Sur la route d´Anvers
127 pages
Français

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Sur la route d´Anvers , livre ebook

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Description

Sur la route d ́Anvers, Étienne rencontre Nina, une mystérieuse jeune femme pourtant supposée avoir été assassinée la veille.



Ensemble, ils essayent de se joindre à l ́enquête de la commissaire Justine Chevalier afin de comprendre pourquoi elle a été tuée.



Mais comment expliquer qu ́Étienne soit le seul à voir Nina ?

Pourquoi l ́a-t-elle choisi lui, un simple chauffeur routier ?

Comment la commissaire et son équipe voient-ils cette aide pour le moins... inattendue ?





Liliana Di Pietro signe avec Sur la Route d ́Anvers son troisième roman, un thriller fantastique.

Elle parvient à nous tenir en haleine tout en nous envoyant sur de fausses pistes... pour mieux nous surprendre ensuite !

Informations

Publié par
Date de parution 14 septembre 2015
Nombre de lectures 13
EAN13 9783958580558
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

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ISBN : 978-3-95858-055-8

Première édition - Septembre 2015

 

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Tous droits réservés

 

 

 

 

 

 

 

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Liliana DI PIETRO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman

2015

 

 

1

La première rencontre

S’il y avait un concours pour décerner un prix à l’autoroute offrant le paysage le plus monotone, celle qui relie Lille à Anvers ne démériterait pas. Seuls quelques bosquets près de la frontière franco-belge coupaient une succession d’étendues grisâtres piquées de banlieues industrielles.

Cette nuit-là, Étienne venait de traverser l’ancienne zone douanière. Il rentrait d’Anvers. Presque toutes les semaines depuis plus de cinq ans, il faisait l’aller-retour entre Rungis et Anvers avec son camion. Les villes intermédiaires lui étaient inconnues. Parfois, il avait l’impression que le monde se réduisait à une suite de panneaux bleus indiquant des étapes fantômes où il ne se rendait jamais. Il s’amusait souvent à les imaginer : des façades en carton-pâte qui parsemaient l’horizon au-delà du ruban gris foncé de l’asphalte, des endroits mystérieux et irréels qui abritaient des habitants éthérés qu’il ne croiserait point et dont il ne verrait jamais les visages.

Les relais autoroutiers constituaient ses seules réalités concrètes. Ces caravansérails modernes, aseptisés et sans charme, il les connaissait par cœur. Justement, à quelques kilomètres de la Belgique, il s’en trouvait un qu’il appréciait particulièrement. Minuit passé, il avait faim et souhaitait dormir au moins deux heures. Il rêvait d’y arriver, puis il continuerait d’un seul trait jusqu’à Rungis.

Il avait vu le panneau jaune clignotant qui annonçait un accident à quatre kilomètres. Ce n’était pas la première fois, il conduirait doucement, voilà tout. À sa droite et à sa gauche maraudaient les ombres de la nuit froide et humide.

Étienne, qui avait souvent traversé de jour cette zone, savait qu’elle était jonchée de bosquets, même si, dans l’obscurité, il ne pouvait pas les distinguer.

Bien qu’au début, il n’eût pas aimé ce métier, aujourd’hui, il s’y était fait. Il disposait de temps pour réfléchir, pour écouter de la musique, et, surtout, cela lui permettait de ne pas s’attarder chez lui. Depuis que son père était mort d’une cirrhose, il logeait dans une chambre à l’étage du petit pavillon de banlieue qui avait appartenu à ses parents. Le reste de la maison était habité par sa sœur, Lorraine, par son mari Pierre, et par leurs trois enfants. Le couple ne s’entendait pas très bien. Leurs disputes incessantes le lassaient, et les cris de ses trois neveux, dont l’aîné n’avait que huit ans, le mettaient hors de lui. Lors de ses déplacements, au moins, il avait la paix.

Parfois, en roulant, il pensait à sa vie. Il se rappelait qu’il aurait voulu poursuivre ses études, car il était doué pour cela. Mais, lorsque la maladie eut emporté sa mère, son père était devenu un ivrogne invétéré, et il avait bien fallu que quelqu’un subvînt aux besoins de la famille. Ainsi, Étienne Balligny avait abandonné le lycée en Terminale et avait pris un premier travail comme magasinier dans un entrepôt. Quelques années plus tard, une connaissance l’avait poussé à passer son permis de poids lourds et l’avait présenté au contremaître d’une entreprise de transport routier. Dès lors, l’asphalte n’eut plus de secrets pour lui.

Un deuxième panneau lui annonça que la route était barrée à cause de l’accident. Un peu plus loin, il fut obligé de s’arrêter. Il évalua la situation : l’accrochage semblait grave et les secours bloquaient la circulation pour dégager les victimes. Plus qu’agacé, il regarda son GPS pour trouver une solution alternative. Il découvrit que s’il prenait la sortie juste devant lui, une départementale qui traversait une forêt lui permettrait de rejoindre l’autoroute à quelques encablures de là, et enfin d’arriver à son El Dorado, le relais, où il se restaurerait et se reposerait. Cela impliquait d’allonger son chemin, mais tout ce qui comptait pour lui, c’était de manger et de dormir le plus vite possible.

Engagé sur l’itinéraire de délestage, il s’habituait difficilement au manque de lumière. Le scintillement des gyrophares persistait dans ses rétines. La voix rassurante du GPS lui indiquait qu’il se trouvait sur la bonne voie.

À cette heure-là, cette route était presque déserte. Ainsi, pendant les premiers kilomètres, il ne croisa personne. Il se refusait de penser à sa fatigue, mais, prudent, il augmenta le volume de sa radio pour éviter de s’assoupir. Soudain, dans son rétroviseur latéral, il distingua, à l’arrière de son camion, une voiture qui, de trop près, le collait.

« Un taré inconscient, je parie qu’il s’agit d’un jeune qui se prend pour Ayrton Senna. »

Malgré un brouillard dense, ses phares au xénon lui donnaient une bonne visibilité. Il chantonnait la musique stridente diffusée dans l’habitacle pour ne pas s’endormir.

Tout à coup, devant lui, en bordure de talus, il crut percevoir quelque chose qui bougeait. Une biche? Non, il s’agissait d’une femme qui faisait du stop. Il s’étonna.

« Une belle de la nuit en cet endroit! »

Immédiatement, il décida de s’arrêter. Il était exténué, mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu une femme dans ses bras. Il rétrograda et freina brusquement au-delà de l’endroit où elle se trouvait. Le véhicule rouge qui le suivait évita la collision de justesse, recula et le doubla. Quand il fut à sa hauteur, son chauffeur invectiva Étienne vertement.

  • Espèce de connard! Descends, que je te casse la figure…

La personne qui occupait le siège passager essaya de le calmer.

  • Tais-toi, Raphaël, c’est de ta faute, tu le collais trop, je te le dis depuis un bon moment.

Étienne ne réagit pas. Depuis longtemps, il avait appris à ne pas répondre aux injures des routards. Poussé par son accompagnatrice, le jeune colérique démarra en faisant grincer les pneus. Continuant à jurer, il se perdit dans les brumes de la nuit.

Au bord de la route, l’auto-stoppeuse n’avait pas bougé. Étienne descendit de son camion et s’approcha d’elle. Il remarqua qu’elle était vêtue simplement d’une petite robe décolletée, assez courte pour découvrir une partie de ses jambes au-dessus des genoux. Elle ne portait ni sac ni veste, et ses longs cheveux châtains tombaient sur ses épaules dénudées. Elle semblait frêle et légère, telle la déesse Nyx, sublime et vaporeuse.

  • Salut!

Elle lui répondit d’une voix mélodieuse.

  • Bonsoir. Le jeune de la voiture était bien énervé.

Étienne fit un geste désabusé. Il avait l’habitude.

  • Combien?
  • Combien, quoi?
  • La passe.
  • Ah! Non, désolée. Si c’est pour cela que vous vous êtes arrêté, je ne rends pas ce genre de services. Je cherchais seulement quelqu’un qui pourrait me conduire à Lille.

Étienne, un peu gêné, se passa la main sur la nuque. Soudain, il entendit un bruit de moteur et regarda autour de lui. Un peu plus loin, dans une clairière du bois, en contrebas de la route, un gros quatre-quatre venait de se garer. Malgré le manque de lumière, il crut distinguer un couple à l’intérieur.

