Seule dans la nuit de l autre
121 pages
Français

Seule dans la nuit de l'autre , livre ebook

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121 pages
Français

Description

Les chemins croisés d'une jeunes fille devenue putain, d'un trafiquant à la dérive et d'une femme flic meurtrie. Un nocturne rythmé par le flux et le reflux des vagues, par les battements de l'écriture, par les pleins et les vides du désir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 46
EAN13 9782296484115
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-56822-8 EAN : 9782296568228
Seule dans la Nuit de l’Autre
Du même auteur Récits Diagonale de l’Exil, éditions L’Harmattan, Paris, 2003. Expropriation, éditions L’Harmattan, Paris, 2005. Deadlines, Nouvelles, éditions l’Harmattan, Paris, 2009.
Anne-Valérie Münch Seule dans la Nuit de l’Autre Récit L’Harmattan
A Maryse, Karina, Kristina, Muriel, Delphine et Camille A ma fille Agatha A toutes les femmes
1. Elle est assise près d’une fenêtre et regarde la cage bleue du crépuscule descendre sur la place de La Contrescarpe. Le roulement d’un skateboard s’amplifie et claque. Il y a comme une déchirure, une onde d’effroi traverse son cœur. Je suis assise sur une pierre et je regarde le soir envahir le cimetière. Quelques oiseaux furètent dans les buissons, la lune se dessine déjà dans un ciel encore clair. Au loin un chien jappe et puis se tait. Elle appuie sa tête contre le dossier de la banquette et ferme les yeux. Elle est lasse. Elle suit le tracé bourdonnant de l’encéphalogramme urbain, ses warnings dans la rumeur, sirènes des ambulances et des flics, pétarades et klaxons. Elle est lasse. Le craquement de la planche est sec, violent. Ses mains tressaillent. Le chien se remet à aboyer et jappe à pleins poumons. Je fixe le mouvement des palmes de l’arbre dont la frondaison verse par-dessus le mur d’enceinte. J’essaie de percer le mur opaque qui danse devant mes yeux. A mes pieds, il y a la tombe, gorgée de fleurs. Nous ne nous connaissons pas
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encore. Je ne la désire pas encore avec mes mains, ma bouche, mes cuisses, mon corps tout entier. Debout, elle doit avoir deux à trois centimètres de plus que moi. Elle ne porte pas encore les cheveux courts, ils ont encore leur teinte naturelle, un châtain assez terne qui vire au sale, un casque sans lumière. Sa silhouette est informe, elle se cache, c’est une jeune fille timide et complexée. Elle s’appelle Elisabeth, elle a dix neuf ans. Elle est une matière brute, inconsistante dont l’artisan n’a pas encore révélé les lignes.
2. Je me relève et ferme les yeux pour mieux sentir le vent. Je reste là, debout devant la tombe, la tête vide. Un matin, j’étais arrivée à l’hôpital et on m’avait dit qu’il était mort. On ne m’avait pas dit qu’il s’agissait d’un staphylocoque doré. J’avais bien vu que cette jambe ne guérissait pas. Une plaie profonde, béante et noire creusait une cavité hideuse dans sa jambe, juste au dessous du genou. Ce trou purulent me terrifiait. Les jours passaient, les rayons du soleil étaient censés accélérer la cicatrisation. J’installais donc confortablement mon fils sur une chaise longue pour exposer sa blessure au soleil ; c’était un spectacle abominable. Le corps hâve brisé dans sa chaise, le short trop large, le regard translucide et violacé. Il fixe pendant des heures le balancement des branches du sapin de mon jardin. Ses paupières clignent convulsivement dans la lumière trop crue, la lumière aveuglante, la lumière du jour qui blesse violemment sa pupille malade. Chaque jour la plaie creuse sa béance sans cicatriser, plus noire et plus
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laide. A cet instant, j’ignore encore ce qui va suivre. Je vois bien que l’état de mon fils empire mais en même temps je ne vois rien venir. Je ne vois pas, je ne vois pas la bête qui le broie, qui fait craquer son corps entre ses dents et qui ne le lâchera plus. Je ne vois pas la jeune fille attablée dans une brasserie parisienne du cinquième arrondissement. Je ne sais rien des concours de circonstances, des hasards qui favoriseront notre rencontre. Le chien se tait brusquement, la lune sourit dans un ciel assombri et je contemple les pierres silencieuses, les tombes pleines de mystère et d’indifférence.
3. Un autre skate couvre le roulement du premier, d’autres claquements déchirent l’atmosphère, les corps heurtent le bitume, un enfant crie. Maman ! Elisabeth est assise. Les yeux ouverts, elle bat faiblement des paupières. Elle perçoit une légère diminution de l’intensité de la lumière. Elle espère que c’est le premier signe. Mais sans doute ne s’agit-il que d’un amoncellement de nuages qui voile l’œil blanc du soleil. La lumière encore fait mal. Depuis des millénaires personne ne l’avait prise dans ses bras. Elle serait une proie facile. Elle sent le caillou creuser son trou à la place du cœur, une pierre coupante sur son arête, une vraie arme de guerre. Son visage se durcit, une gangue de tristesse gèle dans son corps.
4. Je suis restée immobile à scruter l’opaque. Rien n’avait de sens. Les lignes se brouillaient et dansaient devant mes
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yeux. C’est lui qui est mort pourtant. Sur son visage, la mort n’a pas d’expression particulière. Il dort. Il n’a pas de trou rouge au côté droit, juste une plaie noire dans sa jambe et sa nuque repose sur le formica gris du chariot de la morgue. Une averse froisse soudain la frondaison, le vent transporte comme un mouvement de panique dans les branches et les premières gouttes cliquettent dru sur les feuilles. C’est le premier signe. Non. Il n’y a pas de signe. Je ne bouge pas. Je laisse la pluie ruisseler sur mon visage, les yeux piquent. Je les maintiens grand ouverts, écarquillés de vide et de stupeur. Un cheval hennit, un héron survole les pierres. Ce ne sont pas des signes. Je n’ai entendu aucune voix. J’ai porté des fleurs. Rien ne s’est passé. Et je reste assise, immobile dans un présent perpétuel.
5. Le téléphone portable est dans sa main. Elle n’a pas précisément envie de faire quoi que ce soit. Ni même de bouger la moindre parcelle de son corps. Devant elle, adossé au comptoir, se tient le garçon. Il regarde pensivement la rue. Immobile. Découragé lui aussi. Quelques secondes plus tard un déchirement traverse la lumière à nouveau, un halo plus clair l’éblouit et provoque la première larme.
6. Je n’ai pas pleuré. J’ai fait transférer le corps vers le village de son grand père et c’est là, dans le petit cimetière d’un hameau de deux cent âmes, à la lisière de la forêt vosgienne que nous l’avons enterré. Je n’ai eu que deux
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