Victor Hugo et le sublime : entre tragique et utopie - article ; n°82 ; vol.23, pg 17-29
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Victor Hugo et le sublime : entre tragique et utopie - article ; n°82 ; vol.23, pg 17-29

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Description

Romantisme - Année 1993 - Volume 23 - Numéro 82 - Pages 17-29
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 43
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Dominique Peyrache-
Leborgne
Victor Hugo et le sublime : entre tragique et utopie
In: Romantisme, 1993, n°82. pp. 17-29.
Citer ce document / Cite this document :
Peyrache-Leborgne Dominique. Victor Hugo et le sublime : entre tragique et utopie. In: Romantisme, 1993, n°82. pp. 17-29.
doi : 10.3406/roman.1993.5906
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1993_num_23_82_5906Dominique PEYRACHE-LEBORGNE
Victor Hugo et le sublime : entre tragique et utopie
"Gar Dieu, de l'araignée, avait fait le soleil."
("Puissance égale bonté", Légende des siècles, 11,3)
A la fin du ХУНТ siècle, avant la parution de la Critique de la faculté de
juger esthétique, le sublime que tant d'auteurs ont appelé de leurs voeux n'en
constitue pas moins une aporie : il semble enfermé dans les limites ou les
contradictions des discours sur l'art régnant alors. Dans le Salon de 1767, Diderot
formule le paradoxe de cette esthétique du choc qui a bouleversé les Lumières ;
apologiste des passions fortes, il souligne néanmoins l'écart irréductible qui sépare
l'art du réel : le plaisir esthétique requiert une émotion forte, et tient à l'acuité des
sentiments suscités par le spectacle tragique ; la vie de l'homme, au contraire,
s'affirme par la recherche hédoniste du plaisir. "L'horreur délicieuse" ("delightful
horror") par laquelle Burke, dans son Enquête sur l'origine de nos idées sur le
beau et le sublime 'définit les fondements sensualistes de l'émoi sublime, n'est pas
directement transposable dans la réalité : "Nous aimons le plaisir en personne et
la douleur en peinture" 2 ajoute Diderot. La jouissance qui naît de la contemplat
ion des sujets tragiques s'annule dès que l'on entre dans le domaine du vécu :
"Oui, mon ami, j'ai bien peur que l'homme n'aille droit au malheur par la voie qui
conduit l'imitateur de la nature au sublime. [H y a] une morale propre aux artistes,
ou à l'art, et cette morale pourrait bien être au rebours de la morale usuelle" \
Or, c'est à partir de ce problème (et du sens éthico-politique qu'il prend avec
la Révolution française) qu'est relancée la réflexion esthétique sur le sublime au
XDC siècle. La résolution de ce qui, pour les penseurs du XVIIT siècle,
apparaissait surtout comme un passionnant débat théorique, implique pour les
artistes du XDf siècle la confrontation concrète avec une donnée nouvelle que le
siècle est obligé de reformuler : l'Histoire, et ce monstre sacré qu'il s'agit de
comprendre, la Révolution. Aussi, un des choix majeurs de l'esthétique sera-t-il
d'établir une morale qui puisse enfin être unificatrice d'un homme désorienté par
les bouleversements historiques. Sans la prise en compte de ce facteur, l'esthétique
du sublime risquait d'être à jamais perdue pour l'idéal du siècle nouveau. Mais,
sous la double impulsion du kantisme et du romantisme, le sublime est investi
d'une urgence neuve en facilitant les liens et le passage entre esthétique et éthique,
qui deviennent deux aspects confondus d'un même regard porté sur l'homme. Ce
qui permet d'affirmer, avec J.-F. Lyotard, que depuis le romantisme, "les arts n'ont
plus le beau pour enjeu principal, mais quelque chose qui relève du sublime" \
ROMANTISME n°82 (Ю93-4) 18 Dominique Peyrache-Leborgne
Or la difficulté provient de ce que cet enjeu du sublime, qui serait aussi un
enjeu du romantisme, est rarement formulé de façon totalement explicite. Hugo
lui-même n'a pas multiplié les considérations sur le sublime dans ses principaux
textes théoriques, depuis la Préface de Cromwell jusqu'à William Shakespeare
(1864), et les Proses philosophiques de 1860 à 1865. De façon générale, la notion
reste diffuse et voilée pour l'ensemble de la période romantique. Manifestement
occupés par la notion, des auteurs comme Madame de Staël, Chateaubriand ou
