La lecture à portée de main
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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 30 |
EAN13 | 9782824710402 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
U N E F I LLE D’ÈV E
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
U N E F I LLE D’ÈV E
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1040-2
BI BEBO OK
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V ous de v ez aribuer l’ o euv r e aux différ ents auteur s, y
compris à Bib eb o ok.A MAD AME LA COMT ESSE BOLO GN IGN I,
N ÉE V IMERCA T I.
souv enez, Madame , du plaisir que v otr e conv er sation
pr o curait à un v o yag eur en lui rapp elant Paris à Milan, v ous neS v ous étonner ez p as de le v oir v ous témoignant sa r e connaissance
p our tant de b onnes soiré es p assé es auprès de v ous, en app ortant une de
ses œuv r es à v os pie ds, et v ous priant de la pr otég er de v otr e nom, comme
autr efois ce nom pr otég e a plusieur s contes d’un de v os vieux auteur s, cher
aux Milanais. V ous av ez une Eug énie déjà b elle , dont le spirituel sourir e
annonce qu’ elle tiendra de v ous les dons les plus pré cieux de la femme ,
et qui, certes, aura dans son enfance tous les b onheur s qu’une triste mèr e
r efusait à l’Eug énie mise en scène dans cee œuv r e . V ous v o y ez que si
les français sont tax és de légèr eté , d’ oubli, je suis italien p ar la constance
et p ar le souv enir . En é crivant le nom d’Eug énie , ma p ensé e m’a souv ent
r ep orté dans ce frais salon en stuc et dans ce p etit jardin, au Vicolo dei
Capuccini, témoin des rir es de cee chèr e enfant, de nos quer elles, de nos
ré cits. V ous av ez quié le Cor so p our les T r e Monasteri, je ne sais p oint
comment v ous y êtes, et suis oblig é de v ous v oir , non plus au milieu des
1Une fille d’Èv e Chapitr e
jolies choses qui sans doute v ous y entour ent, mais comme une de ces
b elles figur es dues à Carlo D olci, Raphaël, Titien, Allori, et qui semblent
abstraites, tant elles sont loin de nous.
Si ce liv r e p eut sauter p ar-dessus les Alp es, il v ous pr ouv era donc la
viv e r e connaissance et l’amitié r esp e ctueuse
D e v otr e humble ser viteur ,
DE BALZA C.
n
2U N E F I LLE D’ÈV E
plus b e aux hôtels de la r ue Neuv e-des-Mathurins, à
onze heur es et demie du soir , deux femmes étaient assises de-D vant la cheminé e d’un b oudoir tendu de ce v elour s bleu à r eflets
tendr es et chato yants que l’industrie française n’a su fabriquer que dans
ces der nièr es anné es. A ux p ortes, aux cr oisé es, un artiste avait drap é de
mo elleux ride aux en cachemir e d’un bleu p ar eil à celui de la tentur e . Une
lamp e d’ar g ent or né e de tur quoises et susp endue p ar tr ois chaînes d’un
b e au travail, descend d’une jolie r osace placé e au milieu du plafond. Le
sy stème de la dé coration est p our suivi dans les plus p etits détails et jusque
dans ce plafond en soie bleue , étoilé de cachemir e blanc dont les longues
bandes plissé es r etomb ent à d’ég ales distances sur la tentur e , agrafé es p ar
des fé es de p erles. Les pie ds r encontr ent le chaud tissu d’un tapis b elg e ,
ép ais comme un g azon et à fond gris de lin semé de b ouquets bleus.
Le mobilier , sculpté en plein b ois de p alissandr e sur les plus b e aux
mo dèles du vieux temps, r ehausse p ar ses tons riches la fadeur de cet
ensemble , un p eu tr op flou dirait un p eintr e . Le dos des chaises et des
fauteuils offr e à l’ œil des p ag es menues en b elle étoffe de soie blanche ,
br o ché e de fleur s bleues et lar g ement encadré es p ar des feuillag es
finement dé coup és.
3Une fille d’Èv e Chapitr e
D e chaque côté de la cr oisé e , deux étagèr es montr ent leur s mille bag
atelles pré cieuses, les fleur s des arts mé caniques é closes au feu de la p
ensé e . Sur la cheminé e en tur quin, les p or celaines les plus folles du vieux
Sax e , ces b er g er s qui v ont à des no ces éter nelles en tenant de délicats
b ouquets à la main, espè ces de chinoiseries allemandes, entour ent une
p endule en platine , niellé e d’arab esques. A u-dessus, brillent les tailles
côtelé es d’une glace de V enise encadré e d’un ébène plein de figur es en r elief,
et v enue de quelque vieille résidence r o yale . D eux jardinièr es étalaient
alor s le lux e malade des ser r es, de pâles et divines fleur s, les p erles de la
b otaniques.
D ans ce b oudoir fr oid, rang é , pr opr e comme s’il eût été à v endr e , v ous
n’ eussiez p as tr ouvé ce malin et capricieux désordr e qui ré vèle le b onheur .
Là , tout était alor s en har monie , car les deux femmes y pleuraient. T out
y p araissait souffrant.
Le nom du pr opriétair e , Ferdinand du Tillet, un des plus riches
banquier s de Paris, justifie le lux e effréné qui or ne l’hôtel, et auquel ce b
oudoir p eut ser vir de pr ogramme . oique sans famille , quoique p ar v enu,
Dieu sait comment ! du Tillet avait ép ousé en 1831 la der nièr e fille du
comte de Granville , l’un des plus célèbr es noms de la magistratur e
française , et de v enu p air de France après la ré v olution de juillet. Ce mariag e
d’ambition fut acheté . p ar la quiance au contrat d’une dot non touché e ,
aussi considérable que celle de la sœur aîné e marié e au comte Félix de
V andenesse . D e leur côté , les Granville avaient jadis obtenu cee alliance
av e c les V andenesse p ar l’énor mité de la dot. Ainsi, la Banque avait rép aré
la brè che faite à la Magistratur e p ar la Noblesse . Si le comte de V andenesse
s’était pu v oir , à tr ois ans de distance , b e au-frèr e d’un sieur Ferdinand
dit du Tillet, il n’ eût p eut-êtr e p as ép ousé sa femme ; mais quel homme
aurait, v er s la fin de 1828, pré v u les étrang es b oule v er sements que 1830
de vait app orter dans l’état p olitique , dans les fortunes et dans la morale
de la France ? Il eût p assé p our fou, celui qui aurait dit au comte Félix de
V andenesse que , dans ce chassez-cr oisez, il p erdrait sa cour onne de p air
et qu’ elle se r etr ouv erait sur la tête de son b e au-pèr e .
Ramassé e sur une de ces chaises basses app elé es chauffeuses , dans la
p ose d’une femme aentiv e , madame du Tillet pr essait sur sa p oitrine
av e c une tendr esse mater nelle et baisait p arfois la main de sa sœur ,
ma4Une fille d’Èv e Chapitr e
dame Félix de V andenesse . D ans le monde , on joignait au nom de famille
le nom de baptême , p our distinguer la comtesse de sa b elle-sœur , la
marquise , femme de l’ancien ambassadeur Charles de V andenesse , qui avait
ép ousé la riche v euv e du comte de K er g ar ouët, une demoiselle de
Fontaine . A demi r env er sé e sur une causeuse , un mouchoir dans l’autr e main,
la r espiration embar rassé e p ar des sanglots réprimés, les y eux mouillés,
la comtesse v enait de fair e de ces confidences qui ne se font que de sœur à
sœur , quand deux sœur s s’aiment ; et ces deux sœur s s’aimaient tendr
ement. Nous viv ons dans un temps où deux sœur s si bizar r ement marié es
p euv ent si bien ne p as s’aimer qu’un historien est tenu de rapp orter les
causes de cee tendr esse , conser vé e sans accr o cs ni taches au milieu des
dé dains de leur s maris l’un p our l’autr e et des désunions so ciales. Un
rapide ap er çu de leur enfance e xpliquera leur situation r esp e ctiv e .
Éle vé es dans un sombr e hôtel du Marais p ar une femme dé v ote et
d’une intellig ence étr oite qui pénétrée de ses devoirs, la phrase classique ,