Naven
168 pages
Français

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Description

Le naven, ou donner à voir, est, dans certaines contrées et en particulier en Nouvelle Guinée, un très long récit d'initiation ; les femmes âgées initient les jeunes filles grâce à des récits mythiques, récits de familles, récits des origines.
Dans ce roman, la narratrice retrace le parcours incroyablement audacieux des jeunes filles de sa famille venues d'Ardèche ou d'Italie pour travailler comme bonnes à Lyon. En refaisant leur chemin, celle-ci comprend que ce qu'elle a refusé de ces femmes, ignoré ou méprisé, était peut-être son salut.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 249
EAN13 9782296926882
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Naven
 
 
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
© L'Harmattan, 2010
5-7, rue de l'Ecole polytechnique, 75005 Paris
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-08250-2
EAN : 9782296082502
Maryse Vuillermet
 
 
Naven
 
 
Roman
 
 
L'Harmattan
 
Le naven est, dans certaines contrées et, en particulier en Nouvelle Guinée, un très long récit d’initiation ; les femmes âgées initient les jeunes filles grâce à de longs récits mythiques, récits de familles, récits des origines. Parfois, ces récits s’accompagnent de spectacles et de déguisements. Le naven porte également le nom de donner à voir.
 
Départs
 
 
Printemps 1919, Marie est assise au bord du ruisseau sur une pierre plate.
 
C’est ainsi que je la vois. Désormais, j’ai des images toutes construites ou des petits bouts de séquence. Je rêve de ces femmes, elles sont à mes côtés. J’ai atteint la première femme de ma lignée, mais, plus loin, c’est noir. Je suis Marie en pensée, elle trempe ses pieds dans l’eau pour se rafraîchir.
 
L’air est lourd, sa chienne Dora halète à ses pieds. Marie n’arrive pas à tricoter, ses mains sont trop moites et elle est trop rêveuse. Ses chèvres sont éparpillées sur la rive d’en face, cachées dans les genêts et le cytise. C’est Bêtise, la plus rusée et la plus effrontée, sa préférée, qui mène la bande.
 
L’orage cogne au loin sur le Rocher de Sampzon. Marie aime ça. C’est son dernier jour de bergère. Elle a dix-sept ans, et elle sait qu’elle doit bientôt partir. Elle est l’aînée. Chez elle, toutes les aînées s’appellent Marie comme la mère de Jésus ou Marie comme la sœur de Lazare et de Marie-Madeleine et tous les aînés, Joseph. Derrière elle, neuf petits frères et sœurs. Sa mère a parlé au curé et il lui a trouvé une place de bonne en ville. Toutes les filles de son âge et de son village partent grâce au curé ou aux religieuses de l’école. Ce sera très dur de quitter sa maison, ses champs, ses chèvres et surtout Bêtise. Marie a peur de pleurer le soir, là-bas, dans son lit. Elle adore son petit frère Jean, le dernier-né si fragile, qui a quatre ans, qui est si drôle, et qui lui fait beaucoup de baisers. Comme ils vont lui manquer, tous ! Bien-sûr, elle va gagner de l’argent et l’envoyer à ses parents qui en ont bien besoin. Dimanche dernier, elle a vu Jeanne, une fille du village, descendre du car vêtue d’une robe claire, rose et bleue, à fleurs, qui brillait au soleil, personne n’en porte de semblable ici ; en marchant, elle faisait danser au bout de son bras une valise en cuir, pour que tout le monde la voie bien. Elle avait sur le sommet de la tête un chapeau bleu orné d’un ruban blanc dans lequel était passé un bouquet de myosotis en tissu. C’était d’un chic ! Est-ce qu’elle aura d’aussi belles robes ? Et si elle les avait, est-ce qu’elle oserait se montrer habillée comme ça ? Elle est curieuse de voir une grande ville. De temps en temps, elle a vu à l’école des sœurs ou à la sacristie dans « Le petit journal » des illustrations qui montraient des rues pleines de monde, des voitures à moteur, de grands immeubles noirs. Est-ce qu’elle habitera un immeuble ? Où va-t-elle courir ? La porte de l’immeuble donne-t-elle directement sur une rue où passent des voitures et des tramways comme celle de la photo ?
 
Elle n’a jamais quitté le village de Sainte-Eulalie, elle a toujours vécu dans la même ferme avec ses parents. Ils ont dix à douze chèvres, suivant les années, un mulet, une vache et un cochon, des poules, deux chiennes, toujours appelées Miss et Dora, un verger de pêchers, de pommiers, et de cerisiers, un jardin potager, bien-sûr, et des parcelles de châtaigniers dans la montagne. La maison est à cinq kilomètres du village. Tous les enfants des environs vont à l’école des religieuses. Sa famille est très croyante. La maison est construite sur un terrain en pente, on dirait presque qu’elle penche, perchée au bord des champs qui descendent jusqu’au ruisseau. Avant, quand elle allait encore à l’école, Marie l’apercevait tous les jours en rentrant, nichée comme une petite poule sous son grand marronnier. Elle savait qu’il y avait toujours du feu dans la cheminée, que sa mère, avant de l’envoyer garder les chèvres, lui servirait un bol de lait qu’elle avait gardé au chaud dans la cendre.
 
 
Leur maison va lui manquer aussi, son odeur de feu, de pommes et de lait. La cuisine où toute la famille mange, sa mère debout entre la cheminée et la table, son père qui enlève sa casquette et dit le Bénédicité. En haut, les deux minuscules chambres à coucher, toutes pleines de trois lits en châtaignier recouverts de gros édredons rouges et surmontés du crucifix orné de son rameau, une commode et des étagères dans le mur fermées par un rideau à petites fleurs bleues.
Sous la maison, au fond d’un petit appentis, la roche s’avance toute bombée comme une énorme poule qui couve et, au milieu de la roche, une source qui donne de l’eau seulement à l’automne. A droite, l’écurie des chèvres et de la vache, le clapier et le poulailler.
Marie continue en pensée le tour de son monde, elle essaie de tout graver, tout imprimer. Est-ce qu’elle va l’oublier dans la grande ville au milieu des voitures ? Devant la ferme, une minuscule courette bordée, côté pente, d’un mur de pierre et, contre la maison, d’un jardinet grillagé où poussent les fleurs de sa mère : en été, des roses trémières, des œillets d’Inde, un grand rosier grimpant qui croule sous les roses jaunes et, en automne, des asters bleus. La maison est comme toutes les autres, en grosses pierres larges et irrégulières. L’intérieur est crépi et badigeonné de chaux, noirci par la fumée de la grosse cheminée qui est allumée toute l’année. Cette ferme n’a pas de très bons terrains mais les propriétaires qui habitent Pont-Saint-Esprit ne sont pas trop gourmands.
Marie pense à son père un peu plus loin sur un autre bout de terre en train de sarcler des pommes de terre. Tous les soirs, elle lui faisait de grands signes en descendant vers les champs du bas et criait : « Bonjour Papa ! » Il levait le bras sans arrêter de sarcler. Comme elle aime son papa aussi ! Il est doux et drôle. Quand elle était petite, il l’appelait « tire-bouchon » parce qu’elle avait les cheveux frisés. Elle sait qu’il pense aussi à son départ, qu’il se fait du souci. La ville et le travail de bonne, c’est très dangereux, c’est tout bon ou tout mauvais, les filles parfois ne reviennent plus. Dans le village, on entend dire qu’elles ont mal tourné, c’est tout ce qu’on dit, on n’en sait pas plus. Certaines reviennent poitrinaires et meurent à la maison, d’autres pourtant réussissent et ramènent une belle somme, un magnifique trousseau de draps fins et elles font un beau mariage. Et toute la famille est fière, elles ont réussi toutes seules, sans l’aide de personne, elles ont surmonté tous les obstacles. Marie est sûre qu’elle va réussir.
 
Elle aime les cabris aux yeux noirs en amande, les châtaignes grillées trempées dans du lait frais, le temps des foins et des feux de Saint-Jean, les cotons de couleur, le bleu ciel de la robe de la Vierge Marie qui a sa statue à l’église et les bonbons au caramel. Elle n’a presque peur de rien ici, elle n’a peur ni de l’orage qui cogne la montagne, ni des loups-garous qui n’existent pas, ni des chiens de ferme qui repartent la queue entre les jambes quand elle a levé son bâton, ni de ses parents trop gentils. Peut-être seulement de Dieu et encore ! Parce qu’on le lui a beaucoup répété ! Mais dans un autre univers, est-ce qu’elle sera si forte ?
 
Elle est tous les jours, matin et soir, dans le vallon à garder ses chèvres elle sait trouver des champignons, les mousserons et les cèpes, les perce-neige, les noisettes et les mûres, tricoter chaussettes, bonnets et pulls, crocheter des napperons et des rideaux, pétrir la pâte à pain et à gâteaux, a

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