Les discours dans les Métamorphoses d’Apulée : vérité ou mensonge, ou faut-il croire celui qui parle ? - article ; n°1 ; vol.36, pg 141-152
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Les discours dans les Métamorphoses d’Apulée : vérité ou mensonge, ou faut-il croire celui qui parle ? - article ; n°1 ; vol.36, pg 141-152

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Description

Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique - Année 2006 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 141-152
Les fabulae métadiégétiques des Métamorphoses d’Apulée posent le problème de leur véracité ou de leur caractère mensonger, question essentielle pour un philosophus Platonicus. Le lecteur est placé devant sa responsabilité: peut-il croire ou non ce qu’il lit? Les réactions de l’auditoire interne à la fiction permettent de guider la réaction du lecteur: elles incluent à la fois étonnement, pacte de foi dans les mira racontés et scepticisme. Chaque récit cherche à se présenter comme une communication entre un narrateur digne de foi et un lecteur croyant. Mais le doute s’installe toujours. La parole humaine est sujette à caution. Seul, le divin possède l’apanage de la vérité. La parole de vérité l’emporte au livre XI sur la parole séductrice de l’affabulateur, certes belle, mais mensongère.
The metadiegetic fabulae of the Metamorphoses of Apuleius present the problem of their truthfulness or their untruthful character, an essential question for a philosophus Platonicus. The reader is placed before his responsibility: can he believe or not believe that which he reads? The reactions of the audience internal to the fiction enable the reader to be guided in his reaction: they include both surprise, faith in the mira told and scepticism. Each story seeks to present itself as a communication between a narrator worth believing and a reader who believes. But doubt always creeps in. The human word is subject to caution. Only the divine possesses the monopoly on truth. The word of truth prevails in book XI over the seductive word of the liar, beautiful but untruthful.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 430
Langue Français

Extrait


LES DISCOURS DANS LES MÉTAMORPHOSES
D’APULÉE :
VÉRITÉ OU MENSONGE, OU FAUT-IL CROIRE CELUI QUI PARLE ?
1Géraldine PUCCINI-DELBEY
RÉSUMÉ
Les fabulae métadiégétiques des Métamorphoses d’Apulée posent le
problème de leur véracité ou de leur caractère mensonger, question essentielle
pour un philosophus Platonicus. Le lecteur est placé devant sa responsabilité :
peut-il croire ou non ce qu’il lit ? Les réactions de l’auditoire interne à la fiction
permettent de guider la réaction du lecteur : elles incluent à la fois étonnement,
pacte de foi dans les mira racontés et scepticisme. Chaque récit cherche à se
présenter comme une communication entre un narrateur digne de foi et un
lecteur croyant. Mais le doute s’installe toujours. La parole humaine est sujette à
caution. Seul, le divin possède l’apanage de la vérité. La parole de vérité
l’emporte au livre XI sur la parole séductrice de l’affabulateur, certes belle, mais
mensongère.
ABSTRACT
The metadiegetic fabulae of the Metamorphoses of Apuleius present the
problem of their truthfulness or their untruthful character, an essential question
for a philosophus Platonicus. The reader is placed before his responsibility: can
he believe or not believe that which he reads? The reactions of the audience
internal to the fiction enable the reader to be guided in his reaction: they
include both surprise, faith in the mira told and scepticism. Each story seeks to
present itself as a communication between a narrator worth believing and a
reader who believes. But doubt always creeps in. The human word is subject to
caution. Only the divine possesses the monopoly on truth. The word of truth
prevails in book XI over the seductive word of the liar, beautiful but untruthful.

1. Université de Bordeaux 3.
142 G. PUCCINI-DELBEY
La Rhétorique à Herennius pose le problème des frontières entre le vrai, le
vraisemblable et le faux dans les récits (I, 13) et propose une tripartition des
narrationes : les récits vrais et vraisemblables (l’histoire), les récits qui ne sont pas
vrais, mais vraisemblables, et les récits qui ne sont ni vrais ni vraisemblables, car
l’intervention du merveilleux y est constante.
Que ce soit par la diégèse ou par les récits métadiégétiques inclus à l’intérieur
de celle-ci, les Métamorphoses font partie de la troisième catégorie. Elles se
présentent dans le prologue comme un discours murmuré à l’oreille du lecteur-
auditeur appartenant à la catégorie du sermo Milesius et constitué d’une collection
de fabulae. À l’intérieur de ce discours prononcé par le narrateur Lucius
apparaissent de nombreux discours mis dans la bouche de personnages que Lucius
rencontre au cours de ses pérégrinations asiniennes. Tous ces discours posent le
problème de leur véracité ou de leur caractère mensonger, problème essentiel pour
un auteur qui se veut un philosophus Platonicus. Le lecteur est placé devant sa
responsabilité : peut-il croire ou non ce qu’il lit ? Une partie de la réponse est
présente dans l’analyse des rapports entre narrateurs et narrataires internes à la
fiction. Nous analyserons pour finir ce que la fiction considère comme un discours
« véridique ».
Le roman apuléen exprime de manière explicite sa conscience d’être un récit
appartenant à ce que nous appelons actuellement « fiction », oscillant entre historia,
2fabula et argumentum . Le narrateur Lucius se pose non pas la question,
caractéristique de l’historien, de la véracité ou non des faits qu’il rapporte, mais bien
la question typique du « romancier » : ce que j’ai vécu, vu ou entendu vaut-il la
peine d’être raconté ? Ensuite, se pose le problème d’obtenir l’assentiment du
lecteur. Cette question de la croyance ou non du lecteur est inscrite dans le texte
même d’Apulée, en particulier dans les récits secondaires qui reflètent, par une belle
mise en abyme, la relation du lecteur au récit entier des Métamorphoses.
Pour reprendre l’analyse de J.R. Morgan à propos des romans grecs, qui
s’applique fort bien au roman apuléen, le problème n’est pas celui du statut de vérité
du texte de fiction, car la première condition de la fiction est qu’à la fois l’auteur et
le lecteur la reconnaissent pour ce qu’elle est : ils sont conscients que les
événements rapportés sont factuellement non vrais, mais ils agissent comme si ce
qu’ils savent être faux était vrai. La question est plutôt de savoir comment le lecteur
va réagir face à un texte qu’il sait être une fiction et dans quel sens il « croit » à cette
3fiction .

2. Nous reprenons la tripartition des récits entre historia, fabula et argumentum que nous trouvons à la
fois chez Cicéron et dans la Rhétorique à Herennius.
3. Morgan 1993, p. 193.
LES DISCOURS DANS LES MÉTAMORPHOSES D’APULÉE 143
Apulée crée une fiction dont la plausibilité repose paradoxalement sur son
absence de plausibilité comme fait. Dès le titre, le lecteur en est averti. Le prologue,
qui est directement adressé au lecteur supposé, lector, annonce le caractère
merveilleux du récit qui va suivre. Ensuite, les différents narrateurs secondaires
insistent sur le caractère étonnant de ce qu’ils vont raconter, prévenant le lecteur de
la difficulté à « croire » leur récit. Mais proclamer l’incrédibilité des faits narrés est
une manière d’affirmer qu’ils sont vrais et qu’on n’est pas un affabulateur.
LA RÉACTION DE L’AUDITOIRE INTERNE ET DU LECTEUR FICTIF :
CROIRE OU NE PAS CROIRE ?
Les réactions de l’auditoire interne à la fiction permettent de guider la réaction
du lecteur : elles incluent à la fois étonnement et scepticisme. D’autres réponses que
l’assentiment sont donc possibles. Le récit d’Aristomène est écouté à la fois par le
narrateur principal Lucius et par un compagnon de voyage anonyme. Ce dernier
représente l’image du lecteur sceptique et incrédule, qui refuse de croire à la réalité
d’événements surnaturels :
[…] alter exerto cachinno : Parce, inquit, in uerba ista haec tam absurda
tamque immania mentiendo, « l’un d’eux éclata d’un rire bruyant : Cesse de
mentir, dit-il, par ces mots si absurdes et si énormes. » (Met., 1, 2, 5).
Aristomène, par son récit des aventures extraordinaires de son ami Socrate,
ouvre le débat entre vérité et mensonge. Il met en scène à la fois la difficulté que
rencontre tout locuteur – il faut paraître digne de confiance pour être cru – et la
difficulté de l’auditoire – son problème est de croire ou de ne pas croire. Au début
de son récit, puis à la fin, le compagnon anonyme affirme son incredulitas et
préférerait qu’Aristomène se taise. Lucius, au contraire, veut entendre « le charme
piquant d’histoires », fabularum lepida iucunditas ( Met., 1, 2, 6) et se montre
fidentior (Met., 1, 3, 2), « plus confiant » dans les paroles d’Aristomène. Avant
même d’entendre le début de l’histoire, il fait un pacte de foi et accorde sa confiance
à son interlocuteur :
Ego tibi solus haec pro isto credam, « moi seul, je le croirai pour lui ». (Met., 1,
4, 6).
Il accuse le compagnon sceptique d’être un auditeur obtus et sot, crassis
auribus et obstinato corde, influencé par les préjugés, prauissimis opinionibus, et
jugeant à la légère, sans examen attentif qui lui permettrait de voir ce qui est
pourtant évident (Met., 1, 3, 2-3). L’incrédule ici est l’ignorant, le sot qui refuse de
voir la vérité au-delà des apparences « incroyables ». Il faut être cultivé, ornatus
(Met., 1, 20, 2), pour accéder à ce type de connaissance.
144 G. PUCCINI-DELBEY
Mais chacun campe sur ses positions. À la fin du récit d’Aristomène, l’auditeur
sceptique reste dans son « incrédulité obstinée », obstinata incredulitate (Met., 1,
20, 1) :
Nihil, inquit, hac fabula fabulosius, nihil isto mendacio absurdius, « rien de plus
fabuleux que cette fable, dit-il, rien de plus absurde que ce mensonge. » (Met., 1,
20, 2).
Lucius, lui, ne se départit pas de son pacte de foi :
Sed ego huic et credo, « mais moi, celui-ci, je le crois. » (Met., 1, 20, 5).
Il réaffirme son credo, accepte la réalité des mira et remercie Aristomène pour
« l’enjouement de son histoire piquante », lepidae fabulae festiuit

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