Le Rire sardonique
98 pages
Français

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Le Rire sardonique , livre ebook

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Description

Sans doute la plus ancienne terre émergée du bassin méditerranéen, la Sardaigne a connu, près de deux mille ans avant notre ère, une civilisation qui fonctionne aujourd'hui à l'instar d'une mythologie. Une coutume était l'élimination des anciens par les jeunes qui se contraignaient à feindre un rire qui était un rictus obtenu à partir de l'euphorbe, dite "herbe sardonique". C'est le fil rouge de ce "rire sardonique" que l'auteur déroule dans une évocation de la nature, des hommes, des idées, des mythes, des tabous, des grandeurs et misères de l'identité sarde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2014
Nombre de lectures 21
EAN13 9782336362762
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Copyright





















Titre original : Il riso sardonico
© Les ayants droit de Francesco Masala
© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-71287-1
Titre

Francesco Masala






Le Rire sardonique

Chroniques d’ une Sardaigne amère et aimée

Traduit de l’italien (Sardaigne)
par Claude Schmitt
Du même auteur


Du même auteur

Le Braconnier et autres poèmes de Sardaigne, Actes Sud, 1984
Le Curé de Sarrok, Actes Sud, 1989
Ceux d’Arasolé, Zulma, 1999, 2005 ; Pocket, 2000
Sommaire
Sommaire Couverture 4e de couverture Copyright Titre Du même auteur Sommaire Introduction au mythe Le rire sardonique « Mammutones » et « insokatores » Les funérailles de Carnaval Le jeu des clôtures Lamento politique L’île du silence La mère des pierres Un peuple à la langue coupée Le chef de tribu L’homme au chapeau vert Mort d’un poète Une relecture de Grazia Deledda Postface Adresse
Introduction au mythe
Il existe un mot, dans la langue sarde, qui porte en lui de nombreuses significations : « su connottu », le connu, l’expérience du passé, la mémoire historique collective, le code non écrit, la tradition populaire : le mythe populaire, en somme.
Dans une société telle que la société sarde, toujours vaincue , qui n’a jamais fait l’« histoire », mais a toujours été un « objet historique » entre les mains des vainqueurs, toute l’expérience existentielle se stratifie en mythe .
L’expression « mythe populaire », employée ici pour éviter l’expression exotique et dégradée de folklore, veut signifier, du moins pour ce qui concerne la terre de Sardaigne, non pas épave du passé , mais permanence du présent , non pas évasion de la réalité , mais réappropriation de la réalité : tel un fleuve, un mythe entraîne la mémoire des choses depuis la source du passé jusqu’à l’embouchure du présent.
C’est précisément dans le sens de conception du monde particulière qu’il faut entendre la tradition populaire des Sardes, peuple insulaire et isolé , cloîtré en lui-même parce qu’il a découvert, à travers des millénaires de dominations étrangères, son impossibilité d’être égal aux autres sur le plan politico-culturel, et par conséquent porté à élaborer des mythes et des rites qui sont les révélateurs ethnique et éthique de sa civilisation : tradition populaire comme résistance, finalement, à la violence des forces extérieures qui ont sans cesse essayé d’extirper la langue et les valeurs internes pour imposer la langue et les valeurs externes des vainqueurs. Une tradition populaire entendue, en fait, comme une histoire des vaincus . Sans doute n’est-il pas facile de déchiffrer les codes millénaires de cette histoire non écrite , de décoder les stratifications de cette géologie qu’est l’âme collective de la nation sarde , d’interpréter l’ ethnos et l’ ethos de l’homme sarde, sa dimension, son existence, ici et maintenant, d’expliquer les permanences, leur donner un sens, retourner aux sources, alors que l’homme sarde sacralise les « faits » de sa condition existentielle et de son implacable destin à l’aide de mythes et de rites qui paraissent être des incunables de l’antiquité, mais ne le sont pas.
Il est permis d’accepter, du moins en tant qu’hypothèse, l’affirmation de D.H. Lawrence 1 selon laquelle l’homme sarde identifie son propre moi humain au moi cosmique, et conserve de propos délibéré son obscur paradis de l’ignorance , laissant le reste de l’Italie mijoter dans son enfer éclairé . Mais il est tout autant permis d’ajouter aussitôt qu’il y a aujourd’hui une certaine difficulté à réaliser tout cela, vu que trois divinités modernes s’emploient à l’« éclairer » : le Dieu Pétrole, le Dieu Ciment et le totem de Perdasdefogu, c’est-à-dire les missiles enfouis sous les « pierres de feu » 2 .
Une première remarque : en Sardaigne, le passage de la société rurale à la société industrielle s’est résolu en une énième opération colonisatrice contre le peuple sarde de la part de « ceux qui viennent de la mer » 3 . La prétendue révolution industrielle fut hors norme et informe : elle n’a créé ni richesse, ni travail, ni culture. Les cathédrales dans le désert 4 de l’industrie pétrochimique, en drainant tous les capitaux publics, ont totalement empêché le développement d’une agriculture moderne industrialisée.
C’est ainsi que « su connottu » , c’est-à-dire les antiques formes de l’économie agropastorale et l’ancien tissu socioculturel, demeure inchangé, et c’est précisément pour cela que la tradition populaire sarde continue d’élaborer ses productions comme superstructure culturelle inchangée d’une structure économique elle-même inchangée.
Un fil rouge relie donc les événements et les personnages de la dure réalité sarde aux images et aux représentations du rite et du mythe : les nuraghes 5 , les pierres levées, les maisons des fées, les statuettes en bronze, les tapis métaphysiques, les besaces abstraites, la « mastruca » 6 des « mammutones » 7 , le lasso (« soka » ) des « insokatores » , les cavalcades religieuses, les razzias profanes de bétail, les danses rituelles, le rituel matrimonial de la danse en rond (« su ballu tundu » ), les chansons d’amour – sérénades, aubades –, de désespoir (« disisperate » ), les berceuses (« anninnare-anninnia » ), les chants des travailleurs, les chants de mort (« s’attitidu » ), le « cycle de l’homme » (naissance, baptême, enfance, jeunesse, mariage, famille, vieillesse, mort), le « cycle de l’année » (les saisons, le travail, la fête), le « cycle de la culture » (droit, médecine, science, religion, magie, fables, proverbes, devinettes, jeux, jouets), en somme toute la tradition populaire de la nation sarde ancrée dans le temps et dans l’espace, dans une histoire concrète quotidienne : alternance du travail et de la fête, de l’amour et de la peine, de l’abondance et de la disette, du bien et du mal, de la vie et de la mort.
D’autre part, le peuple sarde, qui n’a jamais fait l’« histoire », connaît bien la « morale de l’histoire », laquelle est : l’ennemi vient toujours de la mer. Le mal qui vient de la mer est au cœur de la mémoire historique de la sardité : la malaria, importée par les Carthaginois ; les dogues, utilisés par les consuls romains contre les Sardes ; les razzias sanguinaires des Goths ; les incursions des Maures pour emmener dans leurs harems les blanches agnelles de lait ; les destructeurs chevaux verts des caballeros espagnols ; la cour des gibets du ministre piémontais Bogino, si « éclairé » qu’en sarde « su buginu » signifie le bourreau ; les enclos de pierre sèche de l’Edit de clôture (1820), criminelle privatisation des terrains communautaires sardes sous Victor Emmanuel I er ; la « chasse aux fauves » par les bersagliers continentaux qui, au XIX e siècle, tiraient les habitants de la Barbagia comme des sangliers ; les poignards des groupes fascistes qui vinrent de la mer pour couper le sifflet à Gramsci et à Lussu 8 ; jusqu’à l’ultime ennemi venu de la mer, le « pied noir de ce sale bouc » de Dieu Pétrole.
De là le refus, de la part des Sardes, de l’« histoire des vainqueurs », et leur propension à se réfugier dans leur propre « histoire de vaincus », c’est-à-dire dans leur tradition populaire, laquelle est, précisément, la synthèse, bien souvent mystérieuse et secrète, de leur longue et douloureuse réalité.
1 D.H. Lawrence (1885-1930) : l’auteur de L’Amant de Lady Chatterley est aussi celui d’un récit de voyage intitulé Sardaigne et Méditerranée (Gallimard). ( Sauf indication contraire, toutes les notes sont du traducteur.)
2 A Perdasdefogu (« pierres de feu »), sur la côte est de l’île, a longtemps été installé un polygone de tir expérimental de missiles de l’OTAN.
3 « Le diable vient de la mer » est un dicton sarde… qui dit bien ce qu’il veut dire !
4 Expression réactivée par Francesco Masala pour stigmatiser les installations de l’industrie pétrochimique sur le sol sarde.
5 Constructions cyclopéennes en forme de tronc de cône, remontant à plus de 1500 ans av. J.-C., dont on dénombre plus de 6000 vestiges sur le sol de l’île.
6 Veste en peau de chèvre.
7 Pour les deux expressions, « mammutones » et « insokatores » , voir page 19.

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