« Traditions communautaires » paysannes et socialisme en Yougoslavie - article ; n°2 ; vol.21, pg 81-105
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Revue d’études comparatives Est-Ouest - Année 1990 - Volume 21 - Numéro 2 - Pages 81-105
Quand le Parti communiste de Yougoslavie accède au pouvoir en 1945, la société yougoslave est composée avant tout, avec des variations régionales, de paysans et d'éleveurs qui ont grandement contribué au succès de la révolution dans la lutte de libération nationale. On pouvait se demander quelle serait l'influence des traditions de cette paysannerie sur l'édification du socialisme, en particulier celle des traditions communautaires, de la zadruga, le groupe domestique indivis longtemps présent dans la population sauf en Slovénie.
Au XIXe s., dans la lignée des populistes russes, le socialiste serbe Svetozar Markoviô avait estimé que ces traditions communautaires permettraient le passage au socialisme sans le capitalisme. En fait, il n'apparaît pas qu'elles aient contribué à l'édification du socialisme en soi, par exemple lors de la collectivisation entre 1948 et 1953. D'une part, ces traditions, la zadruga, étaient en déclin et, d'autre part, institutions communautaires paysannes et organisations collectives communistes n'étaient similaires qu'en apparence. Cependant dans le socialisme d'autogestion, les traditions paysannes, les traditions communautaires, ont influencé le fonctionnement du système politique de façon favorable pour le pouvoir. Le maintien de traditions a été un des facteurs du consensus entre le pouvoir et la classe ouvrière, la population. Ce consensus a été lié à la structure de pouvoir, décentralisée au niveau des républiques et aussi des communes, et il s'est appuyé sur une modernisation économique (industrialisation) qui a permis d'assurer aux paysans une promotion sociale (des emplois bien que sans rentabilité et subventionnés). Les solidarités de parenté, les solidarités traditionnelles ont facilité la modernisation économique, le passage à la ville. Ce processus est présent dans nombre de pays sous-développés et il est caractéristique que le pouvoir communiste ait utilisé ces traditions et que ces traditions de leur côté aient pris un sens et un contenu nouveaux.
En plus des traditions communautaires paysannes, des solidarités traditionnelles auraient aussi imprégné le contenu du système et l'autogestion. Mais le maintien de traditions paysannes communautaires a eu des conséquences négatives ; il a été l'un des facteurs d'une modernisation inefficace (égalitarisme, etc.), et d'une autogestion pas vraiment démocratique, sans toutefois gêner l'intégration des paysans dans la nation au niveau des républiques. Et ce maintien de traditions peut être aujourd'hui un frein au changement qui apparaît nécessaire aux dirigeants mêmes (réforme politique, réforme économique), alors que le consensus pouvoir/population a été ébranlé par la crise économique et qu'il est nécessaire de rentabiliser l'économie.
Peasant community traditions and socialism in Yugoslavia
When the Yugoslav communist party came to power in 1945, Yugoslav society consisted primarily of peasants and stockbreeders, with regional variations, and they made a major contribution to the success of the revolution in the struggle for national liberation. It might be asked to what extent the traditions of this peasant society might have influenced the building of socialism, and particularly, what might be the influence of community traditions as exemplified by the zadruga, a long-standing domestic grouping within the population, except in Slovenia.
In the 19th century, the Serbian socialist Svetozar Markovic, who belonged to the Russian populist tradition, had held the view that these community traditions would facilitate the transition to socialism without passing through capitalism. In fact, it would no appear that peasant co-operative traditions made any contribution per se to the building of socialism, for example during the years of the collectivization beween 1948 and 1953. For one thing, traditions such as the zadruga were on the decline, and, for another, these peasant community institutions, and communist collective organizations, bore only an apparent resemblance to one another. However, under socialist self- management, peasant community co-operative traditions did influence the working of the political system, to the advantage of the authorities. The upholding of tradition was one of the elements of consensus between the leadership and the workers. This consensus was embodied in the structure of decentralized power at republican and also commune level, and was supported by economic modernization (industrialization) which made it possible to offer the peasants social advancement (jobs, albeit non- profitable and subsidized). Family ties, traditional solidarities, eased the process of economic modernization, the transition to the towns. In this process, which is common to a number of under-developed countries, it is typical that the communist authorities drew on such traditions, which for their part acquired a new sense and a new content.
