Une politique romantique : le cas Schelling - article ; n°20 ; vol.8, pg 7-24
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Description

Romantisme - Année 1978 - Volume 8 - Numéro 20 - Pages 7-24
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Boisset
Une politique romantique : le cas Schelling
In: Romantisme, 1978, n°20. Le romantisme allemand. pp. 7-24.
Citer ce document / Cite this document :
Boisset Jacques. Une politique romantique : le cas Schelling. In: Romantisme, 1978, n°20. Le romantisme allemand. pp. 7-24.
doi : 10.3406/roman.1978.5174
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1978_num_8_20_5174Jacques BO1SSET
Une politique romantique : le cas Sckelling
Au début de la leçon 12 de son Introduction à la philosophie de
la mythologie (II. 30) J Schelling se demande pourquoi on ne pense
pratiquement pas en Angleterre. Et il répond en citant saint Jean : « Je
suis riche, j'ai acquis de grands biens, et je n'ai besoin de rien ». Raison
nement bref, mais correct.
D'une façon générale, cependant, Schelling, en idéaliste 2, raisonne
à l'envers : les phénomènes matériels sont les effets de causes spirituel
les (voir par exemple sa météorologie spiritualiste dans les Ages du
monde 3). Ainsi en va-t-il de tous les objets (peuples, territoire, mythes,
histoire) que nous aurons à considérer ici.
Idéalisme, donc. Mais bien différent de celui de Hegel (par exemp
le), par ses conséquences politiques précisément. On sait que l'hégé-
lianisme a éclaté, après la mort du Maître, en une droite et une gauche.
Sort que ne connut pas Schelling, et pour cause : il fut nommé profes
seur de philosophie par le pouvoir d'Etat, afin de combattre la gauche
hégélienne et l'esprit révolutionnaire qu'elle véhiculait.
Le projet que nous nous sommes proposé ici est le suivant : consi
dérer la pensée de Schelling à un moment donné (époque de l'Intr
oduction à la philosophie de la mythologie), et prendre cette œuvre
pour ce qu'elle est : un mythe systématique du romantisme allemand.
La question qui nous servira ici de fil conducteur, est celle de la fonction
politique de ce mythe qu'est la « philosophie de la mythologie ».
Nietzsche disait qu'en lisant un penseur, il se demandait sans cesse :
à quelle morale veut-il en venir ? Déplaçons la question : à quelle
politique veut-il en venir ? Où les énoncés de Schelling, proprement
insensés ou scandaleux s'ils sont pris au pied de la lettre, trouvent-ils
leur lieu de production et leur raison d'être ? Il apparaît que les der
niers chapitres concernant les races et l'Etat constituent un tel lieu
et donnent rétrospectivement sens aux premières démarches de ce
« mythe ».
Nous procéderons ici de façon circulaire : du concret à l'abstrait,
et de l'abstrait au concret. Tout d'abord : qu'est-ce qu'un peuple, un
mythe, l'histoire selon Schelling ? Comment s'enchaînent, au sein de sa
pensée, ces thèmes romantiques ? Ensuite, il nous faudra considérer
sa théogonie transcendantale (le devenir interne de la divinité) qui
contient la bizarre théorie des « puissances ». Enfin : les conséquences
politiques et racistes que Schelling tire de son système. Jacques Boisset
Peuples et agrégats
Qu'est-ce qu'un peuple ? A première vue, c'est un ensemble d'hom
mes vivant en communauté, sur un territoire commun, avec une langue
commune, et des lois, écrites ou non, définissant un ordre sur cet
ensemble. Il n'en va pas ainsi chez notre philosophe, pour qui l'essent
iel est le principe d'unification de cet ensemble d'hommes, antérieur
à lui, et s'enracinant dans l'Histoire (le lieu de temporalisation de Dieu).
Ce « ciment » spirituel d'un peuple, c'est sa mythologie, sa forme de
religiosité. Le lieu géographique, la forme biologique et l'histoire d'un
peuple se comprennent à partir de là. Il convient d'examiner d'un peu
près cet axiome idéaliste, qui met les choses à l'envers, et qui ne saurait
être politiquement innocent.
