unique, simple, fondée sur un
enchaînement direct entre une cause et un effet, pour ouvrir les pièces à des lectures multiples,
complexes des événements, à des couches de sens superposées. Les allers et retours dans le
temps prennent souvent la forme du montage après coup, qui reproduit la perception
fragmentaire et discontinue du temps dans notre société, sous l’influence des moyens de
communication de masse (l’entassement de nouvelles hétérogènes et la pratique du zapping
télévisuel), en obligeant le spectateur à un jeu d’associations mentales.
Quelle que soit la démarche adoptée par les dramaturges, ils ont la faculté de montrer le
fait divers et ce qui l’entoure ou de le raconter. Qu’ils privilégient l’action visible ou la parole,
ils s’attaquent à deux composantes essentielles du fait divers journalistique : l’image et le
langage de la communication, qu’ils critiquent à cause de leur inauthenticité ou de leur lien avec
le pouvoir.
En ce qui concerne l’image dans son usage médiatique, plusieurs auteurs mettent l’accent
sur l’engouement pour la surenchère, le spectaculaire, l’étalage du sang, qui favorisent le
voyeurisme du spectateur et un phénomène d’accoutumance à la violence, dont les
conséquences sont un refus de comprendre ce qui se passe derrière la surface et une incapacité à
être choqué. Pour ce qui est du langage, paradoxalement, dans la société de la communication, la
communication semble impossible. D’ailleurs, c’est souvent l’échec de la communication qui
engendre le fait divers. Quand l’action est un langage de substitution, tuer peut être une manière
de parler.
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Quant au deuxième aspect, le lien de l’image et du langage journalistique avec le pouvoir,
le contrôle ne s’exerce pas seulement par la censure, à savoir l’interdiction, mais surtout par la
« sensure » (terme créé par Bernard Noël), c’est-à-dire la privation de sens qui naît d’une liberté
d’expression apparente.
Pour comprendre les antidotes que les dramaturges administrent au public, dans leur
traitement du fait divers, contre les maux de la représentation médiatique, il faut tenir compte du
statut de l’image, inséparable du langage qui l’oriente dans notre civilisation de l’image.
Conscients de ces correspondances entre le visuel et le verbal, soulignées par Roland Barthes,
les auteurs que j’étudie cherchent à guérir le spectateur et à raviver sa capacité imageante pas
uniquement par la critique directe, mais encore mieux par deux procédés antithétiques : soit en
le privant de la vue ou du moins en créant des obstacles à sa vision, soit par l’obscène. Cette
iconoclastie – qui n’abhorre pas l’image mais tente de la préserver, hors la vue – explique sans
doute le retour au texte d’une large partie du théâtre d’aujourd’hui, défini par des critiques
autorisés comme un « théâtre de la parole ». Au lieu de la langue de la norme, les dramaturges
valorisent la parole, qui s’exprime dans toute sa créativité par la bouche du transgresseur.
Pour ce qui est du visible, dans les pièces analysées l’obscène consiste à montrer
l’irreprésentable, l’insupportable, le côté animal que l’homme cherche à cacher. Par cet excès de
présence du corps de l’acteur, le spectateur du fait divers, qui se croyait invisible, est exposé au
regard d’autrui et à son propre regard. Le dramaturge le dénude, démasque son hypocrisie. En
effet, la particularité de la vision au théâtre, par rapport à l’image plane médiatique, est
l’exploitation d’une dimension supplémentaire, la profondeur, qui réunit acteurs et public dans
un espace partagé. La représentation (
Vorstellung
) devient alors présentation (
Darstellung
),
mise en présence de la chose dans le temps présent. Le spectateur sentant, inclus dans la
présentation par son corps, est amené à se transformer en co-auteur de la pièce et en juge de lui-
même. Mis à nu, il est contraint de s’identifier au monstre et de reconnaître sa nature hybride,
mi-humaine et mi-bestiale.
En définitive, au théâtre le fait divers est la conséquence de la laideur de la nature humaine
et de la vie en société, dominée par le mal, que les hommes acceptent ou refusent par leur
transgression. Bien des dramaturges en donnent une représentation adéquate par des esthétiques
du Laid (le théâtre, à la différence de la presse, a un but artistique), qui en reflètent les
caractéristiques principales – l’hybride (et notamment la monstruosité), le chaos, l’infraction aux
normes. Ils écrivent des pièces-monstres, qui procèdent sans plan apparent, en rompant l’unité
harmonieuse de l’organisme, et où règnent le mélange des styles, des genres et des arts dans un
ensemble grotesque. Parfois, le fait divers devient un modèle qui permet à l’écrivain d’interroger
la condition de l’artiste et la création. Tout comme l’auteur de la transgression, le créateur est un
marginal, qui se situe à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système, dont il s’auto-exclut pour
mieux l’observer ou s’y opposer. Le spectateur éprouve la délectation, constituée de sentiments
de nature hybride : le dégoût pour ce qu’il ne voudrait pas voir et le plaisir de la connaissance
nouvelle, un trouble sans apaisement qui naît de la perplexité.
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Aujourd’hui, la fonction du théâtre et la réponse à la question sur la théâtralité, qui a perdu
la plupart de ses repères traditionnels, semblent résider dans ce rapport avec le spectateur. Le
théâtre, le lieu d’où l’on voit, offre une perspective (ou plutôt, des perspectives) inattendue sur
des « faits ». Les dramaturges rééduquent le regard anesthésié du voyeur à cause de son
accoutumance à la brutalité et au sensationnalisme journalistiques, par le truchement d’une
parole authentique, délivrée des clichés et de la soumission au pouvoir et réactivent sa capacité à
être surpris et choqué, en neutralisant la violence par la réflexion postérieure à l’événement. Le
destinataire, qui en feuilletant son journal ou en regardant la télévision se croyait invisible, est
obligé de porter le regard sur lui-même et d’éprouver la honte malhonnête du coupable, en
découvrant sa similitude avec le marginal, le « fou », l’assassin, l’anthropophage, le suicidé, le
producteur d’immondices, le prévaricateur ou le consommateur de faits divers aux yeux baveux.
Le théâtre se rapproche alors de la vie. L’auteur de théâtre prend le spectateur à son filet, en lui
donnant l’illusion de renforcer le lien social, le consensus de la communauté par ce genre
médiatique et, après avoir mobilisé des horizons d’attente, il lui est d’autant plus aisé de le
troubler et de remplacer ses certitudes par la béance du doute, en offrant la parole à qui en est
privé et en soulevant les questions gênantes que le journaliste n’ose plus poser. La différence
principale par rapport à l’approche médiatique consiste probablement en ceci : alors qu’avec le
récit journalistique du fait divers, pour reprendre les concepts de Paul Ricoeur, la
mimésis I
(la
précompréhension du monde) coïncide avec la
mimésis III
(la reconfiguration par la réception de
l’oeuvre), au théâtre le destinataire sort (ou devrait sortir) de la salle transformé par ce qu’il a vu
et entendu. Le dramaturge remplit ainsi son rôle, qui consiste à proférer des vérités incommodes
par le mensonge de la fiction et donc à transgresser. Selon Evreinov, la fonction ancestrale du
théâtre est justement la transgression des « normes établies par la nature, l’État et la société », ce
qui est aussi le propre du fait divers.
J.-P. Sarrazac (
L’Avenir du drame
, 1981 ; 1999), J.-P. Ryngaert (
Lire le théâtre
contemporain
, 1993), D. H. Bradby (
Le Théâtre en France de 1968 à 2000
, 2007) mettent en
évidence les constituants principaux, et parfois contradictoires, de l’écriture théâtrale
d’aujourd’hui : primauté du corps et théâtre de la parole ; redécouverte de la distanciation
brechtienne et monologues ; personnage déconstruit, qui est à la fois créature et figure
collective ; parole chorale ; mélange du français standard aux langues des minorités nationales
(occitan) ou aux sociolectes professionnels ; montage qui brise la linéarité temporelle de la fable
et la progression de l’action unitaire ; recoupement des modes dramatique, lyrique, épique et
argumentatif ; abolition de la frontière entre les genres ; contamination avec d’autres arts. Par
l’analyse des textes dramatiques qui s’inspirent de faits divers, il a été possible de déceler la
volonté des dramaturges de se confronter aux moyens de communication de masse et de
comprendre ainsi l’évolution de l’écriture théâtrale de ces trente-cinq dernières années, en
retrouvant sa cohérence. En effet, la plupart de ces changements peuvent être interprétés comme
une réponse aux procédés médiatiques.
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