In addition to these peasant co-operative traditions, it would seem that traditional solidarities also penetrated the system and had an effect on self-management. However, the maintenance of peasant community tradition also had negative results : it was one of the factors which contributed to inefficient modernization (egalitarianism, etc.) and to a level of self-management that was not genuinely democratic, although it did not obstruct peasant integration into the nation at republican level. And this preservation of traditions may to-day act as a brake on the changes that appear necessary to the authorities themselves (political and economic reform) at a time when the consensus between the leadership and the population is weakened by economic crisis, and it is essential to make the economy profitable.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Marie-Paule Canapa
« Traditions communautaires » paysannes et socialisme en
Yougoslavie
In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 21, 1990, N°2. pp. 81-105.
Citer ce document / Cite this document :
Canapa Marie-Paule. « Traditions communautaires » paysannes et socialisme en Yougoslavie. In: Revue d’études
comparatives Est-Ouest. Volume 21, 1990, N°2. pp. 81-105.
doi : 10.3406/receo.1990.1584
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_1990_num_21_2_1584Résumé
Quand le Parti communiste de Yougoslavie accède au pouvoir en 1945, la société yougoslave est
composée avant tout, avec des variations régionales, de paysans et d'éleveurs qui ont grandement
contribué au succès de la révolution dans la lutte de libération nationale. On pouvait se demander
quelle serait l'influence des traditions de cette paysannerie sur l'édification du socialisme, en particulier
celle des traditions communautaires, de la zadruga, le groupe domestique indivis longtemps présent
dans la population sauf en Slovénie.
Au XIXe s., dans la lignée des populistes russes, le socialiste serbe Svetozar Markoviô avait estimé que
ces traditions communautaires permettraient le passage au socialisme sans le capitalisme. En fait, il
n'apparaît pas qu'elles aient contribué à l'édification du en soi, par exemple lors de la
collectivisation entre 1948 et 1953. D'une part, ces traditions, la zadruga, étaient en déclin et, d'autre
part, institutions communautaires paysannes et organisations collectives communistes n'étaient
similaires qu'en apparence. Cependant dans le socialisme d'autogestion, les traditions paysannes, les
traditions communautaires, ont influencé le fonctionnement du système politique de façon favorable
pour le pouvoir. Le maintien de traditions a été un des facteurs du consensus entre le pouvoir et la
classe ouvrière, la population. Ce consensus a été lié à la structure de pouvoir, décentralisée au niveau
des républiques et aussi des communes, et il s'est appuyé sur une modernisation économique
(industrialisation) qui a permis d'assurer aux paysans une promotion sociale (des emplois bien que sans
rentabilité et subventionnés). Les solidarités de parenté, les solidarités traditionnelles ont facilité la
modernisation économique, le passage à la ville. Ce processus est présent dans nombre de pays sous-
développés et il est caractéristique que le pouvoir communiste ait utilisé ces traditions et que ces
traditions de leur côté aient pris un sens et un contenu nouveaux.
En plus des traditions communautaires paysannes, des solidarités traditionnelles auraient aussi
imprégné le contenu du système et l'autogestion. Mais le maintien de traditions paysannes
communautaires a eu des conséquences négatives ; il a été l'un des facteurs d'une modernisation
inefficace (égalitarisme, etc.), et d'une autogestion pas vraiment démocratique, sans toutefois gêner
l'intégration des paysans dans la nation au niveau des républiques. Et ce maintien de traditions peut
être aujourd'hui un frein au changement qui apparaît nécessaire aux dirigeants mêmes (réforme
politique, réforme économique), alors que le consensus pouvoir/population a été ébranlé par la crise
économique et qu'il est nécessaire de rentabiliser l'économie.
Abstract
Peasant community traditions and socialism in Yugoslavia
When the Yugoslav communist party came to power in 1945, Yugoslav society consisted primarily of
peasants and stockbreeders, with regional variations, and they made a major contribution to the
success of the revolution in the struggle for national liberation. It might be asked to what extent the
traditions of this peasant society might have influenced the building of socialism, and particularly, what
might be the influence of community traditions as exemplified by the zadruga, a long-standing domestic
grouping within the population, except in Slovenia.
