Robert Lacoste, le bouc émissaire
125 pages
Français

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Robert Lacoste, le bouc émissaire , livre ebook

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Description

Le 2 février 1956, au lendemain de l'investiture du gouvernement de front républicain dirigé par Guy Mollet, Jacques Soustelle quitte son poste de gouverneur général d'Algérie. Il est remplacé le 10 février par Robert Lacoste, nommé Ministre résident en Algérie. L'Algérie s'impose comme le problème prioritaire du cabinet Mollet. Un courant interne d'opposition à la politique algérienne menée par ce dernier se constitue dès 1956. Lacoste sera associé à jamais à la condamnation du "molletisme". Il deviendra l'homme qui a "couvert" l'armée et dissimulé la pratique de la torture. Le parti socialiste SFIO y survivra difficilement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 août 2017
Nombre de lectures 4
EAN13 9782336795256
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Alain HERBETH ROBERTLACOSTE, LE BOUC EMISSAIRE La SFIO à l’épreuve algérienne
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-79525-6
PROLOGUE
La mémoire et l’histoire
« L’absolue pureté ne coïncide-t-elle pas, pour une nation, avec la mort historique ? » Albert Camus
Le 2 février 1956, au lendemain de l’investiture du gouvernement de front républicain dirigé par Guy Mollet, Jacques Soustell e quitte son poste de gouverneur général d’Algérie. Arrivé un an plus tôt dans la pl us grande indifférence, c’est dans la cohue qu’il doit aujourd’hui se frayer un chemin ve rs le retour. Des dizaines de milliers de pieds-noirs se bousculent sur son passage. Ils l ’acclament et ils pleurent. Ils bloquent sa voiture, l’obligeant à monter sur un bl indé de l’armée pour franchir les derniers mètres qui le séparent du port. Ils sont v enus le supplier de ne pas les abandonner… L’abandon, la véritable terreur du peti t peuple d’Alger. Huit jours plus tard, le 10 février, dans un anonym at soigneusement préparé, Robert Lacoste fraîchement nommé ministre résident en Algé rie débarque à « Maison-Blanche », l’aéroport d’Alger. Le successeur désign é de Soustelle, après la démission du général Catroux au soir du 6 février, monte dans une voiture banalisée et se précipite vers le Palais d’été où l’attend Guy Moll et. Huit jours seulement séparent le départ de Soustell e et l’arrivée de Lacoste. Huit jours où commence, à bas bruit, à se bâtir la légen de noire de Guy Mollet et de Robert Lacoste. Elle sera, chaque jour, enrichie. 1 Ceux qui, aujourd’hui encore, accablent la vieille SFIO sont ceux-là mêmes qui ont fait de Guy Mollet, «le symbole de la trahison aux promesses faites, le symbole du double langage, de la collaboration de classes, de la lutte acharnée contre les authentiques socialistes, le symbole de la médiocri té en politique », comme le souligne 2 Denis Lefebvre . Dans le même mouvement, Robert Lacoste deviendra l’homme qui a « couvert » l’armée et dissimulé la pratique de la torture. Le jour de sa mort, en 1989, la télévision publique annoncera « la mort du minis tre de la Torture. » Dès 1957, André Philip écrit un pamphlet édité chez Plon et intitulé « Le socialisme trahi. » Le titre semble tout dire et épuiser le su jet ! Mais non, il y eut d’autres pamphlets, d’autres articles, d’autres déclarations . La vindicte est restée permanente 3 et le départ vers « l’Orient éternel » de Guy Mollet, en 1975, n’y a rien changé. L’anti-molletisme, et surtout l’hostilité à sa poli tique algérienne, demeure une donnée constante au sein du PS, même si, en 2015, s on premier secrétaire participa à une petite cérémonie organisée par la section d’Arr as à l’occasion du cent dixième anniversaire de la naissance du « petit chose », un surnom gagné au moment où il animait le syndicat des « pions ». Mais le rejet de meure, il est indispensable à la bonne conscience de ceux qui ont oublié depuis longtemps ce qu’était le peuple qu’ils sont censés représenter et défendre. C’est pourquoi il f aut que Guy Mollet demeure un traître ! Un traître à jamais, lui qui a eu l’immen se tort de n’avoir jamais oublié d’où il venait ni ce qu’il devait à son parti ! Son parti, il l’a totalement intériorisé, son souffle est devenu le sien. Discipliné, fidèle, renonçant p arfois à ses propres convictions quand celles-ci n’avaient pas su convaincre, il a t oujours accepté de se plier aux majorités issues des instances nationales du parti, congrès ou comités directeurs. Il
aurait pu inventer la célèbre formule de Léon Blum : «On n’a jamais raison contre son parti. » Au moment de sa mort, le journalLibération, porte-voix d’une nouvelle gauche en train de se construire, héritière des idées de mai 68, fait de Guy Mollet le symbole de tout ce qui est exécrable en politique. On l’accuse «d’être Tartuffe lui-même, ressuscité sous le froc socialiste. »ans après sa mort, l’historien Michel Winock Trois parle encore de lui comme du «modèle du traître de comédie, l’archétype du 4 médiocre . » Quelques voix discordantes, pourtant, se sont fait entendre dans le concert d’imprécations. Celle du CERES, un courant du PS animé par Jean-Pierre Chevènement, qui fustige les «traîne-savates qui ont fait de Guy Mollet un épouvantail », celle des cercles Jean Jaurès, animés par Pierre Desvalois, qui saluent ce «guesdiste convaincu », celle de Max Lejeune pour qui Mollet fut «lucide et 5 réaliste dans l’épreuve algérienne » et qui, à Arras,celle, enfin, de Jacques Piette devant sa tombe, rappelle que «Patrie et révolution sociale traversent son engagement de courage et de tradition. » Courage physique, il n’en manquera pas, mais courag e politique aussi quand, en 6 1941, il abandonne définitivement les positions pac ifistes qu’il avait défendues avec véhémence avant la déclaration de guerre. Il se lan ce, alors, dans les combats de la résistance, il rejoint l’OCM (Organisation civile e t militaire) à la réputation plutôt marquée à droite. Mais méfions-nous des réputations , surtout quand elles sont construites après coup, pour un combat douteux. En 1943, il entre à l’état-major de l’OCM d’Arras, chargé du deuxième bureau. Dénoncé e t désormais en fuite, il prend en 1944 un commandement clandestin dans les rangs des FFI de l’Orne dirigés par André 7 Mazeline , et participe ainsi à la libération de son départe ment natal. C’est à Flers, en effet, qu’il a vu le jour, en 1905, au sein d’une famille très modeste.
La haine toujours vivace, les injures qui viennent vite aux lèvres, s’expliquent aussi, en grande partie, par la déception. Guy Mollet a dé çu, et en tout premier lieu il a déçu une certaine gauche, les lecteurs duMonde, de l’Express, deFrance Observateur ou d eTémoignage chrétienjà, de la, arbitres des élégances progressistes, piliers, dé « bien-pensance » et porte-voix du tiers-mondisme n aissant et des nouveaux damnés de la terre qui allaient, avantageusement, remplace r les prolétaires européens défaillants. Cela n’empêche pas ces nouveaux censeu rs d’être, dans le même temps, pleins d’indulgence à l’égard du totalitarisme stal inien. En Algérie, ils ne voient que le visage de la guerre coloniale avec son cortège de v iolences infligées aux « indigènes », les Français musulmans comme on disa it alors. Mais ils feignent d’ignorer que ces violences sont très souvent le pr oduit d’une abominable guerre civile qui oppose les Algériens entre eux, quand le bourre au est souvent le « frère » de la victime. Quant aux pieds-noirs, nos professeurs dot és d’une morale largement hémiplégique, ils les rangent, sans distinction, so us la figure emblématique du « colon », de préférence du « gros » colon. Néglige ant le fait qu’ils sont, avant tout, employés ou ouvriers, souvent électeurs socialistes ou communistes. Pour nos professeurs, ils méritent le sort qui les attend. C eux-là, comme le clamait Frantz Fanon, suivi par Sartre, « il faut les tuer tous ». Contre tous ces idéologues, Guy Mollet a cru qu’il serait possible, en Algérie, de faire la paix sans qu’aucune communauté n’ait à sou ffrir d’un quelconque préjudice, ni les Français musulmans, ni les Européens. Guy Molle t a cru qu’il serait possible de régler l’injustice du statut colonial sans en inven ter une autre, fondée sur le nettoyage ethnique et religieux. Un espoir partagé par Robert Lacoste, mobilisé avant tout pour
une Algérie « nouvelle ». Mollet et Lacoste ne part agent pas le rêve d’intégration caressé par Soustelle. Ils penchent davantage pour une solution fédérale. Finalement, ils ne se situent pas très loin d’Albert Camus, hom me de gauche s’il en est, ennemi des totalitarismes qui, en 1958, dans ses « chroniq ues algériennes » dira que «pour rétablir la justice nécessaire, il est d’autres voi es que de remplacer une injustice par 8 une autre. »
Dès son investiture, le 31 janvier 1956, à la tête d’un gouvernement de front républicain, la question algérienne s’impose à Guy Mollet. Courageusement, le 9 6 février 1956 , il se rend à Alger pour dire à tous ce que sera s a politique. Il fait ce déplacement en dépit des nombreux avertissements re çus de partout, et notamment de ses amis, dont ceux de Max Lejeune, tout juste n ommé secrétaire d’État aux armées et arrivé à Alger quelques jours plus tôt. I l ne tient évidemment aucun compte des avertissements et, le 6 février, il est devant le monument aux morts que surplombent le forum et l’immeuble du gouvernement général, où il affronte les milliers de manifestants qui hurlent leur colère. Colère pro voquée d’abord par le départ de Jacques Soustelle, le 2 février, il y a seulement q uatre jours. Colère redoublée par l’arrivée annoncée de son successeur, le général Ca troux, accusé de tous les maux, et en particulier de vouloir faire en Algérie ce qu’il venait de faire au Maroc, « brader ». Pour Guy Mollet, qui a voulu ce déplacement, le cho c est violent, l’humiliation est rude. Mâchoires serrées, blême, il ne se dérobe pas. Immo bile devant le monument aux morts dont les gerbes sont profanées, il voit ceux qui l’insultent. Ce soir-là, on sait que Catroux ne remplacera pas J acques Soustelle. La population européenne d’Alger a gagné. Le vieux général, ancie n résistant, a-t-il démissionné devant la levée de boucliers ? A-t-il été démis ? L es avis divergent. Ce n’est pas une divergence anecdotique car si Catroux a été démis, c’est la preuve que cherchent les adversaires de Mollet, celle de sa capitulation dev ant les manifestants algérois. Édouard Depreux, absent à Alger, soutiendra plus ta rd cette thèse, affirmant que Mollet a prié Catroux de donner sa démission. André Philip dénoncera la victoire des « petits 10 blancs » tout en stigmatisant «l’effondrement intérieur d’un homme. » Jean Lacouture, et bien d’autres journalistes et observa teurs, leur emboîtent le pas. Un universitaire comme René Rémond retiendra cette dat e du 6 février comme le point de e départ du processus qui emportera la IV République, «incapable de résister à la 11 pression d’émeutiersrsuadés que. » Tous, désireux déjà d’ouvrir un procès, sont pe Mollet a forcé la main au vieux général. Seul Pierr e Laffont, ancien directeur deL’Écho d’Oran, tout en admettant, lui aussi, que Catroux a été d émis, en tire une conclusion inverse. Pour lui, cette décision honore Guy Mollet qui aurait eu «le courage de réviser 12 ses préjugés anticolonialistes à l’épreuve de la ré alité. » En réalité, c’est bien le général Catroux lui-même qui a présenté sa démissio n au président René Coty. Il lui a remis une lettre, le soir même, dans laquelle il di t ne pas vouloir s’opposer à ses camarades anciens combattants. Cette lettre sera pu bliée dans le journalLe Monde, le 6 janvier 1970. Un peu tard pour démentir ceux qui affirmaient le contraire.
La nuit est tombée depuis longtemps sur Alger quand Guy Mollet parvient à joindre tous ses ministres au téléphone, du moins les plus importants. Il propose à chacun d’entre eux de remplacer au pied levé le général Ca troux. C’est l’échec, tous refusent : Mendès France, Depreux, Defferre… c’est un peu le « courage, fuyons ». Arrive alors le tour de Robert Lacoste, « j’ai besoin de toi », lui dit-il d’entrée de jeu ! Six minutes suffiront, dit-on, pour que Mollet l’emporte. Lacos te accepte. Pourquoi abandonne-t-il si facilement son bureau du ministère des Finances, ru e de Rivoli, lui qui en a tant rêvé ?
L’histoire ne le dit pas mais son goût du défi, comm e son patriotisme sourcilleux, expliquent sans aucun doute cette décision aussi ra pide que surprenante. Dans un contexte, bien sûr, largement différent, un « nouve au Clemenceau » est peut-être en train d’apparaître. Avant d’être un hypothétique « monsieur la victoire », il sera donc gouverneur général de l’Algérie, désormais orné du titre de « ministre résident en Algérie ». Dès le 10 février, il est aux côtés de Guy Mollet, à Alger.
L’Algérie s’impose comme le problème prioritaire du cabinet Mollet mais aussi, et surtout, comme le plus douloureux. Jusqu’à la fin d e son mandat, le plus long de la e IV République, les ministres socialistes auront à l’a ffronter. Les détracteurs de la politique algérienne de Guy Mollet, après coup, se sont dit persuadés qu’ils n’étaient nullement préparés à une telle tâche. Pire, ils les soupçonnent d’avoir été totalement ignorants des réalités algériennes. Cette ignorance expliquerait, selon eux, la facilité avec laquelle les socialistes auraient succombé aux diverses pressions, et notamment à celles des « ultras ». Mais est-ce vraisemblable ? Ce n’est pas l’avis de Guy Pervillé qui, au cours du 13 colloque organisé sur le thème « Guy Mollet, un cam arade en République » , rappelle l’antériorité des réflexions socialistes sur le suj et, à commencer par l’élaboration du projet Blum-Viollette de 1936 sur le statut des Alg ériens. Rappelons que Maurice Viollette, avant d’être sénateur, a été gouverneur général de l’Algérie de 1927 à 1929. Comme l’ont été d’autres socialistes après lui. Ce sera le cas du diplomate Yves Chataigneau, ancien délégué de la France libre au L iban, qui devient en 1944 le premier gouverneur général de l’après-guerre et, de 1948 à 1951, de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Marcel-Edmond Naegelen, d éputé socialiste du Bas-Rhin. Dans ce tableau, il serait injuste d’oublier le min istre socialiste de l’Intérieur, Adrien Texier, qui le 18 juillet 1945 présenta, devant l’A ssemblée, un programme de réformes pour l’Algérie visant à réaliser l’assimilation de ce pays à la France. L’Algérie est donc présente au cœur des instances d e la SFIO ! Bien plus que dans les autres formations politiques. Après tout, la co lonisation n’est-elle pas l’œuvre de la gauche ? Guy Mollet, élu secrétaire général du part i le 4 septembre 1946, pouvait-il tout ignorer de ce débat ? Absurde, surtout à une é poque où la voix du parti comptait, même aux yeux des parlementaires et des ministres, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui ! Devant le comité directeur de la SFIO, le 17 mars 1 947, Mollet évoque l’émancipation sociale et l’émancipation économique des Algériens. Au nom des principes républicains, il réaffirme son rejet du r acisme et du séparatisme, c’est-à-dire de l’indépendance, et condamne d’un même souffle as similation et nationalisme. Il ne peut se résoudre à la victoire du nationalisme, d’o ù qu’il vienne, et place son espoir 14 dans une fantasmée « fédération mondiale des peuple s » . Sa pensée internationaliste et laïque lui interdit de croire, comme le souligne René Rémond, «que l’avenir des Algériens passe par un accès de nation alisme et moins encore par le triomphe de l’islam… pour lui, il n’y a de solution que dans le dépassement des 15 nationalismes et la promotion des individus . » Ces principes seront répétés à l’occasion d’un cert ain nombre de comités directeurs précédant la venue aux affaires des socialistes et de leurs alliés, unis au sein du « front républicain ».
Robert Lacoste mais aussi Max Lejeune, deux sociali stes aux parcours bien différents, accompagnent Guy Mollet dans cette aven ture. Ils seront associés, à jamais, à la condamnation du « molletisme ». Le pre mier, Robert Lacoste, est un
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