Intrigué par sa présence, il s’adressa à elle à brûle-pourpoint.

  • Vous sortez d’où?
  • Je viens de l’autre côté du bosquet. Je dois aller à Lille.
  • Votre voiture, est-elle tombée en panne?
  • Je n’ai pas de véhicule, je n’ai même pas de permis.

Étienne réfléchit quelques instants et finalement lui fit signe de s’installer dans la cabine du camion.

  • Vous n’avez pas peur de vous promener seule dans un endroit pareil au milieu de la nuit? Par ailleurs, dans cette tenue et avec le froid qu’il fait, vous devez être frigorifiée.
  • Non, ça va. De toute façon, je n’ai rien d’autre à me mettre, enfin, pas ici.

Étienne ne posa plus de questions. Elle lui semblait bizarre et probablement un peu dérangée, mais pourquoi devait-il s’en soucier ? Toutefois, il ne pouvait pas la laisser seule dans ce lieu avec tous ces fous qu’il y avait partout. Il entendait parfois des choses affreuses à la radio. Il l’invita à monter, puis conduisit en silence, en faisant des efforts pour penser à autre chose, car il la trouvait bien mignonne. C’était dommage qu’elle ne fît pas des passes.

  • Vous avez eu de la chance. Vous auriez pu tomber sur un détraqué.
  • Je savais que vous n’en étiez pas un.
  • Vous le saviez?

De la tête, elle acquiesça.

  • Un peu avant vous, j’ai vu passer une berline avec quatre personnes à l’intérieur. Je me suis cachée, ils n’avaient pas l’air bien nets.
  • Vous êtes voyante ou quoi?
  • J’aurais bien aimé l’être. Je ne me trouverais pas dans cette situation, si c’était le cas. Je m’appelle Nina Hinkel, mais mon nom de jeune fille était Duval.
  • Vous êtes du coin?
  • Je suis née à Lille, mais j’ai toujours vécu à Bruxelles avec mes parents, et, depuis deux ans, j’habite à Anvers avec mon mari, Baltus.

En entendant ce prénom, Étienne ricana.

  • C’est un prénom, ça?
  • Oui, c’est très courant en pays flamand.
  • Vous direz que je me mêle de ce qui ne me concerne pas, mais où est-il, ce Baltus?
  • Je crois qu’il est à Lille. En tout cas, c’est ce qu’il m’a dit hier en partant de la maison. Un de ses associés dirige une succursale de son entreprise là-bas.

Elle souriait d’une agréable façon, et ses paroles flottaient dans le silence de la nuit comme une douce berceuse. Distrait par la conversation, Étienne faillit rater l’embranchement pour revenir sur l’autoroute et lança un juron. Nina le regarda du coin de l’œil et réprima un rire espiègle. Étienne, se sentant observé, fit un geste contrit, ce qui déclencha l’hilarité de sa passagère. Elle lui semblait définitivement charmante, et il se dit que finalement ce détour inattendu lui avait été bénéfique. Il avait fait une chouette rencontre.

  • On va prendre l’autoroute et s’arrêter à l’aire suivante. J’ai faim. Puis je peux vous conduire jusqu’à Lille, mais il faudrait me donner une ou deux heures pour que je me repose un peu, d’accord?
  • Parfait, c’est gentil.

 

L’aire était silencieuse. Une vingtaine de camions était garée sur le parking des poids lourds. Leurs conducteurs dormaient certainement dans leurs cabines. Dans la salle de la cafétéria, un couple de Belges qui venait de passer quelques jours en France prenait un café. Quand Étienne rentra dans le bar suivi par Nina, la femme, une blonde rondelette d’une cinquantaine d’années, les scruta sans vergogne. Elle trouvait que la nouvelle arrivante était vêtue bien légèrement pour la saison et que celui qui l’accompagnait aurait dû lui prêter son blouson en cuir. Elle en fit la remarque à son mari qui, peu intéressé par le sujet, consulta sa montre.

  • Penses-tu qu’ils sont mariés?
  • Comment veux-tu que je le sache? De plus, cela ne me regarde pas. Par contre, j’estime qu’elle est bien jolie et un peu trop raffinée pour être avec un camionneur.
  • Je croyais que cela ne te regardait pas. Pourquoi affirmes-tu qu’il est un camionneur?
  • Parce qu’ils sont descendus d’un gros bahut, tout à l’heure, le rouge, là-bas.

Elle le fixa et adopta un ton malicieux.

  • Dans ce cas, elle n’est pas sa femme, si tu vois ce que je veux dire.
  • Tant mieux pour lui. Allez, dépêche-toi, nous avons encore un long chemin à faire.
  • Oh, ça va, tu es toujours pressé!

Entre-temps, Étienne avait commandé un sandwich. Malgré son insistance, Nina n’avait rien voulu prendre et se contentait de le regarder dévorer son repas.

  • Votre travail vous plaît-il ?
  • Je ne me plains pas. La paye est bonne et je vois du pays.
  • Vous faites cela par choix?

Étienne ne comprit pas la question et fronça les sourcils.

« Par choix? Voilà une question idiote. »

  • Si ce que vous voulez savoir est si, quand j’étais petit, je rêvais de devenir camionneur, la réponse est non. Choix? Je suppose qu’il doit bien y avoir des veinards qui choisissent ce qu’ils font de leurs vies. Moi, je ne me pose pas de questions, en tout cas, je ne me les pose plus. Je vis, je bosse, point.
  • N’avez-vous pas des rêves?

« Bon. Elle devrait s’arrêter de me poser des questions qui n’ont aucun sens! »

  • Quand je dors.

Nina sourit, illuminant son visage et ses beaux yeux verts.

  • Tout le monde a des rêves. Je suis sûre que vous en avez. Je ne sais pas, par exemple, devenir riche, voyager, être écrivain, travailler dans l’humanitaire ou…
  • À quoi bon rêver, quand on sait qu’on ne peut pas les réaliser? Je me contente de ce que j’ai, c’est déjà cela.
  • Moi, je me suis constamment posé des questions et je ne me suis jamais contentée de ce que j’avais. Vous savez, j’ai toujours été en train de chercher midi à quatorze heures.

Étienne ne savait trop que dire.

« J’avais raison. Elle est schnock. »

  • Il y a des gens comme ça.
  • Êtes-vous marié?

« Et en plus très curieuse! »

  • Non. J’ai eu une petite amie, mais on s’est un peu brouillés. Comment êtes-vous arrivée là où je vous ai trouvée?
  • C’est une longue histoire. Je vous la raconterai la prochaine fois.

« Bingo! C’est gagné. »

  • La prochaine fois? Est-ce une invitation?
  • Je n’étais pas très sûre, mais, maintenant que je vous connais un peu mieux, je pense que vous êtes un type bien et que j’ai bien fait de vous choisir.

La riposte déstabilisa un peu Étienne, mais il décida de prendre les choses comme elles venaient.

« Elle est mignonne, mais complètement cinglée. Je fonce, bah! »

  • Et votre mari, il en dira quoi?
  • Jusqu’à avant-hier, j’aurais pu répondre avec certitude à votre question. Mais depuis, je ne suis plus très sûre. Enfin, vous devriez aller vous reposer.
  • Vous ferez quoi, entre-temps?
  • Ne vous inquiétez pas pour moi.
  • Êtes-vous convaincue de vouloir attendre la prochaine fois?
  • Oui, absolument. Avant de vous endormir, pensez à cette aspiration que vous avez eue et à laquelle vous n’osez plus songer.

« C’est ça, ouais! »

Un peu déçu, Étienne haussa les épaules et alla s’installer dans le lit de sa cabine. Après tout, c’était, peut-être, mieux comme cela, il était trop fatigué, et la semaine ne venait que de commencer. Il s’allongea et s’endormit aussitôt.


***

Le bruit d’un moteur le réveilla. Étienne avait dormi plus qu’il ne l’aurait souhaité. À l’intérieur de sa cabine, il regarda sa montre. C’était déjà quatre heures du matin. Désarçonné, il savait qu’il lui restait encore presque deux cent cinquante kilomètres avant d’arriver à Rungis, où il devrait décharger la marchandise, vérifier les documents de livraison, et préparer la cargaison pour le prochain voyage. Il ne pourrait rentrer chez lui et se reposer vraiment que tard le soir. À la hâte, il se dirigea vers les toilettes. Les premiers rayons du soleil faisaient leur apparition sans trop de conviction, tandis qu’un froid humide lui donnait des frissons.

Après s’être débarbouillé, il sortit et aspira l’air vif de l’aube. Soudain, il se souvint de la femme qu’il avait recueillie au bord de la route quelques heures auparavant. Il la chercha partout, mais ne la trouva pas. Comme il avait déjà assez perdu de temps, il décida de partir. Jetant un dernier regard autour de lui, il monta dans son camion et reprit la route, légèrement désappointé.

 

Comme il l’avait redouté, sa journée de travail se finit au crépuscule. Ce ne fut que vers dix-neuf heures ce mardi qu’éreinté, il put, enfin, rejoindre sa maison.

Un fumet agréable et délicat de pot-au-feu frappa ses narines. Mais, sitôt, il entendit Lorraine crier à son beau-frère qu’il n’était qu’un traîne-savates et un bon à rien, tandis que ce dernier la traitait de salope et de grosse vache. Une porte claqua violemment. Pierre avait certainement mis les voiles vers le bistro. Il s’approcha de la cuisine et salua sa sœur d’un petit signe de la main. Elle le regarda tendrement.

  • Salut Étienne! Veux-tu manger quelque chose?
  • Non, merci! J’ai pris un morceau tout à l’heure. Je vais me coucher.

Il adorait Lorraine, mais, aujourd’hui, il n’avait pas envie de se mêler de leurs histoires de couple. Fatigué comme il était, Étienne monta les escaliers et s’installa dans sa chambre où il s’endormit aussitôt qu’il s’allongea sur son lit. Il crut entendre, après s’être assoupi, que sa sœur se disputait avec son fils aîné pour qu’il fît ses devoirs.

Avec les premières lueurs du jour, il fit un rêve. Une jeune femme aux cheveux soyeux, aux yeux verts, habillée d’une petite robe rose lui caressait le front et veillait son sommeil. Étienne, les yeux fermés, souriait.

 

 

2

Coïncidences

À Lille, dans un petit appartement, Justine Chevalier discutait avec une voisine qui lui indiquait la laverie la plus proche. Chloé, assise dans sa poussette, pleurait à tout poumon. Justine tenta de la calmer en lui donnant une sucette. Du coin de l’œil, elle aperçut la moue de désapprobation de son interlocutrice, mais elle l’ignora. En la remerciant pour les renseignements, elle mit le sac de linge sale sous le siège et sortit hâtivement de son immeuble.

Chloé semblait plus tranquille, mais sa mère savait que cela risquait de ne pas durer. À presque trois ans, la fillette n’aimait pas rester assise longtemps, et puis elle lui avait promis de l’emmener au parc. Mais, où pourrait-il y en avoir un dans cette ville? Elles avaient emménagé la veille et Justine avait tout juste eu le temps d’acheter quelques victuailles au petit supermarché qui, heureusement, se trouvait juste en face de son nouveau chez elle.

Ce mardi matin, elle devait se présenter au siège de la PJ de Lille, pour prendre son poste de commissaire. Puisqu’elle n’avait pas encore pu chercher une nounou ou inscrire Chloé dans une crèche, Justine serait obligée d’aller au bureau avec elle.

La vie de Justine n’avait pas été facile ces dernières années. Chloé était née alors qu’elle finissait sa quatrième année de droit à Lyon. Quand elle avait appris qu’elle était enceinte, elle avait beaucoup réfléchi, et malgré les réticences de celui qui partageait son existence à l’époque, elle avait décidé de garder le bébé. Mais, deux mois avant la naissance, son compagnon l’avait abandonnée pour suivre une actrice de second rôle dans des séries télévisées. Depuis, elle l’avait élevée seule, et cela avait été éprouvant. Toutefois, grâce à sa famille qui l’aidait à s’occuper de Chloé, elle avait réussi à obtenir son diplôme, puis à rentrer à l’École de police, pour deux ans plus tard devenir commissaire. L’échec de son couple l’avait blasée. Maintenant, elle se méfiait des hommes et elle s’était juré de ne plus s’engager dans une relation prenante. D’un caractère bien trempé, Justine, à vingt-sept ans, défendait bec et ongles son indépendance. Bien sûr, il y avait Richard. Depuis leur rencontre deux ans auparavant, ils entretenaient des rapports ambigus, bâtis de ruptures et de retrouvailles, et d’une sincère amitié. Elle aimait qu’il lui laissât sa liberté, lui, il l’aimait.

Son assignation à Lille avait été très précipitée, et elle avait dû tout organiser en moins d’un mois pour remplacer quelqu’un de la Brigade criminelle, qui était récemment parti à la retraite. À son habitude, elle cachait ses peurs et ses faiblesses et ne montrait extérieurement qu’une détermination farouche et obstinée. Première affectation dans la police judiciaire, elle s’était fait le serment de réussir. Si des doutes l’assaillaient, elle se donnait une contenance pour que personne ne s’en rendît compte.

En marchant dans la rue, elle regarda sa fille avec tendresse. Peu lui importaient toutes les difficultés du monde, tant que Chloé était là pour égayer sa vie et lui faire des câlineries.

 

Quand elle arriva au siège de la PJ avec Chloé dans ses bras et le sac de linge dans la poussette, un agent, à l’entrée, lui demanda ce qu’elle cherchait.

  • Je suis le commissaire Chevalier, et le divisionnaire m’attend.

Justine arrangeait une de ses mèches de cheveux que sa fille s’entêtait à mordiller. Le policier écarquilla les yeux et lui signala l’ascenseur derrière lui. Au premier étage, elle passa devant un open-space où des officiers vaquaient à leurs occupations. Elle salua poliment et ne reçut que des hochements de tête indifférents. Puis, elle frappa à la porte du commissaire divisionnaire, et entendit une voix ferme l’inviter à entrer.

Il n’était pas seul, deux hommes et une femme se trouvaient avec lui. En rentrant, tous les regards s’étaient posés sur elle avec curiosité et étonnement. Derrière son vaste bureau, son futur chef la dévisagea.

  • Madame, que puis-je pour vous?
  • Je suis Justine Chevalier, la nouvelle commissaire.

Après un silence pesant, il l’interrogea du regard tout en pointant de son doigt la petite Chloé.

  • Je suis arrivée hier soir. Dans mon appartement, il n’y a que des cartons non déballés et je n’ai pas encore de nounou pour ma fille. Elle s’appelle Chloé. Peut-être pourriez-vous m’aider à trouver une place en crèche?

Le responsable de la brigade la considéra avec circonspection. Mais, ce fut la jeune femme, Aline, qui prit la parole.

  • Je pense que pour quelques jours, ma sœur pourrait vous dépanner pour la petite. Elle ne travaille pas et adore les enfants. Elle n’habite pas loin, on pourrait la laisser en route.
  • En route?
  • Oui, on vous attendait, dit le divisionnaire. D’habitude, je ne désigne pas quelqu’un qui vient d’arriver et qui n’a aucune expérience sur un crime de cette nature, mais toutes mes équipes sont occupées. Le cadavre d’une femme a été trouvé dans un bois près de la frontière belge, et je n’ai personne d’autre à qui confier l’affaire. Les personnes que vous voyez ici sont les membres de votre futur groupe, le capitaine Vincent Maudin, et les lieutenants Julien Valmant et Aline Masselot. Prenez votre insigne, votre arme de service et allez sur place. La scientifique y est déjà. Pour les autres formalités de votre arrivée, cela peut attendre. Des questions?


***

La commissaire se sentait rassurée, car la sœur d’Aline avait accepté de bon gré de garder la petite Chloé. Au moins, pendant quelques jours, c’était une préoccupation en moins. Elle avait tout juste eu le temps de déposer son sac de linge sale dans son bureau, de prendre son arme de service et son insigne, et voilà qu’elle était partie pour le lieu du crime.

En chemin, ses nouveaux collègues lui avaient expliqué les faits. Des randonneurs avaient trouvé un cadavre dans un sous-bois le matin même. La police locale avait donc contacté la section criminelle de Lille. Ils ne savaient pas grand-chose d’autre.

Dans la voiture, elle avait commencé à se renseigner sur ses coéquipiers, qui la regardaient avec la méfiance innée des hommes face à l’inconnu. Vincent, dans la cinquantaine bien sonnée, n’était pas très causant, mais avait l’air chevronné. Il se montrait distant, mais courtois. Quant à Julien, dans la quarantaine, elle avait l’impression qu’il s’agissait de quelqu’un de timide, un peu affecté dans ses manières, poli et obséquieux. Aline, très bavarde, était la plus jeune de l’équipe, intégrée à la brigade depuis six mois.

Après une demi-heure de route, ils arrivèrent sur le lieu du crime. L’endroit n’était pas très accueillant. Il faisait froid et Justine avait mal aux pieds. Même à dix heures passées, le brouillard était encore épais. Ils avaient marché sur un sentier forestier, et là, sous un bouleau blanchâtre, gisait le corps d’une jeune femme aux cheveux châtains, habillée d’une courte robe rose.

La voyant s’approcher, le légiste, qui travaillait déjà sur place, lui donna son avis.

  • On lui a fracassé le crâne avec quelque chose de lourd. Tout ce que je peux dire pour l’instant est que la mort remonte à plus de quarante-huit heures. Êtes-vous Justine Chevalier, la nouvelle commissaire?

Justine hocha la tête et lui adressa un sourire discret. Elle était frigorifiée.

  • C’est tout?
  • Mmm… Pour la suite, ce sera après l’autopsie. Elle n’avait ni sac ni autre signe capable de l’identifier. Vos collègues prennent, juste là sur le chemin forestier, les empreintes de traces de pneus d’une voiture, et c’est tout.
  • A-t-elle été violée?
  • Je ne sais pas, mais je ne crois pas. Le seul signe de violence, c’est sur son crâne. Elle devait avoir dans les vingt-cinq ans ou un peu plus, peut-être. Mariée, car elle porte une alliance à l’annulaire.
  • Bien, merci.

Elle chercha ses coéquipiers du regard.

  • Bon, il faut réaliser une enquête de voisinage. Il doit bien y avoir des habitations à proximité. Cette départementale, où va-t-elle?
  • À Neuville. Elle traverse cette forêt et puis on peut rejoindre l’autoroute, plus bas.
  • D’accord, rentrons. Il faut publier sa photo dans les journaux et voir si quelqu’un peut l’identifier ou l’a aperçue dans les parages. Nous devons aussi vérifier s’il n’y a pas des avis de disparitions ces derniers jours, et prévenir la police belge. Ses habits sont très chers, de même que ses chaussures, elles doivent coûter la moitié de mon salaire.

Justine se retourna, mais Vincent et Aline discutaient déjà avec leurs collègues de la scientifique. Agacée, elle soupira. Seul Julien restait immobile appuyé contre le tronc d’un arbre. La commissaire remarqua son air désabusé.

  • Avez-vous un problème, Julien?
  • Je ne connais personne qui n’en a pas. Ne vous inquiétez pas, Vincent est une tête de mule et Aline le suit partout, mais ils s’habitueront vite à vous. Vous avez raison, rentrons maintenant pour faire tout ce que vous avez dit. Il faut bien commencer par quelque chose.

Il repartait déjà vers la voiture quand, soudain, il revint sur ses pas et fixa Justine.

  • Avant que quelqu’un d’autre vous mette au courant, sachez que je suis homo, et que si aujourd’hui je suis d’une humeur de chien, c’est parce que, hier, mon compagnon m’a plaqué. Cela faisait dix ans qu’on habitait ensemble.

Elle lui répondit très sincèrement :

  • Je comprends. Allons-y! Vous, là-bas, en route!

 

Le reste de la journée ne fut pas de tout repos pour Justine et son équipe. Qui était cette jeune femme? Comment était-elle arrivée à cet endroit? Voilà une enquête qui s’avérait difficile.


***

Mercredi matin, Étienne se réveilla sans trop savoir où il se trouvait. Les rayons du soleil lui chatouillaient le visage. Confus, il tâtonna sur sa table de chevet.

« Mais, quelle heure est-il? »

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