Des noms et des gens en République
247 pages
Français

Des noms et des gens en République , livre ebook

-

247 pages
Français

Description

Il ne suffit pas de regarder les mots à travers la vitre ; il faut ouvrir leur fenêtre. Suivons le conseil d'Alain Rey. Comment, au début de la 3ème République, se nomme-t-on et désigne-t-on les autres, proches ou adversaires ? Et cela non seulement au niveau de la haute parlure, qu'elle soit officielle ou polémique, mais aussi et surtout au niveau de l'expression populaire, sur le plan des définitions comme des mythes. Par les fentes du discours révélées dans l'affrontement social, on observe au mieux la langue en action.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2010
Nombre de lectures 68
EAN13 9782296246355
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EN GUISE DE PREFACE

Comment présenter Maurice Tournier, linguiste social,
explorateur passionné du sens et de l’histoire des mots, fondateur en
1980 de la revueMots – Les langages du politique, analyste de
discours et spécialiste de lexicométrie, écrivain-chercheur aux
multiples talents? Peut-être devrait-on simplement lui rendre
hommage pour ce qu’il nous a donné à ce jour: le foisonnement de
ses articles sur la langue et ses éclaircissements minutieux sur le
vocabulaire que nous utilisons au quotidien ; sesPropos d’étymologie
socialetraversés de questionnements qui dévoilent sans tabou les
richesses des signes énoncés jour après jour au cours des siècles,
richesses des origines, des évolutions, des interprétations, des
contextualisations..., et laissent entrevoir un trésor d’usages que
chacun est invité à s’approprier sans retenue ; la poésie de ses romans
et la générosité qui en ressort, reflet d’une personnalité chaleureuse,
ouverte au monde…
Tous ces éléments, nous les retrouvons dansDes noms et des
gens en République (1879-1914), un ouvrage décisif pour la
compréhension de notre langue, celle que nous utilisons aujourdhui et
qui se voit éclairée par cette approche socio-historique extrêmement
rigoureuse. Pour composer ce texte dense qui nous convie à la fois à
une lecture de découverte et à une réflexion plus approfondie sur le
sens, Maurice Tournier a bénéficié de la précieuse collaboration de
deux de ses anciens élèves, Simone Bonnafous et Jean-Paul Honoré,
qui l'ont aidé dans l'accumulation des lectures et de quelque 10.000
attestations et qui ont participé de près à la rédaction de contributions
préalablement publiées.Il avaitégalementreçulesoutien de Pierre
Muller, compagnon de route dulaboratoire de lexicométrie etde
lexicologie politique de l’ENS de Saint-Cloud etcréateur,sur lespas
deslinguistesmathématiciensPierre Lafon etAndré Salem, d’un
logiciel permettantl’accèsdesenseignantsauxméthodes
lexicométriquesd’analyse des textes.
Ce livre estdoncun essai particulièrementdocumenté, qui
décrit, explique, décortique etanalyse levocabulaire politique,
syndical et social de latrentaine d’annéesquis’écoule de 1879 à
1914, àtraversla désignation desacteurs sociauximpliquésdansla
construction de la République renaissante. Iltraque, recense etexplore
lesnoms– l’auteur propose : les« labels» –qui naissent, quivibrent,

7

qui vivent et parfois disparaissent, dans l’alchimie des contacts, des
regroupements comme des affrontements, témoins des soubresauts de
l’Histoire.Les tableauxrécapitulatifs, qui donnent un accèsaisé à
l’ensemble des termesrecueillisgrâce auclassementalphabétique,
favorisent une appréhension à la fois synthétique etchronologique de
cevocabulaire dontnombre de fragments subsistentde nosjours. La
présentation de l’ouvrage entroisparties: lesregroupeurscollectifs,
lesdésignants sociopolitiques, lesmarquagesidéologiquesetaffectifs,
facilite égalementl’approche etla compréhension de ces vocables
imagés, pleinsde créativité etde représentativité, qui nonseulement
nommentmaisaussi catégorisentouévaluentlesgroupesoules
individusqu’ilsdésignent.
Ducoup, cetouvrage – qui pourraitparaitre arduà
desnonspécialistesde lexicologie oud’étymologiesociale –se litcommeun
roman, danslequel lesmotspoursuivisetdénichésaucœur des
journaux,sur les tractsetdansleschansons, danslesdiscoursde
tribune oula polémique de rue, mais surtoutau sein de la parole
populaire, deviennentdespersonnages, plusoumoinsimportants,
dontlesapparitionsparfoisfréquentes, parfoisinopinées, nouslaissent
envisagerun parcoursinsolite,unetrajectoire complexe,une évolution
inédite :la foison des usages. Chargéesde connivences,
desousentendus, de non-dits, de connotations, lesappellationsmisesà jour
dansDes noms et des gens en Républiquesemblentprendreviesous
les yeuxdulecteur. Lestyle alerte de la rédaction, l’exploration
méthodique des symbolesetdesmythesfondateursde la République,
lesinnombrableséchosaux vocablesanciensoucontemporains,
renforcentcesentiment.
On ne peutdèslorsqu’inviter à la plongée danscet univers
socio-historique qui permetà chacun de mieux saisir la fonction
politique desmotsaumomentde leur actualisation comme aufil du
temps. Témoinsde l’Histoire ?Certes. Mais toutautantfaiseurs
d’histoire(s). Passeursd’idéeset vecteursd’émotions, de colères, de
révoltes, d’injustice oud’insoumission. C’est toutcela que letexte de
Maurice Tournier nousfaitdécouvrir. Nous souhaitonsqu’il persévère
danscettevoie peuexplorée de redécouverte dupassé etqu’il puisse
bientôtnousguider àtraversles«trentaines»suivantes: 1914-1945
(Des noms et des gens, d’une guerre à l’autre),1946-1975 (Des noms
et des gens, entre «guerre froide» et «trente glorieuses»),
19762008(Des noms et des gens, face aux crises d’une fin d’époque).

8

Eléonore Yasri-Labrique

INTRODUCTION

« Les mots sont des fenêtres. C’est un peu comme
dans les tableaux de Magritte. Il faut les ouvrir. »
Alain Rey, radio France-Inter,29.10.2001, 9h50

Faire l’histoire desmotsn’estpasfaire de l’histoire.Bien
plus souvent, il s’agit de creuser leur mémoire, c’est-à-dire
d’examiner leurs emplois en situation, à la recherche de projets, de
clichés et de mythes, de souvenirs ambigus, de référents fluents, de
valeurs sémantiques et d’évaluations morales ou culturelles
différentes. Par qui, par quoi ces mots sont-ils «habités » ?À qui, à
quoi ont-ils servi ?Pour quellesraisons,toujoursplurielles, ont-ils
« pris» ouéchoué, changé de direction, de référent, de connotation,
d’appropriatD’où vienion ?tqu’ils trahissent toutautantqu’ils
traduisent? À quellesfonctionsleurs usagesobéissent-ils? Quel rôle
leur fait-on jouDaner ?squel contexte de discoursetdansquelsite
d’emploi ?

Ce genre de questionsconstitueune bonne partd’un
1
programme d’« étymologiesqociale »uise donneraitpourtâche non
la recherche de lavérité desévènementsetdescausesmaiscelle de la
réalité humaine dudiscoursqui lesparle etoù se réfracte le passage
deshommesetdu temps. Plusencore quetémoins(oufaux-témoins),
lesmotsdont, plusoumoins, noushéritonsformentles tracesdes
représentations sociales,voire desclichés, qui ontanimé lascène des
conflitsetdespactes, despeurs, désirs, haines, enthousiasmesou
consensus, desidéesaussi, parfois, qui ontfabriqué letissudu sens.

1
Sur le conceptd’« étymologiesociale »,voir M. Tournier,Des sources du
sens. Propos d’étymologie sociale 3,Lyon, ENS-Éditions,2002[PES3],
p. 11-46.
9

Depuis1879,troisrépubliques successivespermettentde
mettre à jour,sinon lescontroversespolitiquesdes sièclesderniers, du
moinsleur mémoire ouleur légende, portéespar lesmots. Mêléesà
tantd’autres... Pourquoi ne pasrechercher le discoursrépublicain plus
hautdansletempsque cette limite de 1879 ?Nous verronsen effet
des tracesanciennes, revisitées, apparaitre danslesmentalitésetles
discours, desparolesdes« Philosophes», de la Révolution etde la
première République puisdesQuarantehuitardsde la deuxième
République, desCommunards,toutproches... Les travaux sur le
vocabulaire ne manquentpaspour cespériodes, des thèsespionnières
de Michel Launay visantlesmotsetlesidéespolitiquesde Rousseauà
celle de Jean Duboisillustrantlevocabulaire de la Commune et ses
2
antécédances. Continuonsdanslavoietracée.

Onsaitquetoute périodisation n’estqu’une reconstruction de
l’esprit ;l’histoire estfluide etcomplexe,toutinterpénétrée par
ellemême, le passétissé auprésent, neserait-ce que danslesarrière-plans
desénonciations. Cependant, pour ce qui estfondade la «tion
républicaine » dontnoushéritons, la date de 1879 parait s’imposer. À
lasuite d’un retour discret, par la petite porte d’un amendement
constitutionnelvoté en 1875 àune majorité minuscule, c’esten 1879
que la France devientenfin –selon

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents