Néachronical, 1
218 pages
Français

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Description


Après avoir fait le mur pour aller à un rendez-vous nocturne, Néa, 15 ans, se réveille à demi-embourbée dans les marais locaux. Sur le chemin du retour, l’esprit embrumé, elle tente de rassembler des souvenirs qui lui échappent. D’autant plus qu’une fois chez elle, ses parents, sous le choc, lui apprennent que son absence a en fait duré plus de cinq ans.
C’est désormais une jeune femme qui doit reprendre sa vie là où elle s’était arrêtée, c’est à dire au lycée. Seulement, le fossé avec ses camarades se creusent de jour en jour, pas seulement à cause de l’âge, mais également parce qu’une série d’événements inexplicables la rend différente du lycéen lambda. Et du genre humain...



Maintenant, Néa n’a plus qu’une idée en tête : retrouver la mémoire afin de comprendre ce qu’il lui arrive.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 31
EAN13 9791090627574
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jean Vigne Néachronical
I Memento Mori Éditions du Chat Noir
« N'est pas mort ce qui à jamais dort,
et au cours des siècles peut mourir même la Mort. »
H.P. Lovecraft.
Quelque part, au mois d’août...
Néa, ne rêve pas... La voix.
Néa, lève-toi.
Lointaine, affligeante, dérangeante.
Néa, n’abandonne pas.
Elle rôde, mauvais vautour nourri à la souffrance d’autrui.
Néa, j’arrive.
Les brumes se solidifient, mur impossible à franchir, traversé d’une unique fracture, gouffre sombre destiné à l’oubli.
Néa, mon enfant, te voilà reine.
Une forme diffuse s’épand par l’ouverture, drap noirâtre d’où rien n’émerge sinon le chaos. Elle file par vagues successives, b rise le néant pour fondre sur moi. Elle m’enveloppe de sa froideur. J’aimerais cr ier, protester, rien ne vient sinon le silence absolu. Perte d’énergie, perte de repère, le vide, infâme trou noir d’où je puise mon seul réconfort.
Néa, il est temps pour toi. À ces mots, la chose s’infiltre en moi, pénétration abjecte aux mille tourments sans cesse répétés. Alors, libérée de mes entraves, je parviens enfin à hurler ma peur de mourir. ...
Les bruits diffus m’entourent. Là, un croassement, et ici, le chant d’une aigrette, suivi d’un clapotis proche et reposant. M es paupières refusent de s’ouvrir, entamant la partition du gréviste revanch ard. Sensation humide sur ma joue, mal de crâne, le corps comme brisé, je m’oblige à renouer avec le monde extérieur. Je palpe le sol spongieux, l’esprit embr umé, encore perdu dans mes songes. Je préférerais rester allongée à jouir de c e court repos... oui, enfin, c’est sans compter avec ce maudit cauchemar, espèce de di ablotin infernal dont l’unique boulot est de me pourrir l’existence. Et p uis, l’humidité ambiante n’est pas des plus agréables, la fraîcheur profitant de la moindre ouverture pour me piquer de sa langue glacée. D’ailleurs, qu’est-ce q ue vient faire cette sensation déplaisante dans ma chambre à coucher ? Finalement, après un douloureux effort, je parviens à entrouvrir ce qui me sert de paupières. Dommage pour la chambre à coucher... ce que je découvre n’a rien à voir. Une nuit profonde brisée par un quart de lune, dont le reflet glisse sur une masse noirâtre à mes pieds. Un étang et, à ses abords, les plantes d’usa ge si j’en juge par les grandes tiges qui jouent aux ombres chinoises. Les sonorités animales emplissent le lieu d’un brouhaha rassurant. Au moin s, n’ai-je pas l’impression d’être seule, même si je crains qu’il n’en soit pas autrement.
Qu’est-ce que je fous là ?
Tout d’abord, m’asseoir.
D’un appui sur mes coudes, je décolle ma joue de la boue, me redresse lentement pour gagner la position assise, plus à mê me à me sortir de mon état comateux. Je palpe mes habits, trempés comme il se doit, grimace en constatant l’absence de mon sac. Même pas le moindr e briquet, moi qui fume comme un pompier. Bizarre, je trimballe toujours un paquet de cigarettes avec moi, sous peine d’humeur massacrante. Ce manque de nicotine rappelle naturellement la première de mes questions, qu’est- ce que je fous ici, suivie de la deuxième, où suis-je ?
Bien entendu, comme d’habitude, les réponses sont inscrites aux abonnés absents. Je fouille dans ma mémoire... résultat, no thing, nada, rien, pas le moindre souvenir. Un croassement plus tenace me sor t de mes réflexions. Une masse sombre bouge à moins d’un mètre de moi, de qu oi me faire bondir sur mes jambes. Très vite, je reprends mes esprits et m e calme : il ne s’agit que d’un crapaud, à en croire sa démarche sautillante et son chant régulier.
Merde, tu m’as foutu une de ces trouilles ! Tu n’as pas peur, toi.
Me voilà à parler à un crapaud, Néa, ça va mal. Mon interlocuteur bouge à peine, ignorant ma présence pour vaquer à ses affaires... de batracien.
Beurk !
Soudain, une sensation froide glisse sur mes pieds et me paralyse. Froide, visqueuse, dégueulasse... je n’ose imaginer l’origine de ce trouble, posant un regard anxieux sur mes chevilles auréolées de ténèb res. La forme qui ondule sur le sol me renseigne bien malgré moi sur la natu re de la bête : un serpent ! Une couleuvre, une vipère, qu’importe, il s’agit d’une chose immonde, longue et fine, armée de petits yeux en amande aux pupilles e ffilées et de sa langue fourchue. Un truc à vous coller des boutons pour le restant de la semaine.
Beurk, beurk et beurk !
Finalement, la lourde pénombre me convient en cet instant. Ce n’est pas le cas du malheureux monsieur crapaud, dont le chant v ient de cesser, pris dans la gueule du reptilien. Un combat à mort se déroule sous mes yeux, comme si ma présence n’indisposait quiconque.
OK, il est grand temps de prendre la poudre d’escampette. Le mode écolo et camp de scouts, très peu pour moi.
Un demi-tour sur moi-même – laissant le crapaud et le serpent palabrer entre eux –, je cherche une issue de secours. Un br in de lumière, une route, un panneau, le moindre élément anachronique serait le bienvenu.
Malheureusement, contrairement à l’adage, l’espoir ne fait pas vivre. Pas le plus petit signe d’une civilisation voisine pour m’indiquer le chemin de la sortie. Allez quoi, une enseigne d’hypermarché bien pétante , le fameux M jaune du clown qui rend obèse les enfants, n’importe quoi po ur m’extraire de cet enfer. J’aime la nature, genre plage de sable doré sous so leil de plomb avec eau turquoise, le tout noyé sous un flot de serviettes avec en guise de panorama, de
beaux mâles dans leurs habits de secouriste. Bref, l’antithèse de cet endroit lugubre et suintant.
Contrainte par l’ambiance gothique du lieu, je déci de de bouger. Quitte à m’égarer, je préfère que cela se passe en marchant, loin de monsieur serpent et de son repas gargantuesque. La lassitude glisse len tement hors de mon corps, comme un souvenir encore présent, mais dont l’image s’évanouirait délicatement. Et forcément, entourée de cette forêt bruyante, une seule question revient comme une vieille litanie : pourquoi ai-je atterri dans ce trou perdu ?
Voyons voir, profitons de cette minuscule excursion pour remettre en place les éléments de ma petite existence de bourgeoise c itadine. D’abord, citadine, je ne le suis qu’à moitié, habitante d’une banlieue lo intaine. Un de ces nombreux bourgs chics et dépourvus d’âme qui servent de cont refort à la ville toujours animée. C’est là que mes parents se sont endettés p our une bonne trentaine d’années en achetant leur pavillon, la copie confor me d’une centaine d’autres dans ma cité dont ils sont pourtant fiers, croyant sans doute qu’ils possèdent l’unique pièce d’un joyau en toc.
Un craquement sur ma droite, je sursaute, ravalant de peu un cri. Une forme sombre traverse les bois épais, trahie seulement pa r deux reflets à la place des prunelles, agates vertes dont la profondeur me glac e. L’instant suspend son vol, tout comme moi ma marche. Les secondes retiennent leur souffle, pour finir par se relâcher. Baigné par l’éclat lunaire, l’animal m e passe devant à moins d’un pas, ignorant de la plus belle façon ma présence. U ne biche, accompagnée de son petit, qui profite de l’ambiance nocturne pour filer vers l’étang afin de s’abreuver. Elle poursuit son chemin, comme si je n ’existais pas. Comment diable pareil prodige est-il possible ? J’aurais pu la toucher, la caresser, la tuer même si j’étais armée. Le regard toujours fixé sur cette singulière rencontre, je reprends ma marche tout en initiant mon formatage mémoriel.
Je m’appelle Néa Ledestin – un tel nom, ça ne s’inv ente pas. J’ai quinze ans tout juste, je viens de fêter mon anniversaire voil à deux jours seulement. Ma joue s’en souvient encore, mon père, Jean-Baptiste de son prénom, m’ayant collé une gifle après avoir découvert le carnage da ns son beau pavillon de banlieue. Pour être franche, la baffe était plutôt méritée. Je m’étonne même de ne pas les avoir collectionnées, ce matin-là. Mon p ère et ma mère, Floria, avaient accepté ma proposition pour le moins orthod oxe : me laisser la maison toute une nuit pour fêter dignement mes quinze ans avec mes copines. Une âpre négociation pourvue de multiples promesses comme le nettoyage complet, le rangement de la vaisselle pendant tout un mois, aider maman à faire les courses et surtout, des notes canons pour mon année de seconde. Le tout agrémenté du traditionnel serment, main sur le cœur et plantée au garde-à-vous dans le salon devant mes vieux : pas d’alcool, pas de drogue – l’évidence –, pas de musique de sauvage après dix heures, voisin oblige et aucune bêtise, sous-entendu, sexe and Co. Mais comme on le dit si bien, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent... et mes pare nts les ont entendues au-delà de mes espérances. Résultat, tout a dérapé, su rtout à partir du moment où
le beau Justin a mis les pieds chez moi. Justin, genre bad boy, mèche rebelle et prunelles d’azur, boucle d’oreille discrète, dix-se pt ans et ultime qualité, l’un des rares à posséder un scooter Peugeot Speedfight 100, la classe !
Il était donc naturel que je fasse rentrer le loup et sa bande dans mon antre, l’animal étant venu accompagné de trois de ses amis à ma petite sauterie de fin d’année. Il était surtout accompagné d’un sac rempli d’alcool – ça, c’était pour le début de la soirée –, suivi du matos nécessaire pou r produire à la chaîne des barrettes de shit, Justin revendant un peu en douce au lycée du coin – un mauvais garçon dans toute sa splendeur. Résultat, très vite la sauterie a tourné à l’orgie. Musique à fond, ambiance club house, ode ur de cannabis imbibée dans toutes les pièces, bibelots fracassés par des danseurs bourrés, cadavres de bouteilles, mégots écrasés sur le beau tapis berbère de maman avec en son centre, un amas de je ne sais quoi, du vomi répandu sur le sol des WC, l’auteur de cette hasardeuse projection ayant visiblement dé cidé de ne pas salir l’intérieur de la cuvette. Bref, le passage des bom bardiers sur Cologne n’aurait pas fait plus de dégâts. Évidemment, si comme promi s, mes parents étaient rentrés pour dix-sept heures le lendemain, j’aurais eu une faible chance de tout remettre en ordre – OK, pour le tapis berbère, c’était plutôt mal barré –, mais voilà, comme tous bons parents, ils se sont inquiétés. Retour impromptu à neuf heures du matin et enclenchement des emmerdements. Nous dormions encore, à même le sol pour certains, sans parler des couple s avachis à moitié nus. Résultat, mon père s’est changé en bombe H et ma mè re, en sirène d’alarme à incendie. En moins de cinq minutes, les lieux étaie nt vidés. Jamais je n’aurais pensé un tel exploit possible. Et voilà comment je me suis reçu la plus belle gifle de mon existence, suivie d’une ritournelle de punitions à n’en plus finir.
Bien entendu, je suis trop rebelle pour accepter un tel traitement. Pas de copine durant toutes les vacances d’été, mon père e st débile ou quoi ? À croire qu’il n’a jamais été jeune, ce qui, le connaissant, est dans l’art du possible. Du coup, j’ai opté pour l’option désobéissance totale sous un masque de respect absolu. « Bonne nuit papa, bonne nuit maman » et ho p, dans ma chambre à faire semblant de lire un nanar sur un pauvre vampire qui se fait dézinguer par une bande de nanas surexcitées, du grand n’importe quoi. L’important était l’alibi procuré par cette lecture passionnante, le temps d’entendre mon père monter se coucher, suivi de ma mère qui n’a pas manqué d’ouvrir ma porte pour me dire :
Ne veille pas trop tard, ma chérie et à demain. Bisous. Bisous, maman.
Qu’est-ce que je peux être faux cul ! Devant le sou rire de maman, j’ai presque fondu... mais non, je n’ai pas cédé face à ce monceau d’injustices. Je dois porter l’étendard de la liberté et résister à l’oppresseur, leur montrer que rien ni personne ne me fera plier. C’est donc une d emi-heure plus tard, qu’enfin le signal de mon escapade fut donné sous forme de r onflements sonores. Discrète comme un chat, j’ouvris la fenêtre de ma c hambre, jaugeai la distance jusqu’au sol, coupée à mi-hauteur par un tas de boi s conséquent. Le temps
d’enjamber le rebord de l’ouverture, je me laissai glisser, mes pieds à la recherche du tas de bois. La suite... ratage total de ma cible, un petit vol, et je mordis la poussière dans une belle grimace de doule ur. Au moins étais-je arrivée à bon port !
Debout, la main sur le crâne, un check-up complet d e mon corps en moins de deux secondes, je me suis redressée tout en obse rvant la fenêtre de ma chambre ouverte. Le retour serait certainement moin s aisé, peu m’importe, l’essentiel était cette sensation de liberté chèrem ent acquise. Je franchis les quelques mètres du ridicule terrain familial – l’or gueil de mon paternel qui ne cesse de se pavaner auprès de ses amis dans des soi rées emmerdantes, en citant au mètre près la surface de son soi-disant d omaine, somme toute minuscule : 735 mètres carrés qu’il a payé au prix fort, pas de quoi mourir d’extase. Bref, les 735 mètres carrés traversés san s trop de difficulté, me voilà enfin dans la rue. Julia, ma meilleure amie, devait traîner près du parc comme tous les soirs. Elle était surtout accompagnée du beau Justin et de sa bande, de quoi me donner des ailes...
Appelée par une drôle de sensation, je stoppe le co urs de mes pensées pour revenir à la réalité présente. Ma randonnée pé destre vient de s’interrompre, mes pieds posés sur du bitume. Ma pe tite course hasardeuse m’a conduite sur une route. Enfin, je renoue avec l e monde civilisé, abandonnant sans regret cette forêt sombre. OK, à d roite ou à gauche ? Perplexe, je décide d’attendre quelques instants. A près tout, la patience n’est pas une mauvaise vertu. Un automobiliste de passage pourrait m’être d’une aide précieuse, à condition de ne pas tomber sur un quelconque détraqué. Sans doute s’interrogera-t-il sur la présence d’une gamine de quinze ans, seule dans les bois en pleine nuit. Qu’importe, l’essentiel po ur moi est de rentrer à la maison. Papa et maman doivent être fous d’inquiétude. Ont-ils appelé la police ? J’espère que non, mais pour dire vrai, je suis incapable de me souvenir de cette soirée, une fois le domicile familial abandonné. Le grand trou noir, jusqu’à mon réveil dans cette étrange forêt.
Ça va être le super bazar à la maison. Ma liste de punitions risque de s’allonger, genre la Grande Muraille de Chine aller-retour.
Un grognement sourd attire mon attention. En face d e moi, des silhouettes trapues envahissent la chaussée. Une vingtaine d’om bres de toutes tailles qui, d’une démarche pataude, filent droit sur moi. Paralysée de stupeur, tout comme de frayeur, je reste figée sur place, à observer ce tte bande de sangliers me croiser, comme si je n’existais pas. Ils se faufile nt tranquillement, m’évitent, tournent autour de moi à la recherche d’une quelcon que nourriture. Quelle est cette diablerie ? Pourquoi ces animaux ignorent-ils ma présence ? Toute cette histoire commence à me coller une frousse de tous les diables.
Un ronronnement lointain précipite le départ de mes amis sangliers, ce qui n’est pas pour me déplaire. Deux mini soleils blanc s apparaissent en bout de ligne droite, l’indicatif assuré d’un véhicule. Enfin...
Bien que prise d’une sourde angoisse, je lève le po uce dans l’espoir de
tomber sur une âme charitable. La voiture arrive à toute vitesse, passe devant moi – comme si je n’existais pas, une fois de plus –, avant de piler quelques mètres plus loin, à mon grand soulagement. Ouf... j e ne me suis pas transformée en spectre errant. Étant assez addict d e romans fantastiques, j’ai tendance à confondre réalité et fiction. Heureuseme nt, le pick-up rouge arrêté est tout sauf une illusion. Le conducteur enclenche la marche arrière et recule à mon niveau. La vitre teintée fermée, j’entends un brouhaha indescriptible percer la barrière de verre et de métal. Le sol vibre à me s pieds, tant le volume sonore est important. De deux choses l’une, soit le conduc teur porte des boules Quies, soit il est totalement sourd. La vitre se baisse le ntement, libérant son flot dévastateur de guitares saturées, le tout accompagn é d’une batterie gonflée aux hormones de char d’assaut. Le noir total qui rè gne dans l’habitacle ne me sied guère. La musique se tarit enfin, interrompue par mon mystérieux conducteur. Sa silhouette se découpe uniquement sou s la lumière violette du tableau de bord, pas de quoi me renseigner sur le b onhomme. Suis-je certaine qu’il s’agisse d’un homme ?
Alors, la p’tite dame, on est perdu ?
OK, il s’agit bien d’un mec. Voix grasse et cassée d’un chanteur de hard rock, je n’ai plus de doute à avoir.
est tombés en panne, mon copain et moi. Il est parti chercher de On l’aide, mais j’en ai marre d’attendre.
Je la joue décontracte avec mon bobard de dernière minute, mais en vérité, je n’en mène pas large.
Tombés en panne, où ça ? Je pointe une direction, tout en précisant.
À un kilomètre d’ici, environ.
Il entrouvre la portière et se penche à travers l’o uverture. La lumière de son habitacle m’offre enfin un éclairage nouveau sur ma situation... et pour dire vrai, elle n’est pas brillante. Pour la première fois, je découvre l’aspect du type. La quarantaine, grand et massif, épaules de catcheur, cheveux longs attachés en queue de cheval, un chapeau de cow-boy vissé sur la tête, large moustache et face de pit-bull mal embouché : pas de quoi me rass urer !
Il lâche, le sourcil droit parti à l’escalade de son front :
Par là ? Je viens d’y passer et je n’ai pas vu la moindre bagnole. Quelle conne ! La reine de la gaffe, c’est moi. Mêm e pas capable d’aligner un mensonge qui tienne la route deux minutes. Borde l, j’ai indiqué la direction d’où il a débouché. J’aurais pu choisir le sens inv erse, mais non, il faut que je foire encore ce coup. Les joues rouge écarlate – he ureusement, la nuit est le meilleur fard anti-défauts –, j’improvise une rectification hâtive.
a poussé la voiture dans un chemin, dans les so us-bois. C’est pour On éviter qu’on nous la fauche, vous comprenez ?
Qu’on vous la fauche ?
Il part dans un rire franc et massif, genre nounour s de dessin animé, la poitrine secouée par un spasme authentique. De quoi m’agacer... m’inquiéter surtout.
Quoi, les voleurs, ça existe !
Son rire cesse aussitôt. Son regard me fixe, glacia l. Deux billes brillantes engoncées dans des orbites creuses, accentuées par la pénombre ambiante.
est pas la caisse quesûr, mais si j’étais ton petit copain, ce n’  C’est j’aurais planquée, si tu vois ce que je veux dire.
Il ponctue sa phrase d’un clin d’œil. Aussitôt, mes bras se hérissent d’une chair de poule légitime. Je viens de commettre ma d euxième bourde, et ce type n’a pas manqué de m’épingler. Entre une voiture tom bée en panne sur une route de campagne paumée, et une gamine de quinze a ns perdue sur cette même route, celle qui risque le plus des deux n’est certainement pas la bagnole. Pire, cet inconnu s’amuse à me tutoyer comme si j’é tais sa propre fille et ça, je n’apprécie que moyennement. D’un raclement de gorge – qui ne peut passer inaperçu –, je change de sujet :
Pourriez-vous me prêter votre portable, que j’appelle mes parents ?
Tes parents ou ton petit copain ?
Son air moqueur m’irrite au plus haut point. C’est avec difficulté que je ravale mon orgueil, ignorant sa remarque. La suite de sa phrase m’achève.
gamine, mais je n’ai pas de téléphone portable. Je trouve tous Désolé, ces trucs inutiles. En plus, paraît-il, ça rend stérile...
Je l’aime de moins en moins, ce type. Sa conclusion qui suit me scie les jambes.
Mais, si tu veux, tu peux monter. Je te conduis au prochain village. Oh, bordel !
Me voilà comme une conne perdue dans un endroit inc onnu, avec pour seul interlocuteur, un mec qui pourrait jouer le méchant dans n’importe quel film gore, et sans même se maquiller. Bravo Néa, super plan ta petite escapade, tout ça dans le but de tenir tête à tes parents. Si je m’en sors sans encombre, je jure de réciter dix fois ma liste de punitions.
Alors, gamine, je te laisse dormir dans les bois ou tu montes ? Je n’ai pas toute la sainte journée...
Il détaille de son visage carré les alentours, avan t de conclure de son humour particulier.
Surtout qu’il fait nuit. Bon, deux choix s’offrent à moi : décliner sa sympa thique proposition et rester comme une imbécile à attendre l’aube dans ce tte forêt ou accepter et prendre le risque de me faire agresser dans son 4x4 . Honnêtement, si ce type
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