Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique », pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans - article ; n°75 ; vol.22, pg 71-82
13 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique », pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans - article ; n°75 ; vol.22, pg 71-82

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
13 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1992 - Volume 22 - Numéro 75 - Pages 71-82
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jean-Marie Seillan
Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique »,
pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans
In: Romantisme, 1992, n°75. pp. 71-82.
Citer ce document / Cite this document :
Seillan Jean-Marie. Silence, on fantasme. Lecture de « Pierrot sceptique », pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans. In:
Romantisme, 1992, n°75. pp. 71-82.
doi : 10.3406/roman.1992.6003
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1992_num_22_75_6003Jean-Marie SEILLAN
Silence, on fantasme
Lecture de Pierrot sceptique,
Pantomime de L. Hennique et J.-K. Huysmans
Huysmans et les critiques après lui l'ont répété bien souvent : il détestait
Г« ignoble industrie du théâtre » \ faisait preuve d'un mépris hargneux pour les
dramaturges, enrichis selon lui par d'indignes moyens, pour les comédiens - son
affection pour son vieil ami Girard se teinte d'un apitoiement condescendant pour
son métier de comédien - et plus encore, une fois qu'il fut devenu l'apologiste de
la souffrance, pour la comédie, pour le rire partagé avec ce public détesté qui
l'écartait également des salles de concert.
Peu de romans, au surplus, qui soient aussi peu scéniques que les siens ou qui
aient moins tenté, comme le voulait pourtant l'usage de l'époque, un adaptateur 2:
dans les premiers, l'événement, se dissolvant dans l'itération, ne laisse jamais
espérer le moindre renversement dramatique de situation, l'ébauche d'un coup de
théâtre ; plus tard, les ruminations solitaires de des Esseintes, pas plus que les
luttes spirituelles de Durtal, ne se prêtent aisément à la mise en scène, à une
époque surtout où va s'imposer Antoine avec son théâtre libre ; quant au didac
tisme massif des dernières œuvres, quel acteur pourrait donc endosser - et quel
spectateur supporter - le rôle d'un abbé Plomb ? Le discours des personnages, da
vantage soucieux de transmettre un savoir que de faire évoluer d'immuables situa
tions, ne se distingue pas, sous le rapport stylistique, de la narration elle-
même 3 ; il n'a d'oral que quelques exclamations ou tournures familières et
présente des caractères syntaxiques et lexicaux sans relation avec la langue
parlée 4.
La seule pièce qu'il ait jamais écrite, la pantomime intitulée Pierrot scepti
que 5, constitue donc un hapax dans cette œuvre. Publiée en 1881 chez Rouveyre,
sous la double signature de Joris-Karl Huysmans et de Léon Hennique, elle ne fut,
semble-il, jamais représentée, ni suivie, d'ailleurs, des six autres pantomimes б
dont les deux auteurs annonçaient la publication commune. La situation de ce
texte marginal a dû sembler à plus d'un embarrassante : si Lucien Descaves l'a re
publié dans l'édition Crès des Œuvres Complètes de Huysmans, le texte n'a attiré
depuis aucun éditeur et Michael Issacharoff, par exemple, dans son Huysmans de
vant la critique 7, ne l'a pas retenu dans la liste des publications étudiées 8.
Pierrot sceptique offre de surcroît le cas, unique chez Huysmans, d'un texte
écrit en collaboration et pose le problème délicat de la participation respective des
deux auteurs. Huysmans, à notre connaissance, ne s'est jamais expliqué sur ce
point, même dans la monographie qu'il consacra à Hennique dans la série Les
Hommes d'aujourd'hui en 1887 9 : il ne cite pas la pantomime au nombre des
œuvres de son ami, sans qu'on puisse expliquer ce silence autrement que par des
ROMANTISME n°75 (1 992 - 1) 72 Jean-Marie Seillan
conjectures. Hennique, lui, a raconté beaucoup plus tard l'origine et la nature de
leur collaboration, provoquée par une admiration commune pour les acteurs acro
bates anglais qui se produisaient à Paris en 1879, les Hanlon-Lees :
Huysmans me dit un soir, après les avoir vus : « Tiens, ce serait amusant de
faire quelque chose dans ce goût-là». Nous avons arrêté le scénario ensemble.
J'ai écrit la pantomime, je la lui ai passée et il a fait les changements qu'il a
voulus 10.
