Bernanos, Jünger, Teilhard de Chardin
386 pages
Français

Bernanos, Jünger, Teilhard de Chardin , livre ebook

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Description

Bernanos, Jünger et Teilhard de Chardin ont ceci en commun d'avoir vécu la Grande Guerre au front. Or, une épreuve d'une telle violence sur une durée aussi longue, a forcément une répercussion sur la pensée. Serait-il alors possible de trouver dans les écrits de ces trois vétérans des éléments qui permettraient de répondre à cette question de George L. Mosse : quelles furent « les répercussions de l'expérience de la mort de masse pendant la Première Guerre mondiale ? » Et quels en furent les effets sur ces hommes ayant vécu le front pendant quatre ans ?

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Date de parution 15 septembre 2017
Nombre de lectures 13
EAN13 9782140046483
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

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Extrait

Les trois hommes dont nous évoquons la vie et l’œuvre ont ceci en commun d’avoir vécu la Grande Guerre au front sur toute sa durée, entrecoupée de brefs séjours à l’arrière, en raison de blessures ou de courtes permissions. Jünger combattit sur le front allemand, Bernanos sur le front français où Teilhard fut brancardier et aumônier. Jünger écrivit de très nombreux textes sur la guerre, ce qui ne fut pas le cas de Bernanos. Quant à Teilhard, ses réflexions sur la guerre et son expérience au front sont contenues essentiellement dans les lettres qu’il adressa à sa cousine durant cette période de quatre ans.  Une épreuve d’une telle violence sur une durée aussi longue, un tel déchaînement de forces, de moyens, de destructions, jusque-là inimaginables, ont forcément une répercussion déterminante sur la pensée. La principale caractéristique du monde du front est pour chacun d’être confronté à la mort omniprésente et menaçante.  Serait-il alors possible de trouver dans les écrits postérieurs à la guerre de ces trois vétérans des éléments qui permettraient de répondre, en partie, à la question fondamentale que soulève George L. Mosse ? Quelles furent « les répercussions de l’expérience de la mort de masse pendant la Première Guerre mondiale ? » Quels en furent les effets sur les sociétés et, à une plus petite échelle, sur des hommes qui vécurent sur le front pendant quatre ans ?  Bernanos et Jünger deviennent écrivains et, tous deux, se réfèrent à Léon Bloy comme à un « maître ». Teilhard est un prêtre, un scientifique et aussi un penseur. À l’origine des écrits de chacun d’eux, on trouve l’expérience du front, de la mort et le souvenir de la multitude des disparus. En s’appuyant sur les écrits de Paul Ricœur, le lien symbolique se révèle rapprochant leurs textes si différents.
Danièle Beltran-Vidal, germaniste, professeur des universités honoraire de l’Université Lumière–Lyon II, a publiéChaos et Renaissance dans l’œuvre d’Ernst Jünger en 1995, et dirigé la publication de la revueLes Carnets Ernst Jüngerde 1996 à 2006. Elle a consacré de nombreux travaux de recherche à Ernst Jünger et à son frère Friedrich Georg Jünger.
Photographie de couverture : Vue sur une partie de la Nécropole Nationale du Pétant, cimetière militaire français de la guerre de 1914-1918, à Montauville. © Can Stock Photo.
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Danièle B e l t r a n  V i d a l
Bernanos, Jünger, Teilhard de Chardin
Quatre ans dans la tranchée : survivre et écrire
Espaces EL Littéraires
Bernanos, Jünger, Teilhard de Chardin
Espaces Littéraires Collection fondée par Maguy Albet Dernières parutions Jean-François CHÉNIER,Communiquer l’incommunicable. Une lecture des œuvres de Georges Bataille et de Pierre Klossowski, 2017. Bernard POCHE,La littérature à Lyon dans l’entre-deux-guerres. L’érosion d’une culture, 2016. Isabelle BERNARD,Patrick Deville, « Une petite sphère de vertige »,2016.Ramona ONNIS,Sergio Atzeni, Écrivain postcolonial, 2016. Marcel BOURDETTE-DONON,Raymond Queneau, le Peintre de la vie moderne, 2016. Michèle DUCLOS,Un regard anglais sur le symbolisme français, Arthur Symons.Le mouvement symboliste en littératuregénéalogie, (1899), traduction, influence, 2016. Anne-Marie REBOUL et Esther SÁNCHEZ-PARDO (éd.),L’écriture désirante : Marguerite Duras, 2016. Gladys M. FRANCIS,sexe, genre et trauma dans la caraïbe Amour, francophone, 2016. Fabienne GASPARI,L’écriture du visage dans les littératures francophones e et anglophones. De l’âge classique au XXI siècle, 2016. Yulia KOVATCHEVA,Modernité esthétique chez André Malraux,2015. Hanétha VETE-CONGOLO (dir.),Léon-Gontran Damas : Une Négritude entière,2015. Naïma RACHDI,L’art de la nouvelle entre Occident et Orient, Guy de Maupassant et L’Égyptien Mahmûd Taymûr. Influence de la littérature française sur la littérature arabe moderne, 2015. Augustin COLY,Duplications et variations dans le roman francophone contemporain, 2015. Marie-Denis SHELTON,Éloge du séisme, 2015. Marie-Antoinette BISSAY et Anis NOUAIRI,Lorand Gaspar et la matière-monde,2015. Thierry Jacques LAURENT, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement,2015. Moussa COULIBALY et Damien BEDE, L’écriture fragmentaire dans les productions africaines contemporaines,2015. Jean Xavier BRAGER, De l’autre côté de l’amer. Représentations littéraires, visuelles et cinématographiques de l’identité pied-noir,2015. Isabelle CONSTANT,Le Robinson antillais. De Daniel Defoe à Patrick Chamoiseau, 2015. Tiannan LIU,L’image de la Chine chez le passeur de culture François Cheng, 2015.
Danièle Beltran-Vidal
Bernanos, Jünger, Teilhard de Chardin
Quatre ans dans la tranchée : survivre et écrire
Du même auteur Chaos et Renaissance dans l’œuvre d’Ernst Jünger, Bern, Peter Lang, 1995, 398 p. Images dʼErnst Jünger(éd.), Bern, Peter Lang, 1996, 180 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°1-1996 –Visions et visages d’Ernst Jünger, coéditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 1996, 244 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°2-1997 –Ernst Jünger et la littérature européenne, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 1998, 246 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°3-1998 –Ernst Jünger, Friedrich Georg Jünger, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 1999, 224 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°4-1999 Regards sur la Grande Guerre à Laon, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2000, 250 p.Les Carnets Ernst Jünger. N°5-2000 La figure du héros en Europe au début du e XX siècle, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2001, 250 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°6-2001 Les frères Jünger et la révolution conservatrice allemande, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2002, 226 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°7-2002 Exil intérieur / Innere Emigration, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2003, 218 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°8-2003 Mélanges offerts à Julien Hervier, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2004, 254 p. Les Carnets Ernst Jünger. N°9-2004 Les correspondances d’Ernst Jünger et autres essais. Ernst Jünger - Bibliographie. Supplément 1, éditrice, Montpellier/Gap, CERDEJ, 2005, 218 p. Les Carnets Ernst Jünger.N°10-2005 -Aspects de la recherche universitaire française sur l’œuvre d’Ernst JüngerCERDEJ, 2006,, éditrice, Montpellier/Gap, 228 p. Les Carnets Ernst Jünger.N°11-2011 –Ernst Jünger im Dialog. Dialogues d’Ernst Jünger, coéditrice, München, Belleville-Verlag, 2011, 346 p. Les mots de la santé(1)-Influences des sociétés et des cultures sur la formation des mots de la santé,coéditrice, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2005, 252 p. Les mots de la santé(2) -Affaire(s) de goût(s),éditrice, Lyon, CRTT, 2009, 253 p. Les mots de la santé (3) -Mots de la santé et psychoses, coéditrice, Paris, L’Harmattan, 2011, 262 p.
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-12576-3 EAN : 9782343125763
À Paule et Roger Arnaud, mes parents.
Introduction
Dès la fin de la Grande Guerre, les historiens se penchèrent sur ce fait e 1 historique majeur à l’aube du XX siècle. Les « survivants » du conflit furent interrogés, mais leur expérience était d’une violence telle, qu’elle ne pouvait être véritablement comprise que par ceux qui avaient partagé le même sort. Pour les autres, ces témoins devenaient « inaudibles », tant les événements extraordinaires dont ils témoignaient étaient « irrecevables à l’aune de la compréhension ordinaire des 2 contemporains » . Les trois hommes dont nous évoquons la vie et l’œuvre dans les pages qui suivent ont ceci en commun d’avoir vécu la Grande Guerre au front sur toute sa durée, entrecoupée de brefs séjours à l’Arrière en raison de blessures ou de courtes permissions. Jünger combattit sur le front allemand, Bernanos sur le front français 3 Teilhard fut brancardier et aumônier . À ce premier point commun, quatre années passées sur le front, s’ajoutent leur talent d’écrivain et la volonté de témoigner. Ils tirent une « leçon » personnelle de la guerre qu’ils souhaitent transmettre, quand bien même ils se heurteraient à l’incompréhension de leurs contemporains.
Comme on le sait, Jünger écrivit de très nombreux textes sur la guerre, ce qui ne fut pas le cas de Bernanos. Quant à Teilhard, ses réflexions sur la guerre et son expérience au front sont contenues essentiellement dans les lettres, qu’il adressa à sa cousine durant cette période de quatre ans, documents précieux, écrits sur le vif, à une personne qui ne faisait pas partie de la communauté des soldats. Voilà pourquoi ses remarques et réflexions nous sont aujourd’hui plus accessibles que les textes de guerre de Jünger, écrits pour les anciens soldats. On peut alors se demander quels pourraient bien être les points de rencontre supplémentaires qui existeraient dans les œuvres de ces trois hommes, et aussi dans leur vie, puisque la guerre une fois terminée, chacun prit une orientation différente et une décision divergente quant à l’écho qu’il comptait accorder dans son œuvre future à son expérience
passée. Jünger choisit de beaucoup en parler, Bernanos n’y revint que beaucoup plus tard. Teilhard y consacra quelques pages en 1919 et il s’en tint là. Certes, mais c’est sans mesurer l’intensité du choc subi durant ces quatre années qui les marqua à jamais, dont on peut déceler l’empreinte dans les ouvrages qu’ils publièrent par la suite, alors qu’il ne s’agit plus de la guerre. Les écrits de Teilhard, qui seront retenus dans le cadre de ce livre, sont ceux qu’il rédige lorsqu’il « raisonne en homme », en scientifique, plus que ceux dans lesquels il « parle en 4 chrétien », en tant que prêtre . Cette dichotomie, établie par lui-même, a l’avantage de préciser les limites de cette étude.
Une épreuve d’une telle violence, sur une durée aussi longue, le même lieu, le même théâtre des événements, un tel déchaînement de forces, de moyens, de destructions, jusque-là impensables, ont forcément une répercussion déterminante sur la pensée. Tant et si bien que les écrits si différents des trois auteurs s’éclairent mutuellement. Par de-là les privations, les souffrances, l’horreur, et l’effroi, la principale caractéristique du monde du front est pour chacun d’être 5 confronté à la mort omniprésente et menaçante . Chaque soldat sait, qu’à tout moment, il devra faire le deuil de camarades et s’apprêter à mourir. « Ceux qui n’ont pas failli mourir n’ont jamais aperçu 6 complètement ce qu’il y avait devant eux… », écrit Teilhard, la proximité de la mort sur le champ de bataille l’engage dans la voie choisie encore plus fermement pour le restant de sa vie. L’expérience extrême faite sur le front touche les tréfonds de l’homme et l’on voit bien que la nationalité n’est qu’un attribut secondaire et superficiel de l’être humain. À l’issue de la guerre, il y eut les vainqueurs et les vaincus, ce ne fut pourtant simple ni pour les uns, ni pour les autres, de se remettre à vivre à l’intérieur d’une société nouvelle, transformée, que ce soit en France ou en Allemagne.
Au début du conflit, tous trois sont prêts, par patriotisme, à faire le sacrifice de leur vie sur le champ de bataille, ce qui ensuite se traduira dans leurs œuvres futures par un jugement positif sur la mort au champ 7 d’honneur . On pourrait dire que, durant ces quatre années, ils ont appris à mourir, or, comme l’écrit Montaigne, « Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Le savoir mourir nous affranchit de toute 8 subjection et contrainte » . Tous trois feront preuve en effet d’une grande liberté dans les décisions qu’ils prendront au cours de leur vie.
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Ils deviennent, comme Bernanos le dit de lui-même, des « aventuriers », des « aventuriers de l’esprit », voulant boire le calice 9 de la vie jusqu’à la lie . Durant les journées terribles de la guerre, ils ont parcouru un chemin dans leur cœur et dans leur tête au bout duquel se trouvait l’acceptation de l’inéluctable. La disparition de leurs 10 camarades, souvent si proches , leur faisait sillonner à nouveau ce chemin au bout duquel se trouvaient à la fois la perte, le deuil et l’inévitable mort à laquelle ils se préparaient, chemin tout intérieur qui 11 ébranlait leur être . « Nous ignorerions que nous sommes mortels si nous n’avions pas vu mourir », écrit l’ancien combattant Joë Bousquet, et il ajoute : « Nous ne nous sentons pas mortels mais semblables à ceux 12 qui meurent . » « Vivre sa propre mort et survivre » résume Maurice Genevoix en ajoutant : « ce souvenir m’a suivi constamment, comme 13 une trame enlacée à la chaîne de mes jours . » Au cours de ce cheminement, l’absence physique de certains de leurs camarades, qui formaient sur le front « leur famille », reste présence effective dans leur monde intérieur, présence d’une telle intensité que, pour eux, à ce moment précis de leur vie, « le monde est composé des vivants et des morts », sentiment qui les habitera désormais. Joë Bousquet écrit en 1946 : « Des amis morts depuis trente ans errent dans la ruelle, en parlent au passé, comme ils parlent d’eux-mêmes, sans entrain, mais avec une sorte de tristesse allégée, le sentiment mélancolique des morts 14 pour qui la mort n’est ni une crainte ni un secret . » La seule vraie place pour un ancien combattant, « la seule place », écrit Georges Bernanos plusieurs années après, « que les gens de l’arrière ne nous ont jamais disputée, c’est celle qui nous revient de droit auprès de nos compagnons morts. […] Ce qui nous unissait si fortement les uns aux autres n’a pas besoin d’être dit, l’esprit de fraternité dont nous avons vécu était un don, une grâce, nous ne savions pas que nous l’avions reçu, et ceux qui l’ont perdu depuis seraient bien empêchés de préciser à quelle heure et à quel moment. Il nous reviendra le jour où nous serons de nouveau détachés de tout, comme nous l’étions jadis – non pas résignés, mais détachés – prenant chaque jour et chaque nuit comme un présent gratuit du destin, une faveur qui ne nous était nullement due. Nous étions frères, réellement frères, parce qu’il nous paraissait aussi naturel de partager la vie et la mort, qu’un colis, une boîte de conserve, la dernière poignée de tabac réduite en poudre au fond de la poche et qui puait le chiffon 15 brûlé » . 9
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