Un parfum d amour éternel
201 pages
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Un parfum d'amour éternel , livre ebook

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Description

Nathalie et Marceau s'aiment. Nathalie et Marceau se marient. Leur union donnera naissance à cinq enfants. Ils possèdent un petit domaine agricole qu'ils n'auront de cesse d'agrandir et de diversifier pour mettre leur famille à l'abri du besoin. Cependant, les malheurs n'épargneront pas les Teissier.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 20
EAN13 9782812914522
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Le goût d’écrire est venu àMireille Pluchardlors de ses recherches généalogiques. Est née alors une trilogie, la saga des Teissier, narrant la vie de sept générations de ses ancêtres. Passionnée d’Histoire et d’histoires, M ireille Pluchard brosse les portraits de personnages attachants et sait entraîner le lecteur dans des intrigues palpitantes.
Du même auteur Aux éditions De Borée Halix de Bagard, Terre de poche L'Étoffe des jours La Tresse d’or, Terre de poche Le Mas de la Sarrasine Le Moulin du Prieuré Le Petit Bâtard Le Puits Sans-Nom, Terre de poche, prix de la ville d’Hagondange 2011 Les Diamants noirs Les Sentes buissonnières En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©De Borée, 2015
MIREILLEPLUCHARD UN PARFUM D'AMOUR ÉTERNEL
Première partie NATHALIE
À Nathalie et Marceau, ceps noueux et enlacés à l’image de Philémon et Bau cis, éternellement enracinés dans leur mas cévenol.
I
La couronne de perles
ATHALIEueaosd'nsorcbe,reielison.Prdelama,ednassède'llOUAVSECNELISELTIAR Ncrépitements joyeux et réconfortants. petit Kléber dormait, repu. Seule la cheminée troublait cette quiétude inhabituelle de ses Trois têtes brunes et une dont les tempes et la nuque grisonnaient contemplaient un nouveau-né qui gesticulait dans ce nid de dentelle blanche auquel une servante avisée venait d’ajouter un nœud de satin rose. Pelotonnée dans l'un des fauteuils de paille dispos és devant l'âtre, l'adolescente se laissait envelopper par ce bien-être rare au point d'en oublier ses pieds meurtris par les longues marches de la semaine écoulée, son nez rouge et irrité à cause d'un gros rhume qui n'en finissait pas et ses cheveux poisseux des vapeurs permanentes de la filature. Nathalie avait eu quatorze ans au mois d'août et, j usqu'alors, rien dans sa silhouette filiforme n'avait laissé deviner la jeune fille qui allait na ître ; petite, maigrichonne, brune de teint et de cheveux, telle était l'image que lui aurait renvoyée une psyché si elle avait eu l'idée de l'interroger. Mais Nathalie alliait à cette allure de gamine un tempérament de garçon manqué qui l'éloignait de toute considération coquette et la rapprochait d'Albin, son frère de deux ans son cadet. Télémaque Marion, le père de Nathalie, se réjouissait de cet état de fait, lui qui faisait peu cas des minauderies féminines. - Il n'est pas encore né, celui qui épousera ma Nathalie ! disait-il à la cantonade. C'est qu'elle en abattra du boulot, la diablesse, et une femme comme elle, ça se mérite, parole de Télémaque ! L'aimait-il son mythologique et hellénique prénom ! Et avec quelle conviction le revendiquait-il au quidam sourcilleux qui s'en étonnait ! Au point de ponctuer bon nombre de ses phrases par un « Parole de Télémaque ! » propre à laisser son interlocuteur pantois. La mère de Nathalie, peu coutumière d'élans de tendresse - le travail, les petits, la maison, la vie enfin , avait une façon bien personnelle de câliner ses enfants : elle les affublait de diminutifs affectueux, plus ou moins bien seyants et vivait ainsi l'âme en paix nourrie de l'amour qu'elle leur dispensait. - Thalie, va chercher deux seaux d'eau à la fontaine. Essaie de ne pas tremper tes jupons en allant trop vite ! Thalie ! Elle ne se plaignait pas, la caresse de ce nom qui traînait avec l'accent cévenol « Thaliiie » valait tous les baisers maternels jamais reçus. - Binbin, va vite faire une provision de bois avant que la nuit tombe. Binbin ! Albin était furieux et ne trouvait pas de consolation à sa misère morale car tout le village de Bagard l'appelait Binbin, les uns en toute innocence affectueuse, certains avec un petit sourire sarcastique, et les gamins, impitoyables, avec force moqueries à la clé. Deux personnes pourtant lui rendaient sa fierté : son père et Nathalie qui l'appelaient Albin ; en échange, il admirait l'un et adorait l'autre. Juliette-Camille, la petite sœur, se hâtait de répo ndre quand on l'appelait Miette, surnom sorti de l'imagination maternelle, qui lui seyait si bien au point que toute la famille l'avait adopté. Petite, maigrelette, le visage lisse et minuscule, une miet te d'enfant était sortie des entrailles de Mme Marion un matin de janvier 1885. Contre toute crain te, étant donné sa difficulté à pousser son premier cri, elle s'était obstinée à vivre, tenait peu de place, faisait peu de bruit mais existait ! - Nous l'appellerons Juliette-Camille, avait décidé la jeune accouchée. Puis elle avait ajouté : - Et moi, je l'appellerai Miette. - Pour une fois, ma femme, je te donne raison. Va pour Miette. Parole de Télémaque, ça lui va bien ! Thalie somnolait presque tant la chaleur de la pièce engourdissait ses membres endoloris ; une
bûche brûlée en son milieu tombant des chenets la fit sursauter. Elle jeta un coup d'un œil sur Kléber toujours endormi et sourit en parlant au bébé : - Tu es encore trop jeune, Kléber, pour que notre mère te dote d'un petit nom gentil, mais cela ne tardera pas. Courage, petit frère, je crains le pire. Un peu d'humour, moins de rudesse dans la voix et mille autres petits détails : l'adolescente était en train de changer ! À l'instar de ces chenilles enrobées dans leur chape de soie qu'elle ébouillantait à longueur de journée à la filature de la Madeleine, elle essayait de s'évader du cocon de l'enfance. Pour cela, il lui faudrait du temps, des maladresses, et des jours noirs où l'enveloppe se referme et vous tient prisonnière ; mais les ferments de vie qui poussaient l'adolescente à s'épanouir étaient une sève puissante, entêtée et à coup sûr victorieuse. L'avenir de Nathalie était hors de la gangue familiale. À elle de le construire. Après avoir éparpillé les tisons sur lesquels elle posa une bûche de chêne, elle se laissa reprendre par sa rêverie mi-lucide, mi-embrumée. Cette journée de grâce, ainsi nommait-elle ce dimanche exceptionnel et bienfaisant, elle le devait à sa mère qui, si elle manquait de tendresse ou de temps pour l'exprimer, se voulait attentive à la santé de ses enfants. 1 - Miette et Binbin vont partiroliver avec toi, Télémaque ; moi, je viendrai vous rejoindre dès qu'il aura tété, avait-elle dit en pressant le petit Kléber contre son sein. - Et Nathalie ? questionna le père. - Thalie a pris froid, elle restera dedans à surveiller Kléber. Télémaque, peu habitué à une quelconque sollicitude envers un nez qui coule, haussa ses maigres épaules. - C'est nouveau, ça ! grogna-t-il en sortant, suivi de Miette et d'Albin, bien emmitouflés.
* * *
Avant d'être la mère de ses propres enfants, Léonie Marion avait été celle de ses nombreux frères et sœurs. Première-née au foyer de Jules et Julie Travier, la petite Léonie avait vu le jour en 1860, dans la ferme familiale plantée au milieu de l'océan verdoyant des vignes et protégée au nord par la falaise abrupte du massif du Bougerlan. Bien vite, les enfants s'étaient succédé, épuisant Julie et accablant Léonie de charges lourdes pour la fillette sensible et passionnée qu'elle était. L es temps, cependant, n'étaient pas à la révolte et Léonie, ravalant ses élans émotifs, s'occupait de ses petits frères et sœurs avec soin, quoique sans passion ; elle acceptait la mort qui en fauchait un sur trois, résignée dans une évidence qui jalonnait sa vie : - Dieu qui pourvoit à toutes choses nous en enverra un autre dans quelques mois ! En 1879, à peine âgée de dix-neuf printemps, elle passa le flambeau familial à sa sœur puînée Julie-Anna et accepta d'unir sa vie à celle de Télémaque Marion, fils de menuisier et menuisier lui-même. Le matin de ses noces, elle reçut de son père le pr emier et unique cadeau de sa vie qui trônait toujours sur la commode, dans leur chambre. D'un em ballage sommaire, elle avait extirpé avec précaution un écrin, une sorte de reliquaire en métal doré recouvert d'un dôme de verre. À l'intérieur, sur un coussin de velours nacarat, étincelait une couronne de fleurs d'un blanc moiré et de perles nacrées tels de petits grains de riz. Comme à son ordinaire, Léonie, impassible, n'exprima ni joie ni étonnement, mais dans sa maigre poitrine son cœur cognait au point qu'elle pensait mourir. - C'est pour moi, père ? parvint-elle à articuler d'une voix qu'elle voulut assurée mais qui, malgré elle, chevrotait. - Et pour qui d'autre, bêtasse ? plaisanta Jules Travier, gagné lui aussi par l'évidente émotion qui étreignait sa fille.
Ce fut Julie-Anna, sa « remplaçante », qui sortit la couronne de son écrin et la posa sur la tête de sa sœur. Avec délicatesse, elle y fixa un léger voile qui moussa autour du visage de Léonie. - Que tu es belle, ma sœur ! s'exclama-t-elle en reculant d'un pas. M. Marion a bien de la chance ! - Ce sera bientôt ton tour, ma Julianne. Alors notr e père saura te parer et tu seras la plus jolie mariée du monde.
* * *
Le petit Kléber se mit à geindre. Dans sa profonde somnolence, Nathalie, fiévreuse, n'entendit pas tout de suite. Le gamin se mit à brailler. Réveillé e en sursaut, la jeune fille se précipita vers le berceau. Elle s'enquit de la chaleur du front du no urrisson, tapota la paillasse de feuilles de maïs bruissantes et donna quelques mouvements de balanci er à la couche, ce qui calma l'enfant et le rendormit. Avait-elle rêvé d'une jeune femme en voile blanc ? Un désir irrésistible la poussa dans la chambre de ses parents où elle savait trouver, sur la commo de, la couronne qu'elle et sa sœur contemplaient en cachette sans même effleurer le globe du doigt. - Comme vous deviez être belle, maman ! s'exclama-t-elle, le cœur gonflé d'admiration. Et moi, se dit-elle soudain, serai-je une jolie mariée ? Sans réfléchir, elle souleva le globe, prit la couronne passablement fanée et jaunie, mais encore si éblouissante à ses yeux, et la posa sur sa tête. Thalie ne le savait pas ; peut-être le devinait-elle dans ses aspirations d'adolescente… En fait, en quelques mois, elle était devenue l'esquisse réussie d'une presque femme. Oh, elle avait peu grandi mais son corps avait trouvé une harmonie gracieuse, sa minceur était devenue légèreté, ses formes plates ou anguleuses s'adoucissaient en arrondis moelleux. Thalie n'était plus une enfant et la jeune fille qu i dansait dans son rêve n'était pas sa mère : c'était elle sous la parure de fleurs d'oranger. Elle sentait virevolter autour de ses épaules un vaporeux voile de tulle retenu par la coiffure perlée, une robe bl anche bouillonnait sur ses hanches tandis qu'un jeune homme élégant lui tendait la main. Oubliés les pieds douloureux, le nez qui coule et les cheveux collants ! Elle vola vers l'imaginaire inconnu, heurtant dans son élan le globe en verre qui se fracassa sur le sol, brisé en mille morceaux. Le rêve s'était envolé et avec lui la coquetterie naissante de Nathalie. - Père avait raison, j'aurais mieux fait d'aller cu eillir les olives. Après tout, je n'étais pas très malade, ni même trop fatiguée. Penser aux olives rondes et douces à cueillir lui f aisait oublier un instant les brisures de verre éparses dans la chambre. - Maudite couronne ! dit-elle en reposant l'objet de sa vanité sur son coussinet incarnat. Elle balaya soigneusement la chambre, récupérant des morceaux de verre dans les moindres recoins. - Il ne manquerait plus qu'ils s'entaillent les pieds ! pensait-elle, attentive au plus petit éclat dans la pièce déjà assombrie par la tombée du jour. Faire disparaître toute trace de sa bêtise était une chose, l'avouer en était une autre qu'il faudrait assumer et certainement réparer car Léonie tenait à sa parure de noce comme à la prunelle de ses yeux. - Ce n'est pas de sitôt qu'on remplacera mes horribles galoches, pensa-t-elle et, tout à coup, ses pieds redevinrent douloureux.