même Stendhal, utilisent le terme sans le définir véritablement de façon
théorique ; ils l'emploient parfois comme un simple intensif, ce qui conduira à un
usage circonspect, voire ironique du terme, surtout à partir de Flaubert.
Nous voudrions montrer que l'oeuvre hugolienne possède cependant le
privilège d'une confrontation plus directe avec la catégorie esthétique, et en offre
une problématisation philosophique réelle ainsi qu'une éclatante tentative de
synthèse. Elle met au jour un nouveau topos du sublime. Que ce soit sous forme
conceptuelle, ou comme détermination structurelle, comme isotopie poétique et
romanesque, le sublime est chez Hugo une tonalité esthétique qui doit être
comprise comme un véritable prolongement des développements théoriques. Dès
la Préface, sont mis en place des critères esthétiques qui seront matriciels pour
l'ensemble de l'oeuvre. En fonction de son double inversé (Ie grotesque), le
sublime devient une notion clé, à la fois héritée de la tradition esthétique
Longin-Boileau, et renouvelée en fonction du drame shakespearien pris comme
modèle contre le sublime dramaturgique du Grand Siècle, topos traditionnel du
classicisme français ; il acquiert ainsi une originalité propre pour devenir le
catalyseur d'une mystique personnelle de l'art et de l'homme.
Il est à noter d'abord que le sublime hugolien n'est pas celui du XVIIT siècle.
Fondé sur une rhétorique des contrastes et de l'oxymore, qui rejoint moins l'idée
ď "horreur délicieuse" développée par Burke que celle d'utilisation shakespea
rienne des registres opposés (Ariel et Caliban, ou le roi et le bouffon), le sublime
hugolien ne s'inscrit plus dans la démarche de type sensualiste qui gouvernait la
représentation esthétique des Lumières. H passe ainsi sous silence cette
composante sensible, si prégnante au XVHT, qui faisait que le sublime pouvait se
confondre avec le mélange de grandiose, de violence et de pittoresque utilisé dans
la peinture d'Histoire et de paysages. Si cette rupture est un des signes apparents
d'une solution de continuité entre Lumières et Romantisme, le sublime hugolien
de la Préface n'est pourtant pas non plus une simple reprise du concept classique
formulé par Boileau ; même si Hugo ne donne pas à proprement parler de
nouvelle définition du sublime dans la Préface, il en propose implicitement deux
sens différents : d'une part, il le rapporte normalement à la tradition du style
noble, élevé, utilisé dans la poésie religieuse et dans la tragédie, et d'autre part il
l'inscrit finalement comme but et effet de l'oeuvre d'art, dans une poétique
moderne propre, celle de la totalité, alliance à la fois désacralisante et féconde du
haut et du bas, du noble et du vulgaire, du comique et du pathétique.
Définissant l'essence de l'art romantique comme l'union nécessaire du
grotesque et du sublime, la Préface de Cromwell plaide pour une plus grande
liberté et pour une plus grande variété de la palette de l'artiste, par rapport aux
normes classiques de perfection esthétique ; composant des harmonies nouvelles,
renouant avec la typologie de la "discors concordia" (Ovide, Métamorphoses,
1,433), l'art romantique se fonde sur des contrastes violents et la fusion des Hugo et le sublime 19 Victor
contraires. Le laid et le grotesque, loin d'affaiblir l'effet sublime, le renforcent [par
le jeu des contrastes] et participent de son élaboration, de façon d'autant plus
convaincante qu'ils révèlent les heurts, les contrastes, et la variété infinie de la
réalité elle-même : "La salamandre fait ressortir l'ondine ; le gnome embellit le
sylphe" dit la Préface 5. C'est alors au nom d'une appréhension de la totalité des
types du monde réel, que le sublime prendra sa place comme élément moteur de
l'art, mais indissociable de son envers, le grotesque. Valorisant la permanence du
grand et du noble en art (en langage psychanalytique on parlerait d'idéal
surmoïque), le sublime se situe néanmoins constamment en regard du difforme,
du comique et du populaire qui, eux, se résument et se condensent dans le
grotesque. Et en ce sens, le laid et le grotesque s'affirment comme facteurs
d'impulsion dialectique ; ils sont des éléments constitutifs, bien

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