Le disparu des grands bois
213 pages
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Le disparu des grands bois , livre ebook

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Description

Réquisitionné par la Milice pour partir travailler en Allemagne en 1943, Pierre n'en est jamais revenu. Est-il mort ou vivant ? Personne ne peut le dire. Son père, Jean, a multiplié les démarches pour le retrouver. Mais sept années de recherches infructueuses sont venues à bout même de cet homme volontaire et irascible, dont tout le village se méfie.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 13
EAN13 9782812917288
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Après des études de lettres,Michel Verrier s'est consacré à l'enseignement, puis au journalisme. À la suite du vif succès de sa saga familiale en quatre tomesoù les (Là chèvres sont pires Pue les loups, La Taille de la Saint-Vincent, Les Vignes du bout du monde, Le Retour du bout du monde), il décide d'offrir à ses lecteurs des histoires issues de faits véridiques dans le climat souvent étrange des villages et de la campagne. Chacun de ses romans est le fruit de nombreuses recherches dans les archives départementales et de rencontres avec les habitants des régions qui servent de cadre à ses intrigues.
LEDISPARU DESGRANDSBOIS
Du même auteur Aux éditions De Borée La Belle Guérisseuse, Terre de poche La Ferme des Pitaval La Maison au bout du chemin Là où les chèvres sont pires que les loups, prix Obiou 2000, Terre de poche La Rivière aux secrets, Terre de poche La Taille de la Saint-Vincent, Terre de poche Le chien qui faisait peur au diable, Terre de poche Le Mystère de Millepertuis, Terre de poche Les Vignes du bout du monde, Terre de poche
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2015
MICHELVERRIER
LEDISPARU DESGRANDSBOIS
I
ERRIÈRE LA HAUTE FORÊT de sapins qui barrait l'horizon, un voile blanc D montait vers le ciel à mesure que le soleil, qu'on devinait à peine au-delà des arbres, sortait de la montagne. Jean Besacier était assis sur son banc de pierre li sse, le dos calé contre le mur de sa ferme. Il était silencieux, presque recue illi. Son regard allait de cette large barrière verte, lourde de terribles souvenirs , jusqu'aux prés en contrebas, parcourus de ruisseaux vifs, qui ne sortiraient pas de l'ombre avant midi. Pendant de longues minutes, il s'attarda sur un poi nt particulier qui brillait au soleil quand le temps était beau, qui scintillait p arfois, là où l'eau de la source issue du cœur de la montagne coulait sans jamais s' être interrompue sauf les jours de très grand froid. Cette eau qui débouchait mystérieusement ici était la source de toutes les jalousies depuis des générations. Les équipes municipales qui s'étaient succédé aurai ent voulu l'acquérir. Les instances départementales avaient fait procéder aux tests réglementaires pour constater que cette eau était « biologiquement et c himiquement » pure, exempte de tout déchet organique, de nitrates, d'arsenic, d e plomb et de manganèse comme c'était le cas pour la plupart des sources de la région. Dernièrement, une grande société de mise en bouteil les des eaux minérales de l'est de la France avait fait une offre alléchan te que la famille Besacier avait rejetée sans appel. Cette source avait toujours abreuvé les hommes, les bêtes et les terres de cette ferme des Grands Bois. Jean Besacier avait dé cidé qu'il en serait toujours ainsi. Sinon il se serait déconsidéré aux yeux de s es ancêtres qui l'observaient de là-haut et qui lui avaient laissé les clés. Le fusil que son grand-père lui avait donné un jour était immanquablement posé au sol, juste devant ses pieds. Chargé comme d 'habitude ! Cela faisait sept ans que Jean commençait ainsi ses journées, son chien de berger assis à ses côtés, en hiver comme au mois d' août. Lorsqu'il pleuvait ou neigeait, il endossait la vieille veste de cuir mar ron qui avait appartenu à son père. Quand le temps était sec, il portait une larg e chemise à carreaux rouges décolorés, dont le col, les poignets et les coudes avaient été plusieurs fois reprisés par son épouse, Alice. Pourtant, Alice n'aimait pas la couture. Elle avait toujours voulu mettre cette vieille relique aux chiffons et la remplacer par un e ou deux autres, plus à la mode. Mais non, c'était cette vieille chemise qu'il voula it. Et uniquement celle-là. Lassée par cette obstination dont elle ignorait le sens et la raison, Alice n'avait plus jamais insisté pour tenter de lui faire change r d'avis. Les pierres de la façade, saillantes bien que patin ées par les ans, étaient froides contre ses épaules. C'était toujours ainsi, au début du printemps, quand les gelées étaient encore fréquentes dans les « en- haut », alors que dans la vallée moins fraîche les églantiers étaient déjà en fleur. Comme chaque matin, il venait de poser mécaniquemen t son menton dans la paume de sa main droite, les doigts placés contre s a bouche comme s'il soufflait dessus. Désormais, ses yeux ne quittaient plus la tache som bre dissimulée au pied
des grands arbres, là où l'on devinait le point de départ d'un sentier pentu. Si les chevreuils avaient décidé de rejoindre les b œufs regroupés autour de la grosse balle de foin posée dans le pré encore couve rt de gelée, c'était par cette trouée qu'ils allaient déboucher. Depuis toujours, ils passaient par là… Quand il était encore un gamin bien sage, il s'asse yait à côté de son père, sur cette pierre où il se trouvait maintenant. Bien sûr , à l'époque, c'était un autre chien qui veillait à leurs pieds. Pourtant, dans so n souvenir, celui-là ressemblait trait pour trait à celui qui ne le quittait plus ja mais. Lorsqu'il devint le patron de la ferme, il conserva les habitudes familiales qui se transmettaient de génération en génération depui s le jour où Jules Besacier avait coulé les fondations de cette grande maison, en 1787. D'ailleurs, chacun était fier de lire ces quatre chiffres gravés dans la pierre, accompagnés des initialesJ.B.sur le linteau, au-dessus de la porte d'entrée. Quand les travaux de la ferme lui en laissaient le temps, Jean venait alors s'asseoir ici pour perpétuer cette tradition qu'il trouvait belle.
* * *
En ce jour maudit du mois de février 43, c'était précisément là qu'il était assis. Comme d'habitude, il attendait l'arrivée des chevre uils. Mais, cette fois-là, il n'en aperçut aucun. À leur place, il découvrit quat re hommes vêtus de longs manteaux noirs… Depuis cette tragique apparition, il n'avait pas ma nqué un seul rendez-vous avec cette embardée de son destin, comme si une force irrépressible l'obligeait à venir dans une sorte de recueillement qu'il devait à son fils.
Bien avant la guerre, il venait souvent ici, à son « point d'observation », comme il le disait, accompagné de ses deux garçons et de sa fille. Les enfants adoraient ces instants silencieux. Chacun se conten tait de discrets signes de la main. Jean leur montrait alors comment les chevreui ls, poussés par l'attrait d'une nourriture abondante, venaient partager l'herbe de la grande pâture au printemps, et le fourrage en hiver, avec les bœufs qui les acceptaient parmi eux. De décennie en décennie, les chevreuils et les bœuf s n'étaient pas les mêmes, bien sûr, mais les animaux, les domestiques comme l es sauvages, conservaient ce comportement immuable, dicté par la force de la nature. Les trois enfants adoraient cet instant où la harde sortait du bois. Émus, incapables de dire un mot, ils observaient les cabr is et les chevrettes, jusqu'au moment où, après avoir brouté pendant de longues mi nutes, rassurées, les bêtes fuyaient à toute allure en des bonds majestue ux comme si un signal mystérieux leur commandait de regagner le couvert d es arbres pour s'y tenir à l'abri. C'était peut-être l'ancestral souvenir des loups qu i chassaient encore au milieu de ces bois-là, un siècle plus tôt, qui leur donnai t l'ordre d'abandonner les bœufs dociles…
En ce matin de fin d'hiver, Jean était seul à son p oste habituel. Il fumait sa
remière cigarette de la journée. Celle qu'il préfér ait, après la soupe du matin et le bol de chicorée. Pierre, son fils aîné, s'était levé en même temps q ue lui. Sans tarder, il avait filé dans l'étable pour y changer les litières des vaches. Son épouse avait quitté le lit la première pour ran imer les braises de la cheminée et faire réchauffer la soupe. Leur fille, Lisette, avait rejoint sa mère pour l'aider à dresser la table du matin. Quant à Martial, le cadet, il pestait contre cette fichue école qui l'obligeait à se lever alors qu'il faisait encore nuit. À ce moment-là, Jean attendait les chevreuils. Il v it arriver les voyous… Quelques secondes plus tard, Pierre, qui sortait de l'étable en poussant la brouette emplie de fumier, les vit lui aussi. Sans attendre, il rejoignit son père. Il venait de comprendre qu'il avait perdu et qu'il all ait devoir suivre ces bandits en noir. Jean se leva et vint se poser devant lui en l e protégeant de ses larges épaules. Ces quatre-là, qui montaient vers eux en souillant l'herbe des prés de leurs semelles de traîtres, étaient pires que les sbires de la Gestapo. Ils s'étaient portés volontaires pour faire leur sale besogne alo rs que personne ne leur avait rien demandé. De loin, il avait reconnu le fils Cou vreur, le Roland, qui avait toujours été le premier à dénoncer ses camarades à l'école. En fait, le fils suivait le modèle de son père, qui était parvenu à obtenir l'usage de pâtures qui ne lui appartenaient pas, grâce à un chantage qu'il avait exercé contre l'ancien maire. La magouille était dans le sang des Couvreur… Ici, tout le monde le savait. Jean reconnut aussi Marcel Plantet, le neveu de Geo rges Bataille, son conscrit, qui était un brave homme, lui. Mais, si l 'oncle était un paysan rude et loyal, le neveu était une peste qui aurait été capa ble de vendre sa sœur aux Allemands, si l'on prêtait l'oreille à ce qu'on dis ait dans le village. D'ailleurs, c'était sans doute la vérité. En fait, cela faisait trois mois que la jeune fille avait disparu… Les deux autres, Jean et son fils ne les avaient ja mais vus.
II
EAN REPRIT LENTEMENT CONNAISSANCE en sentant couler de l'eau fraîche J sur son front. Il eut l'impression encore diffuse q ue quelque chose venait de basculer, mais il était incapable de comprendre ce qu'il faisait là, couché sur la terre humide comme s'il avait trop bu, incapable de se relever. La douleur s'éveilla en même temps qu'il se redress a. Il sentait que son visage était couvert de plaies. Il respirait mal comme si ses côtes étaient brisées. Son dos semblait paralysé et, lorsqu'il bougea de quelq ues centimètres, il ne put réprimer un cri qui résonna sans doute jusqu'au fon d du vallon. Alice lui parlait doucement - en tout cas, il crut entendre sa voix , elle passait un linge mouillé sur ses joues tuméfiées couvertes de sang séché dans sa barbe de trois jours. Quelques minutes plus tard, il commença à distingue r son visage, proche du sien. Tout d'abord, il n'en crut pas ses yeux qu'il ouvrait à peine, mais très vite il dut se rendre à l'évidence. Elle aussi avait le vis age en sang, les lèvres coupées et le nez déjà bleu, sans doute cassé. Elle pleurai t. Il parvint à s'appuyer sur un coude pour regarder a utour de lui. Les murs de la ferme, d'abord flous, se stabilisèrent. Le soleil d onnait aux pierres de la façade une teinte irréelle, un peu comme si le soir tombai t alors qu'il faisait grand jour. Petit à petit, les choses reprirent forme tandis qu 'il parvint à se relever en grimaçant. Son regard plongea alors sur les prés en contrebas, puis vers la forêt et le petit chemin. Il eut l'impression que ces ban dits aux longs manteaux venaient juste de disparaître sous les arbres. Il se trompait. Bien sûr, ils étaient repartis par là. Mais il y avait déjà bien longtemps. C'est à ce moment-là qu'il comprit que P ierre était avec eux et que la situation était alors très grave. Jean savait que son fils était recherché. Pierre s' était déjà caché en deux occasions, mais là il s'était fait surprendre au pe tit jour. Certains indices, qu'il avait glanés au village, lui avaient fait croire qu e le danger était écarté. Au café de la bascule où il se rendait parfois pour jouer a ux cartes et boire quelques verres, on lui avait dit que les miliciens qui pour chassaient les réfractaires au 1 S.T.O . avaient quitté les lieux pour passer de l'autre c ôté de la montagne. Il avait eu tort de croire à ces paroles naïves. Il n'avait sans doute pas imaginé que les traîtres étaient partout. Il venait de l'ap prendre à ses dépens. Pourtant, son père l'avait mis en garde : - Méfie-toi, mon Pierre. Ne crois pas trop à ce qu' on raconte en bas. Tu sais, quand les gars ont bu quelques canons, ils ne saven t plus ce qu'ils disent. - Peut-être bien, mais Lazare me l'a confirmé lui a ussi. Et il a beau être cantonnier et tambour de ville, Lazare, il ne boit que de l'eau, lui. Et il en était sûr et certain : « Ils ont foutu le camp, ces bracos, c 'est même le maire qui me l'a dit… » - Alors, s'il y en a un à qui je ne ferais guère co nfiance, c'est bien le maire, si tu veux savoir. N'oublie pas que c'est lui qui a fa it monter les gendarmes jusqu'ici quand on a caché les deux paras. Pierre accusa le coup. Quelqu'un les avait sans dou te dénoncés et le maire s'était empressé de faire plaisir aux autorités. Mais comme depuis deux mois la menace semblait s'êt re envolée, il n'avait plus quitté la ferme où il y avait tant de travail. Ce fut là sa seule erreur. Ils
venaient de le cueillir sans qu'il puisse opposer l a moindre résistance.
Alors que Jean se remettait à peine de son étourdis sement, sa seule pensée fut pour son fils. Puisqu'il était paysan, Pierre a llait sans doute partir pour l'Allemagne, dans une autre ferme, pour y remplacer des garçons partis à la guerre. À moins qu'il ne soit envoyé dans une usine pour y fabriquer des obus qui allaient peut-être leur tomber dessus un jour o u l'autre. Il se retourna vers sa femme qui pleurait toujours, la main crispée sur un mouchoir rouge de sang collé contre sa tempe. Soudain, il sursauta et, à sa grande surprise, ne s entant plus le mal qui lui tenaillait le dos tout à l'heure, se leva d'un seul coup, comme il le faisait quand il avait vingt ans. - Et Lisette, où est-elle ? s'écria-t-il en marchan t vers la maison. Hein, Alice, où est-elle, Lisette ? Mon Dieu, pourvu que… - Elle doit être dans la chambre avec Martial, répo ndit Alice d'une voix sourde comme si elle avait de l'ouate dans la bouche. Le g amin, il dormait quand ils sont arrivés. Lisette était avec moi devant la cuis inière. - Elle est sortie, elle ? Elle t'a suivie ? Sa voix tremblait. Il était fou d'angoisse. - Je ne crois pas, marmonna Alice. Je lui ai demand é de rester avec son frère. - Si seulement c'était vrai. Il se mit à courir. Alice ne l'avait plus vu filer aussi vite depuis au moins dix ans - Oh, nom de Dieu ! hurla Jean en s'engouffrant dan s le couloir, faisant fi de la douleur qui lui tenaillait la poitrine. Il n'y avait pas le moindre bruit dans la cuisine. Il fila vers la chambre des garçons dont il ouvrit la porte à toute vitesse. Ma rtial dormait comme un bienheureux, recroquevillé en chien de fusil sous l e duvet en plume d'oie. Lisette n'était pas avec lui comme sa mère le lui avait rec ommandé. Très vite, il s'engouffra dans le couloir puis péné tra dans la cuisine. Le lard qui cuisait dans le grand faitout posé sur la plaque de la cuisinière sentait bon. Il n'y avait personne. Lisette n'était pas là non plus. Alice l'avait rejoint. Jusqu'à cet instant, l'espri t chaviré par les coups qu'elle avait reçus, elle n'avait pas pensé à leur fille. M ais, maintenant, devant la panique qui avait envahi son mari, elle eut soudain une vision d'horreur qui la ramena vingt ans en arrière. Lorsqu'elle était jeun e fille, c'est elle qui avait retrouvé Rolande Auclair, dans la grange de ses par ents, muette, hébétée, tordue de douleur après ce que des voleurs de poule s lui avaient fait subir, alors que ses parents travaillaient aux champs. En une fraction de seconde, le visage de Rolande pr it les traits de celui de Lisette… Jean n'en pouvait plus. Il hurla plusieurs fois le nom de sa fille. Jusque dans la grange, puis la cave et l'écurie. Sans la moindre réponse…
* * *
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