Robert F. Park, la tradition de Chicago et l étude des relations entre les races - article ; n°1 ; vol.33, pg 139-157
19 pages
Français

Robert F. Park, la tradition de Chicago et l'étude des relations entre les races - article ; n°1 ; vol.33, pg 139-157

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
19 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Sociétés contemporaines - Année 1999 - Volume 33 - Numéro 1 - Pages 139-157
RÉSUMÉ: L’article propose une présentation synthétique du cadre conceptuel de la sociologie des relations de races de Robert Park en la replaçant dans le contexte historique de l’époque de son élaboration. Il examine également l’utilisation de ce cadre par deux des élèves de celui-ci, Franklin Frazier et Everett Hughes. Ceux-ci ont conservé les principaux éléments d’un cadre qui attirait l’attention sur des aspects dont les évolutions ultérieures ont souvent montré la pertinence. L’hypothèse du cycle des relations entre les races à laquelle un stéréotype scolaire associe souvent la sociologie de Park apparaît au contraire comme un aspect mineur de celui-ci.
JEAN-MICHEL CHAPOULIE
Robert E. Park, the Chicago tradition and the study of race relations
The article proposes a synthetic presentation of the conceptual framework of Robert Park’s sociology of race relations, by restoring it to the historical context of the time of its elaboration. Il also examines the use of this framework by two of his students, Franklin Frazier and Everett Hughes. They both retained the principal elements of a framework which focussed attention on aspects whose pertinence has been underlined by later developments. The hypothesis of the cycle of race relations, under which banner academic stereotyping often categorizes Park’s sociology, appears, on the contrary, as a minor aspect of his work.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 22
Langue Français

Extrait

      J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E       
ROBERT E. PARK, LA TRADITION DE CHICAGO ET L’ETUDE DES RELATIONS ENTRE LES RACES
RÉSUMÉ :  L’article propose une présentation synthétique du cadre conceptuel de la sociologie des relations de races de Robert Park en la replaçant dans le contexte historique de l’époque de son élaboration. Il examine également l’utilisation de ce cadre par deux des élèves de ce-lui-ci, Franklin Frazier et Everett Hughes. Ceux-ci ont conservé les principaux éléments d’un cadre qui attirait l’attention sur des aspects dont les évolutions ultérieures ont souvent mon-tré la pertinence. L’hypothèse du cycle des relations entre les races à laquelle un stéréotype scolaire associe souvent la sociologie de Park apparaît au contraire comme un aspect mineur de celui-ci.  En prenant comme thème de cet article 1 la contribution de la tradition de Chica-go à l’étude des relations entre les races, on se propose d’attirer l’attention sur ce qui semble à la fois le plus central et le plus élaboré, mais aussi le plus mal connu en France, dans les recherches de cette tradition. Quelques publications récentes suggè-rent que les choses ont commencé à changer, au moins en ce qui concerne l’intérêt pour ce groupe de recherches 2 . La raison profonde de l’intérêt nouveau pour ces re-cherches tient à la lente découverte depuis une quinzaine d’années par les chercheurs en sciences sociales dont ce n’est pas la spécialité du fait que la question des rela-tions entre races et cultures (pour employer le vocabulaire de Park) concerne direc-tement la France, et qu’elle l’a concernée au moins depuis un siècle sans que les  1  . Cet article est issu d’une communication pour le colloque « L’École de Chicago hier et au-jourd’hui , Université de Versailles-Saint Quentin, 3-4 avril 1998. Il s’appuie sur un ensemble de recherches sur l’histoire de la sociologie aux États-Unis, qui reposent notamment sur le dépouille-ment des archives de Park, Burgess et Hughes déposées à la Joseph Regenstein Library de l’Université de Chicago.  Je remercie Josée Tertrais qui a contribué à la collecte d’une partie de la documentation imprimée, ainsi que Jean-Pierre Briand et Cécile Desmazières-Berlie qui m’ont fait bénéficier de leurs criti-ques et suggestions sur la version initiale de ce texte. 2.  Les premières présentations de l’« École de Chicago  disponibles en français mettent bien davan-tage l’accent sur les études urbaines que sur les études sur les relations de races : il en va ainsi de Duchac, 1973, qui est centré – en dépit de son titre – sur les études écologiques, ne prend que très partiellement en compte les essais sur les relations de races de Park ; de Grafmeyer, Joseph (1979), ou de l’ouvrage précocement traduit en français de l’anthropologue Hannerz, (1983). Parmi les pré-sentations prenant en compte ce domaine, voir l’ouvrage de Schnapper (1998). Sociétés Contemporaines (1999) n° 33-34 (p. 139-157)   139  
J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E                sciences sociales s’en soient beaucoup souciées  3 . Pour emprunter encore le vocabu-laire de Park, la France se trouve, comme d’ailleurs la plupart des pays où s’est dé-veloppée une grande industrie, sur une frontière ethnique et raciale. Une remarque de Park, en 1926, peut suggérer l’actualité qu’ont encore aujourd’hui ses essais sur les relations entre races et cultures : « Nous avons importé de la main d’œuvre comme si c’était une simple marchandise, écrit Park, et de temps en temps nous sommes déçus lorsque nous découvrons, comme cela se produit invariablement, que les travailleurs étaient des êtres humains comme nous  4  . Quels sont les « résultats  qu’ont obtenus les sociologues de la tradition de Chi-cago qui ont depuis presque un siècle étudié ces phénomènes ? C’est ce que l’on se propose ici de préciser, en prenant le rôle d’intermédiaire culturel pour donner une idée de leur contribution à l’étude des relations entre races et cultures. Celle-ci a la forme d’un cadre de référence utilisable pour des recherches empiriques, dont Wil-liam I. Thomas et Robert Park ont fourni la formulation première 5 . J’indiquerai plus loin pourquoi on ne peut pas utiliser facilement les présentations de la sociologie de Park et de ses successeurs que l’on trouve chez les spécialistes américains des contacts de races et cultures. Pour donner une idée du fonctionnement de ce cadre de référence, j’examinerai ensuite rapidement les relations de celui-ci avec les recher-ches empiriques ultérieures de deux des « élèves  de Park les plus influents, Fran-klin Frazier et Everett Hughes. Un peu à l’arrière-plan, je présenterai des éléments de réflexion sur deux questions au centre de mes recherches sur l’histoire des scien-ces sociales : quelle est la nature des accomplissements des sciences sociales ? quelle est la relation entre ces recherches et la société qui les a produites ?  On ne sera pas surpris que le rôle d’intermédiaire culturel impose d’abord de rappeler le sens d’un mot. Le terme « race  qui figure dans le titre de cet article a sans doute inquiété. Je rappellerai donc que ce terme – ou plutôt le terme anglais correspondant – ne renvoie pas à une définition biologique, mais à une définition strictement sociale : comme le remarquait Everett Hughes en 1967 : « La seule chose évidente à quelqu’un de complètement extérieur est que la race dans ce pays est une invention de la langue ; naturellement il y a beaucoup d’histoire derrière celle-ci, comme derrière toute invention linguistique  6 . Au moins à partir des an-nées vingt, le terme « race  n’est pas défini par Park et par ses proches en termes de biologie, mais renvoie à une définition sociale : selon la formulation plus tardive d’un autre de ses élèves, Herbert Blumer, « La race désigne simplement un groupe de personnes qui sont considérées et traitées dans la vie courante comme une race. L’appartenance à la race correspond simplement aux individus qui sont identifiés et  3  . C’est ce que remarquait il y a dix ans Noiriel, 1988. 4.  Park, 1926 b, in Race and Culture , 1950 : 150. 5  . La contribution de Thomas à ce domaine d’étude a été ici laissée de côté de manière un peu arbi-traire, mais aussi parce que l’influence de Thomas sur les recherches empiriques des années posté-rieures est passée en grande partie par l’interprétation qu’en a donnée Park. Les formulations de Park sont par ailleurs plus générales et plus facilement utilisables que celles de Thomas dans des recherches sur des terrains divers. 6  . E.C. Hughes : Race and Language , cours dispensé à Florida State University, le 19 janvier 1967 in Archives Hughes, dossier 109, sous-dossier 16, J. Regenstein Library, Université de Chicago.
140
          R O B E R T P A R K , R E L A T I O N S E N T R E L E S R A C E S classés comme lui appartenant  7 . L’attention précoce portée à la définition de la race est un premier indice du fait que la réflexion de la sociologie américaine avait une « avance  sur celle des chercheurs français, et un raffinement incomparable-ment supérieur dans l’appréhension de cet ordre de phénomènes.  La raison de ce raffinement n’est pas mystérieuse : la première interrogation de la société américaine sur elle-même, quand naît la sociologie aux États-Unis, autour de 1890, porte sur la coexistence de populations diverses sur le sol américain. C’est le thème de Hull House Maps and Papers publié par Jane Addams et ses proches en 1895, du Philadelphia Negro de DuBois (1899), du Paysan Polonais de Thomas et Znaniecki (1918) – bref, en dehors de ce dernier, de deux des ouvrages dont l’avant-garde féministe ou celle des Black Studies des États-Unis rappellent utilement qu’ils figurent (ou du moins devraient figurer) au premier rang des œuvres fondatrices de notre discipline. C’est aussi le thème principal du manuel de Park et Burgess, l’ Introduction to the Science of Sociology (1921). La majeure partie de cet ouvrage est consacrée à la présentation d’un cadre conceptuel destiné à l’analyse des contacts entre populations différentes présentes sur un même territoire. Celui-ci repose sur un ensemble de notions – interaction, contrôle social, forces sociales, etc. – trop éloignées de nos terminologies et de nos modes de pensée ordinaires pour qu’il puisse être présenté ici rapidement. On peut cependant donner une idée d’ensemble du cadre d’analyse que Park et Burgess vou-laient offrir aux étudiants en thèse en remarquant qu’il s’agit d’une sorte d’abstrac-tion inspirée par la situation historique qui était alors celle des États-Unis : un vaste territoire où s’était installée une émigration de peuplement ininterrompue sur plus d’un siècle, et sur lequel une organisation politique se mettait lentement en place 8 . La concurrence de ces diverses populations en ce qui concerne les emplois et le lo-gement étaient des phénomènes évidents pour tout observateur 9 . Comme l’indique discrètement ce que ce cadre de référence laisse dans l’ombre, le point de vue orga-nisant cette perception est celui des Anglo-Saxons protestants, blancs, des états du Nord-est, le groupe politiquement hégémonique. Ni pour Park ni pour ses contemporains, les relations entre ces populations arri-vées par vagues successives d’immigration n’étaient caractérisées par une grande stabilité : il leur semblait donc approprié de les considérer comme des phénomènes soumis à des évolutions rapides, et de rechercher les régularités dans le déroulement des processus, et non dans des états stables et tendant à se répéter. Park et Burgess proposent une classification de ces processus. Le premier d’entre eux, la concur-rence ( competition ) – pour l’occupation d’un territoire, l’accès aux emplois, etc – . relève de ce que Park appelle l’ordre écologique : le domaine des relations qui ne supposent nécessairement ni contact direct ni communication entre les populations concernées. Les trois autres types de processus – conflit, compromis, et assimilation – impliquent au contraire des formes de communication et relèvent de ce que Park  7  . Blumer, 1955 : 4. 8.  Sur ce point essentiel, voir Karl, 1983. 9  . Ces points sont abondamment mis en évidence dans le rapport de la Chicago Commission of Race Relations (1922) dont les travaux furent inspirés par Park.
141
J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E                appelle l’ordre moral 10 . L’étude de l’univers symbolique de diverses populations fut l’un des principaux centres d’intérêts de Park, qui fut aussi, en incitant ses étudiants à entrer en contact direct avec les phénomènes qu’ils étudiaient, l’un des introduc-teurs en sociologie de la démarche que nous désignons maintenant par le terme tra-vail de terrain ( fieldwork ) 11 . Comme souvent chez Park, la définition de certaines notions n’est qu’esquissée. Il en va ainsi pour la notion d’assimilation 12 . Il faut rappeler – parce que les sociolo-gues des trente dernières années semblent l’ignorer – que le terme « assimilation  ne renvoie pas d’abord à une idée de spécialiste de sciences sociales, mais au thème d’un des principaux débats publics de l’époque : sur « l’américanisation  des émi-grants et, plus généralement, sur l’avenir des émigrés européens et asiatiques, et après 1920, sur celui des Noirs. Explicitement formulée seulement dans l’article de Park (1926) cité précédemment (mais sous-entendue dans l’ Introduction to the Science of Sociology ), une hypothèse sur l’évolution des relations entre ces popula-tions est avancée par Park : cette évolution se conformerait à un « cycle de rela-tions  qui ferait inexorablement passer les relations d’un de ces processus à l’autre (du conflit au compromis etc.). La remarque de Park que j’ai citée précédemment sur les « marchandises  et les « êtres humains  peut être lue comme une allusion à cette hypothèse. L’une des infortunes dont a souffert la sociologie de Park est cependant l’excessive identification, si ce n’est sa réduction, à cette proposition : c’est en effet à celle-ci que se limitent souvent depuis vingt-cinq ans les exposés de l’approche de Park, ce qui conduit d’ailleurs inévitablement à déclarer celle-ci obsolète, non scien-tifique, etc. 13 . La discussion autour de l’interprétation des essais de Park ne peut évidemment aboutir à aucune conclusion indiscutable. Je soutiens seulement ici que ceux qui se sont inspirés des essais de Park pour des recherches empiriques n’ont pas été obnubilés par l’idée de démontrer l’exactitude de cette proposition, et qu’une lecture des essais de Park qui n’est pas focalisée autour de l’hypothèse de ce cycle suggère des idées autrement fécondes pour la recherche empirique.  10.  La traduction du terme qui désigne le second de ces processus, « accommodation , par le terme français identique, semble bizarrement se répandre actuellement en France. Elle donne un air mys-térieux à une idée qui est bien exprimée par le terme compromis (il s’agit probablement d’une déri-vation malheureuse à partir d’un sens disparu attesté au XVI e  siècle signalé par le dictionnaire Ro-bert). 11.  La référence principale de Park en la matière était une conférence de William James – « A certain Blindness in Human Beings  (1899) – qui l’avait particulièrement frappée. Sur la postérité de Park en matière de travail de terrain en sociologie, voir Chapoulie, 1984. 12  . Park reconnaît d’ailleurs clairement l’imprécision du terme dans un essai rarement cité, postérieur à la publication de l’ Introduction ot the Science of Sociology : l’article « Assimilation  de l’ Encyclo-paedia (Park, 1930). 13.  Par exemple, l’ouvrage classique de Steinberg, 1981 (qui a par ailleurs d’autres mérites) réduit Park au rôle de théoricien du Melting Pot . Steinberg oublie d’ailleurs de manière significative l’un des processus distingués par Park. Le caractère approximatif des lectures de Park (que relevait déjà E. Hughes dans les années cinquante) a été sans doute favorisé par le style de ses essais – reposant souvent sur de libres associations d’idées –, par l’organisation thématique, et non chronologique, du principal recueil, Race and Culture  (1950), et enfin par la méconnaissance du contexte historique de rédaction et de publication de ces essais. La réduction de la sociologie de Park à ce cycle se re-trouve dans plusieurs présentations en français.