Sans doute cette confidence, en dépit de son caractère un peu désinvolte, offre-
t-elle des informations précieuses. Il n'est pas sans intérêt de savoir que l'initiative
de la pièce est revenue à Huysmans u et qu'il a porté la dernière main à l'écriture,
effectué librement les derniers réaménagements stylistiques (mais de quel ordre, de
quelle ampleur ?). Cependant, elle demeure fort imprécise sur des aspects à nos
yeux essentiels (le « scénario » inclut-il les qualifications des personnages ou
seulement la distribution des principaux rôles actantiels ? Га-t-on dit « arrêté »
avant ou après le découpage scénique ?) et ne permet guère d'attribuer à chacun,
dans la production commune, la part exacte qui lui revient.
En revanche, le texte de la pantomime lui-même, par certains traits stylis
tiques, désigne souvent à l'intuition l'intervention probable de Huysmans : telle
métaphore (« des mendiants fleuris d'ulcères et damassés de croûtes » n, p. 100),
des antépositions d'adjectifs caractéristiques (« une chérissable et silencieuse sido-
nie », ibid.), tel rythme (une cadence ternaire mineure : « Le cassis l'a retenu /
chez un concierge / dans une loge / au loin », p. 125), telle description (« La
nuit descend. Elle enténèbre les encoignures des portes, emplit le renfoncement
des fenêtres, creuse encore le porche de l'église ; elle coule sur les pavés, monte
sur les façades des maisons... », p. 111), qui annonce celle de la fin du chapitre
IV d'En Rade 13, constituent autant de signatures stylistiques reconnaissables.
Surtout, de nombreux motifs mis en scène dans la pièce se retrouvent dans les
œuvres contemporaines publiées par Huysmans. Le choix du personnage de
Pierrot, qu'on y rencontre fréquemment 14, ne saurait certes tenu pour significatif à
lui seul : Jean de Palacio vient de montrer, en étudiant, dans son Pierrot fin de
siècle, les très nombreuses pantomimes composées à cette époque, comment et
pourquoi la face enfarinée de Pierrot hante l'imaginaire décadent et en condense les
angoisses 15. Mais le personnage du coiffeur de la scène II, avec sa pommade, ses
brosses et sa vigueur de forcené, rappelle de fort près celui des Croquis parisiens 1б
publié pour la première fois en février 1881 ; la sidonie et la thérèse, les deux
femmes-mannequins de la pièce, se voient, dès le salon de 1879 17, associées l'une
à l'autre et se retrouveront sous une forme voisine dans « l'Etiage » 18, de pu
blication un peu plus tardive, il est vrai. La facticité qui les définit annonce, en
suggérant que « la nature a fait son temps » 19, la thématique centrale d'A
Rebours. Les décors de la pièce (des vitrines de magasins remplies d'objets fac
tices ^ et les seuls meubles de la chambre de Pierrot (la table et le lit) rappellent,
pour les premiers, les « montres » exposées dans les Sœurs Vatard et En
Ménage, pour les autres une équivalence métaphorique particulièrement fréquente
et féconde dans l'imaginaire de Huysmans.
De plus, si ce dernier n'a publié, sous sa seule signature, aucune autre pant
omime qui permettrait peut-être de mesurer plus exactement son apport propre dans
Pierrot sceptique, il n'en va pas de même pour Hennique qui fit paraître, vingt- on fantasme 73 Silence,
deux ans plus tard, deux autres Pierrots : Le songe d'une nuit d'hiver et La
Rédemption de Pierrot 21. La lecture comparée des trois textes révèle, nous
semble-t-il, que la participation de Huysmans dans le premier dut être considé
rable : ni les linéaments principaux du scénario, ni le choix des figures secon
daires, singulièrement révélateur, ni le détail stylistique ne rappellent comme
Pierrot sceptique des textes de Huysmans. A part O. R. Morgan qui sent, mais
sans s'expliquer davantage, une continuité d'inspiration entre les trois pantomi
mes 22, les critiques y trouvent, à juste titre nous semble-t-il, la preuve de
l'importante collaboration de Huysmans dans la création de la première 23.
Huysmans lui-même, en dépit de son dédain pour « la sordide chimère du
théâtre » 24, nous invite d'ailleurs à ne pas voir, dans le genre prétendu mineur de
la pantomime, les seuls coups de pieds au cul, g

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents