Prolégomènes philosophiques et historiques au savoir folklorique - article ; n°4 ; vol.61, pg 353-389
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Description

Revue des études slaves - Année 1989 - Volume 61 - Numéro 4 - Pages 353-389
37 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Monsieur Claude Karnoouh
Prolégomènes philosophiques et historiques au savoir
folklorique
In: Revue des études slaves, Tome 61, Fascicule 4. pp. 353-389.
Citer ce document / Cite this document :
Karnoouh Claude. Prolégomènes philosophiques et historiques au savoir folklorique. In: Revue des études slaves, Tome 61,
Fascicule 4. pp. 353-389.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1989_num_61_4_5845PROLÉGOMÈNES PHILOSOPHIQUES
ET HISTORIQUES
AU SAVOIR FOLKLORIQUE
PAR
CLAUDE KARNOOUH
« Le repli sur la tradition, frelaté d'humilité et de
présomption, n'est capable de rien par lui-même, sinon
de fuite et d'aveuglement devant l'instant historial. »
monde" M. » Heidegger, (Die Zeit des « L'époque Weltbildes), des in "conceptions Chemins qui du ne
mènent nulle part (Holzwege), traduction de Wolfgang
Brokmeier, Paris 1962, p. 125.
AVERTISSEMENT
Depuis plus d'un siècle le célèbre problème des nationalités en Europe centrale,
orientale et balkanique a engendré tant d'ouvrages (en omettant les libelles, les
pamphlets et les articles de journaux et de revues) qu'ils suffiraient à remplir les
rayonnages de plusieurs bibliothèques. L'essentiel de ces travaux rééditent, à
chaque génération d'intellectuels, la sempiternelle question de la nature des conflits
entre les nationalités en compétition : droit constitutionnel contre droit historique ;
émergence de nouvelles classes sociales dans le cours du développement
économique, de l'économie de marché et de la prééminence de l'industrie ;
modifications des rapports de forces entre les grandes puissances ; affirmation de
telle ou telle religion, de telle ou telle langue ; surgissement de la problématique des
minorités nationales qui implique aussi celle de la majorité nationale. Tous ces
phénomènes sont certes importants, ils participèrent tous à la formation de l'Europe
(voire du monde) telle que nous la connaissons aujourd'hui. Cependant, et en
omettant les descriptions qui se veulent « objectives » malgré leurs contradictions
empiriques, dès lors qu'on tente de trouver un sens à ces ensembles de phénomènes
dits nationaux, l'interprétation semble tourner sur elle-même et rééditer la
dialectique un peu simpliste de l'infrastructure et de la superstructure selon une
pondération laissée à l'orientation théorique de l'analyste.
Rev. Etud. slaves, Paris, LXI/4, 1989, p. 353-389. CL. KARNOOUH 354
Or, voici plus de deux siècles, ce problème jaillit dans la pensée européenne
comme une question éminemment philosophique, bien avant que des peuples
n'énoncent leur volonté d'État-nation. Avant toute autre manifestation explicitement
politique, le peuple-nation fut avancé outre-Rhin et outre-Danube comme un
problème de culture, ou mieux, comme la question soulevée par l'omniprésence
d'une culture populaire archaïque - de ses langues, de ses traditions - et les
moyens de parvenir à l'acculturer à la culture savante. Fallait-il l'intégrer à la langue
dominant tel ou tel empire ? Comment faire accéder le peuple à la culture du
progrès tout en lui conservant sa langue maternelle ? ou fallait-il l'arracher à ses
traditions « sauvages » ? Comment une élite issue de ce même peuple peut-elle à
la fois participer du mouvement général de la culture tout en se maintenant dans une
langue qui n'en a jamais pensé les prémisses ? Voilà quelques-unes des questions
qu'affrontaient les premières élites issues de cette paysannerie archaïque dès lors
qu'elles souhaitaient arracher leur peuple à sa misère, et auxquelles elles tentèrent de
répondre en pensant le modèle culturel qui s'offrait à elle comme la quintessence du
progrès scientifique et moral, celui des Lumières. Problématique où se trouvaient
encore posées et celle de la transcendance divine et celle de la liberté individuelle et
collective.
