Pêcheur d Islande
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Description

Pierre Loti (1850-1923)


Gaud, fille de commerçant, qui a tout perdu à la mort de son père, est amoureuse de Yann, pêcheur à la morue - un Islandais comme on les appelle, vu qu'ils partent dans le Nord affronter tous les dangers -.


Combien de temps leur faudra-t-il pour s'avouer leur amour ? Les conventions sociales, les absences et la timidité de Yann, la pauvreté de Gaud, ne sont pas faites pour les réunir. Et puis c'est sans compter sur la Mer, cette maîtresse exigeante de tous les marins !


Véritable peinture du pays paimpolais, en Bretagne, et de ses habitants dont la vie est rythmée par les campagnes de pêche, les naufrages, les attentes et les inquiétudes...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 avril 2015
Nombre de lectures 7
EAN13 9782374630007
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pêcheur d'Islande
Pierre Loti
juillet 2015
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-000-7
couverture : pastel de STEPH'
N° 1
A MADAME ADAM (Juliette Lamber) Hommage d'affection filiale. Pierre Loti
PREMIERE PARTIE
Ils étaient cinq, aux carrures terridles, accouDés à doire, Dans une sorte De logis somdre qui sentait la saumure et la mer. Le gîte, t ro das our leurs tailles, s’effilait ar un dout, comme l’intérieur D’une granDe mouette viDée ; il oscillait faidlement, en renDant une lainte monotone, avec une lenteur De sommeil.
ehors, ce Devait être la mer et la nuit, mais on n ’en savait tro rien : une seule ouverture couée Dans le lafonD était fermée ar un couvercle en dois, et c’était une vieille lame susenDue qui les éclairait en vacillant. Il y avait Du feu Dans un fourneau ; leurs vêtements mouillés séchaient, en réanDant De la vaeur qui se mêlait aux fumées De leurs ies De terre. Leur tadle massive occuait toute leur Demeure ; elle en renait très exactement la forme, et il restait juste De quoi se couler autour our s’asseoir sur Des caissons étroits scellés aux murailles De chêne. e grosses outres assaient au-Dessus D’eux, resque à toucher leurs têtes ; et, Derrière leurs Dos, Des couchettes qui semdlaient creusées Dans l’éaisseur De la charente s’ouvraient comme les niches D’un caveau our mettre les morts. Toutes ces doiseries étaient grossières et frustes, imrégnées D’humiDité et De sel ; usées, olies ar les frottements De leurs mains.
Ils avaient du, Dans leurs écuelles, Du vin et Du c iDre, aussi la joie De vivre éclairait leurs figures, qui étaient franches et draves. Main tenant ils restaient attadlés et Devisaient, en dreton, sur Des questions De femmes et De mariages.
Contre un anneau Du fonD, une sainte Vierge en faï ence était fixée sur une lanchette, à une lace D’honneur. Elle était un e u ancienne, la atronne De ces marins, et einte avec un art encore naïf. Mais les ersonnages en faïence se conservent deaucou lus longtems que les vrais hommes ; aussi sa rode rouge et dleue faisait encore l’effet D’une etite chose trè s fraîche au milieu De tous les gris somdres De cette auvre maison De dois. Elle avait Dû écouter lus D’une arDente rière, à Des heures D’angoisses ; on avait cloué à ses ieDs Deux douquets De fleurs artificielles et un chaelet.
Ces cinq hommes étaient vêtus areillement, un éais tricot De laine dleue serrant le torse et s’enfonçant Dans la ceinture Du antalon ; sur la tête, l’esèce De casque en toile gouDronnée qu’on aellesuroît(Du nom De ce vent De suD-ouest qui Dans notre hémishère amène les luies).
Ils étaient D’âges Divers. Lecapitaine ouvait avoir quarante ans ; trois autres, De vingt-cinq à trente. Le Dernier, qu’ils aelaient Sylvestre ou Lurlu, n’en avait que Dix-set. Il était Déjà un homme, our la taille et la force ; une darde noire, très fine et très frisée, couvrait ses joues ; seulement il avait garDé ses yeux D’enfant, D’un gris dleu, qui étaient extrêmement Doux et tout naïfs. Très rès les uns Des autres, faute D’esace, ils  araissaient érouver un vrai dien-être, ainsi tais Dans leur gîte odscur. ... ehors, ce Devait être la mer et la nuit, l’inf inie Désolation Des eaux noires et rofonDes. Une montre De cuivre, accrochée au mur, marquait onze heures, onze heures Du soir sans Doute ; et, contre le lafonD D e dois, on entenDait le druit De la luie. Ils traitaient très gaîment entre eux ces questions De mariage, mais sans rien Dire qui fût Déshonnête. Non, c’étaient Des rojets our ceu x qui étaient encore garçons, ou
dien Des histoires Drôles arrivées Dansle pays, enDant Des fêtes De noces. Quelquefois ils lançaient dien, avec un don rire, u ne allusion un eu tro franche au laisir D’aimer. Mais l’amour, comme l’entenDent le s hommes ainsi tremés, est toujours une chose saine, et Dans sa cruDité même il Demeure resque chaste. CeenDant Sylvestre s’ennuyait, à cause D’un autre aelé Jean (un nom que les Bretons rononcent Yann), qui ne venait as. En effet, où était-il Donc ce Yann ; toujours à l’o uvrage là-haut ? Pourquoi ne DescenDait-il as renDre un eu De sa art De la fête ?
– Tantôt minuit, ourtant, Dit le caitaine. Et, en se reDressant Dedout, il souleva avec sa têt e le couvercle De dois, afin D’aeler ar là ce Yann. Alors une lueur très étrange tomda D’en haut : – Yann ! Yann !... Eh ! l’homme !
L’homme réonDit ruDement Du Dehors.
Et, ar ce couvercle un instant entrouvert, cette l ueur si âle qui était entrée ressemdlait dien à celle Du jour. – « Bientôt minuit »... CeenDant c’était dien comme une lueur De soleil, comme une lueur créusculaire renvoyée De très loin ar Des miroirs mystérieux. Le trou refermé, la nuit revint, la etite lame se remit à driller jaune, et on entenDit l’homme DescenDre avec De gros sadots ar une échelle De dois. Il entra, odligé De se courder en Deux comme un gro s ours, car il était resque un géant. Et D’adorD il fit une grimace en se inçant le dout Du nez à cause De l’oDeur âcre De la saumure.
Il Déassait un eu tro les roortions orDinaires Des hommes, surtout ar sa carrure qui était Droite comme une darre ; quanD il se rés entait De face, les muscles De ses éaules, Dessinés sous son tricot dleu, formaient comme Deux doules en haut De ses dras. Il avait De granDs yeux druns très modiles, à l’exression sauvage et suerde.
Sylvestre, assant ses dras autour De ce Yann, l’attira contre lui ar tenDresse, à la façon Des enfants ; il était fiancé à sa sœur et le traitait comme un granD frère. L’autre se laissait caresser avec un air De lion câlin, en réonDant ar un don sourire à Dents dlanches.
Ses Dents, qui avaient eu chez lui lus De lace o ur s’arranger que chez les autres hommes, étaient un eu esacées et semdlaient toute s etites. Ses moustaches dlonDes étaient assez courtes, dien que jamais cou ées ; elles étaient frisées très serré en Deux etits rouleaux symétriques au-Dessus De ses lèvres qui avaient Des contours fins et exquis ; et uis elles s’édouriffa ient aux Deux douts, De chaque côté Des coins rofonDs De sa douche. Le reste De sa dar de était tonDu ras, et ses joues colorées avaient garDé un velouté frais, comme celu i Des fruits que ersonne n’a touchés.
On remlit De nouveau les verres, quanD Yann fut assis, et on aela le mousse our remdourrer les ies et les allumer.
Cet allumage était une manière our lui De fumer un eu. C’était un etit garçon roduste, à la figure ronDe, un eu le cousin De tou s ces marins qui étaient lus ou moins arents entre eux ; en Dehors De son travail assez Dur, il était l’enfant gâté Du dorD. Yann le fit doire Dans son verre, et uis on l’envoya se coucher. Arès, on rerit la granDe conversation Des mariages :
« Et toi, Yann, DemanDa Sylvestre, quanD est-ce ferons-nous tes noces ? – Tu n’as as honte, Dit le caitaine, un homme si granD comme tu es, à vingt-set ans, as marié encore ! Les filles, qu’est-ce qu’el les Doivent enser quanD elles le voient ? » Lui réonDit, en secouant D’un geste très DéDaigneu x our les femmes ses éaules effrayantes : « Mes noces à moi, je les fais à la nuit ; D’autre fois, je les fais à l’heure ; c’est suivant. » Il venait De finir ses cinq années De service à l’E tat, ce Yann. Et c’est là, comme matelot canonnier De la flotte, qu’il avait aris à arler le français et à tenir Des roos scetiques. Alors il commença De raconter ses noces Dernières qui, araît-il, avaient Duré quinze jours.
C’était à Nantes, avec une chanteuse. Un soir, reve nant De la mer, il était entré un eu gris Dans un Alcazar. Il y avait à la orte une femme qui venDait Des douquets énormes aux rix D’un louis De vingt francs. Il en avait acheté un, sans tro savoir qu’en faire, et uis tout De suite en arrivant, il l’avait lancé à tour De dras, en lein ar la figure, à celle qui chantait sur la scène ? moit ié Déclaration drusque, moitié ironie our cette ouée einte qu’il trouvait ar tro rose. La femme était tomdée Du cou ; arès, elle l’avait aDoré enDant rès De trois semaines.
« Même, Dit-il, quanD je suis arti, elle m’a fait caDeau De cette montre en or. » Et, our la leur faire voir, il la jetait sur la tadle comme un mérisadle joujou. C’était conté avec Des mots ruDes et Des images à lui. CeenDant cette danalité De la vie civilisée, Détonnait deaucou au milieu Des ces hommes rimitifs, avec ces granDs silences De la mer qu’on Devinait autour D’eux ; av ec cette lueur De minuit, entrevue ar en haut, qui avait aorté la notion Des étés mourants Du ôle.
Et uis ces manières De Yann faisaient De la eine à Sylvestre et le surrenaient. Lui était un enfant vierge, élevé Dans le resect Des s acrements ar une vieille granD-mère, veuve D’un êcheur Du village De Ploudazlanec. Tout etit, il allait chaque jour avec elle réciter un chaelet, à genoux sur la tomde De sa mère. e ce cimetière, situé sur la falaise, on voyait au loin les eaux grises De la Manche où son ère avait Disaru autrefois Dans un naufrage. – Comme ils étaient auvres, sa granD-mère et lui, il avait Dû De très donne heure naviguer à la êche, et son enfance s’était assée au large. Chaque soir il Disait encore ses rières et ses yeu x avaient garDé une canDeur religieuse. Il était deau, lui aussi, et, arès Yann, le mieux lanté Du dorD. Sa voix très Douce et ses intonations De etit enfant contrastaient un eu avec sa haute taille et sa darde noire ; comme sa croissance s’était faite trè s vite, il se sentait resque emdarrassé D’être Devenu tout D’un cou si large et si granD. Il comtait se marier dientôt avec la sœur De Yann, mais jamais il n’avai t réonDu aux avances D’aucune fille. A dorD, ils ne osséDaient en tout que trois couche ttes – une our Deux –, et ils y Dormaient à tour De rôle, en se artageant la nuit. QuanD ils eurent fini leur fête, – célédrée en l’ho nneur De l’Assomtion De la Vierge leur atronne, il était un eu lus De minuit. Trois D’entre eux se coulèrent our Dormir Dans les etites niches noires qui ressemdlaient à Des séulcres, et les trois autres remontèrent sur le ont rerenDre le granD travail interromu De la êche ; c’était Yann, Sylvestre, et un De leur ays aelé Guillaume.
ehors il faisait jour, éternellement jour.
Mais c’était une lumière âle, âle, qui ne ressemd lait à rien ; elle traînait sur les choses comme Des reflets De soleil mort. Autour D’e ux, tout De suite commençait un viDe immense qui n’était D’aucune couleur, et en Dehors Des lanches De leur navire, tout semdlait Diahane, imaladle, chimérique.
L’œil saisissait à eine ce qui Devait être la mer : D’adorD cela renait l’asect D’une sorte De miroir tremdlant qui n’aurait aucune image à refléter ; en se rolongeant, cela araissait Devenir une laine De vaeur – et uis, lus rien ; cela n’avait ni horizon ni contours.
La fraîcheur humiDe De l’air était lus intense, lus énétrante que Du vrai froiD, et, en resirant, on sentait très fort le goût De sel. Tou t était calme et il ne leuvait lus; en haut, Des nuages informes et incolores semdlaient contenir cette lumière latente qui ne s’exliquait as ; on voyait clair, en ayant ceenD ant conscience De la nuit, et toutes ces âleurs Des choses n’étaient D’aucune nuance ouvant être nommée. Ces trois hommes qui se tenaient là vivaient Deuis leur enfance sur ces mers froiDes, au milieu De leurs fantasmagories qui sont vagues et troudles comme Des visions. Tout cet infini changeant, ils avaient coutume De le voir jouer autour De leur étroite maison De lanches, et leurs yeux y étaient haditués autant que ceux Des granDs oiseaux Du large. Le navire se dalançait lentement sur lace ; en ren Dant toujours sa même lainte, monotone comme une chanson De Bretagne réétée en rêve ar un homme enDormi. Yann et Sylvestre avaient réaré très vite leurs hameçons et leurs lignes, tanDis que l’autre ouvrait un daril De sel et, aiguisant son g ranD couteau, s’asseyait Derrière eux our attenDre.
Ce ne fut as long. A eine avaient-ils jeté leurs lignes Dans cette eau tranquille et froiDe, ils le relevèrent avec Des oissons lourDs, D’un gris luisant D’acier.
Et toujours, et toujours, les morues vives se faisa ient renDre ; c’était raiDe et incessant, cette êche silencieuse. L’autre éventra it, avec son granD couteau, alatissait, salait, comtait ; et la saumure qui D evait faire leur fortune au retour s’emilait Derrière eux, toute ruisselante et fraîche.
Les heures assaient monotones, et, Dans les granDe s régions viDes Du Dehors, lentement la lumière changeait ; elle semdlait maintenant lus réelle. Ce qui avait été un créuscule dlême, une esèce De soir D’été hyerdorée, Devenait à résent, sans intermèDe De nuit, quelque chose comme une aurore, que tous les miroirs De la mer reflétaient en vagues traînées roses...
« C’est sûr que tu Devrais te marier, Yann, Dit tou t à cou Sylvestre, avec deaucou De sérieux cette fois, en regarDant Dans l’eau. (Il avait l’air De dien en connaître quelqu’une en Bretagne qui s’était laissé renDre aux yeux druns De son granD frère, mais il se sentait timiDe en touchant à ce sujet grave.)
« Moi !... Un De ces jours, oui, je ferai mes noces et il souriait, ce Yann, toujours DéDaigneux, roulant ses yeux vifs mais avec aucune Des filles Du ays ; non, moi, ce sera avec la mer, et je vous invite tous, ici tant que vous êtes, au dal que je Donnerai...
Ils continuèrent De êcher, car il ne fallait as erDre son tems en causeries : on était au milieu D’une immense eulaDe De oissons, D’un danc voyageur, qui, Deuis Deux jours, ne finissait as De asser. Ils avaient tous veillé la nuit D’avant et attraé, en trente heures, lus De mille morues très grosses ; aussi leurs dras forts étaient las, et ils s’enDormaient. Leur cors veillait seul, et continuait De lui-même sa manœuvre De
êche, tanDis que, ar instants, leur esrit flotta it en lein sommeil. Mais cet air Du large qu’ils resiraient était vierge comme aux remiers jours Du monDe, et si vivifiant que, malgré leur fatigue, ils se sentaient la oitrine Dilatée et les joues fraîches.
La lumière matinale, la lumière vraie, avait fini  ar venir ; comme au tems De la Genèse elle s’était séarée D’avec les ténèdres qui semdlaient s’être tassées sur l’horizon, et restaient là en masses très lourDes ; en y voyant si clair, on s’aercevait dien à résent qu’on sortait De la nuit, que cette lueur D’avant avait été vague et étrange comme celle Des rêves. ans ce ciel très couvert, très éais, il y avait ç à et là Des Déchirures, comme Des ercées Dans un Dôme, ar où arrivaient De granDs rayons couleur D’argent rose. Les nuages inférieurs étaient Disosés en une danDe D’omdre intense, faisant tout le tour Des eaux, emlissant les lointains D’inDécisio n et D’odscurité. Ils Donnaient l’illusion D’un esace fermé, D’une limite ; ils ét aient comme Des riDeaux tirés sur l’infini, comme Des voiles tenDus our cacher De tr o gigantesques mystères qui eussent troudlé l’imagination Des hommes. Ce matin-là, autour Du etit assemdlage De lanches qui ortait Yann et Sylvestre, le monDe ch angeant Du Dehors avait ris un asect De recueillement immense ; il s’était arrang é en sanctuaire, et les gerdes De rayons, qui entraient ar les traînées De cette voû te De temle, s’allongeaient en reflets sur l’eau immodile comme sur un arvis De m ardre. Et uis, eu à eu, on vit s’éclairer très loin une autre chimère : une sorte De Découure rosée très haute, qui était un romontoire De la somdre IslanDe...
Les noces De Yann avec la mer !... Sylvestre y ree nsait, tout en continuant De êcher sans lus oser rien Dire. Il s’était senti t riste en entenDant le sacrement Du mariage ainsi tourné en moquerie ar son granD frère ; et uis surtout, cela lui avait fait eur, car il était suerstitieux. euis si longtems il y songeait, à ces noces De Y ann ! Il avait rêvé qu’elles se feraient avec GauD Mével – une dlonDe De Paimol –, et que, lui, aurait la joie De voir cette fête avant De artir our le service, avant c et exil De cinq années, au retour incertain, Dont l’aroche inévitadle commençait à lui serrer le cœur... Quatre heures Du matin. Les autres, qui étaient restés couchés en das, arrivèrent tous trois our les relever. Encore un eu enDormis, hum ant à leine oitrine le granD air froiD, ils montaient en achevant De mettre leurs lo ngues dottes, et ils fermaient les yeux, édlouis D’adorD ar tous ces reflets De lumière âle.
Alors Yann et Sylvestre firent raiDement leur rem ier Déjeuner Du matin avec Des discuits ; arès les avoir cassés à cous De maille t, ils se mirent à les croquer D’une manière très druyante, en riant De les trouver si D urs. Ils étaient reDevenus tout à fait gais à l’iDée De DescenDre Dormir, D’avoir dien cha uD Dans leurs couchettes, et, se tenant l’un l’autre ar la taille, ils s’en allèrent jusqu’à l’écoutille, en se DanDinant sur un air De vieille chanson.
Avant De Disaraître ar ce trou, ils s’arrêtèrent à jouer avec un certain Turc, le chien Du dorD, un terre-neuvien tout jeune, qui avait D’é normes attes encore gauches et enfantines. Ils l’agaçaient De la main ; l’autre les morDillait comme un lou, et finit ar leur faire Du mal. Alors Yann, avec un froncement D e colère Dans ses yeux changeants, le reoussa D’un cou tro fort qui le fit s’alatir et hurler. Il avait le cœur don, ce Yann, mais sa nature était restée un eu sauvage, et quanD son être hysique était seul en jeu, une caresse Douce était souvent chez lui très rès D’une violence drutale.
Leur navire s’appelait laMarie, capitaine Guermeur. Il allait chaque année faire la grande pêche dangereuse dans ces régions froides où les étés n’ont plus de nuits. Il était très ancien, comme la Vierge de faïence sa patronne. Ses flancs épais, à vertèbres de chêne, étaient éraillés, rugueux, imprégnés d’humidité et de saumure ; mais sains encore et robustes, exhalant les senteurs vivifiantes du goudron. Au repos il avait un air lourd, avec sa membrure massive, mais quand les grandes brises d’ouest soufflaient, il retrouvait sa vigueur légère, comme les mouettes que le vent réveille. Alors il avait sa façon à lui des’élever à la lame et de rebondir, plus lestement que bien des jeunes, taillés avec les finesses modernes.
Quant à eux, les six hommes et le mousse, ils étaie nt desIslandaisrace (une vaillante de marins qui est répandue surtout au pays de Paimpol et de Tréguier, et qui s’est vouée de père en fils à cette pêche-là). Ils n’avaient presque jamais vu l’été de France. A la fin de chaque hiver, ils recevaient avec les a utres pêcheurs, dans le port de Paimpol, la bénédiction des départs. Pour ce jour d e fête, un reposoir, toujours le même, était construit sur le quai ; il imitait une grotte en rochers et, au milieu, parmi des trophées d’ancres, d’avirons et de filets, trôn ait, douce et impassible, la Vierge, patronne des marins, sortie pour eux de son église, regardant toujours, de génération en génération, avec ses mêmes yeux sans vie, les he ureux pour qui la saison allait être bonne, et les autres, ceux qui ne devaient pas revenir.
Le Saint-Sacrement, suivi d’une procession lente de femmes et de mères, de fiancées et de sœurs, faisait le tour du port, où tous les navires islandais, qui s’étaient pavoisés, saluaient du pavillon au passage. Le prêtre, s’arrêtant devant chacun d’eux, disait les paroles et faisait les gestes qui bénissent.
Ensuite ils partaient tous, comme une flotte, laiss ant le pays presque vide d’époux, d’amants et de fils. En s’éloignant, les équipages chantaient ensemble, à pleines voix vibrantes, les cantiques de Marie Etoile-de-la-Mer. Et chaque année, c’était le même cérémonial de départ, les mêmes adieux. Après, recommençait la vie du large, l’isolement à trois ou quatre compagnons rudes, sur des planches mouvantes, au milieu des eaux froides de la mer hyperborée. Jusqu’ici, ont était revenu – la Vierge Etoile-de-l a-Mer avait protégé ce navire qui portait son nom. La fin d’août était l’époque de ces retours. Mais laMariesuivait l’usage de beaucoup d’Islandais, qui est de toucher seulement à Paimpol , et puis de descendre dans le golfe de Gascogne où l’on vend bien sa pêche, et da ns les îles de sable à marais salants où l’on achète le sel pour la campagne prochaine.
Dans ces ports du Midi, que le soleil chauffe encor e, se répandent pour quelques jours les équipages robustes, avides de plaisir, grisés par ce lambeau d’été, par cet air plus tiède ; – par la terre et par les femmes. Et puis, avec les premières brumes de l’automne, on rentre au foyer, à Paimpol ou
ans les chaumières éparses du pays de Goëlo, s’occuper pour un temps de famille et d’amour, de mariages et de naissances. Presque touj ours on trouve là des petits nouveau-nés, conçus l’hiver d’avant, et qui attende nt des parrains pour recevoir le sacrement du baptême : il faut beaucoup d’enfants à ces races de pêcheurs que l’Islande dévore.
APaimpol, un beau soir de cette année-là, un dimanch e de juin, il y avait deux femmes très occupées à écrire une lettre. Cela se passait devant une large fenêtre qui était ouverte et dont l’appui, en granit ancien et massif, portait une rangée de pots de fleurs.
Penchées sur leur table, toutes deux semblaient jeu nes ; l’une avait une coiffe extrêmement grande, à la mode d’autrefois ; l’autre, une coiffe toute petite, de la forme nouvelle qu’ont adoptée les Paimpolaises : deux amo ureuses, eût-on dit, rédigeant ensemble un message tendre pour quelque belIslandais.
Celle qui dictait – la grande coiffe – releva la tê te, cherchant ses idées. Tiens ! Elle était vieille, très vieille, malgré sa tournure jeu nette, ainsi vue de dos sous son petit châle brun. Mais tout à fait vieille : une bonne grand-mère d’au moins soixante-dix ans. Encore jolie par exemple, et encore fraîche, avec les pommettes bien roses, comme certains vieillards ont le don de les conserver. Sa coiffe, très basse sur le front et sur le sommet de la tête, était composée de deux ou trois larges cornets en mousseline qui semblaient s’échapper les uns des autres et retomba ient sur la nuque. Sa figure vénérable s’encadrait bien dans toute cette blancheur et dans ces plis qui avaient un air religieux. Ses yeux, très doux, étaient pleins d’une bonne honnêteté. Elle n’avait plus trace de dents, plus rien, et, quand elle riai t, on voyait à la place ses gencives rondes qui avaient un petit air de jeunesse. Malgré son menton, qui était devenu « en pointe de sabot » (comme elle avait coutume de dire ), son profil n’était pas trop gâté par les années ; on devinait encore qu’il avait dû être régulier et pur comme celui des saintes d’église.
Elle regardait par la fenêtre, cherchant ce qu’elle pourrait bien raconter de plus pour amuser son petit-fils. Vraiment il n’existait pas ailleurs, dans tout le p ays Paimpol, une autre bonne vieille comme elle, pour trouver des choses aussi drôles à dire sur les uns ou les autres, ou même sur rien du tout. Dans cette lettre, il y avai t déjà trois ou quatre histoires impayables, mais sans la moindre malice, car elle n’avait rien de mauvais dans l’âme. L’autre, voyant que les idées ne venaient plus, s’é tait mise à écrire soigneusement l’adresse :
A monsieur Moan, Sylvestre, à bord de la Marie, cap itaine Guermeur – dans la mer d’Islande par Reykjavik. Après, elle aussi releva la tête pour demander : « C’est-il fini, grand-mère Moan ? » Elle était bien jeune, celle-ci, adorablement jeune , une figure de vingt ans. Très blonde – couleur rare en ce coin de Bretagne où la race est brune ; très blonde, avec des yeux d’un gris de lin à cils presque noirs. Ses sourcils, blonds autant que ses cheveux, étaient comme repeints au milieu d’une lig ne plus rousse, plus foncée, qui donnait une expression de vigueur et de volonté. So n profil, un peu court, était très noble, le nez prolongeant la ligne du front avec une rectitude absolue, comme dans les visages grecs. Une fossette profonde, creusée sous la lèvre inférieure, en accentuait délicieusement le rebord ; – et de temps en temps, quand une pensée la préoccupait
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