La Mémoire engloutie
113 pages
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Description

À cause de la construction d'un barrage qui engloutira terres et habitations, le vieux bourg de Sauvadat doit être sacrifié sur l'autel du progrès. Les villageois se divisent alors : les uns, hostiles, constituent un comité de résistance autour de Jean-Paul Jouvenay ; les autres ne sont pas contre l'idée de recommencer une nouvelle vie ailleurs.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 5
EAN13 9782812917646
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Table des matières
Couverture Du même auteur Titre Dédicace Citation I - Un village en grand émoi II - Une administration rassurante III - Peu de combattants pour une cause IV - Néo-ruraux avant l’heure V - Une alternative VI - Des projets et des rêves VII - Le retour des sombres nuages VIII - Dialogues de sourds IX - Une résistance qui s’organise X - La manifestation XI - Les alliés XII - La grande réunion d’information XIII - Incertitudes XIV - M. Chopinaud XV - Le jugement et les surprises du retour XVI - Villageois désemparés XVII - La rupture XVIII - À la fin de toutes sortes de choses XIX - Ils découvraient enfin leur pays XX - Vers une vie nouvelle… 4e de couverture
Auvergnat et Limousin par ses racines, professeur d e lettres,François Cognérasse passionne pour la vie des hommes et des femmes qui, par leur peine et leur travail, ont bâti le pays et que l’historien Jules Michelet appe lait «le Peuple». En 1992, il a reçu le prix Eugène Le Roy et le prix Sully-Olivier de Serr es pour son romanTemps Le apprivoisé.
Compagnon du rail Les Classes creuses Les Enfants des hautes terres
L’espérance mutilée L’Impossible Retour La chance du Sabotier La Désenchantée La Manifestation Le Temps apprivoisé Saga d’une famille ordinaire Tombé des nues
Du même auteur
Du même auteur Aux éditions De Borée
Autres éditeurs
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©De Borée, 2002
Titre
FRANÇOISCOGNERAS LAMÉMOIRE ENGLOUTIE
Dédicace
À Monique
Citation
Cette histoire n’est pas la transposition romancée d’un fait réel. Si elle est inspirée de la réalité, c’est d’une manière plus lointaine à travers vingt situations –et il s’agissait en général d’autre chose que d’un barrage– dans lesque lles, au nom de la collectivité, on a refusé d’entendre la protestation légitime de par ticuliers. La sous-préfecture de Dourdun n’existe nulle part en Auvergne, le lecteur en est clairement averti.
I
Un village en grand émoi
E PAYS qui ne sera plus dans cinq ans, dans trois ans peu t-être, il ne croyait pas C y tenir à ce point. C’est chez lui, mais est-ce bie n là une raison? Un trou, disent certains, dans les villages du plateau. Et c’est à moitié vrai. On n’y voit pas vraiment se lever le soleil. Quand il se montre au-dessus des b ois agrippés à la pente, de l’autre côté de la Salieuge, il y a longtemps qu’il fait cl air. Le regard, de tous côtés, s’arrête au premier rebord de la vallée, à deux ou trois kilomè tres, cinq au plus. Pour autant, Sauvadat n’est pas enserré dans ce qu’ on appelle d’ordinaire une gorge. Là où le bourg a été bâti, depuis un milléna ire à ce qu’on croit savoir, cette vallée s’élargit tout d’un coup sur sa gauche repou ssant à plusieurs centaines de mètres le versant, une pente aride, amoindrie et ma ngée de broussailles. Là, la Salieuge n’a pas eu à creuser: elle s’assoupit dans des gours traîtres et noirs, sinuant à travers des prés riches d’une terre marron arrach ée quelque part au loin les jours d’orages et de grandes pluies et abandonnée là par la rivière en crue. «Un petit bassin d’effondrement», ainsi que l’ont appris un jour à l ’école Jean-Paul et les autres, un jour où l’on se penchait pour une heure ou deux sur la g éographie locale. L’expression les avait un peu surpris et fait sourire un instant, le temps de lire dans le regard de l’instituteur qu’il n’y avait là rien de plaisant n i d’inattendu. Ça voulait dire que la surface de la terre, ici, à une époque lointaine, s e serait lentement enfoncée, abaissée. Et quand la Salieuge est arrivée avec ses eaux, ell e n’a pas eu, pour passer, à ronger le roc, à s’infiltrer, à saper et à décaper. Elle a dû s’appliquer, au contraire, à combler patiemment. Elle fut peut-être un plan d’eau, un la c, et aujourd’hui encore, sans le concours des hommes, de générations obstinées à dra iner, creusant, aménageant, elle peinerait à rassembler les eaux échappées de son li t aux moments d’abondance. Le bourg de Sauvadat est construit au bout de cette étendue plane, presque horizontale, à la rencontre du roc et de l’arène av ec l’alluvion, au bord de ces prairies fertiles, avec leurs zones depuis longtemps stabili sées, et celles restées humides, où la chaussure s’enfonce, où même, ici et là, sous le s pas le sol tremble et où il importe l’été de ne pas faire passer les chars. La plus gra nde partie du bourg du moins, car depuis une époque dont Jean-Paul ignore le commence ment, des constructions sont allées s’égarer sur la route tortueuse qui monte ve rs Blénan-l’Église, des maisonnettes grises, crépies et un peu tristes, couvertes avec l a tuile de Pontaumur, qui leur donne seule quelque unité. Tout autour de l’église se res serre le vieux village, les habitations anciennes de pierre sombre parfaitement taillée aux encadrements des portes et des fenêtres, aux toits pentus de lauses rongées par le s lichens et parfois si nettement incurvés au faîte qu’on se demande si une pièce maî tresse de la charpente n’a pas fléchi. L’église domine ces toits pointus au milieu desquels elle a sa place avec ses pierres massives et ses lauses de la même teinte. O n raconte qu’elle a quelque chose
de remarquable, d’exceptionnel, que les artistes sa vent reconnaître, des chapiteaux intérieurs tous différents les uns des autres, gauc hement sculptés, où, en vérité, Jean-Paul ne distingue rien d’admirable: des formes de p ersonnages, de diables, d’animaux étranges. Un vieux village qu’on reconstruira plus haut peut- être, disent certains, plus moderne, plus habitable. Y a-t-il vraiment de quoi avoir tant de regrets? demandent certains visiteurs et même quelques habitants eux-m êmes. «Et vous, disent-ils à Jean-Paul, vous qui n’êtes pas d’ici, vous êtes si attac hé à ce coin de pays?» Il n’est pas d’ici, si l’on veut. Ne pas être d’ici , qu’est-ce que ça veut dire? Pour eux, c’est ne pas y être né, et surtout ne pas y avoir s a famille, ses ascendants depuis plusieurs générations. Or, il n’est pas né ici, mai s il y est venu à l’âge de deux ans, parmi la cohue, la pitoyable débandade de 1940 dont il lui reste dans la tête quelques images floues: à un carrefour, des gens qui criaien t, une femme qui pleurait, après un effrayant fracas venu du ciel, des corps allongés a u bord de la route dans leurs vêtements d’où avait coulé du sang gluant et sombre . Son père et sa mère prétendaient se réfugier chez l’oncle Alexandre, so n grand-oncle à lui, le frère de Vincent Fontanas, son grand-père maternel, parti tr availler à Paris comme compagnon maçon et qui a eu pour unique enfant Lucie, la mère de Jean-Paul. Par cet ascendant, et par lui seul, Jean-Paul est auvergnat. Sa grand-mère maternelle, rencontrée à Paris, venait de Bretagne. Son père, Robert Jouvenay, né p resque à Paris, à Courbevoie, s’affirmait descendant de Normands… Jean-Paul est d onc auvergnat pour un quart seulement, mais il a passé son enfance dans ce pays , il l’accepte, il l’aime, il n’en connaît pas d’autre. Il ne souhaite pas vivre aille urs. S’il est resté ici, c’est d’abord la faute de la gu erre qui avait amené ses parents à s’installer chez l’oncle Alexandre, à Sauvadat, pou r le temps que durerait l’Occupation. Son père avait trouvé ici un travail de chauffeur d e camion. Un travail qui devait lui coûter la vie: le camion qu’il conduisait était équ ipé d’un gazogène, comme le furent alors la plupart des véhicules; un matin, peu avant le lever du jour, Robert Jouvenay voulut faire un somme dans sa cabine, laissant en f onctionnement l’appareil, peu conscient du danger redoutable que représentait l’o xyde de carbone aux émanations sournoises; il ne devait jamais se réveiller, asphy xié, découvert et secouru trop tard. Il ne devait pas revoir la capitale. Sa femme et son f ils eux-mêmes ne devaient pas y retourner en 45. L’oncle Alexandre était un vieux garçon. La présenc e de sa nièce, depuis 1940, l’arrangeait bien. Elle s’habitua peu à peu à le se conder dans les travaux de la ferme, quoiqu’elle ne fût pas une fille de la campagne; el le fit la soupe, le ménage. Et dès que Jean-Paul a été en âge et assez fort, il s’est lui aussi initié au métier de paysan. Lucie Jouvenay était la plus proche héritière de l’oncle Alexandre. Quand celui-ci est mort, il lui a tout légué. Ainsi est venue à la vie rurale c ette Parisienne. Jean-Paul garde une vision de son père: un homme de bleu vêtu, au teint clair un peu sanguin, sous une casquette esquisse un sourire . Mais ce souvenir n’est pas vraiment douloureux. Son père, lui avait-on expliqu é alors, était parti, loin. Il n’a découvert sa condition d’orphelin que peu à peu, et ce n’est qu’adolescent qu’il a bien compris cette souffrance dans la voix de sa mère lo rsque Lucie parle de son époux. Mais jamais elle ne s’est plainte de sa condition d e femme de la campagne à laquelle la vie ne la disposait pas. Paris, c’est plutôt par les autres que Jean-Paul en a entendu parler, et dire du bien: il y avait tant à voir à l a capitale, la vie y était tellement plus brillante qu’au fond de ce bled, de ce trou de Sauv adat perdu au fond de l’Auvergne… Mais une fois, il y est allé voir en compagnie de s a mère, pendant plusieurs jours, du
temps où l’oncle Alexandre vivait encore. Et c’étai t grand, bruyant, ça remuait, ça vivait, ça en jetait, ça en imposait. Mais c’était étouffant, aussi. Il n’avait pas été moins content de retrouver Sauvadat et son silence que de partir. Travailler ces terres héritées d’ancêtres à lui, êt re chez soi, pourquoi pas? C’est astreignant, ça ne rapporte pas beaucoup. Mais on e st son maître. On peut vivre, ici, si l’on n’est pas assoiffé d’argent, si l’on n’a pas d e goûts luxueux. Il aurait pu vivre, ici, cela lui aurait convenu. Mais les hommes en ont déc idé autrement. Et Jean-Paul Jouvenay, en cette fin de matinée de j uin, tout en redescendant vers Sauvadat, son village, médite une fois de plus la m auvaise nouvelle annoncée par il ne sait plus qui, puis confirmée par la mairie, il y a deux mois ou un peu plus (on n’avait pas encore planté les pommes de terre). C’était à p eu près décidé. C’était une nouvelle contre laquelle les habitants de Sauvadat, quelle q ue fût leur émotion, ne pouvaient rien, comme une mobilisation, une déclaration de gu erre, un bombardement. Un barrage allait être construit sur la Salieuge, une retenue hydro-électrique, une réserve d’eau surtout, qui inonderait le village et quelque s maisons alentour. On ne pouvait pas faire autrement. Alors, ça a commencé à discuter ferme, et le grand émoi provoqué a duré. Et qu’est-ce qu’ils allaient devenir, eux, les habitants? «Oh ! c’était prévu: on n’allait pas les abandonner comme ça, ils seraient indemnisés, et co nvenablement! On devait bien penser qu’on ne cause pas comme ça un tort aux gens sans les payer! Ainsi, en tout cas, l’assuraient certains. - Oui, oui, répliquaien t plusieurs autres. Mais ils n’avaient rien demandé, eux, ils étaient bien où ils étaient, ils ne se trouveraient pas mieux ailleurs. On déloge les gens de chez eux, comme ça, on les chasse sans prendre leur avis? - Ah! reprenaient les premiers, c’est l’État. C’est l’État qui commande, qui décide ce qu’il veut. Il a ses raisons. L’État est plus fo rt que les particuliers. Surtout, ajoutaient-ils, que des particuliers comme ceux de Sauvadat. C’était une grande décision que la réalisation de ce barrage. On n’all ait quand même pas se gêner pour déplacer quelques paysans, quelques… oui, c’est bie n comme ça qu’on dit à la ville, quelques culs-terreux…» Ça voulait dire, pour Jean-Paul Jouvenay, quitter l a ferme Fontanas, ça voulait dire aller travailler ailleurs. Où? Sur des terres achet ées avec l’argent de l’indemnisation, peut-être: ils recevront de l’argent! Et ils trouve ront donc des terres à acheter? Il y en a bien ici et là! Avec une ferme et des bâtiments? Peut-être, ou bien ils pourront en faire construire avec l’argent reçu! Peut-être même , a dit un personnage important venu à la mairie et qui a dû affronter plusieurs co nseillers furieux, peut-être même pourrait-on reconstruire plus haut le village, sur le plateau. Ce serait coûteux, évidemment, la question serait étudiée. Reconstruir e le village, a objecté quelqu’un, avec les fermes? Et les terres d’exploitation où se raient-elles? «Oui, ce serait extrêmement complexe, a reconnu le personnage, ce n ’était qu’un projet, une possibilité.» Voulait-on seulement atténuer leur dépit, leur chag rin? Étaient-ce des paroles «en l’air» pour gagner du temps favoriser l’attente qui entraîne toujours la lassitude? Les Sauvadatois se sont d’abord heurtés à une attit ude gênée et bienveillante, et toutefois un peu hautaine, et seule leur fermeté ré affirmée, leurs menaces, ont contraint à la conciliation, à une compréhension sa ns doute plus affectée que sincère, ces messieurs venus de la ville, venus on ne savait trop d’où. Les Sauvadatois? Ou plutôt ce petit groupe inattendu d’habitants, surpris les premiers de leur attitude, de leur volonté de résistance à laquelle, les premiers, ils n’auraient pas cru. René Chassagne, le maire, la majorité des conseille rs de la commune, personnes
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