Les Cahiers d’anthropologie sociale publient les journées d’étude et les séminaires du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS), unité mixte de recherche du Collège de France, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de la recherche scientifique.
Sommaire
AndréaLuz Gutierrez Choquevilca Introduction. Transformer la nature, anthropologie dupharmakôn...........................
Élisabeth MotteFlorac Pharmakônet pratique thérapeutique. L’exemple de lalimpiaau Mexique ...........
Samir Boumediene Visions du diable ? Les conflits autour du pouvoir des plantes « hallucinogènes » en NouvelleEspagne à l’époque moderne .........................................................................................
AndréaLuz Gutierrez Choquevilca Un art de la maîtrise amérindien : pour une approche relationnelle du poison .....
Claudie Haxaire Quand la semence se fait poison : organisation de la pharmacopée gouro autour des troubles de la fécondité ........................................................................................................
Sabrina Krief et Florence BrunoisPasina L’interspécificité dupharmakôndans le parc Kibale (Ouganda) : savoirs partagés entre humains et chimpanzés ? ..........................................................................
Céline Valadeau Pharmacopées hybrides et corps composites chez les Yanesha du piémont péruvien .........................................................................................................................................
Julie Laplante Devenir humainplante aux abords volcaniques de l’océan Indien .................................
David Dupuis Pharmacopées indigènes et internationalisation ducuranderismopéruvien : le cas de Takiwasi (Haute Amazonie)................................................................
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Introduction. Transformer la nature, anthropologie dupharmakôn
AndréaLuz Gutierrez Choquevilca
«Mortua dat vitam mortem quae viva dedisset»
Thériaque d’Andromaque
L’homme façonne et continue de transformer, plus que n’importe quelle autre espèce sur la planète, le monde dans lequel il évolue : on cite une nouvelle ère géolo-gique, l’anthropocène. Si les débats scientiiques fusent autour des conséquences écologiques et politiques d’un tel bouleversement, il semble urgent d’ouvrir une rélexion anthropologique sur la notion depharmakôn, remède et poison, et sur les manières variables qu’ont les peuples dans le monde d’inventer de nouvelles tech-niques pour transformer la vie ou la détruire, créer de nouvelles catégories pour comprendre le vivant, y inscrire leur empreinte. Philosophes et sociologues des sciences rappellent volontiers que la cible de l’anthropologie moderne est un empire médian, situé entre « natures » et « sociétés », voyant émerger des objets hybrides rele-vant des unes comme des autres, baptisés « quasi-objets » et « quasi-sujets » (Latour, e 1993). Le tournant est fait. Il est devenu impensable aude continuer à user siècle des catégories de nature et de culture comme on le ferait d’entités discrètes de la pensée. Sciences de la nature et sciences humaines voient avec bonheur leur objet converger autour de la notion de vie, concept qui peut sembler à la foiscreux– tant son extension embrasse large – etheuristique, puisqu’il reste, en tout cas d’un point de vue strictement empirique, pertinent. En effet, la « vie » comme concept ethnogra-phique, a retenu l’attention de tous les peuples dans le monde. Il n’est pas une société qui ne possède sa propre conception de la genèse, de la mort ou de la reproduction.
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Guérir / Tuer
L’anthropologie des remèdes offre un terrain fécond d’observation de ces processus qui gouvernent la transformation des corps et des organismes. Elle pointe du doigt la complexité desfrontières vivanteset leslieux de partageimprobables qui se dessinent entre acteurs humains et non-humains, à travers l’expérience de la maladie, de la mort, du soin ou de l’ivresse. Chaque cas ethnographique révèle le chromatisme des petits intervalles qui séparent et relient les humains à ces sujets-objets hybrides, remèdes ou poisons, qu’ils ont eux-mêmes, tels des démiurges, mis au monde. Ce volume peut être envisagé comme une exploration de ces frontières. Sous le maillage dense des ethnographies portant sur le savoir médical et botanique des Gouro de Côte d’Ivoire, celui des chimpanzés et des Batooro dans l’ouest de l’Ou-ganda, celui des chasseurs et des spécialistes rituels amérindiens du Mexique à l’Amazonie, celui des maîtres duJamuà Java ou celui des missionnaires du Nouveau Monde, les contributeurs de ce volume proposent une rélexion épistémologique sur la façon dont les collectifs humains et non-humains construisent le vivant et contri-buent à sa reproduction ou à sa destruction à travers le prisme dupharmakôn. Parce qu’il existe plusieurs façons de rendre intelligibles les phénomènes biologiques et la classiication du vivant, les auteurs questionnent les déinitionsemic etetic de catégories conceptuelles partagées, comme la thérapeutique, la notion demateria medica, et celle de processus physiologique. L’anthropologie des remèdes révèle que la plupart des sociétés humaines intègrent les savoirs sur lepharmakôn– remède ou substance toxique – et la classiication du vivant dans un processus plus général de transformation de la nature et de construction du savoir thérapeutique et religieux dans un champ commun, réunissant un réseau complexe d’acteurs humains et non humains. Quelles variations peut-on identiier entre ces modes de transformation de la nature d’une société à l’autre ? Comment les sociétés humaines décrivent-elles l’ac-tion attribuée aux remèdes, aux poisons et aux substances toxiques sur un organisme vivant ? L’ambivalence constitutive des remèdes a généré pour chaque discipline 1 une déinition implicite ou explicite des notions d’eficacité ou de toxicité . Eficacité d’un principe actif, eficacité thérapeutique ou eficacité relationnelle, une rélexion épistémologique transversale sur les méthodes des sciences expérimentales et des 2 sciences humaines est l’une des pistes de recherche à l’origine de cette publication. Ce concept est dans ce volume mis à l’épreuve de l’ethnographie. Plusieurs contri-butions mettent en regard de façon critique les interprétations médicale, anthro-pologique et phytochimique dupharmakôn. Si l’eficacité de certains remèdes ne peut être quantiiée pharmacologiquement, quels sont les critères employés par les sociétés étudiées, humaines ou animales, pour distinguer ces substances entre