Thèmes pour l étude du scandale - article ; n°3 ; vol.9, pg 328-336
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1954 - Volume 9 - Numéro 3 - Pages 328-336
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1954
Nombre de lectures 19
Langue Français

Extrait

Eric de Dampierre
Thèmes pour l'étude du scandale
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 9e année, N. 3, 1954. pp. 328-336.
Citer ce document / Cite this document :
de Dampierre Eric. Thèmes pour l'étude du scandale. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 9e année, N. 3, 1954. pp.
328-336.
doi : 10.3406/ahess.1954.2291
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1954_num_9_3_2291ESSAIS
THÈMES POUR L'ÉTUDE DU SCANDALE
On se propose de rappeler ici que le scandale est un phénomène social et
qu'il est digne d'être étudié1. Si la réalité en est connue depuis des millé
naires, la notion en est encore peu claire dans l'esprit des sociologues. Ni
Y Encyclopaedia of Social Sciences, ni le Handwôrterbuch der Soziologie, ni le
Vocabulaire de Lalande ne mentionnent le mot. La bibliographie semble à
peu près inexistante : un article du philosophe français M. Le Senne8 et un
livre du sociologue danois M. S vend Ranulf 3 ne fournissent que de lointaines
approches au problème ici posé.
I. DU MOT ET DE L'IDÉE
Dérivé de la racine sanscrite « skand », le mot grec oxdcvSaXov fut sans
doute utilisé pour la première fois par les Septantes dans un contexte scrip -
turaire4; il signifie alors piège, chausse-trappe6, ou métaphoriquement
offense et scandale*. Le verbe axavSaXi Çw fut alors forgé vraisemblablement
sur lui, qui correspond assez bien à notre moderne « scandaliser ». Le démar
quage latin « scandalum » donne naissance au • xvie siècle aux formations
populaires « slander » en anglais et « esclandre » en français, alors qu'au
même moment, suivant le schéma classique des doublets, la langue savante
française, anglaise, ou allemande, connaissait « scandale », « scandai » et
« Skandál ».
1. Dans ces trois langues, si l'on fait abstraction des variantes, le sens
principal reste celui de l'Écriture sainte : ce qui est l'occasion d'errer, de
1. « Dead scandals form good subjects for dissection », Byron, Don Juan, I, st. 31.
2. René Le Senne, « Le scandale », dans L'Existence, Paris, Gallimard, 1945, p. 127-155.
3. Svend Ranulf, Moral Indignation and Middle Class Psychology, Copenhagen, Levin and
Munksgaard, 1938.
4. LXX, Jos., xxiii, 13 ; / Reg., xvih, 21.
5. Rom., xi, 9 ; / Petr., и, 8.
6. Matt., xvih, 7 ; Lue, xvu, 1. POUR L'ÉTUDE DU SCANDALE 329 THÈMES
tomber dans le péché (ainsi dans l'expression « pierre de scandale ») x et utilisé
principalement par la langue théologique2.
Le scandale, notion de théologie morale, devait être défini très soigneu
sement par saint Thomas3, et toujours utilisé comme tel de nos jours par les
confessions chrétiennes. Dans une acception plus générale, mais dans le
même contexte, l'idée qui vient à l'esprit est double ; le scandale est : 1° une"'
occasion de chute, de péché, et 2° due à l'action ou au discours de quelqu'un.
Deux personnages sont donc en scène, le scandalisé et le scandalisant.
Cet usage du mot en théologie morale a amené de nos jours un singulier
rebondissement. Le mot s'est intégré, en même temps que « révolte », « enga
gement », « fidélité », « angoisse »..., à l'arsenal des philosophies existentielles, _
traduisant l'attention particulière qu'apportent ces à l'affi
rmation du soi existant, à la responsabilité personnelle vis-à-vis d'autrui et
du monde, et à l'analyse phénoménologique. On considère alors le scandale r
comme un mode de la relation du toi et du moi4, tout comme la pitié, le
commerce ou l'éducation, et on le définit comme une « détermination provo
cante dont la signification intentionnelle est une attaque contre l'identifi- *
cation, préalablement instituée, entre une valeur et un moi »5. >.
Ainsi M. Le Senne voit dans le scandale une épreuve de la sensibilité ou
de la spontanéité individuelle, jugeant par exemple qu'une trahison intime,
une parole fêlant pour toujours un amour jusque-là intact, inconnue de tout •
autre que de ceux qu'elle sépare, est un scandale au même titre que l'affaire
du Collier de la Reine. Le scandale prend dès lors un double visage : tantôt
celui d'un assassinat spirituel, la calomnie d'une valeur et la corruption d'une
âmee ; tantôt celui d'un serviteur de la valeur, que celle-ci appartienne à une
science (le procès de Galilée) ou à une foi (Jésus chassant les marchands du
temple). Et l'usage du scandale se rattache ainsi au bon exercice de la liberté.
Sans discuter la légitimité de cet usage 'du mot, fidèle à la tradition des
Écritures, de saint Thomas et de Bourdaloue (« Ne scandalise pas ton pro
chain »), on n'en tiendra plus compte désormais ici que dans la mesure où il
peut nous apporter quelque lumière sur l'acception courante d'aujourd'hui, y
2. Car le mot a connu dès le xvie siècle une nouvelle fortune, et d'un
contexte théologique ou scripturaire a glissé vers un contexte sociologique7.
1. Littré, Dictionnaire de la langue française, s. v., 1 ; — Murray, Historical Dictionary,
s. v., 1, b.
2. p. T. C, s. v. ; Calvin, [Traité] des scandales qui empeschent aujourd'hui beaucoup de gens
de venir à la pure doctrine de l'Évangile, et en desbauchêt d'autres, reproduit dans Trois traités,
Paris, Editions « Je sers », 1934. Noter que Jésus est dit pierre de scandale « non qu'il soit cause
qu'on s'achoppe à lui, mais d'autant les hommes en prennent occasion » (Calvin, Ibid.,
convient du p. 159) scandalisé, ;• renoncer or « c'est ou même Jésus-Christ une maxime une étude » toute (Ibid., de certaine la p. « 161). résistance que, On ne si au nous devrait changement voulons pas entreprendre fuir », sans tous relire scandales, une cet psychologie~| écrit il nous_ trop - -4-
oublié de Calvin (ainsi les pages 251 et suivantes). » J
3. Thomas d'Aquin, Summa theologica, II» II»«, q. XLIII, a. 1. ; — Bourdaloue, Œuvres
(Paris, 1877), I : Sermon sur le scandale, p. 30-41. — Desers, Nos Devoirs envers le prochain 1908), 5e instruction, p. 37-44.
4. Le Senne, ouvr. cité, p. 127.
5. Ibid., p. 141.
6.p. 151 et suiv.
7. A noter des usages accessoires qui prêtent à confusion : a) « Indignation que causent les
actions, les discours, les personnes de mauvais exemple » (Littré, sens 3) ; — b) « Damage to ANNALES 330
Un scandale est alors « a grossly discreditable circumstance, ... an offense to
moral feelings or sense of decency »x, « un éclat fâcheux que cause une affaire
de mauvais exemple »2. Par une transition naturelle, le mot servit d'abord
pour qualifier ce qui éclabousse la religion3 ; c'est le seul sens qu'atteste
Voltaire4. Puis l'usage s'élargit, perd quelque peu en précision et en force.
Mais l'important est que le scandale, dans son acception courante, n'est plus
désormais une affaire entre deux, entre un scandalisant et un scandalisé,
mais bien un éclat qui survient au sein d'une collectivité de personnes. C'est
ainsi que le français connaît les expressions « faire scandale », un « scandale
de librairie », un « succès de scandale ». C'est en l'entendant ainsi qu'il a
semblé possible d'élaborer une étude sociologique du scandale.
II. — Des causes et des conditions
Le premier jeu d'hypothèses de travail concernera les causes et les condi
tions du scandale :
1° Tout d'abord cette lapalissade que le scandale a pour cause un événe
ment scandaleux.
2° Qu'il y ait scandale implique comme conditions nécessaires et suff
isantes : a) l'existence de valeurs reçues au préalable dans un groupe social ;
— b) l'existence, ou plus exactement la possibilité, de l'existence d'un public.
1. Pour saisir ce que l'on entend par événement scandaleux, le plus
simple, semble-t-il, est de recourir à quelques exemples pris au fil de l'his
toire : la mutilation des Hermès et la profanation des mystères à la veille
de l'expédition de Sicile (Athènes, 415 A. C.)5 ; les scandales suscités par le
procès des Templiers (France, 1307) 6 ou le procès des Capucins de 1784
(Paris)7 ; l'affaire du Collier de la Reine (Paris, 1789) ; l&

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