Le témoignage du chat noir
76 pages
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Le témoignage du chat noir , livre ebook

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Description

La famille Thiriet vit dans un taudis du Puisay, dans la banlieue parisienne. Un jour, un mystérieux bienfaiteur leur propose de louer un splendide quatre-pièces dans l'un des plus beaux immeubles du quartier... Mais derrière cette trop belle offre se cache une terrible escroquerie, et l'argent familial s'envole en même temps que leurs rêves d'appartement. Déterminés à réparer cette injustice coûte que coûte, les trois frères Thiriet décident d'enquêter, avec l'aide du journal du lycée. De faits étranges en coïncidences, un énigmatique chat noir va mener les jeunes détectives sur la piste des voleurs.



Collection Chambres Noires

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 novembre 2011
Nombre de lectures 129
EAN13 9782740434703
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Image couverture
Image pagetitre
Image Chapitre 1

La dernière fournée des externes, celle de seize heures quinze, sortit par la porte sud qui s’ouvrait sur la courte rue Pochet. Bobby joua des coudes pour s’arracher à la bousculade et se réfugia prudemment à l’écart. En quelques secondes, les camarades s’éparpillèrent autour de lui comme une volée de moineaux. La nuit de novembre commençait à tomber. Le concierge en blouse blanche secoua son trousseau de clés avec impatience, puis referma la grille en maugréant contre les retardataires. Bobby attendit un moment sur le trottoir désert, tandis que les vastes fenêtres du lycée1s’éteignaient une à une le long de la rue. Il faisait de plus en plus noir.

Georges Thiriet survint à grandes enjambées par l’avenue de Paris. Tournant le coin du lycée, il avisa tout de suite la mince silhouette postée devant le porche : le benjamin était reconnaissable de loin à sa tignasse blonde. Georges s’efforça de sourire en avançant, mais son chapeau baissé ne cachait pas assez son air malheureux.

— Hé ! Bobby ! s’écria-t-il d’une voix enjouée, devine un peu ce qui s’est passé ?

Bobby haussa les épaules.

— Tout a raté, dit-il sans s’émouvoir. Comme d’habitude…

Georges embrassa son fils d’un mouvement bourru pour cacher sa confusion.

— Cinq pièces grand confort à vendre dans un gratte-ciel de la place Brémontier, expliqua-t-il avec amertume. Il fallait payer la moitié comptant. De toute façon, c’était trop cher pour nous. Trop beau aussi : nous n’avons pas le droit de vivre au-dessus de nos moyens.

Ils s’en furent à pas lents vers l’avenue de Paris, qui venait de s’éclairer magiquement. De toutes parts, la ville neuve s’était dégagée du crépuscule et ses blanches constructions resplendissaient contre le ciel bas et brumeux.

Georges avait posé sa main gauche sur l’épaule du garçon et reprenait courage dans ce rapprochement affectueux.

— Nous n’avons qu’à émigrer de l’autre côté de Paris, proposa soudain Bobby. Maman disait l’autre jour qu’on trouve beaucoup plus facilement à se loger dans la banlieue nord.

Son père secoua la tête.

— Nous sommes rivés ici par mon travail, celui de ta mère et celui de Belle, dit-il patiemment. Sans compter que vous autres, les garçons, vous êtes casés dans un bon lycée. Un changement de résidence saperait dangereusement notre vie familiale. Et pour quel gain ? Se retrouver chaque soir, morts de fatigue, dans une maison sans chaleur, autour d’une table mal servie ? Non, mieux vaut rester au Puisay, attendre encore. Après tout, le coin n’est pas désagréable.

— Bien sûr que non ! admit Bobby d’un ton ironique. Mais tout le monde n’a pas le malheur d’habiter dans les catacombes de la rue Mirandole.

Ils rirent. Georges soupira de nouveau :

— Nous y finirons encore cette année, j’en ai bien peur… La cinquième !

— Ça ne me gêne pas, dit froidement Bobby. Tu sais bien que je n’ai jamais vu chez moi le soleil qu’à travers les deux soupiraux de notre palace.

Son père se tut un instant, sincèrement peiné. Ils attendirent le feu rouge pour traverser l’avenue, où le flot des voitures se faisait plus dense avec la chute du jour.

Georges regarda sa montre.

— Cette fois-ci, dit-il, je t’emmène chez Fred. C’est le meilleur coiffeur du Puisay. Je ne veux plus qu’on te massacre les cheveux comme le mois dernier…

— J’aurais pu y aller tout seul, objecta Bobby.

— J’ai besoin d’un petit rafraîchissement, moi aussi. D’ailleurs, je t’avais promis que nous irions ensemble.

Passé la ligne des immeubles neufs, on retombait dans les étroites ruelles du vieux Puisay, défoncées par le passage incessant des camions, illuminées crûment par l’éclairage des chantiers. Plus loin encore, c’était la tranchée béante de l’autoroute d’où montait une rumeur assourdie, et, tout au fond, un horizon de briques et de béton hérissé de cheminées géantes.

Place des Ormeaux, chez Fred, il n’y avait qu’un fauteuil de libre dans le salon réservé aux messieurs.

— À toi l’honneur, dit Georges Thiriet en installant son fils. M. Basile va s’occuper sérieusement de cette broussaille. Tu sortiras de ses mains avec une nouvelle tête.

Tous les visages s’étaient tournés avec sympathie vers le garçonnet intimidé.

— Un illustré2? proposa M. Basile en lui nouant la blouse autour du cou.

— Merci, dit poliment Bobby, j’ai mon journal.

Et il tira de sa poche une double feuille imprimée, de format réduit, dont l’en-tête fit loucher ses plus proches voisins :PEP.Le garçon coiffeur commença sa besogne en jetant de temps en temps un coup d’œil par-dessus ses ciseaux. Il se sentait dévoré de curiosité.

— Qu’est-ce que lePEP?demanda-t-il au bout d’un instant.

— Le Petit Étudiant du Puisay,traduisit Bobby. C’est un hebdomadaire entièrement réalisé par les élèves du lycée Alfred-Jarry. Les premiers numéros ont paru sous ce titre. Et puis le rédacteur en chef a décidé un jour de garder seulement les trois initiales : PEP. Ça sonne mieux et c’est beaucoup plus accrocheur, vous ne trouvez pas ?

Les voisins approuvèrent.

— D’ailleurs, ajouta Bobby, la vente a tout de suite doublé d’une semaine à l’autre.

Le client cossu assis à sa droite n’était là que pour entretenir ses dernières illusions : son crâne chauve portait une couronne de fins cheveux blancs que les ciseaux survolaient à peine en cliquetant avec rapidité.

— Qu’est-ce qu’on raconte d’intéressant dans ton canard ? demanda-t-il d’un ton moqueur.

Bobby soigna sa réponse :

— LePEPreflète simplement la vie du lycée. Nous sommes trois mille dans ce caravansérail et l’on ne peut pas connaître tout le monde, alors lePEPnous sert de trait d’union. N’importe qui peut s’y exprimer librement, à n’importe quel propos, même pour échanger un vieux transistor contre une mandoline.

Son voisin de gauche, un grand brun avec une longue figure chevaline barrée d’une moustache noire, se mit à rire en courbant la nuque sous le dernier coup de rasoir.

— Et combien le vend-on, tonPEP?

— Tantôt vingt-cinq centimes3, répondit Bobby, tantôt cinquante4. Ça dépend des besoins de la rédaction. Mais personne n’a jamais renâclé : on en a toujours pour son argent.

Le grand brun tendit le bras par-dessus son accoudoir.

— Je peux jeter un coup d’œil sur cette merveille ? demanda-t-il d’un ton engageant.

Bobby replia soigneusement son « canard » en quatre et l’enfouit sous son blouson.

— LePEP,dit-ilau milieu des rires, n’est pas une lecture pour grandes personnes.

Les trois clients du fond lui tournaient le dos, mais le jeu des glaces réfléchissait leurs figures et chacune lui apparaissait nettement dans la brillante clarté des appliques. À gauche, près de la caisse, un vénérable barbu dont les yeux malins le scrutaient sous de gros sourcils blancs ; au centre, juste derrière Bobby, un monsieur blond et glabre, d’une quarantaine d’années, faisait égaliser ses cheveux raides, taillés en brosse, qui se hérissaient comme des piquants – celui-là ne disait rien et ses yeux mi-clos, son visage impassible trahissaient un détachement presque dédaigneux – ; à droite, enfin, un gros homme roux et sanguin, qui avait la faconde d’un camelot, continuait à pérorer sous le jet du shampooing. Attendant son tour, Georges Thiriet se trouvait assis sur une banquette, à l’extrémité du salon. La tiédeur de l’endroit l’incitait à bavarder et il reçut avec plaisir les compliments qu’on lui faisait sur son fiston.

— Onze ans ? disait le rouquin, émerveillé. Je lui en aurais donné deux de plus. La jeunesse d’aujourd’hui pousse d’une façon effrayante !

— Il faut voir ses grands frères, répondit Georges avec contentement, deux malabars ! Et je ne parle pas de ma fille aînée, qui mesure déjà une tête de plus que sa mère.

— Je vous tire mon chapeau, dit aimablement le barbu. Ce n’est pas une petite affaire que de nourrir et d’habiller tout ce monde…

— J’y arrive, reconnut Georges, mais au prix d’un lourd sacrifice. Le malheur, c’est que les enfants en souffrent aussi.

— Que leur manque-t-il ? demanda le rouquin.

— Un toit.

Le silence plana dans le salon et les six garçons coiffeurs suspendirent leurs ciseaux du même geste en se tournant vers le sans-logis.

— C’est une façon de parler, reprit Georges. Nous n’en sommes pas encore à coucher sous les ponts, mais la réalité n’est pas plus réjouissante.

Il se tut, car M. Fred, le patron, venait d’en finir avec son client, le grand brun à la tête de cheval. Celui-ci enfila son pardessus, paya et s’en fut en souhaitant poliment le bonsoir à la ronde. Bobby répondit à son salut par un petit clin d’œil. Son père se leva aussitôt pour occuper le fauteuil libre, tandis que les conversations reprenaient leur train.

— Vous ne sentez pas une vague odeur de roussi ? demanda M. Fred en drapant la blouse autour de Georges Thiriet.

Celui-ci huma l’air, qui fleurait seulement le chypre et la lavande.

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— M. Sinet, le nouveau commissaire principal du Puisay, était assis un instant plus tôt sur ce même fauteuil.

— Ça ne me fait ni chaud ni froid, déclara Georges avec une belle candeur.

On en rit beaucoup à travers le salon. À l’autre bout de la travée, le chauve avait tourné la tête et dévisageait curieusement le papa de Bobby. Georges Thiriet n’avait pas quarante ans, mais les soucis marquaient durement sa figure maigre et blafarde, enlaidie par des lunettes aux verres bombés.

— Je parie que vous habitez un de ces vieux immeubles de rapport5qui sont la honte de la rue Mirandole ? insinua le chauve d’un air compatissant.

— Le plus vieux et le plus moche, précisa Georges, celui qui fait le coin de la rue du Général-Tubœuf.

— En étage ?

— Non. En sous-sol, ou presque. C’est-à-dire un ancien rez-de-chaussée dont les fenêtres sont masquées par le remblayage de l’autoroute Sud. Nous vivons à six dans deux pièces exiguës où le moindre recoin est utilisé au maximum. Quand la famille est au complet, on se trouve emboîté là-dedans comme des voyageurs de métro aux heures de pointe. Celui qui veut bouger, entrer ou sortir dérange tous les autres, et il suffit parfois d’une porte ouverte mal à propos, sans avertissement, pour déclencher des catastrophes en chaîne…

M. Basile abandonna un instant la toison de Bobby et prit un air confondu.

— Allons donc !… Vous n’exagérez pas un petit peu ?

— Je vous jure que non, lui assura Georges. Demandez plutôt au petit…

— Chez nous, dit gaiement Bobby, tout se déplie et se replie après usage pour faciliter la circulation : les tables, les lits, les sièges, et même le lavabo communal quand maman n’y met pas la lessive à tremper.

— Bobby ! lui lança son père d’un ton de reproche, ne fais pas le tableau plus noir qu’il n’est.

Le rire avait gagné toute l’assistance, à l’exception de l’homme blond et glabre, dont la tête en hérisson se trouvait présentement renversée dans le bac à shampooing.

— Cherchez ailleurs, conseilla le barbu dans son coin, vous trouverez tôt ou tard.

— À quel prix ! soupira Georges Thiriet. Depuis cinq ans, je fais l’impossible pour nous sortir de ce trou à rats. Toutes mes heures de loisir sont absorbées par cette quête harassante qui n’aboutit jamais. Acheter, même à crédit, il n’y faut pas compter : je ne veux pas hypothéquer mon salaire, ceux de ma femme et de ma fille, pendant quinze ou vingt ans. À la rigueur, je pourrais louer un beau quatre-pièces dans les blocs du boulevard Champaubert. Mais, là ou ailleurs, on me demande chaque fois, en plus d’un loyer exorbitant, un pas-de-porte6qui mangerait tout mon avoir. Dix mille francs7de moins dans le tiroir-caisse, un charcutier a vite fait de rattraper ça ! Pour un petit ingénieur de la Prochimac, cela représente cinq ans d’économies.

— De quoi vous plaignez-vous ? ricana quelqu’un dans le fond. Laissez tomber votre usine et faites-vous charcutier.

C’était le rouquin qui avait parlé et son insolence fit passer un léger froid dans le salon. Bobby baissait le nez avec embarras : M. Fred et ses garçons étaient d’agréables bavards, la plupart des clients débordaient de bienveillance, mais son père avait tort de parler de ses ennuis devant n’importe qui.

— Qui est-ce ? demanda Georges à voix basse en montrant le rouquin d’un signe de tête.

— Le plus gros charcutier du Puisay, précisément ! répondit M. Fred avec un sourire en coin.

À partir de cet instant, la conversation languit et les coiffeurs s’activèrent en silence. Le rouquin et le barbu partirent les premiers, l’un suivant l’autre. Ils furent remplacés presque aussitôt par deux messieurs timides et muets. Bobby descendit de son fauteuil en même temps que l’homme somnolent, aux cheveux hérissés, lequel s’en fut en coup de vent sans dire bonsoir. Enfin, M. Fred ayant libéré son patient, le père et le fils sortirent dans la nuit brumeuse en se félicitant de leur bonne mine.

Georges Thiriet regarda sa montre : six heures à peine, et la triste rue Mirandole n’était qu’à deux pas.

— Allons faire un tour en ville pour nous changer les idées, dit-il à Bobby. Nous reviendrons par l’avenue de Paris en regardant les vitrines.

Bobby ne demandait pas mieux. En faisant volte-face, ils se trouvèrent nez à nez avec l’endormi du salon de coiffure, celui que Bobby surnommait déjà, dans son vocabulaire particulier, le Hérisson-Blond. L’homme était bien réveillé cette fois-ci et ses yeux riants examinaient avec curiosité le modeste ingénieur de la Prochimac et son rejeton.

— Je n’ai pas perdu un mot de ce que vous racontiez tout à l’heure chez Fred, dit-il à Georges. Vous penserez sans doute que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais votre détresse m’a réellement touché.

Il s’exprimait avec une grande sincérité et sa physionomie ouverte rayonnait de bienveillance. Bobby fut impressionné par sa rondeur, son riche pardessus croisé en shetland bleu sombre, l’élégant chapeau noir qui cachait maintenant ses cheveux hérissés. Il se dégageait de toute sa personne une dignité de bon aloi qui forçait le respect. Georges Thiriet, lui, resta sur le qui-vive.

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