Sur l origine du sentiment juridique. - article ; n°1 ; vol.1, pg 866-879
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Sur l'origine du sentiment juridique. - article ; n°1 ; vol.1, pg 866-879

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris - Année 1890 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 866-879
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1890
Nombre de lectures 8
Langue Français

Extrait

Ch. Letourneau
Sur l'origine du sentiment juridique.
In: Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série, tome 1, 1890. pp. 866-879.
Citer ce document / Cite this document :
Letourneau Ch. Sur l'origine du sentiment juridique. In: Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série, tome 1, 1890.
pp. 866-879.
doi : 10.3406/bmsap.1890.3459
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bmsap_0301-8644_1890_num_1_1_3459866 BÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1890.
Sur l'origine tin sentiment juridique ;
PAR M. CH, LETOUUNEAU.
L'origine primaire de l'idée de droit est biologique ; c'est
ce qu'on appelle en physiologie l'action réflexe, c'est-à-dire
le mouvement, la contraction musculaire, répondant à une
sensation ou impression, plus généralement à l'excitation d'un
nerf, indépendamment môme de tout phénomène conscient.
Je rappellerai à ce sujet quelques expériences bien connues
de quiconque a pris la peine d'ouvrir seulement un manuel
de physiologie. Ainsi une grenouille étant suspendue par ses
pattes antérieures, si l'on met l'une de ses pattes postérieures
en contact avec un acide, on voit aussitôt l'animal retirer v
ivement le membre offensé, l'essuyer contre l'autre patte
postérieure, et exécuter divers actes pour réagir contre la
douleur, en résumé faire des mouvements de défense. Rien
de plus simple ; mais ce qui l'est moins, c'est que la même
chose se produit et même avec plus de rapidité, chez une
grenouille décapitée, c'est-à-dire chez un animal, qui ne peut
plus avoir une perception consciente de l'action irritante
exercée sur sa peau par l'acide. Chez la grenouille décapitée,
les mouvements de défense, tout coordonnés qu'ils soient,
ne peuvent donc plus représenter qu'une action réflexe, in
consciente et involontaire.
Mais ce genre d'action réflexe n'est nullement particulier
à la grenouille. Les insectes ou plus exactement les arthro-
podes, en raison de la structure ganglionnaire de leurs cen-
très nerveux, se prêtent bien mieux encore que les vertébrés
à cet ordre d'expériences. Ainsi le corselet d'un insecte connu
de tout le monde, de la mante religieuse (Mantis religiosa),
séparé, isolé du tronçon postérieur et de la tête, agite encore
ses longues pattes et les tourne contre les doigts qui le tien
nent, en y imprimant douloureusement la marque de ses
crochets *. Mais des observations identiques ont pu être
1 Dugès, Physiologie comparée, t. I, p. 337. — lUR ťORIGINE DU SENTIMENT JURIDIQUE. 867 LETOURNEAU.
faites sur l'homme même. Nous les devons à Gh. Robin, ex
périmentant sur le corps d'un guillotiné, peu après l'exécu-*
tion : a Lô bras droit du supplicié, dit-il, se trouvant étendu
obliquement sur le côté du tronc, la main à 25 centimètres
en dehors de la hanche, je grattai la peau de la poitrine
avec un scalpel, au niveau de l'auréole du mamelon, sur une
étendue de 10 à 11 centimètres, sans intéresser les muscles
sous-jacents. Nous vîmes aussitôt le grand pectoral, le bi
ceps, puis le brachial antérieur et les muscles couvrant l'é-
pitrochlée se contracter successivement et rapidement. Le
résultat fut un mouvement de rapprochement de tout le bras
vers le tronc, avec rotation du bras en dedans et demi-
flexion de l'avant-bras sur le bras, véritable mouvement de
défense, qui projette la main du côté de la poitrine jusqu'au
creux de l'estomac *. »
Gomment expliquer ces faits, à première vue si singuliers
et identiquement les mêmes chez un insecte, chez un reptile
et chez l'homme ? Fort simplement. Non seulement la mante
religieuse, la grenouille et l'homme, sur lesquels on expé
rimente, ont dû de bonne heure prendre l'habitude soit
d'écarter ce qui leur causait une impression douloureuse*
soit de riposter à toute attaque venant du dehors; mais leurs
ancêtres directs ou lointains ont nécessairement fait de
même. Or, à force do se répéter, les actes, conscients ou
non, laissent dans les centres nerveux des empreintes de
plus en plus profondes ; ils s'incarnent, s'enregistrent dans
les cellules nerveuses et finissent par se produire spontané
ment, automatiquement, indépendamment de toute inter
vention de la volonté ; ils sont alors devenus instinctifs. A
partir de ce moment, la coordination des mouvements de
défense, si compliquée qu'elle soit, est essentiellement invo
lontaire, purement mécanique et automatique; l'excitation
des extrémités périphériques d'un nerf provoque simplement
alors une série de détentes de longue date incarnées dans
* Ch. Robin; Journal de physiologie, Paris, i 869.
A 868 SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1890.
les centres nerveux. Non seulement l'intervention de la vo
lonté consciente n'est pas nécessaire à l'exécution de ces
mouvements profondément inscrits dans les cellules ner
veuses; elle lui est même nuisible en ralentissant l'action
réflexe. En effet, chez la grenouille décapitée, les mouve
ments de défense sont plus rapides que chez la grenouille
intacte, et des phénomènes du même genre se peuvent fac
ilement observer chez l'homme. Que deviendraient nos yeux
si, pour se fermer, nos paupières avaient besoin d'un ordre
voulu, émanant du cerveau? Ces coordinations de mouve
ments, inscrites dans les centres nerveux, forment la partie
mécanique de l'instinct de conservation lentement et profon
dément enraciné chez nos ancêtres humains et animaux.
Mais l'instinct réflexe de la défense est la racine biologique
des idées de droit, de justice, puisqu'il est évidemment la
base même de la première des lois, de la loi du talion.
Qu'un homme, même cultivé, moralement développé,
reçoive à l'improviste un coup, une blessure ; presque tou
jours il ripostera d'instinct, sur-le-champ, automatiquement,
exactement comme le ferait un animal. Un précepte évangé-
lique recommande bien aux fidèles, souffletés sur une joue,
de présenter placidement l'autre ; mais ce précepte est tou
jours transgressé, parce qu'il est absolument en désaccord
avec la nature humaine, telle que l'a faite la longue lutte
pour l'existence. Pourtant l'homme cultivé, même alors
qu'il obéit au primordial instinct de défense, peut exercer
sur ses actes une certaine inhibition ; retenir ses coups lui
est ordinairement impossible, quand l'action réflexe est dé
chaînée, mais il réussit parfois à en modérer la violence,
quand il y a conflit entre le conscient et l'inconscient. Un
jour, en ma présence, dans la rue, sans le moindre motif
sérieux, un de mes amis fut grossièrement insulté par un
passant inconnu. L'insulteur était un petit jeune homme
chétif ; l'insulté était un adulte robuste et dans la force de
l'âge; il riposta automatiquement par un coup de poing.
« Mais, me disait-il après l'aventure, si je n'ai pas pu me retenir LETOURNEAU. — SUR L'ORIGINE DU SENTIMENT JURIDIQUE. 869
de frapper, il m'a été possible d'atténuer mon mouvement
et de ménager l'adversaire, auquel je ne voulais pas série
usement nuire. » Un homme civilisé peut agir ainsi ; sa colère
peut faire long feu ; mais un homme primitif, sauvage ou
inculte, ne le saurait ; chez ce dernier, l'action réflexe se
déroule instantanément à la manière d'un ressort, car le sujet
n'a pas l'habitude de délibérer ses actes. Tous les observa
teurs ont constaté, chez les sauvages, cette mobilité, cette
impressionnabilité rapide, l'impossibilité ordinaire d'exer
cer sur Jours actions quelque contrôle. Écoutons ce que Darwin
nous dit des Fuégiens : « Tout comme les bêtes sauvages,
ils ne paraissent pas s'inquiéter du nombre ; car tout indi
vidu, s'il est attaqué, essaye, au Heu de se retirer, de vous
casser la tête avec une pierre aussi sûrement qu'un tigre
essayerait de vous mettre en pièces dans des circonstances
analogues i. »
Une telle organisation cérébrale est naturellement très
favorable à la perpétration d'actes violents, de ce qu'on ap
pelle des crimes dans les pays civilisés. A la Terre de Feu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents