Rires et pleurs des orphelins
116 pages
Français

Rires et pleurs des orphelins , livre ebook

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116 pages
Français

Description

Ce recueil de nouvelles offre une galerie de personnages tous différents, mais qui ont en commun d'être solitaires, chez eux et dans la foule. Chef de famille volage aux abois, jeune femme souffrant le martyr avec sa marraine, mendiant célébré, jeune homme dévêtu de sa beauté ou jouant à cache-cache avec la folie. Avec habileté, poésie et humour, l'auteur décrit les rêves et les luttes de ces orphelins de la chance, qui empruntent au quotidien à leur seul trésor d'imagination pour rester dans le train de vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2011
Nombre de lectures 156
EAN13 9782296475311
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rires et pleurs des orphelins
Ibrahima AYA
Rires et pleurs des orphelins
© L'HARMATTAN, 2011 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55670-6 EAN : 9782296556706
A ma mère
La troisième pluie
La voix mélodieuse de la femme pénétra dans la chambre, s’étala sur la peau de prière, puis s’engouffra dans les oreilles du mari :Le monde était beau !Beau était le monde C’était quand elle aimaitA présent et pour toujours Les horizons sont silencieux Le rêve a rebroussé chemin Et la voilà vêtue de l’oubli.Sébè, embrouillé, interrompit sa prière. Il sortit furieux, et lança à sa femme : Je finirai bien par te jeter au dehors ! -
Elle se tut. Il retrouva vivement la cour. Les touffes de nuages qui se rapprochaient quelques instants auparavant s’étaient éparpillées. Et le ciel de juillet restait résolument tranquille. Sébè, cultivateur de son état et croyant à ses heures de doute, entassait les prières, depuis des jours. Il ne ménageait aucun effort, y compris les larmes, pour arracher aux cieux ses desiderata. Dès qu’il apercevait une mèche de nuage, il faisait sesablutions et s’inclinait. Le chemin des vœux s’ouvrait, la miséricorde devenait tout proche. Mais, vite, son regard s’embrouillait d’images luxurieuses. Alors, il élevait la voix pour ne pas se perdre, mais la porte de l’espoir inexorablement se refermait. Sébè avait tout essayé, même de prier pendant son sommeil en faisant jouer sur son vieux magnétophone une cassette sur laquelle il avait enregistré sa voix. Le résultat se révéla pire : il se réveillait dans la nuit, retrouvant des sons indéchiffrables même pour les cieux, une chambre fumante, un pantalon en état d’abondante humidité.
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Le soleil échappa à un nuage et lâcha une rafale de chaleur sur la tête de Sébè. Celui-ci s’éloigna, lança au passage une claque à «l’aîné» de ses ânes qui le regardait.Il regagna l’enclos bien tenu du « cadet » et, pour calmer sa fureur, lui caressa longuement le cou. Même s’il avait voulu épouser cette fille aussitôt qu’il l’avait vue, Sébè tenait à être équitable devant Dieu et les hommes. Alors il fit saccager une centaine d’arbres dans une zone inondable pour installer un nouveau champ, l’ancien devant continuer à nourrir celle qui s’appellera bientôt sa première femme et ses enfants. Ensuite, il négocia avec le gros commerçant du village, son créancier habituel et unique acheteur de ses récoltes.Ils ne s’aimaient pas: Sébè ne se privait jamais de comparer les commerçants à une bande de malins oisifs bons à rendre la société fainéante ; le gros commerçant se contentait à chaque fois de sourire de haut puis de dire que lui, Sébè, resterait toujours un minable parce qu’il ne s’endettait que pour «se remplir le ventre ». Mais, après ces échanges introductifs, ils finissaient toujours par s’entendre.Cette fois, Sébè, après lui avoir « confié son problème », avait justifié sa demande de prêt par le fait qu’en honnête croyant, il tenait à repartir équitablement les choses : un champ et un âne pour chaque ménage. Son créancier s’était laissé convaincre, et lui avait avancé quelques sous, et vendu à crédit un âne. Le bourricot était vieux, mais Sébè n’avait pas le choix. Il trouva même le pauvre baudet jovial et facile. Ses rares moments de joie, ces derniers temps, il les vécut en se promenant sur lui, dans la cour, sous les gouttes de pluie. En paradant ainsi il ne cherchait pas seulement à provoquer sa femme et à rire d’elle, mais tenait aussi à habituer son vieil âne à marcher même sous l’orage, en attendant leur marche triomphale sous la «troisième grande pluie ». 8
Sébè, de nouveau, prêta l’oreille: la rue lui semblait résonner de pas. La nuit dernière, il avait à peine pu fermer les yeux que le muezzin avait commencé l’appel à la prière. Et depuis l’aube, sa raison n’avait pas cessé de lui échapper. Et après avoir porté toute la matinée quarante degrés et poussière de chaleur sur la tête, Sébè entendait toutes les demi-heures des pas qui ne venaient pas. Depuis trois jours, il attendait le retour de deux « secouristes »auxquels il s’était confié et qui lui avaient offert leurs services. Du premier, il avait sollicité assistance à famille en danger, car la dernière pluie avait contourné ses champs alors qu’elle avait failli inonder celui de son voisin. Sébè se doutait même qu’un mauvais sort lui avait été envoyé. Au deuxième, il avait révélé tout un pan de l’affaire: lui, Sébè, avait déjà encaissé la totalité du prix de la probable récolte de son ancien champ et le tiers du prix de celle, tout autant aléatoire, du nouveau. Mais à tous les deux, il avait caché qu’ayant empoché cet argent, il s’apprêtait, profitant de la douceur pluviale de l’hivernage, à prendre congés des champs, pour convoler en deuxième noce. Les deux « secouristes » non plus n’avaient pas cherché à en savoir plus, chacun ayant eu, en échange de ses services, la promesse d’obtenir la main de la fille deSébè. Et tous les deux s’étaient engagés, à quelques minutes d’intervalles, à emprunter, dans les heures qui suivraient, les escaliers du ciel pour aller plaider la cause de Sébè et faire exaucer ses vœux par Sa Miséricorde.Des nuages jaillissaient, se donnaient la main et couvraient le ciel. Un homme aux allures de mendiant voyageur pénétra dans la cour. C’était le secouriste n°2, suivant leur ordre de départ pour le ciel. Sébè bondit et vint lui serrer la main. Remarquant le vieux boubou de son hôte déchiré au derrière, il s’inquiéta. Le revenant esquissa un large sourire pour le rassurer. Alors Sébè appela sa fille, réclama de l’eau, puis invita son hôte. 9
Celui-ci prit le pot d’eau, avala une première gorgée, sourit à la fille, invita le père à regarder le ciel assombri, puis se remit à boire. Dès qu’il finit de se désaltérer, Sébè, la tête encore plongée dans le ciel mais lesourire retrouvé, s’exclama: -Je vois que ça va gronder. Dieu est bien grand ! Alors, Il est à quel escalier ? -Au dernier, bien entendu ! Tu vois que je me devais de faire vite. Et lorsque j’ai aperçu quelqu’un portant un boubou ressemblant au mien, j’ai été vraiment inquiet. J’ai dû lui marcher dessus pour arriver le premier. Je tenais à m’acquitter de ma dette envers toi carje sais que tu honoreras la tienne, le moment venu. Je peux te dire que c’est l’embouteillage total à la porte de Dieu. Et tu peux me féliciter: il est rarement donné à quelqu’un d’être reçu. Je suis quand même allé défendre le droit à la vie des pauvres ! Le résultat sera là dans un instant. Tu ne sens pas déjà la fraîcheur ? -Dieu, que j’ai chaud! Sébè envoya son neveu alerter son créancier pour apprêter le deuxième acompte sur le prix de la récolte de son deuxième champ. Ils attendirent. C’est ce moment que choisit le soleil pour rebondir. Ils se précipitèrent sous l’arbre. L’hôte sentit la colère de Sébè monter, et se leva. -La promesse était que la pluie viendrait avant la fin de la nuit, dit-il. Je reviens dans un instant. Sébè était ailleurs. Il avait lui-même fixé, contrairement à la tradition et au grand dam de la mère de sa fiancée, la date des noces : la troisième « grande pluie » du mois de juillet, mettant ainsi tout le monde dans la confusion totale. A la question de savoir qui apprécierait « la grandeur» d’une pluie, il avait répondu, catégorique : « Moi seul !». Avant d’ajouter pour lui-même : « La dot, ça vaut bien un diktat ! » Sa belle-famille 10
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