Le corps d Alexis (roman gay)
126 pages
Français

Le corps d'Alexis (roman gay) , livre ebook

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126 pages
Français

Description

Le corps d’Alexis

De Raphaël Moreno

À 25 ans, Constant est déjà un écrivain à succès. Au retour d’un voyage en Turquie où il espérait trouver l’inspiration, il s’éprend d’un garçon rencontré chez des amis. C’est Alexis dont il suit les virées nocturnes. Ce dernier confie à Constant ses détresses et ses espoirs d’une vie meilleure passée en sa compagnie. Alexis partage son univers. Il lui présente ses amis, pas tous recommandables, et l’initie au monde des rencontres virtuelles sur les réseaux Internet.
Une découverte réalisée par le biais d’une webcam bouleverse leur relation et plonge Constant dans le désespoir.
Malgré sa détresse, pourra-t-il puiser en lui la force nécessaire pour achever le livre qu’il avait commencé sur son histoire et celle d’Alexis ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2004
Nombre de lectures 5 042
EAN13 9782363070012
Langue Français

Extrait

 

 

 

 

Le corps d’Alexis

 

Raphaël Moreno

 

Roman

 

 

 

 

Éditions Textes Gais

31 rue Bayen

75017 Paris

http://www.textesgais.com/

editionstg@gmail.com

 

 

 

 

 

— Lâchez-moi. Vous êtes une brute !

— Non, dis-je. Je suis un homme.

 

Boris Vian

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1

 

 

L’homme m’ouvre la porte après m’avoir rincé à l’eau froide. D’un geste vif, il me montre le fond d’une salle aux murs recouverts de faïences. Il prononce quelques mots en turc et me pousse assez fort hors de la pièce.

La salle est un grand salon de thé. Des ventilateurs sont accrochés au plafond et une musique douce semble s’échapper de nulle part. Je finis par m’asseoir timidement à une table. L’eau suinte du carré en tissu, noué autour de la taille. À côté de moi, d’autres hommes attendent. Ils parlent russe pour la plupart ou allemand. Je ne suis plus étonné. On m’avait prévenu la semaine dernière lors de l’arrivée à l’hôtel : la côte sud de la Turquie est essentiellement fréquentée par des touristes russes ou allemands. Ne parlant aucune de ces langues, mes quelques phrases d’anglais scolaire m’avaient sauvé d’un mutisme certain. De toute façon, les deux activités qui résument mes journées, traverser la route pour aller à la plage ou se faire servir au restaurant, ne nécessitent aucune forme de langage particulier.

Et, aujourd’hui, je profite de mes dernières heures de vacances.

On m’apporte un thé à la pomme. Les masseurs se succèdent les uns après les autres, appelant les touristes par leur numéro. Mon tour vient rapidement, à peine le temps de finir la dernière gorgée brûlante de mon thé. L’homme m’entraîne dans un couloir sans fin où s’ouvrent de chaque côté les cabines de massages. On finit par entrer dans l’une d’elles. Au mur est fixé sur un vieux clou rouillé un poste radio qui grésille du folklore local. Des dessins représentant les points sensibles du corps humain sont affichés. L’endroit est exigu, mais convivial. Le masseur tire le rideau. Sans prononcer un mot, il enlève le carré en tissu qui me recouvre la taille et me fait signe de m’allonger sur le ventre. Je m’exécute sans broncher, pensant que j’ai bien fait de garder mon maillot de bain. Pourtant, la nudité ne doit sûrement pas l’effrayer, ses mains touchant des dizaines de corps dans une journée. Certains doivent le rebuter. Je me dis que je n’aimerais pas être à sa place. La vue de l’homme nu dans son excès doit finir par générer une indifférence et pétrir les parties du corps si librement reste dépourvu de tout érotisme.

Le masseur finit par se mettre torse nu et me regarde en souriant. Il me dit dans un anglais parfait qu’il est russe et n’a pas l’habitude de masser d’autres gens que des Russes. Je le regarde et souris à mon tour, balbutiant quelques mots d’étonnement puis plonge ma tête dans mes bras. Ce type est vraiment beau. Je m’étonne de ne pas l’avoir remarqué plus tôt.

Ses mains huilées glissent sur mon corps comme une caresse. En quelques secondes, elles me procurent une sensation de chaleur puissante, d’exister pleinement. D’abord les pieds, puis les jambes, j’ai l’impression de m’évader de mon corps. Il en prend possession entièrement, je m’abandonne, ne contrôle plus rien. Ce type est sur le point de me faire jouir, juste avec ses mains. Pour la première fois de ma vie, il me semble prendre conscience d’avoir un corps et cela me déstabilise. La chair ainsi pétrie et soumise me fait penser à la définition philosophique du corps : être considéré dans sa matérialité ; son extériorité perçue : corps propre, corps en tant qu’il est vécu par le sujet conscient qui l’habite. Pour définir la situation, j’aurais utilisé des mots plus simples comme : union de l’âme et du corps.

Au bout d’un moment, le type me tape doucement sur l’épaule et me fait signe de me mettre sur le dos. Le néon blanc du plafond m’arrache à mes définitions de dictionnaire et à mes rêves érotiques. Je reviens à la réalité pour constater que je ne suis qu’un corps allongé sous des mains qui en massent des centaines par semaine dans la plus totale indifférence.

J’en reste décontenancé. Je n’avais jamais réalisé qu’un corps comportait de pareilles inspirations. Moi qui avais fait plus de trois mille kilomètres pour réfléchir au prochain sujet de mon livre devant un coucher de soleil, je me mettais à penser dans l’humidité et la moiteur d’un hammam.

Il finit le massage par le visage ; ses doigts fins et délicats semblent en dessiner les contours. Je garde les yeux ouverts suivant dans son regard le minutieux travail. Quand il termine, il me relève et me demande si tout s’est bien passé. Je hoche doucement la tête, m’interrogeant si je peux considérer avoir fait l’amour avec ce type malgré l’absence de pénétration et la passivité totale de mon corps. D’une certaine façon, j’en conclus que je peux considérer que l’intimité du massage est identique à un acte sexuel et que le rideau tiré de la cabine représente la porte d’une alcôve. Ses mains ont touché chaque partie de mon corps sans que cela nous rebute ; par conséquent, nous avons fait l’amour.

Le masseur remet le carré en tissu autour de ma taille. Il me raccompagne au vestiaire, le bras autour de mon cou. Il me regarde une dernière fois et retourne au salon chercher quelqu’un d’autre. Le masseur est finalement un grand libertin ; aussitôt conquis, les corps se remplacent.

 

Une fois dehors, j’arrive à attraper du premier coup un taxi collectif. J’ai de la chance : la porte de sortie du hammam donne sur la place de stationnement des véhicules. Un coup d’œil aux villes qu’ils desservent, inscrites juste en bas du pare-brise et me voilà dans l’un d’eux. Je négocie pour presque rien mon retour à l’hôtel. En Turquie, on appelle ces engins des dolmuŚ, sorte de minibus généralement dix fois moins chers que le taxi traditionnel.

Ainsi, les chauffeurs ramassent au hasard de leurs itinéraires des dizaines de voyageurs le long des routes. Il n’est pas rare qu’un de ces taxis prévus pour quinze à vingt personnes roule avec le double. Si bien qu’une fois blindé à en faire péter la tôle, il ne s’arrêtera pas pour vous prendre, règle locale à mémoriser.

Quelques minutes d’attente pour les derniers touristes indécis et le moteur démarre enfin. Je m’assois à la seule place disponible. À côté de moi, une femme donne le sein à son gamin sans aucune gêne. Le paysage s’assombrit. La nuit va bientôt tomber.

Les villes défilent devant moi les unes après les autres. Elles se ressemblent par leurs chantiers gigantesques qui bordent la mer. On y construit de vastes complexes hôteliers pour accueillir les touristes en masse. Moi qui ai voyagé auparavant dans les terres de la Turquie, je ne suis pas choqué par ces tonnes de béton et ces tas de gravats. On a l’impression que tout le pays est en perpétuelle construction. C’est partout comme ça : les grues, les pelles et les ouvriers sont omniprésents.

La plupart des chantiers, notamment les routes et les bâtiments, restent inachevés. Comme si on remettait le travail à plus tard pour pouvoir construire ailleurs. Il n’est pas surprenant de croiser un panneau indiquant un centre commercial et de ne trouver qu’un squelette en béton ou un passage piétons souterrain sans issue. Après l’étonnement, on finit par en rire.

Le soleil cramoisi descend lentement derrière les montagnes qui surplombent la ville d’Alanya. Moment de grâce, vite suspendu à l’idée que j’ai encore mes bagages à faire.

La route se fait en silence ; les gens s’imprègnent du paysage. Je profite de mes derniers moments de calme. Mon corps huilé dégage une odeur douce et parfumée ; je la respire.

 

 

 

2

 

 

L’aéroport est bondé. J’erre dans les boutiques en duty free, histoire de passer le temps, malgré mon manque d’intérêt pour les parfums et les bouteilles d’alcool. Un touriste de l’hôtel faisant partie de mon groupe me dit que, dans cette galerie marchande située dans la zone d’attente, nous ne sommes nulle part. Ce n’est ni la Turquie ni la France, martèle-t-il. Nous ne sommes qu’un nom sur un passeport, c’est tout. Cet homme me fait franchement flipper, je le sens au bord de l’angoisse. Il a raison, nous ne sommes nulle part, jusqu’à l’embarquement.

Ma montre indique deux heures du matin. Je m’assois à une table d’un bar et je commande un café. Le prix est excessif, mais tant pis, je dois garder les yeux ouverts. Les vêtements collent à ma peau. Je n’ai pas voulu prendre de douche pour garder l’odeur de l’huile et les traces invisibles des étreintes du masseur.

Je regarde les gens qui passent devant moi avec les bras chargés de produits détaxés en tout genre. Ils se pressent d’une boutique à une autre de peur de manquer la bonne affaire. Je paie mon café avec les dernières pièces qu’il me reste. Impossible de ne pas fermer les yeux malgré le brouhaha et la caféine qui coule dans mes veines. Je résiste un instant et finis par m’écrouler, obéissant à l’appel de Morphée.

Définition du corps : ensemble des fonctions organiques et des organes d’un être animé, enveloppe charnelle de l’être humain.

Le masseur ferme le dictionnaire et me demande de m’allonger sur la table. Je suis nu. Lui aussi se déshabille complètement. Je me mets sur le dos et le regarde ; il s’avance, écarte mes jambes et fait couler de l’huile sur son sexe en érection. Le type vient sur moi, me pénètre d’un coup. Ses reins vont et viennent. Je prends son visage dans mes mains, il sourit, je vais jouir. J’ai envie de hurler. Je pétris son cul puis ses épaules et ses bras. Il ne s’arrête pas, garde le même rythme. Au bout d’un moment, il me demande dans un français parfait de me mettre sur le ventre et de tendre mon cul bien haut. Totalement soumis, je m’exécute.

Il me pénètre à nouveau. Ses mains se cramponnent à mes hanches. Ses coups de reins sont violents. Je manque de perdre l’équilibre sur la table étroite. Je tourne la tête et contemple son visage souriant de plaisir. Il me prend longuement et finit par jouir en moi dans un grand râle. J’entends son souffle qui s’accélère et la radio qui passe toujours le même folklore. Il me demande de me retourner et de le regarder. Le néon blanc m’arrache à la torpeur et à mes regrets ardents du plaisir passé. Le type se tient devant moi, le dictionnaire grand ouvert et lit : « Passer une épée au travers du corps. »

Il sort une épée assez longue et se met à frapper. Je hurle de peur et de douleur. Le sang gicle sur le carrelage blanc. Je sens ma peau qui se déchire sous les coups de la lame tranchante, mon corps partir vers la mort. Le regard du masseur est terrifiant, il va me tuer, il…

— Monsieur ! Monsieur !

J’ouvre les yeux en criant :

— Putain !

L’homme angoissé de l’hôtel qui me parlait du néant de notre existence en cette zone, s’arrête étonné.

— Excusez-moi, dis-je un peu confus. Vous m’avez sorti d’un cauchemar.

— Monsieur, on nous appelle. L’embarquement est immédiat.

Je me lève rapidement et me dirige vers le dernier contrôle. Une fois le détecteur métallique franchi, l’hôtesse me fait signe de me dépêcher. L’odeur de l’huile parfumée s’échappe de mes vêtements. Je ne veux plus la sentir, elle semble m’enivrer de haine. J’ai envie d’une douche. Dans quelques heures, je serai à Paris.

 

 

 

3

 

 

Le métro s’arrête à la station Daumesnil. Il vomit toutes les trois minutes son lot d’usagers monotones. Je retrouve la crasse, la grisaille, les musiciens qui essaient de sortir en vain une bonne note de leur instrument et qui vous demandent à la fin une pièce « pour la musique ». Triste contraste avec ma peau dorée et ma tête vide. Je sors de la station traînant ma valise à roulettes. Un courant d’air froid me glace les os, j’avais oublié qu’on approchait de l’automne. Je remonte la rue sans lever la tête, guidé par l’habitude. Les quatre heures de vol et l’attente aux aéroports m’ont épuisé. Je vais profiter de l’après-midi pour dormir.

L’ascenseur s’arrête au cinquième étage, je manque de m’endormir la tête contre la paroi. Je cherche mes clés, ouvre la porte, me voilà enfin chez moi après une semaine de déconnexion. Je pose ma valise et me déshabille aussitôt. Mon corps dégage une odeur de sueur. Mauvaise sensation, comme celle de s’être endormi habillé.

L’eau chaude de la douche m’apaise. Je reste une heure debout et sans bouger dans une sorte de léthargie. Quand j’arrête le robinet, je m’aperçois que la salle de bains est plongée dans le brouillard de la vapeur qui me rappelle les hammams turcs. La douche m’a épuisé un peu plus. Mon corps tremble de froid et le sommeil m’aspire comme un lavabo qui se vide. Cette fois, c’est sûr, je ne peux plus lutter. Je me dirige vers la chambre. Mon corps tombe d’un coup sur le lit. Mes yeux se ferment enfin.

 

La mélodie harmonique du téléphone m’extirpe d’un sommeil de plomb. Mon regard se pose sur les chiffres rouges du radioréveil. Je tends machinalement le bras vers le combiné et décroche. Ma voix est rauque et endormie.

— Allô ?

— Constant ? C’est Martial ; qu’est-ce que tu foutais ? Ça fait au moins cinq minutes que ça sonne dans le vide, t’as oublié de mettre le répondeur ?

— Minute, j’ai passé quatre heures dans un avion à essayer de dormir la tête plaquée sur le siège d’en face, autrement dit, je n’ai pas fermé l’œil. Et là, tu vois, j’ai retrouvé mon lit et je rattrape enfin mes heures de sommeil perdues.

— Désolé, je ne voulais pas te réveiller.

Je regarde à nouveau le réveil : les chiffres digitaux affichent 19h00. Je dors depuis des heures et je me sens toujours aussi ramolli.

— Tout s’est bien passé là-bas ? T’as trouvé l’inspiration suffisante pour écrire ton prochain livre ?

— Ouais, je te raconterai tout ça la prochaine fois.

— Justement, y a une soirée chez moi ce soir, t’as pas oublié ?

— Oh merde, je n’y pensais plus.

— Tu viens toujours ?

— Ben… Je sais pas trop, laisse-moi émerger.

— Allez, tu peux pas me faire ça !

J’avais oublié ma promesse avant de partir, celle d’avoir répondu favorablement à son invitation. Si Martial me rappelle aujourd’hui, c’est qu’il doit tenir à ma présence ce soir.

— C’est d’accord ! À quelle heure ?

— À partir de 21h00, mais ne viens pas trop tard.

— Ne t’inquiète pas, je serai dans les premiers comme d’habitude.

— Génial ! À tout à l’heure.

— Tchao !

Je raccroche d’un coup sec ; j’ai toujours eu horreur de me faire réveiller par le téléphone. Je m’étire en regardant le plafond. Vraiment pas envie de bouger, même avec parcimonie. Je reste quelques minutes au lit à émerger et me lève enfin. Je me dirige vers la cuisine et me fais couler un café. Les yeux rivés dans le noir de la tasse, je pense avec regret aux mains de mon masseur. Rares sont les hommes qui m’ont fait autant de bien.

Et voilà, les questions d’avenir commencent à fuser dans mon esprit : célibat, solitude, liaison d’un soir… Il faut que j’arrête de penser ou mes idées deviendront vite aussi noires que ma tasse de café.

 

Je cherche en vain une tenue originale pour l’anniversaire de Martial. Je finis par opter pour un jean délavé et un pull à col roulé. Je décide de reprendre une douche. J’allume la radio pour les infos : une voix grave et lancinante s’échappe du transistor comme un appel suppliant. Barbara chante « La solitude ». Seraient-ce les prémices de la soirée à venir ?

 

 

 

4

 

 

Je vais arriver en retard chez Martial. Je n’ai pas voulu partir sans ranger ma valise et trier les messages laissés sur mon portable. Sans compter que, le soir, les métros sont plus rares. Je n’aime pas prendre les transports aux heures tardives, les stations sont glauques. Les quais laissent passer des wagons non éclairés rentrant au dépôt. Ils roulent devant vous sans s’arrêter, charriant leur aspect froid et morbide dans un fracas métallique.

Arrivé à la station, je saute le tourniquet en appuyant de toutes mes forces sur mes bras, pas le temps de fouiller dans les poches pour retrouver le coupon. Parfois, il m’arrive de faire la même chose en pleine journée dans les stations très fréquentées. Là où vous êtes sûr qu’un mec en civil vous chope une fois les pieds à terre. Il commence par un « bonjour » hypocrite et vous demande dans la seconde qui suit votre titre de transport. J’aime voir leur sale gueule qui se décompose quand je leur sors le coupon et la carte en règle. Certains d’entre eux, sympas au final, me laissent repartir aussitôt, mais avec d’autres, j’ai quand même droit à l’amende. Pas moyen de niquer la RATP. Je me rappelle une fois, un salopard avait balancé à un gamin apeuré que s’il ne payait pas tout de suite, ce n’était pas au commissariat qu’on viendrait le chercher mais à la DDASS. Alors, maintenant, ça m’amuse de les foutre en rogne et leur faire perdre du temps avec des conneries même si à la fin je paie l’amende.

 

Je tape le digicode et monte les escaliers jusqu’à l’appartement de Martial. La musique, trop forte, résonne. Je frappe trois coups secs et réguliers ; la porte s’ouvre sur le visage de Martial.

— Salut, Constant, ça va ?

— Désolé du retard.

— C’est pas grave, entre.

Le salon est plein de mecs que je ne connais pas. Certains discutent près du buffet dressé pour l’occasion ; d’autres dansent en plein milieu de la pièce.

— Je suis content que tu sois venu, me dit Martial.

— C’est normal.

— La plupart des mecs que tu vois sont des amis que j’ai rencontrés sur un forum de rencontres.

— C’est pour ça que je ne connais personne.

— Viens, je vais te présenter.

Martial me prend par le bras et m’entraîne près du buffet.

— Je vous présente un ami, Constant. Il est rentré de voyage aujourd’hui.

Les mecs me regardent en souriant et me font la bise chacun leur tour. J’ai toujours détesté la foule et les groupes, souvent synonymes de superficialité, surtout lorsqu’ils sont issus du milieu virtuel ; en général très axé sur les plans cul.

— Vous revenez d’où, si ce n’est pas indiscret ? me demande l’un d’eux.

— De Turquie. Je suis allé me reposer une semaine au bord de la mer.

— Je vais continuer à m’occuper de mes invités, me dit Martial, je te laisse te servir.

Je quitte à mon tour le petit groupe en souriant et me sers un verre de champagne. Sur le buffet trône un paquet de cigarettes parmi les gobelets et les assiettes en plastique. J’en pioche une au hasard et demande du feu. La tête me tourne rapidement ; je fume peu, seulement pour « les grandes occasions ».

En scrutant le salon, je m’aperçois qu’un mec du groupe me regarde avec insistance. Je tourne la tête et fais mine de regarder ailleurs en alternant gorgée de champagne et bouffée de tabac. Après de longues minutes d’attente, une chaise se libère quand vient un slow. Je m’écroule, soulagé. Mon portable mis en mode vibreur se met à bouger au même moment.

— Allô ?

— Constant ? C’est Patrick.

— Salut, mon grand.

— Et ton voyage ?

— C’était reposant, comme je voulais.

— T’as commencé à écrire ?

La voix de Patrick devenant quasi inaudible, je quitte le salon pour me réfugier dans un endroit plus calme. Je me dirige vers la chambre de Martial et allume la lumière.

— Éteins ça, putain !

Sur le lit, un mec est allongé à moitié à poil ; l’autre type qui le suce ne relève même pas la tête. J’éteins aussitôt et ressors en gueulant à travers la porte :

— Si tu veux pas être dérangé, t’as qu’à fermer à clé, pauv’con !

Réponse immédiate :

— Elle marche plus la serrure.

Je reste planté devant la chambre, le téléphone vissé à l’oreille.

— Patrick ? Tu m’entends mieux ?

— Oui, mais où t’es ?

— Chez Martial, un copain. Il fait une soirée.

— J’ai envie de te voir.

— Ce soir ?

— Y a un moment qu’on s’est pas vus et j’arrive pas à dormir.

— Laisse-moi deux bonnes heures et j’arrive.

— Ok, je laisserai la porte entrouverte, comme la dernière fois.

Patrick a raccroché, pas même le temps de lui dire qu’il m’a manqué. Comment résister à la demande de passer une nuit avec la dernière personne en qui on a confiance ? Quand on se voit, on fait toujours l’amour, même si ce n’est pas régulier. Ça dure depuis un an cette histoire, faudra qu’on arrive à se voir autrement un de ces jours.

Quand il me prend, je lui demande souvent pourquoi il ne me baise pas. Dans le fond, il se vide les couilles, tire un coup pour l’hygiène, alors pourquoi faire l’amour ? Il me répond toujours que c’est parce qu’il m’aime. Même si nous avons une vie chacun de notre côté et ne nous considérons pas être ensemble.

Il lui est impossible de me baiser, il me l’a dit. Impossible de prendre mon corps pour un steak sur l’étalage et le chier au petit matin.

Parfois, il arrive que l’on puisse aimer quelqu’un sans qu’une vie de couple ne soit possible. C’est ce qui se passe avec Patrick, et souvent, il me manque.

 

Je retourne au salon. Martial me prend par le bras et m’entraîne à nouveau vers le groupe scotché au buffet.

— Viens, je voudrais te présenter quelqu’un.

La musique techno a envahi la pièce, s’accompagnant d’une odeur forte de cannabis. En quelques secondes, je me retrouve planté devant le type chelou qui me fixait tout à l’heure.

— Constant, je te présente Alexis.

Un sourire un peu crispé inonde le visage du type.

— C’est un de tes lecteurs, me dit Martial. Il...

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