In the 19th century, the Serbian socialist Svetozar Markovic, who belonged to the Russian populist
tradition, had held the view that these community traditions would facilitate the transition to socialism
without passing through capitalism. In fact, it would no appear that peasant co-operative traditions made
any contribution per se to the building of socialism, for example during the years of the collectivization
beween 1948 and 1953. For one thing, traditions such as the zadruga were on the decline, and, for
another, these peasant community institutions, and communist collective organizations, bore only an
apparent resemblance to one another. However, under socialist self- management, peasant community
co-operative traditions did influence the working of the political system, to the advantage of the
authorities. The upholding of tradition was one of the elements of consensus between the leadership
and the workers. This consensus was embodied in the structure of decentralized power at republican
and also commune level, and was supported by economic modernization (industrialization) which made
it possible to offer the peasants social advancement (jobs, albeit non- profitable and subsidized). Family
ties, traditional solidarities, eased the process of economic modernization, the transition to the towns. In
this process, which is common to a number of under-developed countries, it is typical that the
communist authorities drew on such traditions, which for their part acquired a new sense and a newcontent.
In addition to these peasant co-operative traditions, it would seem that traditional solidarities also
penetrated the system and had an effect on self-management. However, the maintenance of peasant
community tradition also had negative results : it was one of the factors which contributed to inefficient
modernization (egalitarianism, etc.) and to a level of self-management that was not genuinely
democratic, although it did not obstruct peasant integration into the nation at republican level. And this
preservation of traditions may to-day act as a brake on the changes that appear necessary to the
authorities themselves (political and economic reform) at a time when the consensus between the
leadership and the population is weakened by economic crisis, and it is essential to make the economy
profitable.« Traditions communautaires » paysannes
et socialisme en Yougoslavie
Marie-Paule CANAPA*
La possibilité qu'une institution communautaire paysanne, le mir russe
et son système de propriété communale, soit à la base du développement
du socialisme avait été soutenue par les populistes russes (narodniki). Dans
le débat avec eux, Marx et Engels mêmes avaient été conduits un moment
à envisager une telle hypothèse pour la Russie, mais avec réticence et sous
des conditions strictes (révolution générale en Europe, transformation de
ces institutions)1. De son côté, dans les années 1870, un socialiste serbe,
Svetozar Markovic, en contact avec les populistes, avait estimé que les
institutions communautaires de la société patriarcale serbe (le groupe
domestique indivis- zadruga, les travaux communs et l'entraide entre villa
geois dans la commune) pouvaient permettre le passage au socialisme en
évitant le capitalisme. Il pensait surtout aux principes qui étaient liés à ces
institutions, notamment la solidarité sur une base consanguine dans la
zadruga, entre villageois dans la commune, regrettant d'ailleurs la tendance
au déclin de ces institutions2. Récemment, à propos de la construction du
socialisme dans les sociétés traditionnelles africaines, le sociologue yougosl
ave Josip Zupanov mettait en lumière l'importance et l'actualité de la thèse
de S. Markovic, affirmant qu'elle ne correspondait pas à la pensée de Marx,
mais que sa vérification était une question ouverte aujourd'hui dans des
conditions différentes du XIXe siècle3.
Or, quand le parti communiste yougoslave est arrivé au pouvoir en 1945,
la société yougoslave était encore composée essentiellement, avec certes
* Centre d'Études et de Recherches Internationales ; chercheur C.N.R.S.
1. Voir par exemple, dans la préface de l'édition de 1882 du Manifeste du parti
communiste, la réponse de Marx à l'ancienne populiste Vera Zassoulitch. E.H. Carr, La
Révolution bolchevique (1917-1923), t. 2, « L'ordre économique », Paris, Les Éditions de
Minuit, 1974, pp. 399-402 (Marx, Engels et la paysannerie).
2. S. MarkoviC, Srbija na Istoku(La Serbie en Orient), Zagreb, NZH, 1946, pp. 121,
126-127 sur l'avènement d'une société nouvelle, pp. 21-30 sur la zadruga. Voir aussi
Celokupna delà S. Markovica (Œuvres complètes de S. Markovic), Sveska sedma,

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