142
          R O B E R T P A R K , R E L A T I O N S E N T R E L E S R A C E S De proches héritiers intellectuels de Park, comme Hughes ou Frazier, n’atta-chaient pas en effet une grande importance à ce cycle 14 . Ni d’ailleurs souvent Park lui-même qui se réfère volontiers au cas de la non-assimilation des juifs en Europe. Une remarque dans un manuscrit de Park montre d’ailleurs qu’il n’avait pas une vi-sion dogmatique de cette proposition : « Ce cycle, écrit Park, est une hypothèse, et la seule façon acceptable dans tous les cas de travailler avec une hypothèse est de cher-cher quand et dans quelles circonstances celle-ci n’est pas vérifiée  15 . L’avenir des relations entre les différentes composantes de la population américaine, et spéciale-ment entre les Noirs et les autres composantes de la société, était alors une question prégnante dans les débats publics aux États-Unis. L’intérêt porté à l’hypothèse d’un « cycle de relations entre les races  n’en est que l’une des expressions.  La difficulté d’interprétation des recherches américaines sur les relations entre races et cultures dépasse la question de la place à accorder au cycle des relations en-tre les races. Tout ce qui touche aux relations de race est, au moins depuis 1920, une question brûlante pour les sciences sociales aux États-Unis, car directement liée à un débat politico-moral central. En conséquence, l’appréciation des analyses de scien-ces sociales, contemporaines ou passées, qui relèvent de ce domaine, dépend des ju-gements constitués sur tel ou tel aspect sensible au moment où elle est formulée, même si cet aspect n’est que secondaire pour les analyses considérées. L’appré-ciation des essais de Park a ainsi souffert du développement des interventions de l’État fédéral en faveur de l’égalité raciale (qui commencent timidement en 1936) et des conclusions qui semblaient découler de l’ouvrage de Myrdal, An American Di-lemma  (1944), qui suggérait que les efforts devaient porter sur la modification des attitudes des Blancs à l’égard des Noirs 16 . Plus tard, à la fin des années soixante, elle a souffert de la « découverte , dans le contexte des revendications politico-culturelles du Black Power , de ce que l’héritage culturel africain n’était pas aussi négligeable que l’avaient affirmé avec Park à peu près tous les chercheurs de scien-ces sociales 17 . Cette focalisation des discussions sur quelques points sensibles par  14.  Il en va de même pour Blumer et Wirth. 15  . Robert Park, manuscrit non daté [entre 1930 et 1944], in archives Park, dossier 5, sous-dossier 2, Joseph Regenstein Library. L’ouvrage de Lyman (1972) propose l’analyse, à ma connaissance la plus détaillée, de l’idée de cycle de relations entre les races de Park. Ma divergence avec cette in-terprétation, qui s’appuie sur une vue d’ensemble de la sociologie de Park (à l’inverse de la plupart de celles qui sont en général derrière l’invocation de ce cycle), tient à ce que je ne crois pas qu’on parvienne à une bonne appréciation de la perspective de Park en couchant ses essais sur le lit de Procuste de la philosophie. Je ne suis évidemment pas le premier à critiquer la réduction de la so-ciologie des relations entre les races de Park à ce cycle : voir Lal, 1990 ; McKee, 1993 : 110-111 pour des exemples récents. 16.  Après la publication de l’ouvrage de Myrdal, ce fut pour une longue période sur le « fatalisme  de Park – sa conviction que les changements des dispositions législatives n’étaient pas susceptibles de modifier significativement le cours des relations entre les races – que se focalisèrent les critiques. 17  . L’exception est l’anthropologue Melville Herskovits dans son ouvrage de 1941, rédigé dans le ca-dre des travaux préparatoires à l’ouvrage de Myrdal (1944). C’est seulement à partir des années soixante-dix que les recherches d’une nouvelle génération de folkloristes et d’historiens imposèrent l’idée, dans un contexte complètement différent, de l’importance de l’héritage africain chez les Noirs du Sud : voir notamment Blassingame, 1972. Curieusement, cette période correspondit éga-lement à la « découverte  que l’on pouvait analyser l’évolution de la population noire comme un phénomène d’« ethnogénèse  (pour reprendre le titre de l’article passé longtemps inaperçu de Sin-
143
J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E                rapport aux débats du moment des États-Unis rend souvent difficilement utilisables par le lecteur non initié à ces débats les présentations des essais de Park par les cher-cheurs américains. On peut ajouter qu’une partie du cadre de référence proposé par Park a été intégré dans les catégories de base de ce domaine d’études et que ce n’est donc plus directement aux essais de celui-ci qu’est associée, par exemple, l’idée que les relations de races et non les groupes en eux-mêmes sont l’objet d’étude central de ce domaine.  J’ai passé jusqu’ici sous silence une propriété de la perspective proposée par Park qui est une simple conséquence de sa définition des relations de race. Cette propriété, qui ne frappe plus le lecteur d’aujourd’hui car elle renvoie au contexte in-tellectuel de l’époque, était excessivement importante aux yeux de Park et de ses élèves des années vingt. Abandonnant une caractérisation biologique de la race, Park récuse par là même toute idée d’inégalité d’origine biologique entre races : il consi-dère les différences de comportements entre populations observables à un moment donné comme le produit de l’environnement ou des environnements successifs 18 . En cela Park s’oppose aux convictions qui étaient encore très répandues dans les scien-ces sociales au début des années vingt, même si, sous l’influence des anthropologues boasiens, les convictions concernant l’existence de races biologiquement définies et inégales reculent chez les chercheurs de sciences sociales à partir du début du siè-cle 19 . Les ouvrages de plusieurs des « élèves  de Park, comme Charles Johnson, Franklin Frazier, mais aussi ceux de Clifford Shaw et d’Henry McKay sur la délin-quance, contiennent ainsi de longues démonstrations du fait que la race ou l’appartenance ethnique n’ont aucune pertinence pour l’explication de comporte-ments spécifiques (comme les ruptures familiales ou la délinquance) 20 . J’ai fait allusion à deux autres caractéristiques importantes du cadre d’analyse proposé par Park que je rappelle ici seulement pour mémoire. Premièrement, ce ne sont pas les races ou les groupes ethniques en eux-mêmes, mais les relations de race, qui sont l’objet central des analyses conduites selon cette perspective 21 . Deuxièmement, ce n’est pas la régularité de ces relations qui doit être placée au centre de l’analyse, mais la régularité des évolutions, car la société est en perpétuel devenir. Je développerai un peu plus longuement trois autres propriétés importantes de ce cadre d’analyse. Troisièmement : le cadre d’analyse de Park accorde une attention centrale aux conflits entre groupes. Au moins à la fin de sa vie, ces conflits, y compris les émeu- ger, 1962), alors que Park avait été sans doute presque le seul de son temps à être attentif à cet as-pect. 18.  Un article de Park, en 1913, contient toutefois une formulation malheureuse, et souvent relevée plus tard, qui évoque le « tempérament racial  des Noirs : voir Matthews, 1977 : 172. 19.  Voir Barkan, 1992. 20  . Voir par exemple la dernière édition de Shaw et McKay (1969). 21.  Il faut rappeler qu’avant Park, l’approche des groupes de race est définie en terme de traits spécifi-ques : voir par exemple la thèse d’Howard Odum (1910), l’un des principaux chercheurs de la gé-nération de Park dans ce domaine (qui abandonna d’ailleurs cette approche après 1920).
144
          R O B E R T P A R K , R E L A T I O N S E N T R E L E S R A C E S tes raciales, sembleront à Park l’un des intermédiaires inévitables des changements sociaux 22 . La perspective proposée par Park s’oppose sur ce point à celle qui inspire l’immense majorité des recherches sociologiques dans ce domaine après 1945, cen-trées sur les attitudes et les préjugés telles que les expriment les individus en situa-tion d’enquête 23 : ces recherches furent en conséquence davantage centrées sur les groupes en eux-mêmes que sur les relations entre groupes, davantage focalisées sur les réactions individuelles que sur les comportements collectifs, moins attentives aux conflits que convaincues que l’amélioration progressive des relations passait par l’atténuation de ceux-ci. Quatrièmement : Park considérait, même si le point reste à l’arrière-plan dans la plupart de ses essais, que la base des mouvements de population qui entraîne les contacts entre races et cultures est essentiellement économique : c’est la recherche du travail qui a mis en mouvement depuis le début du XIX e siècle une partie des po- pulations du monde 24 . Park utilise l’expression « expansion de l’Europe , emprun-tée à l’anglais James Bryce, pour désigner ce phénomène de grande ampleur qui se développe depuis plusieurs siècles, et dont il percevait dans les années trente l’accélération, à juste titre comme devait le confirmer la suite. Derrière cette inter-prétation d’un phénomène majeur, en évidence depuis la fin du XIX e siècle, se trouve une réflexion, qui est commune à Park et à une partie des chercheurs de sciences so-ciales de l’époque, sur l’opposition entre sociétés fondées sur les contacts intimes tels qu’il en existe dans la famille, et sociétés caractérisées par les contacts imper-sonnels caractéristiques de l’univers des affaires, de la politique et des villes 25 . Cette réflexion a trouvé un appui dans les résultats des recherches empiriques menées par Park dans les années vingt sur les groupes d’immigrés originaires d’Europe et d’Asie (voir infra). Ces recherches mettaient en évidence les contributions respecti-ves de la famille et de diverses institutions à l’adaptation des groupes issus de l’immigration dans la société qui les accueille, et les différences entre générations successives issues d’une même immigration. S’il fallait réduire à une seule proposi-tion la sociologie des relations entre les races de Park, il faudrait retenir sans hésita-tion l’hypothèse (jamais tout à fait explicitement formulée par Park, mais qui sous-tend ses analyses, comme celles de Frazier ou de Doyle) que les contacts intimes et personnels sont « le grand solvant moral  des barrières entre groupes de races 26 . Cinquièmement : Si son point de départ est l’exemple historique des États-Unis du début du XX  e  siècle, la réflexion de Park se situe dans un cadre comparatif que  22.  Ce point est souligné dans une lettre envoyée à un de ses anciens élèves, Horace Cayton, en 1943 : « Si des conflits se produisent comme conséquence de leurs efforts [celui des Noirs] pour obtenir leur place, ce sera parce que les Blancs en prendront l’initiative. De tels conflits se produiront pro-bablement et sont plus ou moins inévitables, mais la situation des Noirs sera ensuite meilleure , ci-té in Matthews, 1977 : 189. Matthews cite également une autre lettre de Park à son ancienne assis-tante Winifred Raushenbush où il ne se déclare opposé aux émeutes que si les Noirs doivent toujours perdre. 23  . Ces recherches constituent pour partie la postérité intellectuelle des ouvrages de Myrdal (1944) et d’Adorno et  al (1950). 24.  C’est seulement dans le dernier article de Park, publié un peu après sa mort, en 1944, et très rare-ment cité, que ce point est assez largement développé. 25  . Park (1939 b) in Race and Culture , 1950 : 116. 26  . Park (1926 a) in Race and Culture , 1950 : 254.
145
J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E                celui-ci n’a cessé d’élargir au fil des années ; ce cadre englobe certes les Asiatiques de la côte Pacifique des États-Unis et les groupes ethniques soumis au même proces-sus d’urbanisation que les Noirs ruraux du sud, mais également des exemples connus par Park à l’occasion de ses voyages des années 1920-1935 comme l’Inde, la Chine, les Iles Hawaï 27 , l’Afrique du Sud, le Brésil, ainsi que des exemples histori-ques auxquels Park se réfère fréquemment : les juifs d’Europe, le mouvement des nationalités en Europe centrale, la Grèce antique, etc. C’est en s’appuyant sur des comparaisons effectuées dans ce cadre large que Park a avancé ses analyses des conséquences de la différenciation sociale sur les relations entre races, du rôle de la conscience de race, des préjugés de race comme sens de la position relative des groupes, ou des comportements de ceux qui se trouvent marginaux par rapport aux communautés de race.  Les analyses de Park dans le domaine des contacts entre races et cultures sont in-comparablement plus élaborées et subtiles que celles qu’il propose pour d’autres su-jets, y compris pour l’étude des villes 28 . C’est en effet dans ce seul domaine que Park (qui était devenu professeur de sociologie à cinquante ans) a réalisé directe-ment des recherches en participant lui-même à la collecte et à l’interprétation d’un matériel documentaire : sur la presse pour immigrants 29 , sur les formes d’adaptation de divers types d’immigrés (en collaboration avec W. I. Thomas) 30 , et sur l’émigration asiatique de la Côte Pacifique des États-Unis 31 . On peut y ajouter les travaux, inspirés par Park, de la commission d’enquête consécutive à l’émeute de Chicago de 1919 (dont le rédacteur principal fut Charles S. Johnson, alors élève de Park). Park était par ailleurs le seul chercheur de sa génération à posséder une connaissance quasi ethnographique de la condition des Noirs du sud rural 32 .  partir  27  . Les Iles Hawaï pour Park fournissent encore plus que la Côte Ouest l’exemple du mélange des po-pulations par inter-mariage. 28  . Comme le remarque Hughes dans une lettre à James Short en 1970, Park n’a pas fait autre chose dans ce domaine que de « visiter  de nombreuses villes (carton 55, dossier 19, Archives Hughes, Joseph Regenstein Library). 29.  Park, 1922. Cette recherche a été financée par la Fondation Carnegie. 30.  Park, Miller, 1921. La contribution de Park à cette recherche est contestée : l’ouvrage est mainte-nant généralement attribué au seul W.I. Thomas (qui, en 1921, était interdit de signature par la fon-dation Carnegie en raison des conditions de son éviction de l’Université de Chicago). S’il ne fait aucun doute que la contribution d’Herbert Miller fut très limitée, il n’est pas sûr qu’il en aille de même pour celle de Park. Le témoignage de l’assistante de Park, Winifred Raushenbush (in Archi-ves Park addenda, dossier 9, Joseph Regenstein Library), qui travailla avec Park et Thomas sur ce livre, insiste au contraire sur l’implication directe et importante de Park dans cette recherche. Raus-henbush et Hughes semblaient juger impossible de mettre en avant le fait que Park était l’un des au-teurs du livre dans le contexte de l’époque (qui avait vu la « découverte  de la contribution de Thomas à l’ouvrage) : voir Raushenbush, 1979 : 86-94. 31.  Un terme prématuré fut mis à cette recherche collective par son mécène, l’ Institute of Social and Religious Research ; un compte rendu très partiel fut publié dans un numéro spécial du Survey Graphic de 1926. 32.  Voir notamment l’article récemment publié dans le recueil de Lyman (1992) : 262-275, « Negro Home Life and Standards of Living  (1913). Dans un document autobiographique (Archives Park Addenda carton 1, dossier 3, Joseph Regenstein Library) Park écrit qu’il « devint ainsi virtuelle-ment pour un temps un Noir lui-même . L’importance chez Park de l’expérience de l’univers des Noirs du Sud est soulignée, dans une lettre écrite dans les années soixante à F. Matthews, par la
146
          R O B E R T P A R K , R E L A T I O N S E N T R E L E S R A C E S du début du siècle, il n’a cessé de scruter les évolutions des comportements indivi-duels et collectifs de la population noire, les événements qui la concernent et les ré-actions suscitées par ces évolutions : soit notamment les tentatives de Booker Was-hington pour organiser un développement économique et culturel des Noirs à l’écart des Blancs, au début du siècle, la Grande Migration des Noirs ruraux du Sud vers les villes du Nord après 1915 ; la Harlem Renaissance des années vingt, etc. Ses essais, mais plus encore ses manuscrits et sa correspondance, témoignent de l’acuité de sa perception des évolutions des relations de races. Bien qu’il ne s’agisse pas ici de présenter une appréciation critique du point de vue de Park, il est sans doute utile de rappeler que Park a laissé de côté une partie de la dimension politique des relations de races : il tend à voir la concurrence entre cel-les-ci comme un phénomène non organisé et à ignorer les actions collectives des Blancs en la matière. Il a également considéré comme négligeable les possibilités d’intervention de l’État fédéral sur les relations de races. On peut mettre ces omis-sions en relation avec les propriétés de son époque et de son point de vue que j’avais relevées précédemment. C’est seulement après la première guerre mondiale que se développent, aux États-Unis, les interventions de l’État fédéral dans les domaines qui relèvent aujourd’hui conventionnellement de la « politique sociale  : dans la période de la formation intellectuelle de Park, le terrain de l’action politique aux États-Unis est essentiellement la ville ou l’état ; par ailleurs Park était, selon ses propres termes, un « démocrate jeffersonien  33  profondément hostile par principe aux interventions fédérales, à l’inverse de la majeure partie des réformateurs sociaux de la même génération (qui constituent l’entourage des sociologues de Chicago, sur-tout avant 1914). L’appartenance de Park au groupe anglo-saxon protestant, le groupe de statut le plus élevé, ne le prédisposait pas par ailleurs à porter attention aux actions concertées de celui-ci en faveur du maintien en l’état des relations de races, ni à imaginer les alternatives à l’assimilation culturelle à ce groupe.  La présentation synthétique que je viens d’en donner risque de suggérer que le cadre d’analyse de Park préexistait complètement aux recherches empiriques, voire que ni celles-ci, ni les évolutions et les événements observés par Park, ne l’auraient modifié. En fait ce cadre a été élargi par Park au fur à mesure qu’il a disposé de re-cherches menées par certains de ses élèves ou anciens élèves, et aussi par d’autres 34 . Lus dans leur ordre chronologique de rédaction, les essais de Park révèlent égale-ment des inflexions non négligeables dans les formulations et surtout des apprécia-tions variables avec la conjoncture, au moins à propos du devenir des Noirs des États-Unis 35 . Je ne développerai pas ces deux points ici, et j’examinerai seulement la relation entre le cadre analytique de Park et certaines recherches qui l’ont mis en œuvre.
 fille de Park, Margaret Park-Redfield, qui avait elle même une formation d’ethnologue (Archives déposées par F. Matthews, Joseph Regenstein Library). 33  . Matthews, 1977 : 183. 34.  L’évidence de ce fait transparaît dans le nombre des essais de Park qui sont des préfaces pour des ouvrages d’élèves ou de proches. 35.  Voir Chapoulie (à paraître).
147
J E A N - M I C H E L C H A P O U L I E                Parmi les recherches empiriques qui ont adopté le cadre de référence de Park à partir de 1930, on trouve les travaux de ceux qui furent à un moment ou un autre ses élèves, comme Charles Johnson, Franklin Frazier, Everett Hughes, Bertram Doyle, William O. Brown, Edgar Thompson, Donald Pierson, Andrew Lind, mais aussi ceux de chercheurs comme Romanzo Adams, un diplômé de l’Université de Chica-go presque de la génération de Park ou certains travaux d’Ira de A Reid, le troisième grand sociologue noir de la génération née autour de 1900. On peut aussi mentionner Louis Wirth et Herbert Blumer qui, sans réaliser eux-mêmes à proprement parler des recherches empiriques dans le domaine, ont développé des critiques souvent incisi-ves des recherches du domaine et inspiré une partie des travaux des chercheurs de la génération suivante, comme Tamotsu Shibutani et Lewis Killian. Pour montrer le fonctionnement du cadre de référence élaboré par Park, j’examinerai rapidement une petite partie de la contribution des deux élèves de Park qui furent en leur temps les plus influents dans le domaine, Franklin Frazier et Everett Hughes 36 .  S’il a consacré, à l’inverse de Park, à peu près la totalité de sa carrière à l’étude d’un seul cas, les Noirs américains, Franklin Frazier avait acquis en la matière une expérience plus large que quiconque dans sa génération 37 . Peu apprécié des orga-nismes de financement de son temps, en raison notamment d’opinions jugées trop « radicales , il a cependant mené à bien un nombre impressionnant de recherches empiriques sur des aspects centraux de l’existence des Noirs américains. Sa notorié-té fut établie par un ensemble de recherches sur les familles noires des États-Unis – celles du Sud rural et celles des villes – et l’histoire de celles-ci depuis la période de l’esclavage 38 . Ces analyses, qui contiennent une argumentation massive en faveur d’une interprétation environnementaliste des singularités des comportements fami-liaux des Noirs américains, ont été longtemps la référence centrale sur le sujet 39 . Frazier a également publié en 1949 un ouvrage de synthèse sur l’histoire, la condi-tion et la diversité interne de la population Noire des États-Unis, l’une de ses publi-cations les plus influentes toujours selon les analyses de Bahr, Johnson, Seitz 40 . Après ces premières recherches, Frazier a contribué à un vaste programme d’étude des comportements des jeunes Noirs des années quarante (auquel participè- 36  . Voir l’évaluation de l’influence dans ce domaine des différents auteurs et ouvrages qui se trouve dans l’article de Bahr, Johnson, Seitz, 1971. 37.  Rappelons que Frazier (1897-1962), qui appartient à la génération de ceux qui ont accompagné la mise en place de l’organisation qui est encore aujourd’hui celle de la sociologie américaine, est le premier Noir élu président de l’Association Américaine de Sociologie, en 1948. 38.  Frazier, 1932 ; 1939. 39.  Depuis les années soixante, différentes recherches historiques – voir notamment Gutmann (1976) – ont conduit à l’abandon d’une partie des conclusions de Frazier, à peu près unanimement admises jusque-là, sur l’origine des singularités de comportement des familles Noires, qui mettaient en avant l’expérience de l’esclavage puis de la Reconstruction. L’évolution concernant les faits consi-dérés comme établis n’implique évidemment pas que les analyses de Frazier ne contiennent pas d’idées fécondes pour de nouvelles recherches. La réputation de Frazier a sans doute également souffert, comme le suggère une biographie récente de Frazier (Platt, 1991), de la réinterprétation de ses analyses par N. Glazer et P. Moynihan, qui inspirèrent une politique fédérale en matière de rela-tions entre les races dans les années soixante qui n’apparaît pas rétrospectivement comme un suc-cès. 40  . Frazier, 1949 a.
148
          R O B E R T P A R K , R E L A T I O N S E N T R E L E S R A C E S rent également Charles Johnson, Ira de A Reid et Lloyd Warner) 41 ; puis, dans un livre plus polémique, publié d’abord en français, il a analysé les comportements de sa propre classe, la petite-bourgeoisie noire 42 , avant de donner une nouvelle formu-lation à la problématique parkienne de l’expansion de l’Europe 43  et d’étudier les églises comme institutions de la communauté noire américaine 44 . Les recherches sur ces deux institutions majeures pour l’adaptation des immi-grants ruraux que sont la famille et la religion témoignent de la relation étroite qui unit la sociologie de Frazier et celle de Park. L’héritage de Park est d’ailleurs reven-diqué dans l’essai de Frazier qui constitue son allocution en tant que président de l’Association américaine des sociologues 45 . Cet essai développe une présentation de ce qui constitue l’un des apports de Frazier à l’enrichissement de la perspective de Park : l’attention aux incidences de la structure de classe sur les contacts entre les groupes de race et leurs évolutions. Les années vingt avaient été marquées par l’occultation quasi complète de la no-tion de classe sociale dans la sociologie américaine 46 . Contrairement à Park qui ma-nifestait une certaine ambivalence à l’égard de la notion qu’il n’utilise d’ailleurs que dans ses essais sur les relations de races 47 , Frazier, dont les penchants politiques étaient moins conservateurs 48 , introduisit des raisonnements en termes de relations de classe dans certains articles publiés dans des revues destinées à un public large au cours de la période qui précède son rattachement professionnel à la sociologie 49 . Un peu plus tard, pour mettre en évidence la différenciation interne de la population Noire, Frazier élabora un classement par groupes de métiers de la population qui lui permit, à partir des recensements de population, de montrer l’inégale différenciation selon ce critère de la population des grandes villes, et d’étudier la répartition spatiale de ces groupes de métiers dans la ville de Chicago 50 . La construction de cet instru-ment de vérification de l’hypothèse, formulée par Burgess à propos de la répartition de la population dans les villes, s’inscrit dans l’évolution interne des sciences socia-
 41.  Frazier, 1940. 42  . Frazier, 1955. 43  . Frazier, 1957. 44.  Le compte rendu de cette recherche a été publié après la mort de Frazier : Frazier, Lincoln, 1964. 45  . Frazier, 1949b. Cet essai, très réservé à l’égard de Warner et des recherches sur les attitudes inspi-rées de Myrdal qui étaient à la mode à l’époque, n’explicite aucune critique à l’égard de Park. Fra-zier reproche cependant implicitement à Park une insuffisante attention aux actions à dimension po-litico-économique de la communauté blanche expressément destinées à contrôler la communauté noire, notamment en matière d’habitat, d’emploi, etc. 46  . Gilkeson, 1995. 47  . Chapoulie, 1998. 48.  Frazier avait notamment dans les années vingt collaboré à la revue Messenger fondée par le journa-liste et leader syndical A. Philip Randolph, une sorte de marxiste indépendant. Sur les convictions politico-sociales de Frazier, voir Platt, 1991. 49.  Voir Frazier, 1925 ; 1928. Frazier avait été professeur (d’histoire, d’anglais, de mathématiques) dans différentes universités pour Noirs, puis professeur de travail social à l’Université d’Atlanta (également réservée aux Noirs), avant d’entreprendre une thèse en sociologie à l’Université de Chi-cago. 50.  Frazier, 1930.
149
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents