L eau de vie
142 pages
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L'eau de vie , livre ebook

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Description

Le troisième roman pour adultes de Daniel Marchildon est aussi son projet le plus ambitieux en vingt ans de carrière littéraire. La science qu'il a acquise passionnément sur la fabrication et l'histoire du whisky s'y trouve habilement transformée en une fiction irrésistiblement enivrante.
Fresque historique entremêlant la fascinante odyssée du scotch à l'étonnant récit de la vie côtière de la baie Georgienne, cette saga familiale mouvementée sillonne deux continents, trois lignées et plusieurs générations.
« L'eau de vie », c'est le uisge beatha, whisky en gaélique écossais, une eau qui coule dans le sang et engendre la vie - mais provoque souvent la mort aussi.
Poussée par une voix mystérieuse, Élisabeth Legrand s'investit complètement dans un projet insensé : ouvrir une distillerie à Pointe-au-Phare, sa petite communauté isolée du nord de la baie Georgienne, pour y élaborer du whisky single malt à partir d'anciens stocks de Glen Dubh, un scotch disparu dans des circonstances tragiques.
Parallèlement, à travers le passé de la famille des Fearmòr, les créateurs du célèbre Glen Dubh, en Écosse, se profilent les grands moments du whisky, en passant par les luttes meurtrières menées par les distillateurs clandestins, l'essor et la chute des empires de l'eau-de-vie écossaise.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 avril 2010
Nombre de lectures 5
EAN13 9782895971283
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Daniel Marchildon
L’EAU DE VIE
( Uisge beatha )
Roman
À la Maréchale pour son soutien indéfectible et son sourire enivrant
Partie I
Élisabeth, Pointe-au-Phare
« Mieux vaut mourir avant Pointe-au-Phare. » La pensée la surprend, se fraie un chemin dans son esprit tourmenté.
Le ciel de ce début d’après-midi du mois de novembre commence déjà à s’assombrir. Élisabeth Legrand, aux commandes de son bateau de plaisance, et sous l’emprise d’une pénible gueule de bois, n’hésite plus entre le large et un chenal qui mène derrière le rocher dominé par une tour en pierre blanchie à l’entrée de Pointe-au-Phare. Elle pointe la proue vers le large et enfonce la manivelle de vitesse à pleins gaz. Le vaisseau se met à sautiller sur la vague, lancé sur une course vers une destination qu’Élisabeth ne connaît pas. Elle s’en va donc vers le vide, vers la baie Georgienne et sa force latente, omniprésente, même par temps calme. Car cette vaste marmite d’eau aux parois rocheuses peut, à tout moment, et sans prévenir, se mettre à écumer comme une soupe au lait laissée trop longtemps sur le feu. Élisabeth va continuer jusqu’à ce que…
Brusquement, en arrivant tout près des îles aux Tortues, elle coupe le moteur, abandonnant le bateau au mouvement de la vague. Le vaisseau en dérive se rapproche du chapelet d’îlots marquant le début de ce chenal où, un hiver, les parents d’Élisabeth ont trouvé la mort. La femme s’en détourne pour fixer le large. En raison du temps gris, elle doit s’imaginer, au loin, la péninsule Bruce, normalement visible depuis Pointe-au-Phare et, au bout, Tobermory, une ville qui a emprunté son nom à un petit port de pêche et de scotch de l’île Mull de la côte ouest de l’Écosse. Son regard se perd dans la contemplation de ces 1 350kilomètres carrés de vagues et de trente mille îles et îlots qui ont englouti deux cents vaisseaux — et une vingtaine de gens de Pointe-au-Phare.
Sous l’eau, des épaves, des débris de naufrages, même des corps intacts reposent sur le fond, là où la rareté d’oxygène ralentit la décomposition. « Rejoindre ma mère, retourner à l’eau qui m’a vue naître. » L’idée réconforte Élisabeth.
D’un geste résigné, Élisabeth lance l’ancre par-dessus bord et regarde la corde se dérouler. On croira à une panne. Le carburateur du moteur de son bateau a toujours fonctionné capricieusement : son amie Ghisèle et les autres l’ont vue en découdre avec cette pièce maudite, des dizaines de fois.
Sa résolution s’affermit : la lugubre soirée qu’elle vient de vivre aura été sa dernière.
Pourtant, elle avait bien commencé. Tout le village de Pointe-au-Phare, une trentaine de personnes, s’était rassemblé au Bar au Baril pour arroser le départ de Sylvain, le dernier célibataire mâle de l’endroit, de moins de cinquante ans. Comme l’ont fait avant lui tous les autres jeunes du village, Sylvain déménage ailleurs, plus précisément, à Toronto, pour se chercher du travail. En fait, avec ce départ, Élisabeth et Ghisèle, à un an de la quarantaine, détiennent maintenant le titre de benjamines de Pointe-au-Phare. Incapable de retenir ses fils et ses filles qui, souvent malgré eux, abandonnent la vie côtière pour la vie urbaine, la communauté, comme toutes les autres le long de la côte nord-est de la baie Georgienne, se vide.
Pour Élisabeth, la fête de la veille s’était métamorphosée en veillée mortuaire, la poussant à boire plus que son soûl, surtout de la bière puisque le peu de scotch présent s’était volatilisé rapidement. Ghisèle avait même dû la traîner chez elle jusqu’au canapé. Du whisky ne l’aurait jamais terrassée à ce point.
Pointe-au-Phare se meurt à petit feu et n’espère plus rien, sinon une mort paisible.
Sans le sou, Élisabeth ne peut plus attendre cette mort, pas plus que Sylvain et les autres avant lui. Toutefois, elle n’a plus la force de partir. Pas de cette façon en tout cas. Elle a déjà essayé, voilà quinze ans. Vivant de trois fois rien, elle avait erré au Canada, et ensuite en Europe, pour se retrouver un jour en Écosse, acculée à cette vérité qu’elle ne pouvait plus tromper. Vivre ailleurs qu’à Pointe-au-Phare lui était impossible.
Et pourtant, bien qu’heureuse d’habiter seule dans la maison de ses parents, aujourd’hui une autre vérité l’assaille : elle n’a plus les moyens de continuer ainsi. Dans un mois, la glace va prendre le long de la côte et…
« C’est Louise qui va être contente », pense Élisabeth en entendant l’ancre, traînée par le bateau, racler le fond sans se fixer. Les écueils approchent rapidement ; elle n’a plus qu’à attendre, ça ne sera pas très long. Louise, sa sœur cadette, aura enfin la maison pour elle seule et…
« Non ! Pas dans cette eau. Dans l’autre. »
Élisabeth tend l’oreille. Un frisson d’épouvante secoue tout son corps. Elle l’a pourtant entendu cette voix, celle d’une femme. Autour d’elle, il n’y a que le gris de l’eau, le battement de la vague contre la coque, le vent qui frôle ses longs cheveux marron.
« Dans l’autre. »
—Quelle autre ? hurle Élisabeth désemparée.
Et c’est alors qu’elle comprend. « Mais comment cette étrangère peut-elle savoir ce que tous les autres ignorent ? »
Elle fait tourner la clé et le moteur répond par un rugissement aussitôt étouffé. Élisabeth pousse un juron : la panne simulée est maintenant bien réelle. Paniquée, elle se précipite vers le moteur. À peine une cinquantaine de mètres la séparent des îlots où la vague l’emporte inéluctablement. Elle joue avec la corde de l’ancre dans l’espoir d’arrêter cette trajectoire fatale et de se donner le temps de relancer le moteur. Aucune crevasse ni roche ne venant à son aide, elle se rue sur le moteur, son dernier espoir. Luttant pour maintenir son équilibre, elle ouvre le boîtier, retire un tournevis d’un coffre à outils et l’enfonce dans le papillon du carburateur. Toutefois, l’outil tombe à ses pieds et se met à rouler sur le fond du bateau. À quatre pattes, Élisabeth le récupère et, affolée, le plante de nouveau. Cette fois, il reste en place et elle retourne au tableau de bord.
« Envoie, Christie ! » marmonne-t-elle en tournant la clé. Un toussotement mécanique et puis ensuite le silence. Élisabeth regarde la roche où son bateau va bientôt se faire pulvériser. Une fois dans l’eau glaciale, ses chances de survivre plus d’une quinzaine de minutes sont nulles. Elle essaie encore la clé.
Le moteur crache de la vapeur pour finalement démarrer. Élisabeth enfonce la manivelle de vitesse pour éloigner le vaisseau des écueils. Une fois hors de danger, elle remonte l’ancre. Ses mains encore tremblantes, elle met le cap sur la berge et le phare de Pointe-au-Phare, bien déterminée à boire cette coupe qu’elle s’est toujours refusée. Pourvu que l’eau de vie ne la déçoive pas — une fois de plus.
Écosse 1494
Le frère Iain Fearmòr [1] se signa et s’agenouilla sur le carrelage de pierre de la chapelle. L’air salin du Firth de Tay, une étroite baie de la mer du Nord léchant la côte nord-ouest de l’Écosse glaçait le corps du pauvre moine bénédictin. Malgré le froid, il se concentra sur sa prière comme la dizaine de frères qui se recueillaient dans l’aube incertaine cherchant à poindre dans la chapelle de Saint-Dionysos, une des trois de l’abbaye de Lindores.
Quelques chandelles donnaient un faible éclairage au lieu sacré, un édifice en pierre, presque aussi vieux que le monastère lui-même, établi au début des années 1200.
« Faites en sorte que je réussisse, car le salut de tant d’âmes en dépend. » Le moine invoquait l’aide divine pour réaliser sa mission qui pourrait s’avérer fatale. D’ailleurs, il avait beaucoup hésité avant de l’accepter. Était-il vraiment sûr de son bien-fondé ?
Au bout d’une heure, l’engourdissement qui s’était emparé de tous ses membres lui signala qu’il avait assez prié, du moins pour le moment. Il se releva et, très lentement, afin de permettre à la circulation de se refaire dans ses jambes, il quitta la chapelle. Dehors, le vent du mois d’octobre s’élançait sur la mer pour ensuite s’abattre de toutes ses forces contre la côte rocheuse.
Au sud de l’abbaye, le village de Newburg semblait retenir son souffle en attendant tranquillement le lever du jour. Se hâtant, le frère Fearmòr trouva, dans l’étable du monastère, un âne déjà attelé à une charrette et se mit en route.
Une vingtaine de minutes plus tard, il se trouva chez Robert Bruce, salua le paysan et lui tendit un papier avec de la belle écriture en latin. Le cultivateur, qui ne savait point lire, interrogea le frère du regard.
—C’est un

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