Sous « La Croix du Sud » : L Amérique latine dans le miroir de sa littérature - article ; n°1 ; vol.13, pg 30-46
18 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Sous « La Croix du Sud » : L'Amérique latine dans le miroir de sa littérature - article ; n°1 ; vol.13, pg 30-46

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
18 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1958 - Volume 13 - Numéro 1 - Pages 30-46
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1958
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Roger Bastide
Sous « La Croix du Sud » : L'Amérique latine dans le miroir de
sa littérature
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 13e année, N. 1, 1958. pp. 30-46.
Citer ce document / Cite this document :
Bastide Roger. Sous « La Croix du Sud » : L'Amérique latine dans le miroir de sa littérature. In: Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations. 13e année, N. 1, 1958. pp. 30-46.
doi : 10.3406/ahess.1958.2706
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1958_num_13_1_2706« La Croix du Sud » Sous
L'AMÉRIQUE LATINE
DANS LE MIROIR DE SA LITTÉRATURE
Dans sa volonté de se mouler sur les sciences de la nature, la
sociologie a connu durant la première moitié du xxe siècle, aux
Etats-Unis surtout, la tentation mathématique. Nous assistons
aujourd'hui à un brusque renversement de perspective ; il serait trop
long d'en donner ici les raisons et de montrer la place que l'Anthropologie
culturelle a tenue dans ce changement, — plus particulièrement ce que nous
poumons appeler l'Anthropologie culturelle « féminine », celle de Ruth
Benedict et de Margaret Mead. Par cette brèche faite dans les méthodes
traditionnelles, les « humanités » d'abord \ la « littérature » ensuite, de
vaient forcément passer. Alors que les sociologues attachés aux formes
conceptuelles des sciences sociales opposaient « les règles de construction
de la théorie » aux « règles de l'art », nous voyons aujourd'hui, en Amérique
du Nord, David Draiches montrer l'intérêt des œuvres de fiction pour une
compréhension en profondeur des civilisations, et Joséphine Strode publier
un ouvrage au titre significatif : Social Insight through Short Stories *.
En France, la rupture n'a jamais été aussi complète. Et nous nous souve
nons même d'avoir présenté un rapport à un Congrès International de
Sociologie d'avant-guerre sur l'application des techniques du romancier
à l'étude des faits sociaux ; si les relations entre sciences sociales et litt
érature, en dehors de l'histoire des civilisations et de la géographie dite
« psychologique », n'étaient certes pas très étroites non plus chez nous, il
s'agissait plutôt d'un effet de l'ignorance que d'un antagonisme théorique.
Nous sommes persuadés, quant à nous, que le sociologue gagnerait à
méditer non seulement sur les données apportées par un romancier, un
Proust comme un Balzac, mais encore à chercher dans la poésie contemp
oraine, qui est devenue une nouvelle méthode de la connaissance, des
voies inédites pour aborder l'étude des collectivités. Nous voudrions
tenter d'en donner ici au moins un commencement de preuve en évoquant
1. Kroeber, éd., Method and Perspective in Anthropology, Minneapolis, 1954.
2. Sur ce mouvement de rapprochement entre les « humanités » et les sciences
sociales, voir Gilberto Fbeyre, Préface au livre de R. Ribeiro, Religiâo e Relaçdes
Rodais, Rio de Janeiro, 1957.
30 LITTÉRATURE DE L'AMÉRIQUE LATINE
les quelques romans d'Amérique Latine, si admirablement choisis par
Roger Caillois dans la collection qu'il dirige, « La Croix du Sud * », et qui
nous conduisent de la forêt tropicale jusqu'à la pampa balayée par le
vent de l'Antarctique.
Le double apport de la Littérature a la Sociologie.
Pour aborder le terrain de l'utilisation des littératures en vue de construire
une nouvelle sociologie, il faut faire une distinction essentielle, que les
Nord-Américains semblent négliger.
La littérature peut en premier lieu apporter des matériaux que le
sociologue reprendra, en leur faisant subir d'ailleurs un traitement appro
prié pour les rendre « interprétatifs » de certaines situations sociales ou
de certaines formes de comportement collectif ; et elle peut, en second lieu,
apporter des techniques de recherches, qui vont de ce que j'appellerai
« l'expérimentation idéale » (idéale, au sens que Max Weber donne à ce
terme) jusqu'à la découverte de « concepts-frontières », de « concepts
liquides », aptes à traduire ce qu'il y a de mouvant dans la réalité sociale,
— tout ce qui échappe au traitement mathématique, — restituant ainsi
à cette réalité son ambiguïté naturelle. Il est évident que les sociologues
ont vu d'abord seulement le premier aspect de la question ; le second nous
apparaît plus important encore, plus difficile à dégager aussi, il est vrai.
Le premier apport entrera dans ce que l'on appelle aujourd'hui
« l'étude des aires culturelles ». En effet, dans ce domaine, le romancier
a précédé le savant : c'est lui qui a apporté les premières données utili
sables. Nous en avons un exemple frappant avec Juyungo, de Adalberto
Ortiz ". Si l'on connaît assez bien certaines parties de l'Amérique noire,
Nord-Est du Brésil ou Antilles, il est d'autres régions qui restent total
ement ignorées ; nous n'avons aucune étude consacrée aux Noirs de l'Equat
eur. Aussi, en attendant de futures recherches, le roman d'Ortiz apparaît-
il comme un ouvrage capital pour la connaissance du Noir équatorien,
celui qui descend des « nègres marrons » réfugiés sur la côte de Esme-
raldas. Nous voyons ces descendants revenus à un régime de cueillette
et de petite chasse, ayant perdu dans la misère et au contact d'autres
races la presque totalité de leurs cultures natives (à part la musique et
la danse), pour accepter, tantôt les traits des cultures indigènes (comme
les Caraïbes noirs du Honduras : guérison des maladies par la succion de
la partie malade, rejet du mal sous la forme de petits animaux crachés),
1. Gallimard ; 16 volumes parus. Plusieurs ouvrages nouveaux en cours d'impress
ion, dont un recueil de poèmes de Gabriela Mistral, prix Nobel.
2. Traduction de Michel Reboux.
31 ANNALES
tantôt les traits de la civilisation espagnole (enterrements des « petits
anges », « veillées funèbres », joutes littéraires au son de la guitare). Mais
Ortiz ne se borne pas, dans Juyungo, à dresser l'inventaire des traits
culturels afro-équatoriens ; il montre, en sociologue, comment ce Noir
réagit à la situation présente, qui le place au niveau des Indiens Cayapas :
il l'accepte parfois, comme l'Indien, préférant cette autonomie écono
mique, même misérable, à l'incorporation dans la communauté nationale :
elle lui donne au moins l'illusion de la liberté. Il se réfugie d'autres fois dans
le messianisme, celui d'une population abandonnée, moins mystique que
pratique, cherchant auprès du Messie une magie curative ou amoureuse,
qui lui donnera, ici, l'illusion de la sécurité. Enfin, il peut se dresser contre
son sort : il a pris part aux révolutions politiques ou sociales de l'Equat
eur, celle de 1913 notamment. De jeunes militants tendent à transformer
aujourd'hui la haine raciale en lutte de classes, tout en intégrant cette
lutte dans la communauté nationale : c'est un ferment de progrès pour le
pays. Nous trouvons bien entendu d'autres formes de résistance, à Tinté-
rieur de l'acceptation : le métissage fournit un moyen détourné de monter
dans l'échelle sociale. On le voit, Adalberto Ortiz, sous une forme dramat
ique, nous a donné un tableau à peu près complet de la culture et de la
société de certains Noirs équatoriens qui remplace, excellemment, celui
que les savants de l'Equateur ont oublié de nous donner.
Cet intérêt documentaire de la littérature sud-américaine, nous le
rencontrons dans bien d'autres ouvrages de la collection, où le roman
précède la science. Le sociologue en effet, du moins jusqu'à ces dernières
années, pour éviter de mêler ses réflexions personnelles à son œuvre et
pour donner à cette dernière un caractère plus objectif, a considéré surtout
dans le social ce qui était « cristallisé ». La règle durkheimienne d'étudier
les faits sociaux comme des « choses » a abouti à « chosifier » une réalité
souvent fluide. Le romancier nous permet d'envisager au contraire les
faits sociaux in statu nascendi, comme par exemple Jorge Amado dans
Capitaines des Sables г

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents