La lecture à portée de main
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Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 septembre 2010 |
Nombre de lectures | 76 |
EAN13 | 9782296261655 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 2 Mo |
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Extrait
Durasd’une écriture delaviolence
au travaildel’obscène
AliceDelmotte-Halter
Durasd’une écriture delaviolence
au travaildel’obscène
Textes-limites,récitsdesannées80
Préface de
Fabienne Durand-Bogaert
L’Harmattan
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN:978-2-296-12402-8
EAN :9782296124028
Auxlucciole,
femme gauchère,
le juif errant de trente ans.
« J’ai beaucoup parlé de l’écrit.
Je ne sais pas ce que c’est. »
La Vie matérielle,p. 37.
Préface
Dans les années 1980, Marguerite Duras, d’auteur reconnu – au point
que son nom se transporte de par le monde sous ses seules initiales –
devient personnage scandaleux. La M.D. dumi-dit, des demi-teintes dont
la rétine garde le souvenir longtemps après lavision d’India Song, de ces
dialogues ténus dans lesquels l’ellipse laisse aulecteur toute liberté
d’interprétation, se fait, en l’espace de quelques livres, quelques articles
pour la presse, affirmative,violente, parfois forcenée. On ne se
demandera pas ici ce qui s’est passé, laissant à d’autres, auxbiographes
peut-être, le soin et la responsabilité de rationnaliser les motifs du
tournant.
Mais passage ilya, etinscriptiondupassage sous la forme de textes
ici nommés, par l’auteur des pages qu’onva lire, «textes-limites ».Il
faut entendre l’appellation dans ses multiples résonances. Ausens littéral,
d’abord :M.D souffre, pendant ces années, l’alcool la tient, le désir la
tourmente, l’amour la blesse, l’âge la défait et sans doute répond-elle par
l’excès à l’évidente approche de la mort. S’il n’est pas de répit, dans le
monde qu’elle s’est composé, il est aumoinsune manière de stabiliser le
rapport à la lutte en l’encadrant parune pratiqu: la poe concrèteursuite
de l’écrituÇare, même si écrire – «va très loin, l’écriture… Jusqu’à en
finir avec »(Écrire) –, loin d’offrir l’apaisement, reconduit
quotidiennement le carnage interne. « Limites », les textes analysés ici le
sont donc d’abord parce qu’ils assignentune borne auxdébordements en
tous genres de la souffrance. L’excès est aumoins nommé, circonscrit.
La négociation peut être entamée.
Duras d’une écriture de la violence au travail de l’obscène
L’affaire n’est pas mince: il ne s’agit de rien moins que de faire
transiter vers une lumière crue, impitoyable toutes ces choses que la
pudeur, l’hypocrisie sociale, le bon goût – qui n’est jamais que la face
visible de l’aspiration au confort – taisent d’ordinaire ou enrobent de
circonlocutions mielleuses. L’inceste (Le Monde extérieur, 1993), la
prostitution (La Maladie de la mort, 1982;La Pute de la côte normande,
1986), le sado-masochisme (L’Homme assis dans le couloir, 1980), la
barbarie («Sublime, forcément sublime», 1985) ne sont, Christine V.
que quelques-uns des thèmes auxquels M.D. se mesure alors, révulsant la
critique journalistique et, ce qui est plus grave, suscitant de la part de la
critiqueuniversitaireun étrange et coupable silence.
De ce silence, le présent essai offre entière réparation. Le scandaleux,
l’obscèneysont débusqués, très loin des habituels et pesants clichés. Car
ces textes-limites ne sont pas la pustule purulente qui, se greffant sur
l’œuvre par ailleurs incontestée d’un grand écrivain, en serait
l’affligeante défiguration. Ils n’ont pas cette marginalité-là, qui porterait
à tort à les retrancher, les abstraire dureste de l’œuvre. Bien au
contraire :la limite en question est aussi ce quifait lienavec les textes
antérieurs. La différence est d’une langue nouvelle, inventée pour leur
propos, et que d’aucuns ont trop hâtivement taxfacile ».Mais àée de «
travers eux, M.D. poursuit les mêmes impératifs d’intégrité, d’honnêteté
et de recherche de l’humanisme qui ont, de tout temps, guidé son
écriture.
Une surprise attend le lecteur, la lectrice de ces pages: je ne la
dévoilerai pas, me contentant d’en suggérer la teneur. Elle concerne la
langue par laquelle Alice Delmotte-Halter déplie soigneusement et
rigoureusement chacu:ne des facettes et des implications de l’obscène
l’écart sensible entre le thème traité et la manière de le traiter. Ce qui se
joue, là, entre sauvagerie et délicatesse.
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Fabienne Durand-Bogaert
École des Hautes Études.
HAC 1962
HAC
LYV
E80
O
MM
CV
PCN
VM
ME
Abréviations
«L’Homme assis dans le couloir»,de Marguerite Duras
reproduction de l’édition originale [L’Arc, 1962] dans
Stéphanie Anderson,Le Discours féminin de Marguerite
Duras, Genève : Droz, 1995, p. 185-189.
L’Homme assis dans le couloir, Paris : Minuit, 1980,36 p.
Marguerite Duras: Les Yeux verts, numéro spécial des
Cahiers du cinéma, n°312-313, juin 1980, coord. Serge
Daney, Paris : Éditions de l’Étoile, 99 p.
L’Été 80, Paris : Minuit, 1980, 101 p.
Outside :Papiers d’un jour[1981], Paris: P.O.L, 1984,
298 p.
La Maladie de la mort, Paris : Minuit, 1982, 61 p.
« Sublime, forcément sublime, Christine V.» [Libération
du17 juillet 1985],: MargueriteCahiers de L’Herne
Duras, n° 86, dir. Bernard Alazet et Christiane
BlotLabarrère, Paris : L’Herne,2005, p. 69-73.
La Pute de la côte normande, Paris : Minuit, 1986,20p.
La Vie matérielle: Marguerite Duras parle à Jérôme
Beaujour, Paris : P.O.L, 1987, 159 p.
Le Monde extérieur: Outside 2, textes rassemblés par
Christiane Blot-Labarrère, Paris : P.O.L, 1993,227 p.
Introduction
Du point de vue, des lieux communs
On a beaucoup parlé de Duras. De l’amour. De l’alcool. De son
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« narcissismede midinette » voire de ses «sereines impudeurs ».
Nombre de textes critiques témoignent de réactions fortement affectives
face àune œuvre dont l’inscription dans le concret reste ambiguë.
Fascination pour le texte ? L’auteur ? Identification biaisée dulecteur (de
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la lectrice) à des personnages à la psyché ouvertement subversive? Car
si Marguerite, de sonvrai nom Donnadieu, refuse l’autobiographique, si
l’histoire de savie n’existe pas, elle n’hésite pas à proclamer dans le
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même moment que «ce qui m’émeu» mais at c’est moi-mêmeussi que
le subjectif reste le seul moyen d’accès authentique à lavérité comme à
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l’universel . Une telle dilatation de l’être de l’auteur s’inscrit aussi bien
auniveaulittéraire que métalittéraire, par le caractère fictionnel de plus
en plus équivoque de ses romans, ouencore parune surexposition
1 Laure Adler,Marguerite Duras, Paris : Gallimard, 1998.
2Frédéric FerneyD, «uras l’inconsolable»,Le Nouvel Observateurdu vendredi29
avril 1985, p.69.
3Sur les lectures identificatoires des textes durassiens,voir en particulier Jean-Marc
Talpin, «La fonction psychique dulecteur dans la poétique durassienne », dansAlain
Vircondelet (dir.),Actes du colloque Marguerite Duras de Cerisy-la-Salle,23au 30
juillet 1993: Écrit, Parisure, 1994 (p. 117-141), et Julia Kristeva,:Soleil noir
dépression et mélancolie, Paris : Gallimard, 1987.
4ME, p. 75.
5 Voir entre autresO, p. 194.
Duras d’une écriture de la violence au travail de l’obscène
médiatique quiva croissant après la parution deL’Amant. Dès son
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passage àApostrophe, la romancière doit davantage son renom aux
scandales qu’elle est capable de générer qu’à la reconnaissance par le
public de ses talents littéraires.Elle le sait et en joue elle-même lors ses
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entretiens pourLe Nouvel Observateur. Duras c’est le mauvais genre,
l’outrance. Elle plaît ouelle agace. Omniprésente, omnipotente, elle
règne comme Dieudans la Création. La lecture de ses romans devient
alors indissociable d’elle, de sa personne, dupersonnage qu’elle se fait.
Et comme elle le dit si souvent, les gens achètent ses livres, certes,