Marathonien des sables
208 pages
Français

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Marathonien des sables , livre ebook

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208 pages
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Description

Lahcen Ahansal, enfant du désert né au sud du Maroc, croise un jour la route de l'épreuve mythique du Marathon des Sables : 250 km en plein désert ! Il essuie bien des revers avant de signer, en 2007, sa dixième victoire. Son parcours, où il se confronte à la tradition et aux évolutions de la société marocaine, témoigne avec humilité qu'à force de volonté et d'acharnement, une vie meilleure est possible.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 64
EAN13 9782296484139
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

MARATHONIEN DES SABLES
Marie-Pierre Fonsny
MARATHONIEN DES SABLES
Lahcen Ahansal, enfant nomade et star du désert
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96140-1
EAN : 9782296961401
Derrière tes mots, il y a un obsessionnel espoir que rien ni personne n’a réussi à briser. Ni la pauvreté, ni les échecs, ni les humiliations. Lahcen, je te prête ma main.

Prélude
« Quel petit nombre d’heures, d’instants, chaque jour, sont vraiment occupés à vivre ! Pour quelques triomphantes oasis, quels immenses déserts à traverser ! »
André Gide, 1929
Zagora. Ma voiture avale les derniers kilomètres qui me séparent de la maison familiale. Bientôt, je serrerai ma mère dans mes bras. Avec pudeur, sans doute, je ne suis pas un homme très démonstratif, mais avec toute la tendresse d’un fils aimant. Ces quelques mois d’absence me rendent subitement émotif. Plus que quelques minutes.
Au bout de l’avenue principale, avant de plonger à gauche vers la palmeraie d’Amzrou, le goudron noir et lisse meurt pour laisser place à l’imposant Palais Provincial. Jadis, cet espace n’était qu’une vaste étendue de sable. Les nomades y montaient leurs tentes quand ils arrivaient en ville.
Aussi loin que je m’en souvienne, un panneau était là, fermement planté. La peinture écaillée laissait deviner des bédouins, en tenue bleue traditionnelle, dirigeant leurs dromadaires chargés pour la grande traversée du Sahara. Une main mal assurée avait tracé cette inscription : « Tombouctou 52 jours ». Une flèche pointait vers l’infini, invitant au voyage. Mille huit cents kilomètres en plein désert. Quelle expédition !
Enfant, quand je déambulais entre la palmeraie et le centre-ville, ce tableau m’arrachait un sourire complice. Compagnon fidèle de mes pérégrinations, je le voyais résister, sans jamais fléchir, aux tempêtes de sable qui déferlaient sur la ville. Nous savions alors qu’il pleuvait à Casablanca ou qu’il neigeait sur l’Atlas. Que de caravanes n’avait-il vu transhumer !
Est-ce l’éloignement, l’absence qui exacerbe les souvenirs ? Je stationne la voiture quelques instants et j’inspire à pleins poumons. L’odeur minérale du sable, sec et chaud, émoustille une nostalgie délicieuse. Je me laisse envahir…
Ma tête foisonne de récits captivants contés par les anciens, le soir, sous la tente. Enfants, nous étions suspendus aux histoires héroïques du commerce caravanier. Nous nous projetions en redoutables guerriers, dans un passé aussi lointain qu’imaginaire, tels nos ancêtres des tribus berbères nomades du sud qui, au XIII e siècle, avaient combattu, avec hargne et vaillance, la puissante tribu des Nouajis. Originaires d’Arabie, ces hommes se lançaient à la conquête du Sahara Occidental, soumettant à leur passage les peuplades rebelles. Ils avaient eu raison de la résistance de nos guerriers nomades. C’est à cette époque qu’avait commencé l’islamisation de nos familles, jusque-là animistes.
Nous fantasmions aussi sur les histoires de trafic d’or et de matières précieuses. Nous, qui vivions de trois fois rien, rêvions de commander des convois chargés du précieux métal jaune dont l’origine était entourée de mystère. J’appris par la suite que l’or était extrait, en plein Sahara, dans des mines tenues secrètes pour tout homme ne pouvant prouver des racines arabo-berbères. C’était alors l’époque de gloire de la dynastie saadienne qui imposa, au XVI e siècle, son emprise du Maroc à Tombouctou. Zagora était le berceau de cette prestigieuse lignée et connut, là, une page essentielle de son histoire que les plus instruits nous contaient avec fierté.
Nos parents évoquaient également le commerce du sel, valeur stable pour le troc. Durant des siècles, les plaques de sel gemme de Taoudeni, une mine à l’air libre exploitée en plein désert sur d’anciens fonds marins, ont fait la fortune des bédouins. Au printemps, les éleveurs nomades s’arrachaient ces blocs blanchâtres pour éviter des carences en sels minéraux qui auraient dévalorisé leurs troupeaux. Ils les laissaient, çà et là, à disposition des moutons. Leurs langues râpeuses s’y acharnaient avec gourmandise.
Mais le négoce avec Tombouctou offrit bien plus que cela. D’une simple escale de tribus transhumantes, la ville s’affirma, au fil des ans, comme le « quartier latin » d’Afrique de l’Ouest, là où se brassaient les connaissances, les idéaux, les découvertes les plus diverses. Tout ce bouillonnement culturel était retranscrit par les hommes instruits sur des écorces d’arbre, des omoplates de chameaux, des peaux ou sur du papier importé d’Orient. De ce qui deviendra l’actuel Mali, les Touaregs acheminaient ces écrits exceptionnels et d’autres trésors comme du cuivre, des étoffes et de l’ivoire, utilisé par nos artisans pour orner les bijoux ou les lherz, ces magnifiques boîtes en argent, réceptacles du Coran.
Ma ville Zagora fut ainsi aux premières loges du foisonnement culturel des sahraouis. Les caravaniers faisaient halte dans l’oasis de Tamegroute, à vingt kilomètres au sud. Ils y troquaient traditionnellement les manuscrits. Plus tard, je découvrirai ces trésors inestimables, religieux pour la plupart, en visitant la Zaouia, une bibliothèque créée au XI e siècle, en plein désert.
Durant des centaines d’années, les Touaregs ont parcouru ainsi les routes sahariennes, non seulement vers le nord mais aussi vers l’Egypte et le Soudan. Ils dirigeaient de longues et ondulantes caravanes lourdement chargées de tout ce que l’Afrique peut receler de biens précieux. Enfants, nous les voyions arriver au loin, simplement vêtus de larges boubous en bazin 1 . Comme nous, leurs visages étaient ceints d’un chèche protégeant la tête du soleil et du sable, mais leur peau était davantage burinée par la lumière et pigmentée de reflets bleutés, dus au frottement de leurs turbans teints à l’indigo.
Quand nous questionnions nos proches sur la présence de personnes à la peau noire à Zagora, ils nous contaient que, jadis, des esclaves d’Afrique de l’Ouest accompagnaient de temps à autre les convois. Cette traite prit fin en 1929, date du passage des derniers esclaves noirs à travers le Sahara. Encore aujourd’hui, leurs descendants installés dans la région sont appelés laâbid, esclaves.
Zagora a donc été prospère. Elle percevait les taxes douanières prélevées sur les marchandises qui transitaient entre l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et l’Europe, et elle centralisait le trafic commercial en sens inverse. Les dromadaires repartaient lestés de thé, d’amandes, d’olives, d’huile, de dattes, de henné, de fruits récoltés notamment dans les cultures généreuses des oasis de la vallée du Drâa. Nos familles bédouines vendaient ou échangeaient du bétail à ces grands commerçants. Durant plusieurs siècles, mes ancêtres participèrent à ce fructueux négoce.
J’admire ces aventuriers du désert. Au fil des siècles, ils ont défié tous les dangers pour que les hommes partagent leurs ressources.
Aujourd’hui, ces incroyables récits du transport transsaharien ne sont plus que de lointains souvenirs émaillant notre mémoire collective. Presque un mythe. Et peu m’importe la patine du temps. Ils m’ont rendu fier de mes origines.
Un matin, je me suis retrouvé orphelin de mon précieux symbole, « Tombouctou 52 jours ». Lui qui avait survécu à la furie des éléments, agonisait quelque part, dans les mains des hommes chargés des travaux d’extension de l’imposant palais provincial.
Depuis, un pastiche aux couleurs vives a été planté cinquante mètres plus loin, à l’écart de la piste. Un large portique en pisé encadre un tableau reprenant le thème originel : des chameliers et dromadaires aux portes du désert. J’y conduis parfois des touristes pour la photo souvenir de leur passage dans le Sud marocain. Ils découvrent le passé glorieux de ma ville sur deux livres en marbre retraçant, en quatre langues, les grandes lignes de l’épopée caravanière. L’histoire s’arrête là, figée dans la pierre.

Figure 1 : Zagora, portique édifié à la mémoire des bédouins.
Parfois, je pense à la vieille plaque. Qu’est-elle devenue ? J’éprouve de la compassion pour cette peinture défraîchie qui a fini, sans doute, sur une décharge. Je repense à son style un peu naïf. Elle dégageait pour moi quelque chose d’heureux et de mélancolique à la fois, me renvoyant à ma vie d’enfant du désert, habitant à quelques jours de marche de Zagora. Comme un retour au commencement…
1 Le bazin est un tissu damassé, souvent teint et fortement amidonné grâce à un trempage dans un bain d

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