Le Pont du diable
152 pages
Français

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Description

En 1987, Simon revient sur les lieux où vécut Manu, son cousin de la campagne qu'il admirait entre tous. Vingt-cinq ans plus tôt, le jeune Manu fait une impressionnante chute d'un pont. Il en sort vivant mais avec une jambe infirme.

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 10
EAN13 9782812914454
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’envie d’écrire tenailleDaniel Dupuy depuis l’âge de dix-sept ans. Fort d’un premier succès avec Fontcouverte, qui a obtenu le prix Charles-Exbrayat 2007, il signe son quatrième roman aux éditions De Borée.
LEPONT DU DIABLE
Du même auteur Aux éditions De Borée
Fontcouverte, Terre de poche, prix Charles Exbrayat 2007 Le Mystère Fontbrune Les Quatre Jeudis, Terre de poche
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2015
DANIELDUPUY
LEPONT DU DIABLE
Il avait le soleil dans le coeur.
La vie continue
PRES AVOIR PENIBLEMENTparcouru un petit kilomètre de côte raide sur A l’étroit chemin de terre parsemé d’ornières qui ser pentait sous l’obscur feuillage des châtaigniers, le paresseux attelage é tait enfin parvenu au sommet de la butte et s’apprêtait à entamer la dangereuse descente sur le versant opposé. Manu était obligé d’emprunter le petit pont qui enj ambait l’Andorge. Un pont en bois. Deux épais rondins jetés de chaque côté de la rive enserraient des traverses de chemin de fer. Compte tenu de l’heure avancée, l’adolescent n’avait plus le choix pour rejoindre la vieille bâ-tisse où il logeait entouré des siens. Le petit pont faisait tout au plus deux mètres de l arge. En guise de garde-fou, de part et d’autre, un vulgaire piquet reposait de tout son long sur deux branches taillées en fourche et plantées à la va-vite. Les Bellon – c’était le nom de famille à laquelle M anu appartenait – empruntaient ce petit pont depuis des années. Il pe rmettait de rejoindre cinq fois plus vite les deux extrémités de leur vaste proprié té plantée essentiellement de châtaigniers centenaires. Sans aucun doute, l’âge d e cette passerelle avoisinait celui des arbres qui l’entouraient. Manu se tenait assis à califourchon sur le crochet d’attelage qui re-liait le motoculteur à bras à une remorque-plateau fabricati on maison. Sur le plancher de cette remorque, une dizaine de sacs de châtaigne s de cinquante kilos chacun. Un chargement démesuré et, bien que l’engin avançât à l’allure d’un escargot en faisant un boucan énorme, Manu, avec se s mains, emprisonnait fortement les poignées du motoculteur pour ne pas p erdre l’équilibre. Le bout des godasses du gamin frôlait le sol tandis qu’il r egardait en contrebas le lacet tortueux que dessinaient les eaux bouillonnantes de l’Andorge. À cette époque de l’année – on était début novembre –, des pluies à répétition avaient grossi le débit du torrent versatile. L’eau, en dévalant la p ente, cognait contre les cailloux et émettait une espèce de concerto effrayant en jou ant avec les parois des gorges. Manu gardait un œil sur son chargement pour s’assurer que les sacs de châtaignes soumis aux soubresauts ne tombent pas de la charrette. Ce n’était pas le moment de perdre la précieuse cargaison. La vente des châtaignes était la prin-cipale source de revenus des Bellon et perm ettait d’assurer la jointure jusqu’aux récoltes de l’été; sinon, à coup sûr, Adrien, son père, aurait été intraitable. Manu aurait essuyé une sévère correcti on. Une bas-tonnade ou une volée de coups de ceinturon.
Ce que le jeune homme ignorait, c’est que ce jour-l à le petit pont al-lait céder et qu’ils allaient, lui, sa monture et tout le char gement, bas-culer dans les eaux tumultueuses de l’Andorge. Il ne savait pas encore qu’il allait rebondir comme un ballon sur les blocs de pierre, et s’écraser six mè tres plus bas.
.../...
Prologue
’HISTOIRE QUE JE VAIS VOUS CONTER, je n’en ai pas été le témoin direct. Je L l’ai traversée involontairement par intermittence, lors de mes trop brefs séjours à Sainte-Cécile-d’Andorge, au fil de mes re ncontres avec les différents protagonistes qui l’ont vécue. L’un d’entre eux, ma lgré mon jeune âge, a bien voulu se confier à moi. Par empathie ou par besoin? Peut-être les deux à la fois. C’est grâce à lui que j’ai réussi à reconstituer le puzzle. Je n’étais pourtant qu’un gamin. Je l’ai éc outé sans prendre de notes parce que j’ignorais que je divulguerais un jour ce s événements, et parce qu’à quinze ans je n’avais pas l’esprit gratte-papier. Aujourd’hui, bien qu’un demi-siècle se soit écoulé, je fais pleine-ment confiance à ma mémoire de gosse, tant ces péripéties m’ont ém u en leur temps, et c’est avec une jubilation immense que je restitue ici les tranches de la trop courte vie d’Emmanuel dit Manu, mon jeune cousin cévenol; plus particulièrement surnommé «Toi» par son père. Je crois pouvoir affir mer que c’est son père, Adrien, qui, dès la naissance, l’a affublé de ce su rnom «anonyme». Comme si ce nou-veau-né n’avait pas d’identité, comme s’il n ’existait pas. Un petit être malvenu sur cette terre. J’interviendrai donc au cours de ces lignes pour en richir ce récit de mes souvenirs. Ce coin de mon enfance et les moments qu e j’ai vécus survivent encore en moi. C’est toujours avec un plaisir immen se, où, parfois, un indéfinissable chagrin vient se glisser, que je me remémore ces instants de bonheur magique à Sainte-Cécile-d’Andorge. Cette histoire se déroule dans un village des Céven nes perché sur un promontoire. Je rectifie: en fait deux villages. L’un se nomme Sainte-Cécil e-d’Andorge, il est dans le Gard; son vis-à-vis s’appelle Saint-Julien, il est en Lozère. Ils se font face sans se regarder. Ils s’ig norent parce qu’ils se détestent. L’Andorge, à la fois torrent impétueux ou calme rui sseau selon la saison, marque la frontière entre les deux départements. L’Andorge est à la fois une limite géographique, administrative, religieuse, mais surt out humaine. De part et d’autre vivent des clans opposés. Pourquoi opposés? Cette animosité remonte à la nuit des temps. Dans ce pays d’obédience protest ante, Sainte-Cécile, à la manière d’une enclave pontificale, est restée fidèl e au catholicisme.
VANT DE BASCULER DANS LE VIDE, Manu releva la tête une fraction de A seconderayon de soleil; en cet instant précis, un stupide et imprévisible perça le feuillage clairsemé des arbres et le contraignit à fermer les yeux. Malgré l’éblouissement, il aurait juré avoir entrevu sur l a rive opposée une ombre mouvante se faufiler derrière les troncs serrés des châtaigniers. Aussitôt il rouvrit les paupières mais n’eut pas le temps de sécher ses yeux, car il venait de percevoir sous ses fesses le premier tremblement du tablier du pont sous le poids de l’attelage. Il actionna l’accélérateur à f ond pour projeter l’engin de l’autre côté. En vain… Ce fut la chute inéluctable. Terrible. Le tumulte des eaux de l’Andorge étouffa le bruit.
Emmanuel dit « Manu »
ETTE ANNÉE-LÀ – c’était en 1961 –, les vacances de Pâques débutè rent fin C mars et c’est un peu à contrecœur que je montai dan s l’auto de mon père pour venir passer en famille quelques jours à Saint e-Cécile-d’Andorge, à la ferme de mon oncle Adrien, le père de Manu. Pour mo i, rendre visite à mon oncle Adrien n’était pas quelque chose de très gai; en revanche, j’aimais bien Marthe, son épouse (qui était aussi ma marraine), e t leur fils Manu qui, bien que plus âgé de cinq ou six ans, acceptait de me «prend re» avec lui dans ses balades en forêt. Manu, ce n’était pas un gros bava rd, mais il m’apprenait des tas de trucs et me faisait découvrir les coins les plus secrets de son domaine qu’il connaissait comme sa poche. En règle générale , d’un simple mouvement de tête, il m’invitait à le suivre; il marchait devant pour reconnaître le terrain et m’éviter de trébucher, à moins que ce comportement soit le signe de la préséance réservée aux aînés? J’en doute. Chez Manu, tout était naturel. Jamais je n’avais détecté chez lui la moindre divul gation de nos escapades. Avec moi, il se comportait comme un grand frère; c’est pour cela que j’appréciais sa compagnie, même silencieuse. Quand j’ouvris la portière de l’auto, dès que mon p ère eut stoppé dans la cour de la ferme des Bellon, une espèce d’appréhension b izarre me noua le ventre et un éclair glacé parcourut ma poitrine. J’ignorais p ourquoi, mais je trouvai anormal que Manu ne vînt pas à ma rencontre comme i l en avait l’habitude. Une route étroite et sinueuse, bordée de pins gigantesq ues, montait jusqu’à la ferme nichée dans une clairière invisible depuis la chaus sée. La ferme des Bellon, surnommée «les Tilleuls» (parce que deux énormes ti lleuls, comme des sentinelles, bordaient l’entrée de la cour immense), était nichée au fond d’un cul-de-sac. Impossible que Manu n’ait pas repéré le bru it de la voiture de papa. On entendait arriver une automobile à deux kilomètres, dès que l’on quittait la route nationale qui reliait Alès et Florac. Le village ha ut perché de Sainte-Cécile-d’Andorge était le dernier avant la frontière Gard-Lozère. Ce jour-là et ceux qui suivirent, je ne vis pas mon cousin Manu. Ma marraine nous conta avec force détails le terrible accident de son fils et les diverses fractures relevées. Le coma, le réveil difficile, l es interventions chirurgicales et, à présent, le centre de rééducation du Grau-du-Roi où Manu tentait depuis cinq mois de réapprendre à marcher et à vivre. Quand mes parents s’étonnèrent de ne pas avoir été mis au courant, Marthe, ma marraine, désigna son mari d’un mouvement discre t du menton. Un bref silence s’installa et nous en comprîmes le sens. Mê me moi. Ma marraine venait, d’un simple geste, de nous dire que son rustre de m ari n’avait pas souhaité ébruiter cet accident. En fait, Adrien avait pureme nt interdit à tous les siens d’en parler. Je savais depuis toujours que mon oncle n’aimait pa s Manu. Enfin, je le supposais, car j’avais assisté à des punitions immé ritées. Pour quelques minutes de retard, ou pour un ordre non exécuté, Ma nu recevait deux torgnoles bien appuyées, quand ce n’étaient pas des coups de ceinturon. J’avoue que je n’ai jamais compris cette espèce de colère injustif iée de mon oncle Adrien envers ce pauvre Manu. D’ailleurs, je n’ai jamais c ompris pourquoi un père n’appelait pas son fils par le prénom qu’il lui ava it donné à la naissance. Il lui disait «Toi» et, même quand toute la famille était réunie autour de la table, il
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