Cet essai, reproduit le chapitre central d'un livre en cours de rédaction, dont le
titre, « L'invention du peuple, chroniques de Roumanie et d'Europe orientale »,
suggère les lieux où l'interprétation souhaite situer l'essentiel de son propos.
Le XVIIIe siècle finissant est mieux connu pour le développement de ses
théories économiques et politiques ou pour les grondements de la tempête révo
lutionnaire ébranlant villes et campagnes de France, d'Allemagne et d'Italie que par
l'étonnement des poètes, des philosophes, des savants, des voyageurs, confrontés
à l'étrangeté de la parole qui accompagnait les traditions et les rites des paysans
d'Europe. Soit ! La Révolution française et les guerres napoléoniennes frappaient
plus immédiatement les esprits. Cependant, une fois franchies les limites
occidentales des pays germaniques, les idées nouvelles portées par les Lumières, la
Révolution et l'Empire au travers du continent européen se confrontèrent à quelque
chose de populaire et d'archaïque qui commençait à se porter consciemment sur le
devant de la scène de l'histoire. Surprenante fascination de la part d'hommes
nourris de culture classique et des enseignements des Lumières ; on peut aisément
imaginer leur désarroi devant cet exotisme découvert, ou plutôt redécouvert, et
perdurant, à peine dépassées les barrières de leurs villes, dans les villages égrenés
au long de routes peu sûres, pleines d'embûches naturelles et livrées au pouvoir des
bandits de grands chemins. A coup sûr ce monde les intriguait et devait susciter des
interrogations nouvelles formulées par les romantiques.
Lorsqu'au début des années 1920 l'école de linguistique dirigée par les
formalistes russes et tchèques souhaita donner un statut scientifique aux questions
de poétique et de symbolique soulevées par la « poésie » populaire et le folklore
des traditions paysannes1, elle s'attacha en premier lieu à récuser les constructions
1. R. Jakobson et P. Bogatyrev, « Die Folklore als eine besondere Form des
Schaffens », in D опит Natalicium Sogrijen, Nimègue-Utrecht, 1929, p. 900-913. Traduction
française, « Le folklore, forme spécifique de création », in : R. Jakobson, Question de
poétique, Paris, 1973, p. 59-72 ; Pierre Bogatyrev, Actes magiques, rites et croyances en
Russie subcarpathique, Paris, 1929 ; P. « Příspěvek k štrukturálni etnografii »
(Pour une ethnographie structurale), in Slovenská miscellanea, Bratislava, 1931 ;
P. Bogatyrev, The Fonctions of folk Costume in Moravia Slovakia, Den Haag, 1971, PROLÉGOMÈNES PHILOSOPHIQUES 355
généalogiques et esthético-politiques élaborées par la pensée romantique. En
réduisant la tradition paysanne à un système de formes, et la culture archaïque à une
sémiotique de la communication, le formalisme reprenait à son compte le projet
d'une science rationnelle, héritière des Lumières, en ce qu'elle appliquait aux faits
humains un modèle interprétatif venu des sciences de la nature. Il ne s'agissait plus
d'écarter le paysan parce que sauvage, mais de repérer dans le dit populaire ce qui
tenait de traits culturels généraux - en quelque sorte d'universaux (au sens
linguistique) -, et d'une humanité attachée à des valeurs esthétiques universelles.
Dès lors le discours de la science folklorique fonctionnait comme légitimation d'une
profession de foi éthique sous-jacente : ces hommes, les paysans, apparemment
différents de notre tradition savante, ne sont-ils pas en fin de compte nos
semblables puisqu'ils se révèlent aptes à créer la beauté poétique dans des formes
singulières qui leur servent à se communiquer des idées et des sentiments somme
toute universels, en dépit d'une expressivité quelque peu surprenante.
Ainsi, au prix d'artefacts analytiques, la pensée humaine se trouvait ressortir à
une nouvelle version de la ratio universelle malgré l'idiosyncrasie de son
expression. Cette conception n'attribue à la poésie et aux coutumes populaires que
la spécificité formelle (certes un peu sauvage !) de la communication dans la
Weltanschauung de la tradition orale. Il avait donc suffi que les formalistes
éliminassent le contexte rituel - et plus généralement

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