L enfance de la peur
226 pages
Français

L'enfance de la peur , livre ebook

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226 pages
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Description

Full Circle de Richard Loncraine, The innocents de Jack Clayton et Black Christmas de Bob Clark : trois films de peur des années soixante et soixante-dix où l'enfance est centrale. Cet essai revient sur ces films pour mieux cerner ce qui gît de peur et d'enfance au coeur du cinéma.

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Date de parution 01 mai 2013
Nombre de lectures 9
EAN13 9782296535008
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

esthétiques
Jean Regazzi L’ENFA NCE DE L A PEUR Dans le horschamp de Bob Clark, Jack Clayton et Richard Loncraine
L’enfance de la peur Dans le hors-champ de Bob Clark, Jack Clayton et Richard Loncraine
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ESTHÉTIQUESCollection dirigée par Jean-Louis Déotte Pour situer notre collection, nous pouvons reprendre les termes de Benjamin annonçant son projet de revue :Angelus Novus. « En justifiant sa propre forme, la revue dont voici le projet voudrait faire en sorte qu’on ait confiance en son contenu. Sa forme est née de la réflexion sur ce qui fait l’essence de la revue et elle peut, non pas rendre le programme inutile, mais éviter qu’il suscite une productivité illusoire. Les programmes ne valent que pour l’activité que quelques individus ou quelques personnes étroitement liées entre elles déploient en direction d’un but précis ; une revue, qui expression vitale d’un certain esprit, est toujours bien plus imprévisible et plus inconsciente, mais aussi plus riche d’avenir et de développement que ne peut l’être toute manifestation de la volonté, une telle revue se méprendrait sur elle-même si elle voulait se reconnaître dans des principes, quels qu’ils soient. Par conséquent, pour autant que l’on puisse en attendre une réflexion – et, bien comprise, une telle attente est légitimement sans limites –, la réflexion que voici devra porter, moins sur ses pensées et ses opinions que sur les fondements et ses lois ; d’ailleurs, on ne doit plus attendre de l’être humain qu’il ait toujours conscience de ses tendances les plus intimes, mais bien qu’il ait conscience de sa destination. La véritable destination d’une revue est de témoigner de l’esprit de son époque. L’actualité de cet esprit importe plus à mes yeux, que son unité ou sa clarté elles-mêmes ; voilà ce qui la condamnerait – tel un quotidien – à l’inconsistance si ne prenait forme en elle une vie assez puissante pour sauver encore ce qui est problématique, pour la simple raison qu’elle l’admet. En effet, l’existence d’une revue dont l’actualité est dépourvue de toute prétention historique est justifiée… »Rosa María RODRÍGUEZ MAGDA,Michel Foucault et la généalogie des sexes, 2013. Jean-Louis DÉOTTE,Walter Benjamin et la forme plastique. Architecture, technique, lieux, 2012. Philippe ROY,Trouer la membrane, Penser et vivre la politique par des gestes, 2012. Audrey RIEBER,Art, histoire et signification. Un essai d’épistémologie d’histoire de l’art autour de l’iconologie d’Erwin Panofsky, 2012.
Jean Regazzi
L’enfance de la peur Dans le hors-champde Bob Clark, Jack Clayton et Richard Loncraine
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Du même auteur Le Roman dans le cinéma d’Alain Resnais : Retour àProvidence, essai, L’Harmattan, collection Esthétiques, préface de Jean-Louis Leutrat, 2010
L’Expérience du roman : Lecture et mise en abyme chez Melville, Faulkner et Welles, essai, L’Harmattan, 2011 Letter to Daddy, roman, Le Manuscrit, 2006 Remerciements Peter Crames, Jean-Louis Leutrat, Suzanne Liandrat-Guigues, Jacques Aumont, Pierre Boutillier et Gérard Philippe, Emmanuel Burdeau et Guy Astic pour leurs conseils avisés, L’Espace Chercheurs et l’Iconothèque de la BiFi, Anne Dunand Tartara pour sa relecture attentive du manuscrit.
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-00695-6 EAN : 9782343006956
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Pour Bernard Regazzi (1969-1976) Stay with me…
Psychose,Alfred Hitchcock (Psycho, 1960) Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Robert Aldrich(What Ever Happened to Baby Jane ?, 1962)Confessions à un cadavre,Seth Holt (The Nanny, 1965)
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Film de peur, enfance et hors-champ « La peur et la fascination, passions infantiles, restent l’effet le plus fort dont le cinéma est capable. » Pierre Alferi, Des enfants et des monstresAvec leurs jouets et leurs jeux, leurs chambres, leurs secrets, leurs voix et leurs rires, les enfants peuplent le film de peur. Cela s’explique sans doute en partie du fait de la prétendue dimension infantilisante d’un cinéma dit de genre, qui ferait régresser le spectateur à l’état d’enfant, à l’immaturité nécessaire pour trouver et retrouver son plaisir dans la peur. Mais il existe aussi une raison plus axée sur l’interdit de toucher au plus fragile et plus cher d’entre nous – interdit que la plupart des films transgressent à des degrés divers, soit qu’ils portent atteinte au corps de l’enfant, allant souvent jusqu’au massacre, soit qu’ils remettent en question son innocence, son innocuité à proprement dire, faisant alors de lui l’agent du mal, l’assassin en personne. Ces deux situations, du reste, sont souvent consécutives, l’enfant mort devenant, comme c’est en partie le cas avecFull Circle, la source même de la terreur dans des histoires peu ou prou marquées par le deuil. Indépendamment de ces questions qui, tout en le sous-tendant, dépassent de très loin le domaine de l’analyse filmique, ce qu’il faut retenir pour commencer, c’est bien l’extrême gravité des sujets abordés par tout un pan du cinéma que l’on a pourtant tendance à ne pas prendre au sérieux, à considérer comme divertissant et léger sur le fond, mineur par définition. Mineur, il l’est sans doute bien davantage au sens propre et en amont, soumis à des impératifs commerciaux qui le cantonnent, depuis bien avant les années quatre-vingt et l’hégémonie duteen movie, à un régime de production à la chaîne et de distribution destiné à un public on ne peut plus ciblé. C’est ce cercle vicieux que Pierre Alferi évoque dès l’introduction de son recueil d’articlesDes enfants et des monstresla minorité mentale à laquelle est renvoyé le spectateur émerveillé ou: « terrifié s’accorde naturellement avec la minorité financière, voire esthétique, où le 1 genre fantastique s’est souvent réfugié . » Je ne me donnerai donc pas le ridicule de procéder à une apologie inconditionnelle d’un genre massivement voué à la médiocrité, voire à la nullité artistique en raison même des contraintes que l’industrie du cinéma fait peser sur lui. Mais, d’un autre côté, affirmer que ce livre traiterait de relatives exceptions à la règle économique, sans doute plus rigoureuse et établie pour cemauvais genre qu’elle ne l’est pour bien d’autres, mérite une précision préliminaire. Car c’est justement grâce à l’écrasante fatalité économique conjuguée à ses spécificités esthétiques et narratives que le genre peut aussi 1 Paris, P.O.L., 2004, pp. 9-10.
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produire des œuvres éminemment cinématographiques. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est bien ce qui lui appartient en propre de formes et de contenus travaillant de conserve à un certain effet sur le spectateur, qui a permis au film de peur d’atteindre les sommets dePsychose, desOiseauxou deMarnie– pour ne citer que cette trilogie hitchcockienne où l’enfance règne. Cela étant, les trois films étudiés successivement dans ces pages ont été choisis en toute liberté eu égard à un certain système de valeurs qui, tout en n’ayant rien de figé pour l’éternité, n’a pas moins tendance à émettre ses verdicts sans appel a priori. Autrement dit,The Innocentsde Jack Clayton, que tout cinéphile averti se doit de considérer aujourd’hui comme un chef-d’œuvre du genre, apparaît ici sur la base des mêmes critères de sélection qu’un film tombé dans l’oubli tel queFull Circlede Richard Loncraine ou qu’un film culte pour les fans de cinéma bis commeBlack Christmasde Bob Clark. Par-delà les questions de thématique et de problématique, ce seul et unique critère de sélection consiste à réfuter toute classification en amont et à ne considérer comme valable que le film que l’analyse aura révélé comme tel, légitimé en tant qu’objet de réflexion sur le cinéma. Il s’agit donc de montrer que ces films comportent biendude ce que cinéma, Deleuze appelledes idées en cinémaLes idées, il faut les traiter comme des: « potentiels déjà engagés dans tel ou tel mode d’expression et inséparables du mode 2 d’expression, si bien que je ne peux pas dire que j’ai une idée en général ». Bien évidemment, il serait absurde de nier le goût que les trois films retenus, ainsi que bien d’autres plus ponctuellement convoqués ici, m’inspirent à des degrés divers, et ce depuis nombre d’années. Mais si l’ouvrage se présente tel qu’il est, c’est parce que le travail d’exploration auquel ces œuvres ont été soumises a permis de déterminer leur valeur en tant que textes filmiques, en tant que constructions susceptibles de nous éclairer un peu plus sur cette réalité si profonde, persistante et en même temps intangible et fugace, si difficile à cerner et sonder, qu’est la peur au 3 cinéma . Une fois posé ce principe, qui vise à affranchir l’approche adoptée ici aussi bien du bon goût et des diktats de l’intelligentsia en place que des néo-snobismes de ceux qui revendiquent leur modernité en ne jurant que par le cinéma dit bis et la série de B à Z, deux autres précisions s’imposent quant au choix de la thématique de l’enfance, et quant à la problématique formelle, narrative et esthétique du hors-champ, dans le film de peur des années soixante et surtout soixante-dix. 2 « Qu’est-ce que l’acte de création ? », conférence filmée à la FEMIS le 17 mars 1987, retranscrite dansDeux régimes de fous (Textes et entretiens 1975-1995)45,, Paris, Minuit, Paradoxe, 2003, texte n° p. 291. 3 Pour une synthèse de cette vaste et complexe question de la peur au cinéma, à partir des travaux d’historiens (Jean Delumeau, Louis-Vincent Thomas…), de psychanalystes (Cyrielle Koupernik, Pierre Mannoni…), de narratologues (André Gaudreault, Tzvetan Torodov…) et autres spécialistes du genre (Gérard Lenne, Philippe Ross…), voir notamment l’ouvrage de l’ethnologue Martine Roberge, qui pose néanmoins comme postulat d’envisager le cinéma – « d’horreur », « d’épouvante », « fantastique » – « en fonction du message plutôt que de la forme » (: des récitsL’Art de faire peur légendaires aux films d’horreur, Saint-Nicolas (Québec), Les Presses de l’Université de Laval, Ethnologie de l’Amérique française, 2004, p. 60).
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Enfance ? L’ambiguïté propre au traitement de l’enfant au cinéma est parfaitement bien représentée par au moins deux de nos trois films –Black Christmas, comme nous le verrons, différant des autres pour deux raisons sans doute complémentaires à cet égard, en cela qu’il ne relève pas davantage du fantastique qu’il ne comporte de figure d’enfant significative de manière explicite. Mais pour ce qui est des enfants dansThe Innocentsdans et Full Circle, ils sont tout à fait conformes à ce que l’on pourrait désigner un peu vite comme une évolution en la matière. Les enfants, en effet, sont d’abord des innocents. Leur pureté ontologique les expose à toutes les corruptions du monde. Ce n’est qu’en un second temps qu’ils peuvent devenir eux-mêmes maléfiques, mais toujours du fait de ce que les adultes leur auront infligé. Même dans ce cas de figure, ils demeurent donc les innocents, parfois massacrés, toujours pervertis. Dans son ouvrageChildren in the Movies, Neil Sinyard nuance le propos en distinguant deux conceptions successives : « l’approche romantique » et « l’approche freudienne », l’une plus « traditionnelle » et « dérivée », notamment, des «Chants de l’innocence et de l’expériencede Blake » ou du «Préludede Wordsworth », l’autre, basée sur l’idée bien plus dérangeante que 4 « enfance et âge adulte (…) sont inextricablement liés ». Avec son titre on ne peut plus évocateur, le film de Jack Clayton en est une parfaite illustration. Si les jeunes Miles et Flora semblent obsédés par certaines choses, c’est parce qu’ils ont longuement côtoyé le couple infâme que formaient le 5 valet Peter Quint et la gouvernante Miss Jessel . Comme le remarque le spécialiste des décors Alexandre Tsekenis dans l’un des bonus du DVD, les chambres de Miles et Flora à Bly sont caractérisées par une relative absence de jouets et autres objets liés à l’enfance, tous relégués dans les combles du manoir, un peu comme si les deux petits orphelins avaient péri avec leurs corrupteurs présumés, comme s’ils 6 n’étaient plus du tout des enfants eux-mêmes . C’est d’ailleurs cette relative absence des signes de l’enfance, du moins leur mise à l’écart comme un avatar du hors-champ, qui déterminera à bien des égard la lecture proposée ici, centrée sur la nouvelle gouvernante des enfants, celle qui est peut-êtrel’innocentede l’histoire.
4 Londres, Batsford, 1992, pp. 7 et 8 ; c’est moi qui traduis. Notons que Neil Sinyard est aussi l’auteur d’une biographie consacrée à l’un de nos trois auteurs :Jack Clayton, Manchester/New York, Manchester University Press, 2000. 5 Rappelons que leprequel que Michael Winner réalisa dix ans aprèsThe Innocents, et qui est censé relater les faits survenus à Bly avant la mort des amants diaboliques (c’est-à-dire le non-dit absolu chez James et, dans une moindre mesure, chez Clayton, le secret-pierre de voûte duTour d’écrou…) s’intitule en françaisLe Corrupteur(The Nightcomers, 1971). Mais Tzvetan Todorov n’écrivait-il pas que « Le secret du récit jamesien est donc précisément l’existence d’un secret essentiel, d’un non-nommé, d’une force absente et surpuissante, qui met en marche toute la machine présente de la narration » ?… Nous y reviendrons. (« Le Secret du récit : Henry James »,Poétique de la prose (1971), Paris, Seuil, Points, 1978, p. 83.) 6 « De la cave au grenier », DVD Opening, 2006, comportant aussi un documentaire d’entretiens avec le chef opérateur Freddie Francis, le monteur Jim Clark, la scripte Pamela Francis, ainsi que les critiques et historiens du cinéma Jean-Louis Leutrat et Neil Sinyard (« Les Coulisses d’un film de genre »).
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