Le sourire d Hélène Châtel
144 pages
Français

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Le sourire d'Hélène Châtel , livre ebook

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Description

Le Sourire d’Hélène Châtel, la nouvelle qui donne le titre à ce recueil, résulte d’une épiphanie, c’est-à-dire d’un événement anodin qui déclenche soudain la remontée d’un souvenir qui, bien qu’enfoui profondément dans l’esprit du narrateur, n’a jamais cessé de le hanter.
La madeleine trempée dans la tasse de thé de Proust est du même ordre. Mais là s’arrête la comparaison, car Gaby, le personnage récurrent de ces récits, provient d’un milieu socio-économique fort différent de celui du narrateur de La recherche : Pointe-aux-Trembles, une agglomération urbaine située sur la portion orientale de l’île de Montréal (Canada), n’est vraiment pas comparable au très riche quartier d’Auteuil, à Paris (France).
Le Sourire d’Hélène Châtel, comme les huit autres nouvelles qui composent ce recueil, exprime un acte de mémoire pour en tirer un enseignement quasi trivial : quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, on ne sort jamais du pays de l’enfance.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 janvier 2011
Nombre de lectures 11
EAN13 9782923916187
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0026€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le sourire d'Hélène Châtel
DANIEL DUCHARME
© ÉLP éditeur, 2010
www.elpediteur.com
elpediteur@yahoo.ca
ISBN 9782981108593
Couverture : Margret Hofheinz-Döring, Not Ending Road
Source : wikimedia commons
Polices libres de droit utilisées pour la composition
de cet ouvrage : Linux Libertine et Libération Sans
ÉLP éditeur, le service d'éditions d'Écouter Lire Penser, un site
dédié à la culture Web francophone depuis 2005, vous rappelle
que ce fichier est un livre numérique (ebook). En l'achetant, vous
vous engagez à le considérer comme un objet unique destiné à
votre usage personnel.Tables des matières
Le sourire d'Hélène Châtel
La rondelle volée
Une place assise
Toute une vie
Charogne
Le lecteur
La parole absente
Jo
Zacka
Au chevet de ma mère1Le sourire d'Hélène Châtel
Je suis archiviste. En soi, cela n’a pas vraiment d’impor­
tance pour la compréhension de ce récit, si ce n’est que cela
en constitue le point de départ, l’élément déclencheur qui a
fait ressurgir dans mon esprit le sourire d’Hélène Châtel.
En tant qu’archiviste, je suis chargé entre autres choses
d’analyser les calendriers de conservation des organisations
soumises à la Loi sur les archives. Au Québec, cette loi oblige
les organismes publics à faire approuver ces calendriers par
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, institution
dont je suis à l’emploi depuis quelques années. Sans entrer
dans des détails fastidieux, disons simplement qu’il s’agit de
tableaux de gestion dans lesquels sont établies des durées de
conservation en fonction des grandes séries de dossiers qui
ont cours dans les organisations. Mais ce qui intéresse au
premier chef mon institution, c'est que dans ces tableaux se
1 Le sourire d’Hélène Châtel a été publiée dans la revue Virages, no 42 (hiver 2008),
p. 15-21. trouvent également consignées les décisions relatives au sort
final des documents une fois les délais écoulés : élimination
ou versement, c'est-à-dire destruction ou conservation per­
manente à titre de patrimoine documentaire de la nation.
En novembre dernier, je travaillais à l’analyse d’un calen­
drier de conservation en provenance d’une commission sco­
laire de l’est de l'île de Montréal. Il s’agissait d’une règle qui
s’appliquait aux documents produits dans les écoles pri­
maires. Elle indiquait que les dossiers des élèves ayant fré­
quenté l’école primaire avant 1970 pouvaient être éliminés à
l’exception de ceux portant des noms de famille commen­
çant par les lettres D, M et S. Cette règle de tri, que l'on
n'applique guère aujourd’hui, n’a qu’un seul avantage :
conserver un nombre relativement restreint de documents
parmi une grande série de dossiers de même nature. En me
penchant sur cette décision, je me rendis soudain compte
que mon propre dossier échapperait au couperet puisque
mon nom – Dumas – commence par la lettre D. Par contre,
celui d’Hélène Châtel, qui avait fréquenté l’école Sainte-Éli­
sabeth en même temps que moi, allait être envoyé à la
déchiqueteuse. Hélène, mon Hélène, la meilleure de la
classe, allait donc mourir une seconde fois.
Et c’est ainsi que, subrepticement, tout me revint en mémoire.
Daniel Ducharme – Le sourire d'Hélène Châtel / 5o0o
J’allais sur mes neuf ans lorsque, en 1965, je commençais
ma troisième année d'école primaire à Sainte-Élisabeth, une
epetite école de la 6 avenue à Pointe-aux-Trembles. Pour la
première fois, les classes étaient mixtes. Dès les premiers
jours, je remarquai la présence d’une petite fille aux cheveux
châtains légèrement ondulés, aux yeux couleur noisette, aux
lèvres charnues, au nez fin. Elle était assise sur le deuxième
banc de la première rangée, sur la gauche. La maîtresse
m’ayant assigné le cinquième banc de la première rangée de
droite, je voyais Hélène de profil, légèrement en plongée.
Tout de suite, je tombai éperdument amoureux d’elle.
Quelque chose d’étrange émanait de cette petite fille. Un
air grave qui contrastait avec sa taille délicatement menue.
Première de la classe, elle réussissait dans toutes les
matières sans manifester le moindre effort. Elle répondait
sans vanité aucune aux questions que posait madame Fré­
chette, la maîtresse. Elle ne levait jamais la main pour signi­
fier qu’elle connaissait la réponse à une question. La maî­
tresse, après avoir fait en vain le tour des élèves, se tournait
vers elle, d’un air plutôt blasé, et disait : « Hélène ? » Et
cette dernière donnait la réponse sans enthousiasme, avec
Daniel Ducharme – Le sourire d'Hélène Châtel / 6sa voix douce, à la sonorité mi-aiguë mi-grave, quasi mono­
corde en somme.
Hélène fut mon premier amour, mon premier grand
amour. Un amour fou, en quelque sorte. La nuit, dans mon
lit, je prononçais son nom, que je trouvais exquis. Collant
mon visage contre l’oreiller, je m'exerçais à reconstruire
son image. Puis je m’endormais, rêvant qu’à vingt ans j’al­
lais la retrouver, l’épouser, lui faire des enfants. Le lende­
main, je l'observais à l'école, de loin, en me promettant de
corriger mes erreurs de physionomiste la nuit suivante.
Pour la conquérir, j’entrepris de mieux travailler à l’école.
Après le repas du soir, je sortais mes cahiers fripés et repas­
sais tout ce que j’avais appris dans la journée. Parfois, éton­
née, ma mère me demandait : « Tu ne vas pas jouer dehors
avec tes amis ? » Et moi, levant à peine la tête, je lui répon­
dais : « Non, Maman, j’ai du travail. » Mais, en dépit de mes
efforts, je n'ai jamais réussi à occuper le même rang qu'Hé­
lène. Néanmoins, l’amour que je lui vouais me propulsa, me
galvanisa, au point que j’obtins le troisième rang au
deuxième trimestre de cette année-là. Cela fit la gloire de ma
mère, la fierté de mon père… et l’envie de mes frères !
Daniel Ducharme – Le sourire d'Hélène Châtel / 7Tout ce qui monte redescend, dit-on. Dans mon cas, il
serait plus juste de parler de chute ou de dégringolade. En
effet, un jour de février 1966, alors que j’étais sans doute
trop sûr de moi, je me fourvoyai complètement dans un
contrôle d’arithmétique, inscrivant la réponse du deuxième
problème à l’emplacement du premier et continuant à me
tromper un peu partout. En dépit de mes explications et de
mes « mais, Madame… », la maîtresse m’obligea à rester
après la classe pour reprendre un à un tous les problèmes.
J’en fus abasourdi car, de ma vie, il ne m’était jamais arrivé
de rester à l’école après les heures de classe. Première humi­
liation. Pour m’aider à résoudre les exercices d’arithmé­
tique, madame Fréchette demanda l'aide d'Hélène, mon
Hélène dont, du haut de mes neuf ans, j’étais amoureux à
en perdre haleine… Deuxième humiliation. Et comme si tout
cela n’était pas assez, j’éclatai en sanglots, au moment où
Hélène s’approcha de mon pupitre. On eut dit un petit ange
dont le moindre pas semblait soulevé par la grâce. Voyant
mon désarroi, la maîtresse vint me calmer et fit asseoir
Hélène à mes côtés. Celle-ci, de sa voix mi-aiguë mi-grave,
quasi monocorde en somme, mit fin à mon supplice en me
donnant rapidement les réponses. Alors moi, pleurnichant
doucement sans oser la regarder, animé par l’indignation
Daniel Ducharme – Le sourire d'Hélène Châtel / 8que procure toute injustice, j’écrivis les réponses qu’elle me
donnait, conscient qu’elle faisait en quelque sorte les exer­
cices à ma place.

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