Les travailleurs non qualifiés : une nouvelle classe sociale ? - article ; n°1 ; vol.393, pg 203-229
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Economie et statistique - Année 2006 - Volume 393 - Numéro 1 - Pages 203-229
En mars 2002, un peu moins de cinq millions de personnes exerçaient un emploi non qualifié : 2 760 000 comme employés et 2 035 000 comme ouvriers. Loin de disparaître avec la désindustrialisation, l'emploi non qualifié a connu un regain depuis le milieu des années 1990. Il représente aujourd'hui un emploi sur cinq. L'analyse de données d'enquête confirme l'ouvriérisation d'une partie de ces emplois, jusqu'à présent principalement mise en évidence par l'observation sociologique. Avec leurs salaires, conditions d'emploi et de travail, les ouvriers et employés non qualifiés constituent un segment de main-d'oeuvre à part. Ils ne semblent pas pour autant définir une classe sociale : fragilisés dans leurs modalités d'intégration professionnelle, déstabilisés dans leur imaginaire social, ces salariés se caractérisent par un faible sentiment d'appartenir à une classe sociale. L'identité de classe, autrefois fortement structurante dans les milieux populaires, s'est progressivement effacée laissant place, pour les non-qualifiés, à une attitude de retrait, entre rejet et résignation par rapport aux modèles dominants d'intégration sociale. Pour les salariés du bas de l'échelle, des formes différentes de construction identitaire opposent certaines sous-populations, les jeunes et les plus âgés, les hommes et les femmes, les immigrés et les non-immigrés.
Los trabajadores no cualificados: ¿una nueva clase social?
En marzo de 2002, un poco menos de cinco millones de personas ejercfan un empleo basico: 2 760 000 eran empleados y 2 035 000 obreros. Lejos de desaparecer con la desindustrializacion, el empleo no cualificado ha conocido un nuevo auge desde el medio de los afios
1990. Hoy en dfa, representa un empleo de cinco. El analisis de los datos de la encuesta confirma el incremente deltipo obrero de una parte de estos empleos, hasta ahora principalmente evidenciado por la observacion sociologica. Con sus sa/ arios, condiciones de empleo y de trabajo, los obreros y empleados no cualificados constituyen un segmenta de mana de obra aparte. Sin embargo, no parecen definir una clase social: debifitados en sus modalidades de integracion profesiona/, desvinculados de su mundo imaginario social, estos empleados se caracterizan por un vago sentimiento de pertenecer a una clase social. La identidad de clase, antafio muy estructurante en los medios populares, se ha eclipsado progresivamente, dejando lugar, para los no-cualificados, a una actitud de recogimiento, entre rechazo y resignacion de los modelos dominantes de integracion social. Para los empleados deI pie de la esca/ a social, hay formas diferentes de construccion de la identidad que oponen ciertassubpoblaciones, los jovenes y los mayores, los hombres y las mujeres, los inmigrados y los no-inmigrados.
Unqualifizierte Arbeitnehmer: eine neue soziale Schicht?
lm Marz 2002 gingen knapp fünf Millionen Personen einer unqualifizierten Beschaftigung nach: 2 760000 ais Angestellte und 2 035 000 ais Arbeiter. Die unqualifizierte Beschaftigung, die durch die Entindustrialisierung keineswegs beseitigt wird, hat seit Mitte der 1990er Jahre wieder zugenommen. Heute ist jeder fünfte Arbeitsplatz hiervon betroffen. Die Analyse von Erhebungsdaten bestatigt die «Verarbeiterung» eines Teils dieser Beschaftigungen, was bislang hauptsachlich durch soziologische Beobachtungen aufgezeigt worden ist. Mit ihren Lôhnen und Gehaltern, Beschaftigungs-und Arbeitsbedingungen stellen die unqualifizierten Arbeiter und Angestellten ein besonderes Segment der Arbeitnehmer dar. Allerdings bilden sie keine eigenstandige soziale Schicht; denn diese Arbeitnehmer, die durch ihre berufliche Integration geschwacht und in ihrer sozialen Wahrnehmung destabilisiert sind, zeichnen sich durch ein geringes Zugehôrigkeitsgefühl zu einer sozialen Schicht aus. Die Klassenidentitat, die einst in den Arbeiterkreisen recht strukturierend wirkte, ist bei den unqualifizierten Arbeitnehmern schrittweise einer Rückzugshaltung gewichen, die sich durch Ablehnung und Resignation gegenüber den dominierenden Modellen der sozialen Integration auszeichnet. Bei den Arbeitnehmern der untersten Stufe entsprechen die unterschiedlichen Formen der Identitatsbildung bestimmten Untergruppen der Bevôlkerung: Jugendliche und Âltere, Manner und Frauen, Immigranten und Nichtimmigranten.
Unskilled workers: a New Social Class?
ln March 2002, just less than five million people were in unskilled employment: 2,760,000 were white-collar workers and 2,035,000 were blue-collar workers. Far fram disappearing with deindustrialisation, unskilled employment has been grawing since the mid-1990s: today, one in five jobs is in unskilled employment. The analysis of the survey results confirms the assimilation to workers of a segment of this unskilled employment, which has been revealed up until now by sociological observation. Unskilled blue-collar and white-collar workers constitute a distinct segment of the workforce because of their salaries, terms and conditions of employment and working conditions. However, they do not seem to constitute a social claS s: weakened by their prafessional integration, with a destabilised social image, these workers are characterised by a weak sense of belonging to a social class. Class identity, which once played an important structurai raie in the working classes, has been gradually eraded, leaving the unskilled workers with an attitude of withdrawal, somewhere between rejection and resignation, with regard to the dominant models of social integration. For workers at the bottom of the ladder, different forms of identity construction contrast certain underpopulations, Le. young and old, men and women, immigrants and non-immigrants.
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 790
Langue Français

Extrait

Les travailleurs non qualifi és : une nouvelle classe sociale ? Thomas Amossé et Olivier Chardon*
SOCIÉTÉ
En mars 2002, un peu moins de cinq millions de personnes exerçaient un emploi non qualifié : 2 760 000 comme employés et 2 035 000 comme ouvriers. Loin de disparaître avec la désindustrialisation, l’emploi non qualifi é a connu un regain depuis le milieu des années 1990. Il représente aujourd’hui un emploi sur cinq. L’analyse de données d’enquête confi rme l’ouvriérisation d’une partie de ces emplois, jusqu’à présent principalement mise en évidence par l’observation sociologique. Avec leurs salaires, conditions d’emploi et de travail, les ouvriers et employés non qualifi és constituent un segment de main-d’œuvre à part. Ils ne semblent pas pour autant défi nir une classe sociale : fragilisés dans leurs modalités d’intégration professionnelle, désta-bilisés dans leur imaginaire social, ces salariés se caractérisent par un faible sentiment d’appartenir à une classe sociale. L’identité de classe, autrefois fortement structurante dans les milieux populaires, s’est progressivement effacée laissant place, pour les non-qualifi és, à une attitude de retrait, entre rejet et résignation par rapport aux modèles dominants d’intégration sociale. Pour les salariés du bas de l’échelle, des formes différentes de construction identitaire oppo-sent certaines sous-populations, les jeunes et les plus âgés, les hommes et les femmes, les immigrés et les non-immigrés.
* Thomas Amossé appartient au Centre d’études de l’emploi (CEE) et Olivier Chardon appartenait, au moment de la rédaction de cet article, à la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (Dares) du Ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale. Courriels : thomas.amosse@mail.enpc.fr ; olivier.chardon@insee.fr Les auteurs remercient deux rapporteurs anonymes dont les remarques et suggestions ont fortement contribué à améliorer le texte de cet article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 393-394, 2006
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D0audébnées196esnaougrspe,80sleeénn91sdtuaseefortunetdssneojiuuaxosic visibilité, tant pour les observateurs du monde social que pour les acteurs eux-mêmes. Ils sont l’objet de nombreux ouvrages de sociolo-gie (Bourdieu, 1979 ; Verret, 1979 ; Boltanski, 1982). Plus de trois cents titres de « recherches récentes sur la culture ouvrière » sont recen-sés (Bozon, 1985). Chaque recueil deDonnées sociales consacre un article substantiel (Insee) aux groupes sociaux grâce à la nouvelle nomen-clature des catégories socioprofessionnelles (Desrosières et Thévenot, 1988 ; Sujobert, 2003). Mais la montée du chômage dans les années 1980 et 1990 a engendré des modifi cations profondes dans la société française et dans la manière de la considérer. La sociologie des groupes sociaux s’est progressivement effacée au profit d’une sociologie de l’exclusion et de la précarité (Castel, 1995 ; Paugam, 1991 et 2000). C’est moins la place du travail, comme élément essentiel de définition du lien social, que le modèle même de représentation de la société en termes de groupes sociaux ou de clas-ses sociales, qui a ainsi été remis en question. Le renouveau de la sociologie des professions et la mise en place par la Dares de la nomen-clature des familles professionnelles refl ètent par exemple la volonté de mieux comprendre la mobilité professionnelle sur le marché du tra-vail. La question centrale n’est plus de savoir si les milieux sociaux sont différents en termes de comportement démographique, de mode de vie, d’investissement scolaire ou d’univers professionnel, mais de comprendre la logique des trajectoires individuelles, de la formation à l’emploi, puis en cours de carrière. Au cours des vingt dernières années, les principales publica-tions portant sur des groupes sociaux ont, de fait, surtout insisté sur leur hétérogénéité et leur fragilité(Chenu, 1990 ; Bouffartigue, 2001). Ce n’est que depuis quelques années que l’inter-rogation sociologique s’est de nouveau portée vers les classes sociales (Castel, 1999 ; Chauvel, 2001 ; Dubar, 2003 ; Dubet, 2003 ; Bouffartigue, 2004). Parallèlement à ces réfl exions, des analy-ses empiriques ont montré la persistance d’iné-galités structurées de classes, tant en termes de pratiques de consommation (Chauvel, 1999) que de contenu du travail (Amossé et Delteil, 2004). D’autres ont mis en évidence la persistance d’une condition ouvrière ou d’une condition plus ou moins ouvriérisée (Beaud et Pialoux, 1999). Ce retour de la recherche vers les classes sociales, et les classes populaires en particulier,
a notamment été suscité par l’analyse des votes protestataires (Mayer, 2002) et la perception de la réduction du temps de travail, synonyme de davantage de temps libre pour les cadres et d’une intensification du travail pour les salariés d’exécution (Baudelot et Gollac, 2002). Si la question des classes sociales est revenue sur le devant de la scène, le contexte sociologi-que dans lequel elles sont analysées a changé : autrefois présentées comme des groupes structu-rant l’espace social, elles semblent aujourd’hui davantage pensées comme une réunion d’in-dividus construisant leur trajectoire au sein de réseaux. Par ailleurs, de nouvelles dimensions doivent aujourd’hui être prises en considération. La féminisation de l’emploi rend désormais impossible une définition des milieux sociaux à partir de la seule situation de la personne de référence du ménage (1) (Baudelot et Establet, 2005). Ce point est particulièrement décisif pour l’analyse des employés, catégorie très féminisée dont les conjoints se distribuent dans l’ensem-ble de l’espace social : aujourd’hui plus qu’hier, les employées ne peuvent plus être seulement considérées comme des femmes d’ouvrier. La désindustrialisation et la tertiarisation de l’économie ont entraîné une recomposition des emplois en milieu populaire : depuis 1993, il y a davantage d’employés que d’ouvriers en France ; au sein des non-qualifi és, l’augmenta-tion du nombre d’employés a plus que compensé la diminution du nombre d’ouvriers (cf. graphi-que I). De plus, des observations sociologiques récentes mettent en évidence, pour les salariés d’exécution des services (2), le développement d’emplois aux conditions de travail très proches de celles des ouvriers (Alonzo, 1998 ; Burnod, Cartron et Pinto, 2000). L’ensemble de ces élé-ments rend nécessaire une analyse qui prenne en compte ensemble à la fois les ouvriers et les employés, et plus particulièrement les seg-ments les moins qualifiés de ces deux catégo-ries. Dans le contexte actuel de dualisation du marché du travail (Amossé, 2002), l’hypothèse d’une segmentation des classes populaires entre qualifiés et non-qualifiés semble pouvoir être formulée. Elle fait écho à l’interrogation qu’ex-prime Freyssinet en préface d’un livre récem-ment consacré au travail non qualifi é (Méda et Vennat, 2004) : « [le travail non qualifi é] assure-t-il l’insertion dans une organisation du travail qualifiante avec des perspectives de carrière 1. Selon la terminologie adoptée dans les enquêtes de l’Insee. 2. Employés de caisse ou de libre service de la grande distribu-tion, télé-employés descall-centers, employés des fast-foods ou des chaînes d’hôtellerie.
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