Une première conséquence : si seule une mythologie constitue un
vrai peuple, tout ensemble humain démuni de cette forme de religion,
n'est en aucun cas un vrai peuple. Un tel ensemble existe-t-il ? Sans
doute : il y en a même beaucoup. Appelons-les agrégats. Les récits de
voyage en parlent. Schelling cite plusieurs fois Azara, l'auteur de
Voyages. Les Pampas, par exemple, « ne connaissent ni culte, ni religion,
ni soumission, ni lois, ni obligations, ni récompenses, ni châtiments »
(I. 76). Schelling en conclut très judicieusement qu'il s'agit là d'êtres
semblables à des bêtes des champs (I. 76) qui ne forment pas plus un
peuple « que des loups ou des renards ». En tout cas ils sont inférieurs
aux termites, aux fourmis et aux abeilles (sic) sous le rapport de la
sociabilité. Que dire alors des Linguas, dont Azara nous apprend qu'ils
n'ont ni culte, ni divinité, ni obéissance, et pire encore, qu'ils n'ont ni
lois, ni chef, et sont libres en tout? (I. 76). Ces sous-hommes ne consti
tuent que des hordes sans cohésion (I. 88) : dénués du sens du religieux,
ils ne possèdent que de grossières superstitions et croient en de vagues
fantômes dissimulés derrière les phénomènes naturels. D'une façon
générale, les tribus d'Amérique latine ou d'Afrique sont des troupeaux
sans pasteur (I. 137). Etrangers à l'ordre, à la loi, à la représentation
religieuse, ce ne sont des êtres humains qu'en apparence (I. 138).
L'absence de religion signifie la perte de tout rapport au vrai, à l'unité
originelle de l'homme et de Dieu.
Cette dégénérescence se manifeste à l'évidence dans leur langue,
ou ce qui en tient lieu. Une vraie langue manifeste l'unité et l'esprit
d'un peuple, elle en est le corps sonore. Là où il n'y a pas d'esprit,
il ne peut y avoir non plus de langue. Au mieux, les agrégats humains
possèdent des idiomes bizarres. Selon Azara, les Guaranis ont presque
une langue : Schelling, lui, en doute (I. 139) : ce serait bien là une
exception. En fait, voici les signes qui prouvent l'absence de vraie
langue chez ces brutes : 1) Ils ne parlent jamais fort, même lorsque
ça va mal pour eux. 2) Leur regard est inexpressif. 3) Pour s'adresser
à quelqu'un qui est éloigné, ils se déplacent plutôt que d'appeler.
Conclusion : « On est en droit de se demander si des langues compos
ées de sons pour la plupart nasaux et gutturaux, et de très rares
sons labiaux et laryngés, des langues dont la plupart des sons ne se
prêtent pas à être exprimés par les signes de notre écriture, méritent
encore le nom de langue. » (I. 140) Une politique romantique : le cas Schelling 9
Tout ceci renvoie à une raison essentielle : n'est peuple au sens
strict qu'un ensemble d'hommes qui, par sa mythologie, est enraciné
dans l'Histoire, c'est-à-dire l'autorévélation de Dieu. La plus grande
partie de l'humanité est ainsi éliminée de l'Histoire. En Amérique
du Sud ou en Afrique, on vit de cette vie répétitive, sans progrès, ni
ordre, ni Etat, située hors de l'essentiel : le processus religieux qui est
le cœur du devenir historique. C'est évidemment le cas des tribus
nègres (II. 179). Aussi bien, lorsque Las Casas utilise les Noirs dans
les mines d'or et d'argent, ce n'est pas si grave : n'était-ce pas le seul
moyen de les tirer de la mort éternelle (II. 293) ? Et surtout, qu'on
n'aille pas voir là une justification scientifique de l'esclavage, ni de la
méchanceté (sic) de la part de Las Casas. D'ailleurs ne contraignons-
nous pas les animaux, et à bon droit, puisqu'il n'y a pas en eux de
volonté supra-matérielle ? La situation est-elle si différente avec les
Noirs ? Y a-t-il une âme dans le roi du Dahomey ? Abandonné à lui-
même, le Nègre n'aurait même pas inventé les mathématiques, et seuls
les meilleurs d'entre eux y comprennent quelque chose (II. 294). Mais
ce n'est pas ici le lieu, écrit Schelling qui a le sens de la dénégation,
de se soucier de questions pratiques et politiques.
Considérons maintenant les vrais peuples et les vraies langues.
Un peuple n'invente pas sa mythologie : au contraire, c'est elle qui le
constitue et lui donne sa forme spécifique. Il ne saurait exister d'abord
(il serait alors un simple agrégat) et inventer ensuite ses mythes.
Ainsi donc, son histoire, son mode de vie, tout cela dépend de sa loi
es

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