1.Cueillir les olives.
II
L'olivette
A COLLINE PROCHE EXHALAIT son parfum hivernal de farigoule et de genêts fanés mêlé aux L effluves résineux des pommes de pin se détachant de s branches ; le vent du nord qui la traversait roulait ces odeurs familières jusqu'à l'olivette où s'activaient Télémaque Marion et sa famille. Ce terrain en pente douce, planté d'oliviers au tro nc noueux, ratissé et bien tenu, oasis d'un vert céladon dans la garrigue environnante, produisait bon an mal an non seulement la consommation de la famille, mais permettait aussi la vente d'une partie de la récolte au moulinier d'Anduze. - Encore un arbre et je rentre, annonça Léonie. Miette viendra avec moi. Toutes ses décisions concernant les enfants étaient indiscutables ; Télémaque le savait et, bien qu'il eût agi différemment en maintes occasions, il se co ntentait d'entériner les prises de position de son épouse d'un sourire moqueur au mieux, d'une mimique narquoise au pire. Léonie ne s'en offusquait pas et se satisfaisait de ses propres décisions : n'avait-elle pas eu, à ce jour, quatre enfants, tous vivants et en bonne santé ? Une grâce divine quand elle pensait à tous ses petits frères et sœurs qu'elle avait vus naître et mourir dans une presque indifférence ! Elle laissait ronchonner Télémaque, indulgente avec cet époux à qui elle n'avait, somme toute, rien à reprocher. - Quatre enfants en quinze ans de mariage, chuchotait-elle à ses voisines plus mal loties, lors de veillées autour de la cheminée, vraiment M. Marion est un bon mari ! Miette s'était réjouie en entendant sa mère annonce r la fin de leur cueillette à elles deux. Frileusement enveloppée de châles de laine qui dissimulaient son petit visage aux rigueurs de l'hiver, seules ses mains rougies de froid s'activaient maladroitement. On lui avait noué autour de la taille 1 unesaquétoqui lui battait les genoux et qu'elle remplissait d'olives glanées sur le sol. Quand le sac de toile noué autour de sa taille, devenu trop lourd, la courbait en avant, elle appelait d'une voix qu'elle voulait forte mais qui n'était qu'un faible appel émanant de ses lèvres bleuies par le froid : - Papa, maman, la saquéto est pleine ! Télémaque ou Léonie dénouait alors les cordons qui se resserraient avec le poids, vidait les olives dans une corbeille et rattachait le sac. Chacun avait sa place dans ce lieu de verdure argenté ; Albin et son père dressaient au pied de chaque arbre leurcavalet, une échelle pyramidale fabriquée par Télémaque, et s'attaquaient aux branches les plus hautes et les plus centrales, tandis que Léonie cueillait les drupes noires et oblongues, un peu plissées, qui se trouvaient à sa portée. À chacun son travail ! À chacun sa fatigue ! Les reins de Miette devenaient vite douloureux et, ce soir, Léonie aurait beaucoup de mal à tenir son petit Kléber tant ses bras levés et baissés dans un mouvement sans cesse recommencé s'anesthésiaient de contractures. Albin et Télémaque, jouant les fiers-à-bras, montaient et descendaient de l'échelle, se chargeaient de vider les saquétos, transportaient les corbeilles en bout de champ, déplaçaient l'échelle sans faiblir, repoussant toujours plus loin les limites de la fatigue. Si le père, de temps en temps, laissait échapper qu elques soupirs, ils exhalaient tout autant la lassitude que la satisfaction : - Parole de Télémaque, nous ne manquerons pas d'huile cette année ! Il y avait dans cette phrase toute la fierté du travail accompli. Léonie vida son dernier sac, celui de Miette et tou tes deux partirent vers la maison, laissant Télémaque et Albin perchés sur leur cavalet comme des étourneaux. La brave femme n'avait pas besoin de montre, ses seins douloureux et gonflés lui rappelaient l'heure de la tétée. - Bertou doit couiner comme un goret, dit-elle en prenant dans sa main la menotte glacée de Juliette.
« Ça y est, se dit la petite, Kléber est baptisé. » Et elle sourit en pensant à Binbin qui ne serait plus seul à se faire moquer. Juliette parlait peu, écoutait beaucoup et, du haut de ses neuf ans, était capable d'analyser avec justesse les divers caractères qui composaient sa famille. Loin de les juger, elle les aimait tous avec leurs défauts et qualités qui s'étalaient au fil de s jours autour de la table ronde ou ovale, chef-d'œuvre de son père et orgueil de Léonie qui avait glissé sous les quatre pieds des tasseaux de bois protecteurs. - Pour éviter de tenir le bois quand je lave à grande eau, avait-elle dit à Télémaque en lui demandant de soulever la lourde table pour les mettre en place. Miette préférait quand la table était ronde ; papa, maman, sa sœur, son frère suffisaient à son bonheur. « On se serrera un peu quand Kléber se tiendra à table », espérait-elle dans le fond de son cœur. Ce besoin de tranquillité familiale correspondait à son physique chétif et à la sérénité de son âme. Elle avait rarement rejoint Thalie et Binbin dans leurs jeux d'enfants, vifs et échevelés, préférant la proximité des jupes de sa mère qui lui apportaient chaleur et sécurité. Un léger pincement de cœur l'avait titillée lors de la naissance du petit Kléber, sentiment de jalousie vite envolé : le nourrisson ne recevait ni plus ni moins que les autres sinon le nécessaire de la part de Léonie et ils pourraient tous s'asseoir autour de la table ronde, elle en était persuadée. Sa mère était comme elle, secrète et lisse, satisfaite sans jubilation de leur vie à six. Elle aussi se serait contentée de la table ronde, autour de laquelle silence et respect entouraient la nourriture. Pourtant, il arrivait souvent qu'elle devienne oval e et bruyante par la magie de Télémaque qui l'ouvrait alors en son milieu et y ajoutait une ou deux rallonges. Léonie recevait par devoir et coutume sa parenté et par plaisir sa sœur Julie-Anna qui la suppléait si bien, élevant les petits derniers. Sa Julianne, comme elle la surnommait, allait sur ses trente ans et régnait en gouvernante dans la maison Travier où s' étiolait sa jeunesse, gratifiée certes par la reconnaissance de son père et l'adoration des petits. De cette vie, elle se résignait - ou bien faisait semblant - et souriait quand on la taquinait : - Elle fait bien sa difficile, la demoiselle Travier ! Pas un qui ne trouve grâce à ses yeux. Nathalie, Albin et Télémaque aimaient la convivialité de la table ovale ; le père, jovial, avait toujours quelque chose à raconter et les deux aînés riaient ou se poussaient du coude aux anecdotes truculentes de leur père. Table ronde, table ovale, toutes deux avaient leurs adeptes.
Léonie et Miette pressèrent le pas, les cris affamés de Bertou ne souffraient plus qu'on le fasse lanterner. - On doit l'entendre jusqu'à Peyregous, dit Léonie en pénétrant dans la pièce chaude où se répandait l'odeur d'une soupe de poireaux assaisonnée de roulades de couenne bien poivrées. La maison de Télémaque Marion, héritée de ses défunts parents, était une construction rectangulaire de pierres grises, noyée dans les vieilles demeures du village de Bagard. Elle s'ouvrait en façade sur 2 une venelle étranglée et, derrière, sur un jardin potager prolongé d'une vigne et, sur unefaïsse, l'oliveraie qu'abritait le Serre de la Cabane. Le rez-de-chaussée de la maison réservait une grande part à l'atelier de menuiserie, activité hélas peu lucrative de Télémaque, la place restante étant occupée par les réserves en tout genre : tonneaux, jarres, pommes de terre se disputaient l'endroit avec les indispensables outils de jardin. Toute la maisonnée y déposait également capes, châles, sabots et galoches et accédait au premier étage par l'escalier extérieur. - Alors, Thalie, Bertou a été sage ? Nathalie répondit en baissant la tête : - Oui, maman, il vient juste de se réveiller. J'ai préparé la soupe, vous devez être si fatiguées ! J'aurais pu vous remplacer, je vais bien. La nuit déjà enveloppait le village quand on entendit grincer les brouettes de Télémaque et d'Albin. Le père entra alors que Nathalie s'apprêtait à tremper la soupe. - Tu as vu ça, Albin ! Il semblerait que ta sœur ait faim ; pourtant mon père disait toujours que celu i
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