À quoi servent les mathématiques ? Il y a bien peu de secteurs de l'activité humaine dont elles soient absentes. C’est particulièrement vrai pour la compréhension de notre environnement : climat, économie, géologie, écologie, science spatiale, régulation démographique, politique mondiale, etc. Le travail des scientifiques est par essence de comprendre les causes et les effets, et d’appréhender la complexité, puis d’en tirer des prévisions et de quantifier le mieux possible les incertitudes liées à celles-ci. Les mathématiques, au travers de leurs modèles et de leurs théories, ont donc pour toutes et tous une importance considérable. Par exemple, la quantification du changement climatique, les prévisions de catastrophes naturelles, la conception de modèles économiques viables, la préservation de la biodiversité, la transmission des maladies infectieuses, le contrôle des pandémies… et bien d’autres choses encore. Brèves de maths illustre, de façon accessible, la variété des problèmes scientifiques dans lesquels la recherche mathématique actuelle joue un rôle important. Cet ouvrage propose une sélection des meilleures contributions du projet « Un jour, une brève » de l’action mondiale « Mathématiques de la planète Terre ».
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1737. Maupertuis et quelques collègues de l’Académie des Sciences, appartenant à la fine fleur des savants français, reviennent d’une expédition dans la plus nordique des provinces suédoises, la Laponie.
Ils rapportent dans leurs valises des mesures d’une finesse inouïe, prouvant que la Terre n’est pas ronde, mais aplatie aux pôles, et rem bourrée à l’équateur.
On imagine les téléscripteurs, s’ils avaient été connus à cette époque !
Une brève se serait imposée pour signaler le retour en France des héros.
Une mention très courte pour informer les lecteurs, avant de préparer un article plus détaillé.
Expédition Maupertuis de retour : la Terre est bien aplatie !
Mais le plus fort de l’expédition Maupertuis, c’est que Newton déjà avait prédit cet aplatissement aux pôles, cinquante ans plus tôt, armé de son seul raisonnement logique, de quelques formules mathé matiques, et d’une observation sibylline sur le comportement des horloges genevoises quand on les transporte dans le doux climat de Cayenne… Chapeau, messieurs les Anglais !
Aujourd’hui la Laponie est partagée entre la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie ; l’Académie des Sciences a survécu à 8 ou 9 •••5
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changements de régime ; et l’on sait que la Terre est un ellipsoïde, avec une incroyable précision de 1/100 000 !
Et surtout, notre globe a été scruté avec des yeux plus mathématiques que jamais.
Après les Maupertuis, Laplace, Poincaré, et autres savants mécani ciens, sont venus les repérages GPS, les images satellites qui per mettent à tout le monde de voir la carte de n’importe quel endroit de la planète, et de suivre les grands courants atmosphériques en direct.
Quand la Terre tourne, s’incline, tremble, s’échauffe, vibre, rayonne, il faut toujours une bonne dose de mathématique pour mesurer, car tographier, expliquer, prédire ces phénomènes.
Il en faut aussi pour satisfaire notre curiosité concernant les hôtes de notre chère planète – reconstituer l’évolution des espèces, analyser de subtils écosystèmes, mesurer la biodiversité, tenter de comprendre l’apparition des langages.
Il en faut encore pour mesurer les phénomènes terrestres qui mettent à mal nos sociétés, de la pollution à la désertification en passant par l’épuisement des ressources naturelles. Des phénomènes qui parfois s’effectuent sur des temps si longs que l’on ne peut ni attendre ni faire d’expériences…
C’est une affaire de curiosité et c’est parfois une affaire vitale, une sorte de course contre la montre entre l’esprit scientifique et les dan gers naturels.
Je l’ai bien ressenti quand j’ai eu l’occasion de me baigner dans une catastrophe naturelle, le bras d’océan qui ronge la magnifique Langue de Barbarie près de SaintLouis du Sénégal, pendant que des universi taires cherchent en désespoir de cause à comprendre les lois mathéma tiques de la subtile interaction entre dune, fleuve et océan, et trouver la recette qui pourra enfin enrayer l’avancée des eaux.
La mathématique, si on sait l’employer à bon escient, peut nous aider sur toutes sortes de sujets : l’économie, les embouteillages, la dyna mique des foules, les assurances et réassurances, la criminologie ou le nettoyage des débris cosmiques, pour n’en citer que quelquesuns. • • •6
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Pour cela on met en œuvre des mathématiques non moins diverses : équations aux dérivées partielles, probabilités et statistiques, sys tèmes différentiels stochastiques et déterministes, géométrie et ana lyse, qui vont se répondre et se combiner.
Sans oublier l’informatique bien sûr, la technologie et les ordinateurs qui montent en puissance, et les gigantesques données qui constituent un terrain de jeu extraordinaire pour toutes les techniques statistiques.
Dans cette grande aventure où les concepts humains dialoguent avec la réalité du terrain, on retrouve les aventures des savants d’hier et d’aujourd’hui, se donnant la main dans une ronde incessante qui tra verse les siècles.
Des contributeurs prodiges comme Laplace, qui théorise la capillarité, les marées, la vitesse du son, la stabilité du système solaire, les proba bilités appliquées au système pénal… ou d’autres plus modestes, qui tous apporteront leur pierre au grand édifice. Jusqu’aux chercheurs et thésards contemporains, qui sont plus spécialisés que les grands aînés, mais qui ont le bonheur de contempler un paysage mathéma tique plus vaste que jamais.
Dans cette grande aventure on trouve bien sûr de belles surprises.
Qui aurait pu imaginer qu’il faut parfois fermer quelques routes pour fluidifier un trafic congestionné ? Qu’ajouter quelques obstacles bien choisis peut permettre de diminuer le temps d’évacuation d’un bâti ment ? Que l’on peut détecter certaines fraudes en calculant les fré quences respectives des chiffres apparaissant dans une déclaration de revenus ?
On y retrouve aussi des alliances apparemment contre nature entre le technologique et l’écologique. Ainsi les coquillages ou les éléphants de mer deviennentils des sondes naturelles pour tester la qualité d’un écosystème. Ainsi peuton fabriquer un cadran solaire numérique – qui affiche une heure numérique alors qu’il n’utilise que les rayons du Soleil…
En 2013, on a parlé de tout cela, et de bien plus encore, tout au long de cette année des MATHÉMATIQUES DE LA PLANÈTE TERRE. Dans un effort international, initié par Christiane Rousseau, professeur à •••7
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l’Université de Montréal, et destiné aux scientifiques, aux politiques et au grand public, des chercheurs se sont réunis, des colloques se sont tenus, des exposés ont été donnés devant des audiences de tout genre, aux quatre coins de la planète. En France, de nombreuses initiatives ont participé à cet effort. Par exemple, à l’Institut Henri Poincaré, nous avons hébergé deux trimestres thématiques et un séminaire de recherche prospective sur ces sujets. En parallèle, une équipe se char geait de rédiger, pour informer le public curieux, des Brèves Mathé matiques par centaines.
Des annonces concises, donnant aux lecteurs un bref signal, atti rant leur curiosité sur un sujet qu’ils pourront ensuite approfondir en creusant les sources plus détaillées d’Images des mathématiques, d’Interstices et d’ailleurs.
Des annonces qui donnent au lecteur curieux une pensée pour un soir – un concept, un problème, un phénomène, une belle personne –, alimentant une conversation au comptoir d’un café, entre personnes intéressées, qui n’accueillent pas d’une oreille blasée le lien efficace et mystérieux entre mathématique et Planète Terre.
vouS REpREnDREz BiEn un pEtit VERRE DE màtH ?
* Cédric Villani est un mathématicien français, directeur de l’Institut HenriPoincaré et professeur à l’université Claude Bernard Lyon 1. Il a reçu la médaille Fields en 2010. •••8
brèves deMaThs
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Là plànÈtE TERRE : notRE unité DE mESuRE ParÉtienne Ghys
vant la Révolution française, A on mesurait les longueurs en doigts, pieds, toises, aunes etc.
L’une des difficultés était que ces unités variaient d’une région à l’autre et bien sûr d’un pays à l’autre. Les révolutionnaires décidèrent de mettre de l’ordre dans tout cela. Ils créèrent le système métrique, qui nous est si familier aujourd’hui. Quelle unité choisir pour les longueurs ?
Il était bien sûr impensable de faire comme les Anglais et d’utiliser le yard, qui était la distance séparant le nez du roi Edgar du bout de son doigt ! La philosophie des Lumières, fondée sur la croyance en un monde rationnel et ordonné, obligeait d’utiliser une longueur universelle, commune à l’humanité toute entière.
Ce qui est commun à tous les hommes, c’est bien sûr notre bonne planète Terre ! Les mathématiciens Borda, Condorcet et Lagrange décidèrent de choisir la Terre comme unité de longueur : une idée brillante ! Comme le globe terrestre est assez grand, ils divisèrent la distance qui sépare le pôle Nord de l’équateur en 10 millions et appelèrent le résultat unmètre.