La maison maudite
57 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

La maison maudite , livre ebook

-
traduit par

57 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Trois romans essentiels de Lovecraft, et trois romans qui vont bien ensemble, parce que c'est la ville qui les organise. Trois romans parmi les plus célèbres du grand maître fantastique américain, tous trois datant de sa période d'or, 1924-1926.


"La maison maudite" parce que toute l'histoire est située dans une seule pièce, sans fenêtre mais avec porte sur rue, au sous-sol d'une maison banale, toujours debout et pimpante aujourd'hui, dans la même Benefit Street de Providence où vivait Lovecraft.


"Celui qui hante la nuit" parce qu'on est au même endroit, sur la colline de Providence, mais que la menace ou l'étrangeté vient d'un point là-bas à l'horizon de la ville. Et, lorsqu'on tente de s'y rendre à pied, on ne le retrouve pas, on s'y perd. C'est la ville soudain qui devient vivante, abolit sa géographie.


"Horreur à Red Hook" parce que, vous savez l'histoire, Lovecraft fut marié, vécut deux ans à New Yrok, et lorsque Sonia Greene doit trouver un emploi à Cleveland, il refuse de la suivre et prend une chambre dans ce quartier historique mais miséreux du vieux Brooklyn, au-dessus des piers et entrepôits. Et toute sa bile vient ici, et la méfiance des autres, comme de projeter stoute la rancoeur de ses échecs – d'ailleurs l'épouse du menaçant docteur n'aura pas le beau rôle.


Mystère, trois fois mystère. Terreur ? Une seule terreur. Celle de Lovecraft.


FB


On trouvera sur The Lovecraft Monument (http://thelovecraftmonument.com) de nombreuses ressources complémentaires, essais et articles de ou sur Lovecraft.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juin 2014
Nombre de lectures 43
EAN13 9782814510043
Langue Français

Extrait

HORREUR À RED HOOK, ET 2 AUTRES ROMANS
H P L OWARD HILLIPS OVECRAFT
La maison maudite | Celui qui hante la nuit | Horreur à Red Hook
nouvelle traduction & introductions François Bon
The Lovecraft Monument
ISBN : 978-2-8145-1004-3 DERNIÈRE MISE À JOUR LE 26 JANVIER 2015 THELOVECRAFTMONUMENT.COM
C’est un peu pour moi le texte de la révélation : marcher un beau jour de printemps (le 29 avril 2010 précisément) dans la calme rue de la colline de Providence, Benefit Street, tenant à la main un polycopié fourni par l’office du tourisme et indiquant les lieux où avait véu H.P. Lovecraft (et ç’avait été difficile de se le procurer, il n’est pas très aimé là-bas, ni les récits d’horreur très en estime – Lovecraft ravalé à un écrivain de genre) et nous étions devant la coquette et ancestrale maison de bois peint en jaune qui avait servi de modèle à La maison maudite, tout était calme sous le soleil, des voitures tranquillement garées devant la porte de la cave où tout se passe, et je découvrais que je n’avais rien compris à Lovecraft. Et si je n’avais rien compris, il fallait attraper le texte au ralenti, comprendre comment il était fait. À peine de retour à Québec, lesté d’une solide édition des Weird Tales, je m’embarquais dans une traduction dont je ne savais pas qu’elle serait suivie d’autres. Je découvrais la complexité de Lovecraft et son enracinement dans le fantastique romantique. Un peu plus haut, dans le même quartier, nous nous étions arrêté à ce petit parc en surplomb dont le vieil arbre avait connu Edgar Poe contemplant d’en haut la ville, et Lovecraft décrivant Poe – dont l’auberge était là précisément – accoté à ce même arbre. Et puis la nature même de ce fantastique. Récemment, je découvrais dans Proust cette phrase qui me hante depuis lors : « Dostoïevski était un grand inventeur de maisons ». Lovecraft réinvente la maison qui lui sert de modèle, mais dans la plus scrupuleuse contrainte que rien, strictement rien n’échappe à la vie ordinaire de Providence, et de cette rue même, où lui aussi il vit. Et c’est cela aussi qu’il faut respecter : le désordre minuscule du réel, dans ce majestueux dépli de l’histoire, valant plus que les figures terrifiques elles-même, et là notre trouble, notre malaise, la nécessité d’avoir à faire juste exister une odeur. Et que les autres difficultés, la complexité permanente d’une syntaxe flottante, lourde et chargée d’adverbe, mais justement pour la nécessité d’engluer et happer toujours plus profond, et son corollaire : le recours permanent à des formes textuelles parfaitement établies, rapports, correspondances, qui attestent de la réalité du narrateur y compris par sa maladresse ou son confinement à des formes d’énonciation en apparence non littéraires, tout cela on avait à le prendre comme la matière même de Lovecraft, mais en permanence avoir à le soumettre à ce principe de malaise, d’instabilité perpétuelle par quoi justement le plus ordinaire, cette tranquille maison de Lovecraft et sa cave, va devenir la preuve que – où que vous habitiez dans le monde – l’effroi et la mort peuvent surgir et que vous serez happé comme les autres avant vous. The shunned housea été publié pour la première fois en 1928 dansThe Recluse Presset repris en 1937 dansWeird Tales. FB direMctement dans la façon dont les événements se combinent, tandis que parfois elle n’est liée ÊME DES PLUS GRANDES HORREU,RSl’ironie est rarement absente. Elle intervient qu’à leur fait arbitraire parmi les personnes et les lieux. De la dernière catégorie, ce splendide exemple dans un cas lié à la vieille ville de Providence, où dans les années quarante Edgar Allan Poe a souvent séjourné, quand il a vainement fait la cour à notre poète si douée, Mme Whitman. Poe s’hébergeait en général Mansion House, dans Benefit Street : le Golden Ball Inn était un hôtel renommé dont le toit avait abrité Washington, Jefferson et Lafayette – et sa promenade favorite le menait vers le nord, dans cette rue où vivait Mme Whitman, et le petit cimetière à flanc de colline derrière l’église Saint-Jean, dont l’étendue invisible de vieilles
tombes du dix-huitième siècle exerçait sur lui une fascination particulière. Maintenant, telle est cette ironie. Dans cette promenade si souvent répétée, le plus grand maître au monde du terrible et du bizarre était obligé de passer devant une maison particulière, côté est de la rue ; une misérable, très vieille bâtisse accrochée à la pente abrupte de la colline, avec un grand terrain mal entretenu, datant de quand la région était encore une campagne ouverte. Il n’apparaît pas qu’il en ait jamais écrit un mot, et aucune évidence qu’il l’ait seulement remarquée. Et pourtant cette maison, pour les personnes en possession de certaines informations, équivalait ou dépassait en horreur les pires imaginations du génie qui si souvent était passé là devant sans rien savoir, et reste impudiquement le symbole du hideux le plus effarant. Cette maison était – et est toujours – d’un type à attirer l’attention des curieux. À l’origine une ferme, ou une demi-ferme, elle illustrait l’ensemble du dessin colonial de Nouvelle-Angleterre du milieu du dix-huitième siècle – un toit en faîte prospère avec deux étages, un grenier et ses lucarnes, un portail et une galerie dictés par le progrès du goût au temps du roi George. Orientée au sud, avec un pignon qui tombait sur les plus basses fenêtres côté est où grimpait la colline, et l’autre élevant ses fondations au-dessus de la rue. Sa construction, il y a plus d’un siècle et demi, avait accompagné la poursuite et extension de la route à cet endroit ; parce que Benefit Street – qui s’appelait d’abord Black Street – avait d’abord été un chemin tracé parmi les tombes des premiers colons, et mise au droit seulement après qu’on eut déplacé les ossements de la partie nord du cimetière, lui permettant de couper décemment à travers les anciennes sépultures familiales. Au début, vingt pieds d’herbe abrupte séparaient le mur ouest du chemin. Mais en l’élargissant au temps de la Révolution, une grande partie du terrain intermédiaire fut mangée, exposant les fondations de telle façon qu’on avait dû construire un soubassement de briques, créant au-dessus de la rue une cave profonde, avec sa porte et deux soupiraux, tout près d’où désormais passaient les gens. Quand on ajouta un trottoir, il y a un siècle de cela, le reste d’espace fut supprimé ; et Poe, en marchant, ne pouvait remarquer que le mur gris accroché à pic au trottoir et surmonté à dix pieds de briques par le bardeau corpulent de la maison elle-même. Le terrain, comme les autres fermes, s’étendait en arrière sur la colline, presque jusqu’à Wheaton Street. Le côté sud de la maison, contigu à Benefit Street mais loin au-dessus de son niveau, formait une terrasse sur un haut remblai de pierre moussue, où s’insérait un escalier de marches étroites conduisant comme à travers un canyon vers la partie supérieure et sa pelouse galeuse, restes de murs et vieilles briques, et tout l’attirail des jardins non entretenus, pots de grès brisés, bouilloires démantelées tombées de leur trépied noueux, et autre bazar évacué de la porte battue aux vents avec son fanal cassé, ses pilastres ioniques pourris et le fronton triangulaire mangé aux vers. Quand dans ma jeunesse j’entendis parler de la maison maudite, c’était parce que des gens y étaient morts en quantité anormale. C’était la raison, disait-on, qui en avait fait déménager les propriétaires originaux, vingt ans après l’avoir construite. C’était tout simplement malsain, peut-être à cause de l’humidité, de ces moisissures qui proliféraient dans la cave, et cette odeur maladive générale, les courants d’air dans les couloirs, ou bien la qualité de l’eau du puits qu’on y pompait. Un faisceau de choses suffisamment détestables, c’est tout ce que j’avais pu recueillir des personnes que je connaissais. Seuls les cahiers de mon oncle
archiviste, le docteur Elihu Whipple, me révélèrent finalement les très sombres et vagues hypothèses qui avaient constitué ce courant souterrain de rumeurs parmi les domestiques d’autrefois et les gens simples ; hypothèses qui n’étaient jamais sorties de la ville, et qu’on avait oubliées quand Providence eut grandi jusqu’à devenir une métropole à la population moderne et fluctuante. Pour autant, la maison n’avait jamais été considérée par la part la plus solide de la communauté comme étant d’aucune façon « hantée ». Aucun de ces contes répandus avec des chaînes traînées, de soudains courants d’air ou des lumières brutalement éteintes, des visages à la fenêtre. Les plus engagés disaient seulement que c’était une maison « pas de chance », et ne tentaient pas d’aller plus loin. Ce qui était au-delà de toute discussion, c’est qu’une proportion épouvantable de gens étaient morts ici ; ou, plus précisément, étaient morts ici il y a longtemps, puisque malgré quelques tentatives au cours des soixante dernières années, la maison était restée inhabitée, et qu’il avait été impossible de la louer. Ces gens n’avaient pas tous été soudain frappés par une seule cause ; il semblait plutôt que leur vitalité était insidieusement sapée, et que chacun était mort par suite de cette faiblesse évidente, qui les aurait naturellement emportés. Et pour ceux qui n’étaient pas morts selon un degré ou l’autre d’un type d’anémie ou de consomption, ou parfois du déclin de leurs facultés mentales, leur état confirmait l’insalubrité de la maison. Quant aux maisons voisines, ajoutons-le, elles semblaient entièrement épargnées de ces caractéristiques nocives. Ce que j’avais appris, avant même de questionner mon oncle avec insistance, le conduisit à me montrer ces notes qui finalement nous embarquèrent tous deux dans cette enquête hideuse. Dans mon enfance, la maison maudite était vide, avec ses arbres desséchés et ratatinés et si vieux, une herbe si louche qu’elle en était suspecte, et des ronces difformes à vous donner des cauchemars, sur ce talus où jamais les oiseaux ne venaient nicher. Nous les enfants, on s’était approprié l’endroit, et je me souviens encore de mes terreurs de jeunesse, pas seulement pour l’étrangeté morbide de cette végétation sinistre, mais pour l’atmosphère anormale et l’odeur de la maison délabrée, dont nous poussions souvent la porte pour le goût du frisson. Les fenêtres étroites étaient pour la plupart cassées, et l’air sans nom de la désolation restait accroché aux boiseries intérieures chancelantes, au papier peint en lambeaux, aux escaliers grinçants et autres restes de mobilier brisé qu’on y trouvait. La poussière et les toiles d’araignées ajoutaient leur touche de frayeur ; et il aurait ét é courageux, certes, le gamin qui volontairement aurait osé monter l’échelle vers le grenier, vaste espace mansardé éclairé seulement par la lueur des lucarnes au bout du pignon, et rempli d’une masse de décombres tels que coffres, chaises, rouets qu’une suite infinie d’années aurait ensevelis et ornés pour en faire des formes monstrueuses et diaboliques. Mais, après tout, le grenier n’était pas le plus terrible endroit de la maison. C’était la cave froide et humide qui exerçait sur nous la plus forte répulsion, même si elle était toute entière au-dessus du niveau de la rue, avec seulement une porte très mince et ce mur de briques percé de soupiraux pour la séparer d’un trottoir si passant. Nous ne savions trop si nous y revenions pour sa fascination spectrale, ou devions l’éviter pour la sauvegarde et la santé de nos esprits. D’abord, cette mauvaise odeur de la maison était ici plus forte ; d’autre part, nous n’aimions pas ces moisissures blanches qui s’y multipliaient dans les étés pluvieux, à même le sol de terre dure. Ces moisissures, aux formes aussi grotesques que la végétation dans la cour du dehors, avaient vraiment des contours maladifs ; parodies détestables de champignons
vénéneux ou de plantes nocives, nous n’en avions jamais vu de tels dans aucune autre situation. Ils pourrissaient très vite, et devenaient alors légèrement phosphorescents ; ceux qui passaient la nuit parlant alors parfois de feux de sorcières derrière les volets brisés des soupiraux aux relents fétides. Jamais – même dans nos humeurs les plus sauvagement Halloween – nous n’aurions osé nous y risquer la nuit, mais lors de quelques visites diurnes nous avions pu nous-mêmes constater cette phosphorescence, surtout quand le jour était sombre et brumeux. Il y avait aussi cette chose plus subtile que souvent nous pensions avoir détectée – une chose très étrange, mais certainement la plus suggestive. Je parle d’une sorte de nuage blanchâtre sur le sol poussiéreux – un vague et très variable dépôt de moisi ou de salpêtre, dont parfois nous trouvions la trace parmi les moisissures clairsemées devant la gigantesque cheminée qui servait de cuisine dans ce sous-sol. Une fois, cela nous avait frappé en un instant, tant cela prenait ressemblance étrange à une figure humaine qui aurait doublé de taille, même si en général aucune affinité de cette sorte n’existait, et que d’autres fois il n’y avait même pas ce dépôt blanc. Un certain après-midi pluvieux, alors que cette illusion nous était apparue phénoménalement forte, j’eus de surcroît l’illusion qu’une sorte d’exhalaison mince, jaunâtre et miroitante s’élevait de l’accumulation de salpêtre près du foyer bâillant, et je parlais du fait à mon oncle. Il sourit à son étrange manière, mais il me sembla que son sourire était voilé par une réminiscence. Plus tard, il me raconta qu’une observation similaire figurait dans un de ces récits populaires – croyance qui en appelait de la même façon à une forme entre goule et louve prise par ces vapeurs échappant de la grande cheminée, ainsi que les étranges contours pris par certaines racines des arbres qui avaient trouvé à s e faire chemin dans la cave par le jointoiement des pierres de fondation. * noCtes et données qu’il avait recueillies au sujet de la maison maudite. Le docteur Whipple était E N'EST PAS AVANTj’aie atteint l’âge adulte que mon oncle étala devant moi les que un médecin raisonnable et conservateur de la vieille école, et pour tout l’intérêt qu’il en éprouvait, il ne se serait pas empressé d’amener de jeunes pensées vers l’anormal. Son propre point de vue postulait simplement un bâtiment et un lieu nettement sous les normes sanitaires, qui n’avait rien à voir avec l’extraordinaire ; mais il comprenait que le côté si pittoresque qui avait éveillé son propre intérêt pouvait, dans l’esprit imaginatif d’un adolescent, s’associer à toutes les plus épouvantables inventions. Le docteur était célibataire, cheveux blancs, rasé de près, un gentleman ancienne manière, et un historien local remarqué, qui avait souvent porté le débat avec des gardiens de la tradition comme Sidney S. Rider ou Thomas W. Bicknell. Il vivait avec un seul domestique, dans une propriété style roi George, avec heurtoir et galerie de fer forgé, sinistrement accrochée sur une pente abrupte de la North Court Street, près d’un vieux bâtiment de briques colonial où son grand-père — un cousin de ce célèbre corsaire, le capitaine Whipple, qui avait équipé et armé pour sa Majesté le schoonerGaspeeen 1772 — , pendant la séance législative du 4 mai 1776, avait voté pour l’indépendance du Rhode Island. Autour de lui, dans sa bibliothèque sombre et voûtée, parmi les panneaux blancs de vieillesse et les moulures trop lourdement sculptées, avec ces étroites fenêtres aux petits carreaux ombreux, il gardait les reliques et archives de son ancienne famille, et parmi elles de nombreuses et discutables allusions à la maison maudite de Benefit Street. Et ce lieu saisi par la peste n’était pas si loin — puisque Benefit court à flanc
de colline juste au-dessus du tribunal, sur cette pente qu’avaient grimpée les premiers colons. Quand mon insistance à le harceler, après que j’aie atteint à la maturité, décida finalement mon oncle à évoquer ces rumeurs accumulées, elles tissèrent devant moi une chronique bien étrange. Sur une telle durée, avec une telle fréquence, et ces ternes généalogies qui en émergeaient, elles constituaient le fil continu d’une horreur troublante, tenace, et d’une malveillance surnaturelle qui m’impressionnèrent encore plus qu’elles avaient impressionné le bon médecin. Des événements indépendants s’imbriquaient dans un seul bloc disparate, et des détails apparemment sans importance révélaient des mines hideuses de possibles. Une curiosité neuve et brûlante grandissait en moi, à côté de quoi mes curiosités adolescentes semblaient chétives et brouillonnes. Cette première collation nous mena à une recherche exhaustive, et finalement à cette quête vibrante qui se révéla si désastreuse pour moi et pour les miens. Parce que mon oncle avait insisté pour me rejoindre dans cette recherche que j’avais commencée, et qu’à la fin d’une certaine nuit dans cette maison il n’est pas revenu. Je suis seul, et n’ai plus auprès de moi ce doux esprit tant d’années occupé seulement d’honneur, de vertu et de goût, d’étude et de bienveillance. J’ai érigé un monument de marbre à sa mémoire dans le cimetière Saint-John — cet endroit que Poe aimait tant — le bosquet dérobé de saules géants, où les tombes et pierres tombales se blottissent doucement entre les masses blanchies de l’église et les maisons et murs de soutènement de Benefit Street. L’histoire de la maison commençait par un labyrinthe de dates, qui ne révélaient aucune trace sinistre ni à propos de sa construction, ni à propos de l’honorable et prospère famille qui l’avait construite. Pourtant, dès le début, cette teinture de calamité croissait jusqu’à l’évidence d’une signification physique. La maison maudite, semble-t-il, fut d’abord habitée par William Harris et sa femme Rhoby Dexter, avec leurs enfants: Elkanah, né en 1755, Abigail, né en 1757, William Junior, né en 1759, et Ruth, née en 1761. Harris était un navigateur et un marchand important du commerce avec les Indes de l’Ouest, travaillant pour la compagnie d’Obadiah et ses neveux. Après la mort de Brown en 1761, la nouvelle compagnie de Nicholas Brown & Co fit de lui le capitaine du brick de 120 tonnes La Prudence, construit à Providence, lui permettant d’ériger cette propriété familiale à laquelle il rêvait depuis son mariage. Il en avait choisi le site — une partie récemment tracée de la nouvelle Back Street à la mode, qui longeait la pente de la colline au-dessus du populeux Cheapside — c’était exactement ce qu’il voulait, et le bâtiment rendit justice au lieu. C’était le mieux que ses moyens modestes pouvaient lui offrir, et Harris se hâta d’y emménager avant la naissance du cinquième enfant qu’attendait sa famille. L’enfant, un garçon, vint en décembre : il était mort-né. Il n’y eut plus jamais de naissance dans cette maison pendant un siècle et demi. Au mois d’avril suivant, la maladie survint parmi les enfants, Abigail puis Ruth moururent avant que la fin en soit échue. Le docteur Job Ives diagnostiqua les troubles d’une fièvre infantile, bien que d’autres déclarèrent qu’il s’agissait d’un symptôme de dépérissement, de déclin. Cela sembla, en tout cas, être contagieux: Hannah Bowen, une des deux domestiques, mourut au mois de juin suivant. Eli Liddeason, l’autre domestique, se plaignait constamment de faiblesse ; il serait volontiers reparti à la ferme paternelle, à Rehoboth, si ce n’avait été sa soudaine liaison à Mehitabel Pierce, qui avait été engagée pour remplacer Hannah. Il mourut l’année suivante — une triste année c’est sûr, puisque marquée par la mort de William Harris lui-même, affaibli comme il l’était par le climat de la Martinique, où ses occupations l’avaient maintenu un temps si considérable dans la dernière décennie.
Sa veuve Rhoby Harris ne se remit jamais du choc de la mort de son mari et, deux ans plus tard, le décès de son...
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents