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Description

Clara n'a jamais rien connu d'autre que la routine. Ses plans de carrière, ses habitudes et son entourage l'astreignent à la rigueur et la précision.

Un jour pourtant, elle croise, par hasard, la route d'Aiden. Un garçon qui clame à qui veut l'entendre qu'il est passionné par la vie et qu'il souhaite en saisir chaque instant. Intrigué, par les barrières auxquelles Clara est confrontée, il lui propose de l'embarquer dans le trouble de son existence et de lui apprendre à vivre réellement. Malgré quelques craintes, elle laisse sa curiosité prendre le dessus et accepte de relever le défi.
Ce qu'elle ignore toutefois, c'est que l'attitude d'Aiden trouve sa véritable justification au sein de blessures contre lesquelles il lutte encore au quotidien. Des blessures qui l'ont amené à préférer courir contre le temps.
À considérer chaque moment comme le dernier.
Mais ce chemin qu'il parcourait jusque-là, selon ses règles, prendra, avec elle, un tournant tout à fait différent...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 octobre 2021
Nombre de lectures 240
EAN13 9782819100508
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

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MAINTENANT OU JAMAIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anne Claire CHILLAN

 

 

 

 

MAINTENANT OU JAMAIS

 

 

 

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« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). « Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »

 

 

© 2016 Les Editions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je remercie en premier lieu, les quelques personnes de confiance qui ont connu Aiden et Clara avant qu’ils n’existent réellement sur papier. Sans vous, leur histoire ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui.

Merci également à Rachel pour les couleurs et la douceur qu’elle a su attribuer à l’image de ces deux personnages.

 

Enfin, je dédie ce roman à tous ceux qui ont conscience des secrets que cache l’immensité du monde. Tous ceux qui ont compris l’infinie richesse qui existe dans la plupart des belles histoires que nous vivons.

Puissiez-vous être nombreux…

.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices 
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices 
Des plus beaux de nos jours !

Assez de malheureux ici-bas vous implorent, 
Coulez, coulez pour eux ; 
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent, 
Oubliez les heureux.

Mais je demande en vain quelques moments encore, 
Le temps m’échappe et fuit ; 
Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l’aurore 
Va dissiper la nuit.

Aimons donc, aimons donc ! De l’heure fugitive, 
Hâtons-nous, jouissons ! 
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; 
Il coule, et nous passons. »

 

Extrait de Le lac – Alphonse de Lamartine (1790-1869)

 

Table des matières

 

 

PROLOGUE

CHAPITRE 1.

CHAPITRE 2.

CHAPITRE 3.

CHAPITRE 4.

CHAPITRE 5.

CHAPITRE 6.

CHAPITRE 7.

CHAPITRE 8.

CHAPITRE 9.

CHAPITRE 10.

CHAPITRE 11.

CHAPITRE 12.

CHAPITRE 13.

CHAPITRE 14.

CHAPITRE 15.

CHAPITRE 16.

CHAPITRE 17.

CHAPITRE 18.

CHAPITRE 19.

CHAPITRE 20.

CHAPITRE 21.

CHAPITRE 22.

CHAPITRE 23.

CHAPITRE 24.

CHAPITRE 25.

CHAPITRE 26.

CHAPITRE 27.

CHAPITRE 28.

CHAPITRE 29.

CHAPITRE 30.

CHAPITRE 31.

CHAPITRE 32.

CHAPITRE 33.

CHAPITRE 34.

CHAPITRE 35.

CHAPITRE 36.

 

 

PROLOGUE

 

 

 

Je crois qu’il est temps que je te dise merci.

C’était une phrase simple et la première d’une lettre que j’envisageais déjà très longue, lorsque j’entendis le bruit familier de pas dans des bottes d’uniforme à mes côtés. Je souris et levai les yeux lentement, prête à accepter ce moment pour ce qu’il était, comme tous les autres avant celui-là. Car c’était ce qu’il m’avait appris : « Saisis l’instant, quel qu’il soit ». Voilà ce qu’il disait. Et c’était valable pour tout. C’était valable aussi ce jour-là.

Alors, j’abandonnai mon encre et mon papier au profit de cette réalité venue jusqu’à moi. Par le bruit de ses pas, par le ton posé de sa voix, par son regard profond déjà porteur de tellement de choses. Et j’étais heureuse qu’il soit rentré. Pour tous ceux qui l’attendaient ici, ceux qu’il allait retrouver. Ceux qui, comme moi, n’avaient cessé de compter les jours.

Mais pour l’instant, ce moment était à nous. Rien qu’à nous. Et il m’était primordial. Car j’étais certaine qu’il changerait tout. Une fois encore.

CHAPITRE 1.

 

 

 

Alors qu’était venu l’hiver de l’an 2000, je n’étais toujours pas arrivée à me défaire de mon désamour pour les fêtes de Noël. C’était pourtant une période que j’appréciais avant. Et qui restait, en toute honnêteté, agréable à moitié désormais. Mais mon problème était là. L’autre moitié, je ne l’oubliais pas. Cette moitié qui me faisait devenir l’hôtesse modèle d’une petite maison dans une toute petite ruelle d’une toute petite ville pour quelques heures, une fois par an. Cette moitié qui impliquait que j’aie à recevoir des invités et que je fasse comme si je profitais du moment alors que ma seule préoccupation était de ne pas les tuer.

Qu’on se le dise, la fête en soi n’était pas le problème. La réunion de famille, les chants et le feu de cheminée étaient appréciables. Le repas pour quinze que je devais faire, en revanche, un peu moins. C’était pourtant la punition qui m’était infligée depuis trois ans de la part de tous ceux qui refusaient de croire que j’étais une cuisinière épouvantable. Et ce, bien que les preuves fussent aussi nombreuses que notables. Les indigestions à répétition, les accidents de four, les incendies évités de justesse... Et ça : cette puissance étrange qui me poussait à faire mes courses le 24 Décembre, seulement quelques heures avant la fermeture du supermarché. Quand la plupart des clients aussi peu organisés que moi couraient ou se déchiraient, partagés entre stress et euphorie, après le dernier jambon au miel présent en rayon ou le pudding déposé à la dernière minute par quelqu’un ayant changé d’avis. Quand, pour ma part, j’étais si occupée à choisir quelle conserve se marierait le mieux avec quelle autre que j’aurais pu manquer ce moment. Ce moment tellement important pour moi, là, au rayon des boîtes de légumes d’un supermarché.

Mon nom est Clara et jusqu’à ce jour-là, je ne m’étais jamais vraiment demandé quand mon existence se déciderait à prendre un tour inattendu. Car je n’étais pas de celles qui couraient après la bonne fortune ou la destinée. Le hasard était pour moi une idée dont se servait le monde pour mieux tourner. Pour justifier à une échelle égale les drames bien trop violents et les romances épiques. Les accidents et les guerres. Ou l’ironie découlant de la joie que l’on pouvait ressentir en trouvant vingt dollars à terre dans la rue, avant de rentrer chez soi et que le karma décide de boucher votre évier ou d’inonder votre salle de bain. Me fier au hasard n’était pas vraiment une idée à laquelle j’adhérais. J’étais bien plus du genre à m’asseoir tranquillement sur le bord de la route et à regarder ma vie défiler sans vouloir intervenir. À ma décharge, je dirais tout de même que rien de transcendant ne m’était arrivé avant ce Noël-là. Et cela me convenait très bien. Aujourd’hui pourtant, j’aurais tout donné pour revivre ce jour, pour comprendre à l’instant T, quelle importance il aurait bientôt dans ma vie.

Quand il est question d’amour, il est souvent question de chiffres. Pour certains, il s’agira du nombre de secondes nécessaires à comprendre que l’on succombe à un coup de foudre. Pour d’autres, il s’agira du nombre de battements que leur cœur manque quand on est en présence de l’être aimé pour la première fois. Plus nombreux seront ceux qui parleront de jours, de mois et d’années. Qui dénombreront leurs anniversaires, célébreront leurs noces... Et il en va ainsi, pour des centaines de milliers d’autres nombres précis. Ceux qui n’éveilleront rien chez personne. Ceux qui seront approuvés par tout le monde. Et il y a le mien : 698. Le seul qui comptera toujours. Le seul dont je veuille me souvenir, malgré ces autres nombres qui sont venus plus tard et qui ont fait de moi une statistique sans que je ne m’y attende.

698...

— Merde !

Et un mot en trop accompagnant un banal petit accident de routine sur le point de changer ma vie.

 

*

 

— Mais c’est pas vrai ! s’exclama-t-il.

— Je suis désolée, murmurai-je, confuse. Je suis vraiment, vraiment désolée.

Il y a encore quelques années, j’avais des rêves. De vrais rêves. Comme la plupart des petites filles. Comme elles, j’avais créé dans mon esprit la situation parfaite. Les prémices idéales de mon conte de fées. Et j’étais même allée jusqu’à imaginer le premier mot que me dirait mon pseudo-prince-charmant-de-quartier (à défaut du vrai avec ses cheveux mis en plis et son beau cheval blanc). Inutile de dire que « Merde ! » ne figurait pas vraiment sur la liste que j’avais établie. Rien n’impliquait non plus, une boîte de légumes bas de gamme au goût douteux ou la présupposition d’une fracture à l’orteil infligée à un illustre inconnu. Rien ne m’avait laissé croire que l’embarras me ferait rougir plutôt que la timidité et que mes excuses sonneraient à ce point faux.

Je n’avais jamais été une excellente cuisinière. Et ça, personne ne souhaitait l’entendre. J’avais échappé à la corvée durant les dix-huit premières années de ma vie, préférant la vaisselle grasse de fin de repas à la grande épreuve de la dinde farcie au four. Mon physique et mes obligations ayant changé avec le temps malheureusement, ma mère avait fini par m’attacher de force un tablier autour de la taille en espérant que cela puisse éveiller mes plus primaires instincts de maîtresse de maison. Cette tentative ainsi que les cinquante suivantes n’avaient hélas pas vraiment été couronnées de succès. Et, en désespoir de cause, elle m’avait attribué un dîner par an dans le but de m’apporter un peu d’expérience. Un dîner que personne n’attendait moins que moi, à part peut-être mes infortunés convives – que je m’étais décidée à ne plus appeler cobayes – prêts une fois encore à se faire empoisonner.

Ainsi étais-je à ce moment précis, en train d’imaginer quelle horreur je pourrais concocter – me disant qu’une sauce à la tomate irait sans doute très bien avec un poulet en caoutchouc – quand Monsieur Politesse-et-Galanterie était arrivé. Lui et son pied droit, dommage collatéral de ma maladresse légendaire. Vous voyez le tableau maintenant ?  

— Je suis vraiment, vraiment désolée, répétai-je. Ça va ?

— D’après toi ? demanda-t-il. Tu viens de laisser tomber ce truc sur mon pied. Comment ça pourrait aller ?

Quelques mois seulement me séparaient de mes vingt-et-un ans. Un âge que j’attendais impatiemment pour bien des raisons. Ma majorité et mon droit à boire de l’alcool légalement venaient bien sûr en priorité, mais il n’y avait pas que ça. J’espérais secrètement qu’un événement physique inexplicable se produirait la veille du jour J et permettrait à mon visage bien trop juvénile de gagner en rides et en maturité tout d’un coup. Je l’espérais, quitte à ce qu’on m’attribue la quarantaine alors que je fréquentais encore les bancs de l’université. Je l’espérais et espérais surtout ne plus être confrontée à ce genre de situations. Car il n’était pas rare que toute personne que j’avais le malheur de croiser prenne un malin plaisir à me regarder de haut, à me tutoyer et même à me hurler dessus sans raison. Ce qu’ils ignoraient pour la plupart cependant, c’était que ma maladresse n’allait pas vraiment de pair avec la timidité maladive et logique à laquelle tout le monde se serait attendu. En vérité, j’avais un caractère pour le moins affirmé.

— Tu ne penses pas que tu exagères un peu ? dis-je en le tutoyant à mon tour. Je me suis excusée. Et deux fois au moins !

Je me baissai et récupérai ma boîte au sol. Un instant, je pensai à en rester là, mais le Jingle Bells en boucle dans mes oreilles m’ayant rendue quelque peu à cran, je décidai en lieu et place de passer mes nerfs sur lui.

— Je me suis excusée, répétai-je en le jaugeant. Qui plus est, je doute qu’une boîte de trois cents grammes ait vraiment pu te faire si mal. Tu sembles capable d’encaisser, non ?

Il était tellement grand, tellement musclé. Deux détails que je n’avais remarqués, bien sûr, que pour les besoins de mon argumentation. En outre, il avait les traits affirmés, le visage mûr, mais pas aussi sévère qu’il souhaitait le faire paraître. Il semblait avoir dans la vingtaine. Malgré tout bien plus âgé que moi, j’en étais certaine.

— Tu parles beaucoup pour une si petite chose, répondit-il avec un sourire amusé. Mais il ne me semble pas avoir évoqué une quelconque douleur. C’est l’objet de l’agression qui me pose un souci surtout.

— Je te demande pardon ?

— Oui, pour la troisième fois en deux minutes. La troisième fois, au moins ! reprit-il en me paraphrasant. Et si tu arrêtais de t’excuser et qu’on commençait une véritable conversation à la place ?

Je m’étais toujours dit qu’il n’y avait que pour les autres que mes repas pouvaient représenter un danger. Aujourd’hui encore, j’ajoutais un plâtre à la liste de mes méfaits. Jamais pourtant je n’avais pensé que je pourrais avoir à souffrir à cause d’un des ingrédients que j’avais choisi pour cuisiner. Et si les courses en elles-mêmes m’avaient donné un aperçu de ce qu’était la douleur, cette conversation, elle, dépassait totalement mon seuil de tolérance.

— Je ne t’ai pas agressé, grognai-je en ignorant sa répartie. Je n’y peux rien si ma boîte de conserve s’est trouvée inspirée en te voyant. Et franchement, qui pourrait l’en blâmer ? Tu m’as l’air tellement sympathique.

— Je le suis, affirma-t-il avec un sourire. Et je pense très honnêtement pouvoir rallier à ma cause tous les malheureux que tu comptes empoisonner ce soir. D’après toi, qui de nous deux gagnerait dans un affrontement ?

Il avait décidément un vrai problème avec ces tomates.

— Comment sais-tu que je compte empoisonner mes invités ? demandai-je, tout à fait sérieusement.

— Parce que c’était vraiment prévu ? s’étonna-t-il en riant.

— Non, mais ça arrive toujours. Je suis incapable de cuisiner correctement.

— On ne peut pas dire que tu t’aides beaucoup en choisissant des ingrédients pareils.

— Les conserves ne servent qu’à éloigner les inconnus trop familiers, répondis-je.

Il avança vers mon chariot et analysa de façon assez peu scrupuleuse absolument tout ce qu’il contenait. Une chance que je n’aie rien acheté de trop personnel.

— Combien d’inconnus t’ont ennuyée aujourd’hui ? s’enquit-il en voyant les nombreux petits lots de boîtes de conserve déjà présentes parmi mes courses.

— On peut dire que tu comptes pour dix ?

— Ça ne justifie que la moitié des horreurs présentes ici.

Inutile de le nier. J’étais une fanatique des boîtes de conserve. Haricots verts, haricots blancs, tomates, purées, airelles, salade de fruits, tout y passait. Et s’il avait existé une possibilité qu’une dinde en boîte soit inventée, j’aurais volontiers troqué ma corvée de Noël pour me ridiculiser en lieu et place le jour de Thanksgiving.

— Comment comptes-tu t’en sortir avec ça ? ajouta-t-il, de façon un peu trop concernée.

Mais je n’avais pas de temps à perdre.

— Comment te faire comprendre que rien de tout ça ne te regarde ? demandai-je.

Il sourit. D’un sourire franc, lumineux. Et contrairement à ce que la logique imposait, cela ne me donna pas envie de le frapper. Bien au contraire. Je voulais pourtant croire que mon agacement ne s’était pas volatilisé comme ça par pure magie, qu’il m’énervait toujours autant et que mon chariot pouvait encore servir de tank de fortune à l’occasion. Mais il y avait quelque chose dans son sourire. Quelque chose qui méritait deux minutes supplémentaires. Quelque chose qui me poussait à oublier le poulet en train de décongeler entre mon filet de citrons et mon paquet de chips au fromage. Quelque chose qui me faisait oublier les clients qui me bousculaient et l’heure qui passait. 

Je m’imaginais bien, pleine d’assurance devant ma famille entière, n’ayant pas à évoquer pour une fois, la défaillance imaginaire de mon four ou une panne de voiture que j’aurais moi-même provoquée pour arriver en retard à ma propre réception. J’étais heureuse de me dire que j’avais une vraie excuse aujourd’hui. Car il n’était que ça : une excuse. Une excuse avec des yeux noisette, des cheveux parfaitement coupés, d’adorables fossettes et des manières plus que discutables. Une couverture idéale pour tout ce qui pourrait se passer ce soir. Pour ma viande indigeste, mes pommes de terres crues, ma sauce ratée, une fois encore...

— Dis-moi au moins comment tu t’appelles, demanda-t-il. Que je sache, au cas où, le prénom de celle qui a bien failli me tuer.

— Il t’en faut si peu ? m’étonnai-je.

— J’ai connu pire, avoua-t-il. Mais quand même.

— Si je te dis mon prénom, tu me laisses continuer mes courses ? m’enquis-je.

— Pas si tu les fais aussi mal.

— Alors comment fait-on pour se libérer de toi ? soupirai-je.

Il m’adressa un clin d’œil.

— Je te le dirai quand tu me donneras l’impression de le vouloir.

— Arrogant en plus d’être maladivement indiscret, contrai-je. Tu as d’autres qualités ?

— Tu vois comme c’est injuste ? contra-t-il. Tu sais déjà tout de moi et tu refuses de me donner ne serait-ce que ton prénom...

Et je voulais m’en tenir à cette décision. Si fort que je me surpris un instant à dénombrer tous les articles qu’il y avait dans le rayon à côté de moi. J’avais subitement envie de gagner du temps afin de trouver la répartie idéale à la question la plus simple du monde. La réponse qui ferait mouche. La phrase qui me donnerait à peu près autant d’assurance que je prétendais en avoir. J’avais envie de dire quelque chose de différent, d’inattendu. Quelque chose qui lui laisserait comprendre qu’il ne m’agaçait pas tant que ça finalement. Et quelque chose qui pourrait lui laisser penser que je méritais peut-être l’attention qu’il me portait depuis trois longues minutes maintenant. Et trois minutes de trop en pleine bousculade du réveillon. Trois longues minutes qu’il m’avait consacrées à moi ou à mes boîtes de conserve, peu importe.

— Je m’appelle Clara, dis-je.

Ah... ça pour être original...

— Seulement Clara ? demanda-t-il.

— Oui, affirmai-je. Je n’ai pas l’habitude de dévoiler mon identité complète à des inconnus croisés au supermarché.

— Je m’appelle Aiden Caldwell, dit-il.

Comme si cette information était capable de tout changer.

— Je n’ai pas non plus l’habitude de demander leur identité complète aux inconnus croisés au supermarché, soulignai-je.

— Considère dans ce cas que nous venons de faire connaissance, seulement Clara.

— Clara Woodpecker, rectifiai-je à mi-voix.

Aiden fronça les sourcils un peu trop longtemps et, après une lutte qu’il sembla avoir menée contre lui-même et contre le peu de courtoisie qu’il lui restait, il dit :

— C’est une blague ? Woodpecker... Comme l’oiseau du dessin animé ?

Un jour, j’aurai sa peau à celui-là !

— Exactement, acquiesçai-je, dépitée. Et j’apprécierais que tu ne me demandes pas ce que je partage d’autre avec lui. Parce que non, je n’ai pas le même rire et non, je ne passe pas ma vie à picorer dans les arbres.

— Je dois donc oublier mes plaisanteries et fermer les yeux sur le multiple homicide que tu comptes commettre dans la soirée ? Tu m’en demandes beaucoup.

— Je me ferai pincer pour mon crime, répondis-je avec un sourire. Ne t’en fais pas. Reste plus qu’à espérer que j’aie de la visite en prison.

— Tu t’en sortirais mieux avec un coup de main en cuisine, dit Aiden.

Cela me rappela d’ailleurs que mes pieds devaient rapidement se décoller du sol si je voulais servir au moins un plat comestible ce soir-là.

— Je manque de volontaires, répondis-je avec un air faussement triste. Voilà pourquoi je dois y aller. Mais ce fut un plaisir de te rencontrer, Aiden Caldwell. On se recroisera peut-être.

Si l’on supposait évidemment qu’il puisse s’égarer de nouveau dans l’univers de la nourriture industrielle.

— Attends ! m’apostropha-t-il, alors que j’avais déjà fait trois pas.

— Quoi ?

J’étais assez contente de ma conclusion. Je lui en voulais presque de me l’enlever.

— Tu me laisses vraiment comme ça ? demanda-t-il.

J’acquiesçai sans rien dire.

— Tu plaisantes ! s’offusqua-t-il. Tu me fais ton plus beau sourire, j’ai droit à une promesse, tu me proposes un rendez-vous et... rien de plus ? Comment vais-je faire pour te retrouver ?

J’ouvris des yeux ronds.

— Demande donc au petit bonhomme qui se trouve dans ta tête, suggérai-je.

— Quel petit bonhomme ?

— Celui à qui tu parlais vraisemblablement et qui t’a laissé croire que je venais de te filer un rencard.

— Oh ! Ce petit bonhomme-, dit-il très sérieusement. Je pense qu’il a compris, tout comme moi, que tu nous invitais à venir t’apporter des oranges en prison. Ça sonnait comme un rendez-vous à nos oreilles.

— Le petit bonhomme dans ta tête a des oreilles ?

— Et il en est fier.

— Je n’aime pas les oranges, répondis-je, amusée.

C’était faux.

— Un petit déjeuner alors ? proposa-t-il.

— En prison ?

— Ou ailleurs...

— J’ai peur qu’ils ne me laissent pas sortir.

— Laisse-moi t’aider en cuisine et personne ne songera plus à t’arrêter.

— Et que proposes-tu ? Tu veux que je te ramène dans mes sachets ?

— C’est l’idée.

Il s’approcha un peu plus de moi. J’agrippai mon chariot un peu trop violemment dans l’espoir de le voir se rebeller et m’entraîner dans une course folle, afin que je puisse m’échapper malgré moi de cette situation embarrassante.

— Je suis vraiment un cuisinier très talentueux, souffla Aiden. Crois-moi.

Un cours de cuisine dans la maison familiale n’était pas vraiment l’idée que je me faisais d’un premier rendez-vous romantique. (Je ne voyais même pas d’ailleurs ce que les mots « rendez-vous » et « romantique » faisaient maintenant dans ma tête). Car sa proposition avait quelque chose de très dérangeant. Sans doute à égalité dans le domaine bizarre avec le fait que j’envisageais réellement de lui dire oui. Que m’arrivait-il ?

— C’est une contrepartie, ajouta-t-il face à mon silence persistant. En remerciement du plaisir que me procurera ta compagnie...

— Lors de ce fameux petit déjeuner, complétai-je.

Il sourit.

— Tu anticipes beaucoup, dis-je. Tu détesteras peut-être ce moment passé avec moi.

Venais-je d’accepter de revoir un homme dont je ne connaissais rien ?

— Je suis sûr de moi, affirma-t-il.

Apparemment oui.

— Et quand bien même, je ne suis pas du genre à avoir des regrets.

— OK, répondis-je précipitamment avant de changer d’avis. Sauve-moi, si tu le peux.

Nouveau sourire.

— À quelle heure arrivent tes invités ? demanda-t-il.

J’hésitai un instant à lui répondre. Il ne mit pas bien longtemps à le remarquer.

— C’est si terrible que ça ? s’inquiéta-t-il.

Je regardai ma montre et ne pus m’empêcher d’avoir une petite moue coupable. Au train où allaient les choses, il aurait été préférable que je délivre Aiden de son engagement et que je le laisse profiter tranquillement de son réveillon. Mais accepter son aide signifiait aussi que je lui serais redevable plus tard. Et au fond de moi, l’idée d’avoir une dette envers lui ne me semblait pas tout à fait désagréable. Et même... pas du tout, alors que j’envisageais encore de l’assommer quelques minutes auparavant.

La schizophrénie s’attrapait-elle en même temps que les rhumes pendant l’hiver ?

— Ils arrivent tous à dix-huit heures trente, murmurai-je.

— Et il est quinze heures treize, dit Aiden en consultant sa montre.

Quelle précision !

— Comment espérais-tu t’en sortir ?

— Comme chaque année. En m’excusant encore et toujours de servir une purée en béton accompagnée d’un poulet cru et en décidant à la grande surprise de tous, de sortir trois paquets de chips du placard.

— Il semblerait que tu aies bien trouvé un moyen de faire payer à tes parents le nom qu’ils t’obligent à porter.

J’éclatai de rire, pas vexée le moins du monde.

— Tu es le premier à l’avoir compris. Je te félicite.

— Attends d’avoir goûté mon repas pour ça.

Il inspecta à nouveau le contenu de mon chariot et soupira.

— Il n’y a vraiment rien de comestible là-dedans, se plaignit-il. Tu veux bien aller me chercher deux packs de bières pendant que je fais tes courses ?

— De la bière ? m’étonnai-je. Au réveillon de Noël ?

— Il est vrai que tu es très bien placée pour critiquer mes choix, dit Aiden.

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