Récits du Monde Mécanique, 1
257 pages
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Récits du Monde Mécanique, 1 , livre ebook

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Description


Germania, début des années 1900, capitale du Reich.
À sa tête, le Kaiser Wilhem, qui se préoccupe davantage de transformer sa cité en quelque chose de grandiose plutôt que de se pencher sur la guerre grondant le long de la frontière française - et pour cause : on dit qu'il n'a plus tous ses esprits. Un smog noir a envahi les rues suite à une industrialisation massive, au sein duquel les assassins sont à l'oeuvre.
Une poursuite infernale s'engage dans les rues et les cieux de Germania le jour où la fille du Kaiser échappe de peu à une tentative de meurtre. Objectif : retrouver les commanditaires. La chose serait bien plus aisée s'il ne s'agissait pas en réalité d'un gigantesque complot, qui se développe dans l'ombre depuis trop longtemps.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 31
EAN13 9791090627833
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Marianne Stern SMOG OF GERMANIA Éditions du Chat Noir
„Ich bin die Gier in deinem Herz In deiner Seele bin ich der Schmerz Ich bin in dir, ich lass' dich niemals los“
Das andere Ich,Blutengel
„Hoppe hoppe Reiter und kein Engel steigt herab mein Herz schlägt nicht mehr weiter nur der Regen weint am Grab hoppe hoppe Reiter eine Melodie im Wind mein Herz schlägt nicht mehr weiter und aus der Erde singt das Kind“
Spieluhr,Rammstein
«Heiii-di, Heiii-do, Heiii-da !Heiii-di, Heiii-do, Heiii-da !» Les Volants braillaient à l'unissonen briquant le pont, sous les rayons ardents d'un soleil de plomb ; ils étaient d'excellente hum eur. Une coutume, après des semaines passées dans les cieux, loin de toute civi lisation. Le zeppelin survolait à présent le royaume d'Autriche-Hongrie, poussé à ple ine vitesse vers l'Empire Allemand par des vents favorables. Les hélices tournaient au ralenti, on avait réduit la puissance des moteurs pour profiter à la place des ailes noires et gonflées. Bientôt, le zeppelin franchirait les frontières de l'Empire et gagnerait Germania, sa capitale. L'occasion d'y faire escale, de vider les soutes de l'opium destiné au Kaiser et pour les Volants, de rallier la terre ferme afin d'aller écluser quelques pintes de bières bien méritées et culbuter des filles. Ces considérations, cependant, n'intéressaient pas le capitaine de l'aéronef. Perché à la proue du zeppelin, aux côtés de la vier ge noire sculptée, il n'écoutait que d'une oreille distraite les chants joyeux montant d u pont. Ses cheveux ébène ondulaient au gré des assauts du vent, son regard n oir fixait le tain de l'éclat de miroir posé au creux de ses paumes. «i besoin de la pleine lune pourUne quinzaine, et tu pourras venir le chercher. J'a achever le dernier rituel. — Tant mieux, il n'est que temps. Je crains que les ennuis ne nous tombent dessus bien plus vite qu'escompté... Je dois récupé rer cette boîte à tout prix. Hum. Ssss-si tu m'avais écouté... Nein. Jamais, ô grand jamais. Je ne trempe pas dans ces eaux-là. » Une grimace s'insinua sur le visage impassible du c apitaine. À la surface du miroir, les pupilles oblongues de serpent semblèren t briller avec plus d'intensité. « Tiens-moi au courant. Le plus tôt sera le mieux. Bien entendu.» Le capitaine regarda la face reptilienne disparaîtr e dans les volutes argentées de l'éclat de miroir, puis il glissa l'objet au fond d e sa poche. Au loin, le ciel se parait de pourpre en prévision de la nuit prochaine, quelques nuages isolés se découpaient sur l'horizon. Bientôt, Germania.
Visite nocturne à l'Abenteuer La pluie qui rinçait les pavés avec application éto uffait la tonalité des chaussures ; claquements sourds, dénués d'échos, qu i s'évaporaient aussitôt dans l'obscurité noyant les rues. Les rares âmes en vadr ouille longeaient les bâtisses, leurs ombres se devinaient le temps d'un sursaut lo rsque le halo blafard d'une lanterne à gaz piquetant les trottoirs les capturai t. Nul ne se risquait à s'exposer trop ouvertement une fois la nuit tombée – à l'exception de Viktoria-Luise von Preußen qui marchait, insouciante, au centre de la ruelle baign ée de ténèbres. Ses mains gantées de cuir noir tentaient malhabilement de préserver s on ample robe de l'eau sale ruisselant entre les pavés. Elle en soulevait les p ans, profitant par la même occasion pour observer au mieux où poser sans danger ses bot tines cerclées d'argent, à la lueur ambrée de la loupiote de l'homme qui la suiva it de près. Si les artères du cœur de Germania se trouvaient bien entretenues, ce n'ét ait hélas pas le cas des coupe-gorges des bas-quartiers, souvent étroits et insalu bres. Viktoria ne s'y serait d'ailleurs jamais aventurée seule, trop effrayée devant la forte probabilité de ne pas en ressortir vivante. Ainsi accompagnée, elle se permettait tout efois de jouer les sans-peur, sachant que celui qui la suivait comme une ombre se chargerait d'écarter les esprits mal intentionnés. Le vacarme d'une cavalcade lui fit soudain redresse r la tête. Droit devant, un fiacre avait surgi d'une intersection et déboulait à toute allure ; les sabots ferrés de deux monstrueux chevaux martelaient violemment les pavés en générant des étincelles. Sachant par expérience que le fiacre ne dévierait pas d'un pouce de sa trajectoire, Viktoria n'eut d'autre alternative que de se précipiter contre la façade la plus proche, abandonnant de ce fait ses volants de tulle déjà bien humides à leur triste sort. Personne ne se souciait des passants d ans ces bas-quartiers, et personne n'irait s'imaginer que la fille du Kaiser rôdait à cette heure dans ces ruelles insalubres. L'attelage passa en trombe devant elle sans ralenti r, le cocher ne prit même pas la peine de tourner la tête. La roue arrière cerclé e de fer tressauta dans une ornière et projeta une gerbe d'eau, qui acheva de tremper Vikt oria. Elle prit alors pleinement conscience de sa vulnérabilité et réprima un terrib le frisson. « Sombre sot, soyez maudit ! » D i l i n g; tintement aigu reconnaissable entre mille. Elle t ressaillit et sembla soudain se souvenir qu'elle n'était pas seule. « Si vous ne vous prêtiez pas à toutes ces simagrée s pour avancer, nous serions arrivés depuis longtemps, Fraulein. » Elle décocha un regard noir à l'individu campé à sa gauche ; de gros verres fumés enchâssés dans leurs montures de cuivre masqu aient ses yeux, un rictus moqueur tordait ses lèvres. L'eau du fiacre l'avait également atteint et dégoulinait depuis le bord de son chapeau sur son pardessus rap iécé, mais il n'en avait cure. Il balançait désormais sa loupiote sous le nez de Vikt oria, jubilait de la voir aussi misérable. « Gardez vos remarques acerbes pour vous. Je me pli e à mes simagrées, si j'en ai envie ! Pour commencer, nul ne vous a forcé à m'accompagner. — Le Kaiser se fait du souci pour son adorable peti te fille... Chose que je conçois sans équivoque. — Que je sois adorable ? » Viktoria ricana et fit volte-face, reprit sa progre ssion.
« Oh, adorable, vous l'êtes très certainement à ses yeux. Cependant, moi qui vous connais un peu mieux... — Taisez-vous. » Elle haïssait se coltiner ce sombre individu, mais contre mauvaise fortune bon cœur : il se contentait de l'escorter, ne lui inter disait jamais rien, au contraire des larbins précédents imposés par son père, auxquels e lle s'était fait un devoir de fausser compagnie. Ainsi, elle était libre de déser ter les somptueux appartements familiaux pour quelques virées nocturnes. Ce soir, elle s'en serait volontiers abstenue afin de ne pas avoir à affronter la pluie et de soi gner ses maux de ventre mensuels dans sa chambre. Cependant, le pamphlet reçu lui in timait l'urgence d'une entrevue ; n'ayant aucune idée des auteurs ni de la teneur du problème, Viktoria avait opté pour une brève sortie. L'enseigne de l'établissement apparut bientôt, elle hâta le pas. Un panonceau discret, noirci de suie sur lequel se devinait enco re le nom,das Abenteuer – l'Aventure – surmontait une entrée dérobée, située sous le niveau de la rue. Ce genre deboutiquess'était raréfié à Germania, depuis que le Kaiser a vait entrepris d'en faire à sa manière une grandiose cité-lumière. Viktoria s avait cependant fort bien où les dénicher. L'endroit idéal pour une rencontre en tou te discrétion : les nobliaux et autres gens côtoyant les sphères du pouvoir ne s'y risquai ent jamais sans être poussés par la nécessité. Elle dévala les trois marches qui men aient à la porte et avant de la franchir, se retourna, paupières plissées derrière le masque protecteur. Les verres noirs étaient braqués sur elle, le reste du visage ne transmettait aucune émotion ; elle pointa un index accusateur sur la poitrine de son c haperon. « Trouvez-vous une alcôve et disparaissez hors de m a vue, comprenez-vous ? — N'escomptez pas me filer entre les doigts, car vo us n'y parviendrez pas. — Ce n'est nullement dans mes intentions, je vous s ais bien trop fourbe pour garantir la réussite d'une telle entreprise. Je veu x seulement passer un moment sans avoir à sentir votre présence malsaine dans mon dos en permanence. Oh, encore une chose... Ne retirez pas vos maudits lorgnons. J 'aimerais autant que vous ne fassiez pas fuir la clientèle. » Diling. « Vos désirs sont des ordres, Fraulein. » La voix suave lui donna des frissons ; l'esquisse d e sourire avait reparu et derrière la noirceur insondable des verres, elle pe rcevait nettement les pupilles lui fouiller l'âme. Viktoria poussa la porte avec brusq uerie, désireuse de se soustraire au malaise naissant dans ses entrailles. De la lumière chaleureuse lui tendit les bras, elle se précipita à l'intérieur de la gargote. Des poutres noires habillées d'ornements en laiton et des vieilles pierres constituaient murs et plafonds, deux vasques conten ant un feu ardent soufflant des escarbilles colorées marquaient le seuil. Passée l'entrée, un long couloir lambrissé de planches polies par les innombrables passages s'eng ouffrait dans les entrailles de la ville. De discrètes chandelles brûlaient ici et là, peinant à fendre la semi-obscurité, et rendaient l'atmosphère étouffante. Viktoria pénétra d'un pas sûr à l'intérieur du corridor ; le bois craquait doucement sous ses bott ines, son ample robe bruissait à sa suite. Elle dégrafa le manteau qui lui couvrait les épaules, ôta ses gants. D'une main habile, elle retira le masque de cuir qu'elle usait pour sortir dans le smog noir de Germania et s'assura que les boucles du loup cuivré , dissimulé en-dessous et destiné à masquer sa figure, étaient bien fermées. Il aurai t été très malvenu de dévoiler sa véritable identité. Elle ne redoutait aucune menace ou agression, car sonbienfaiteur
se chargerait aussitôt du cas des concernés. En rev anche, quiconque apprendrait que l'unique fille du Kaiser fréquentait cet établi ssement causerait un scandale sans précédent. Viktoria fit glisser les manches de sa robe noire u n peu plus bas afin que l'on voie le teint pâle de sa gorge, puis en guise de touche finale, elle arracha l'aiguille qui retenait encore ses cheveux auburn en chignon. Libé rés, ils tombèrent en boucles lâches jusqu'à ses reins. Devant elle, le cadre d'u ne embrasure se découpait ; elle se retourna. « Rendez-vous utile, souffla-t-elle. Prenez soin de mes effets. » Viktoria le savait en embuscade dans son dos, bien que le triste sire se déplaçât sans un son, comme toujours ; cependant, elle ne le pensait pas si proche et elle manqua de le heurter. Il la dominait d'une tête et de sa position, elle avait un point de vue imprenable sur l'horrible cicatrice qui lui déc hirait profondément la joue gauche, zébrure noirâtre récoltée Dieu seul savait comment. Cette proximité la dérangea soudain et elle lui tendit le paquet d'étoffes afin de remettre un peu de distance. Il s'en saisit sans un mot, sans une émotion, effleurant de ses longs doigts en métal son poignet dans l'opération. Elle frissonna. Elle sent ait avec netteté son regard rivé sur les galbes blancs et généreux de sa poitrine, empri sonnés dans un corset d'argent qu'un ridicule ruban maintenait tout juste fermé. L a respiration de Viktoria s'emballa, donnant ainsi encore un peu plus de volume au centr e d'intérêt de la paire d'yeux dissimulée derrière les verres fumés. Des fourmille ments s'emparèrent de ses doigts, la chaleur envahit son ventre et ils demeurèrent ai nsi, figés, de longues secondes qui parurent durer une éternité. Puis Viktoria se ressa isit d'un coup. « Disparaissez. » Diling. Dans un furieux tourbillon de velours et de dente lles, elle le planta là. Ignorant les tentures qui s'étiraient sur les paroi s du couloir à intervalles réguliers, elle hâta le pas jusqu'à déboucher dans la vaste pièce b aignée d'ombres dansantes. De la tuyauterie rongée par le vert-de-gris courait le long d'un mur, de minces filets de vapeur s'en évadaient aux raccords des pièces de cu ivre ; de petites niches bordaient le pourtour de la salle, des tables s'éparpillaient à travers l'espace libre. De nombreuses silhouettes se découpaient ici et là dan s l'atmosphère brumeuse, fumant, buvant de l'absinthe, penchées l'une vers l 'autre en de profondes conversations ou jeux de mains plus intimes. Tout a u fond, un immense alambic étirait ses tentacules de cuivre sur un pan entier de mur. Une énorme bonbonne ronronnait sur des braises rougeâtres, de laquelle s'échappait une ramification complexe de tuyaux aux formes torturées et serpenti ns divers. Viktoria ne connaissait aucun appareillage aussi démentiel que celui-ci, ce rtainement conçu par un esprit névrosé en plein délire éthylique. Cela dit, l'alam bic fonctionnait : à l'autre extrémité, des gouttes translucides s'échappaient d'un tube, p récieusement recueillies dans une bouteille surmontée d'un entonnoir. Si le Kaiser apprenait où s'éclipsait sa fille une fois la nuit tombée, lui qui la croyait sagement confinée dans ses appartements sou s bonne garde... Il ne lui pardonnerait jamais, la séquestrerait pour le resta nt de ses jours loin de la lumière du soleil. Or jusqu'à présent, il accordait une confia nce aveugle en son précieux homme de main, et celui-ci ne la trahirait pas aussi long temps qu'elle ne fomenterait aucun coup bas à son égard ; un coup d'œil en arrière app rit à Viktoria qu'il s'était volatilisé. Elle haussa les épaules et entreprit de traverser l a pièce jusqu'à l'un de ses nombreux recoins. Son corset d'argent renvoyait de ténus éclats, mettait en évidence sa taille fine, attirait une multitude de regards a vides ; un mâle un peu trop
entreprenant lui attrapa un poignet tandis qu'elle pa ssait devant sa table. Savoir son chaperon en embuscade quelque part dans la salle, v eillant au grain, lui donna le courage de se dégager d'un mouvement sec. Elle s'em para de plus du verre d'absinthe posé devant lui avant de poursuivre son chemin. Quelque chose, dans son attitude hautaine, dissuada l'homme de lui chercher des ennuis. Le pamphlet n'avait pas mentionné de noms, toutefoi s elle n'eut aucun mal à en reconnaître les auteurs lorsqu'elle les vit. Deux f emmes patientaient derrière une table, assises sur une banquette en arc de cercle. Elles portaient elles-aussi des masques et s'étaient donné du mal pour se vêtir de manière adéquate au lieu de la rencontre. Ludivine von Holstein et Maria von Neuen gut – des parvenues, dont les géniteurs avaient acquis des noms à particules en é changes de coquettes sommes d'argent afin d'approcher le cercle de nobles du Ka iser. Viktoria ne les appréciait guère, et comme beaucoup d'autres, celles-ci s'éver tueraient sans doute à la séduire afin que leurs noms soient rapportés au Kaiser ; un e simple particule ne suffisait pas. L'hypocrisie avait atteint la tête de liste des jeu x en vigueur dans les hautes sphères de la noblesse germanique, talonnée de près par les dénonciations anonymes et montages de faux complots. Intriguée, Viktoria esqu issa de la main le signe de reconnaissance convenu. Dans sa précipitation, Maria faillit renverser la t able en quittant la banquette. Elle s'était saucissonnée dans un corset qui ne lui seya it guère et qui parvenait à grand peine à lisser ses bourrelets ; ses seins énormes m enaçaient à tout instant de s'en échapper. Son maquillage exagéré la rendait en outr e ridicule. Elle n'avait pas d'allure, aucune prestance, se déplaçait avec la gr âce d'un régiment lancé au pas de charge. Sa carrure imposante cachait Ludivine dans son ombre, femme frêle aussi timide que son acolyte était exubérante. Cette Ludi vine fréquentait la cour depuis près d'une année et pourtant, Viktoria n'avait déco uvert son existence que trois semaines plus tôt, tant cette fille s'efforçait de se montrer transparente et se fondait à merveille dans le décor. Elle n'avait rien d'une bo urgeoise et si cela n'avait tenu qu'à elle, elle serait restée dans sa ferme perdue au fo nd de la Bavière ou du Württemberg. « Fraulein. Merci de vous être déplacée. » Maria plia un genou en guise de révérence maladroit e ; un large sourire éclairait désormais sa figure grassouillette, mais Viktoria n 'aurait pu affirmer s'il était sincère. Elle supposait plutôt l'inverse puisque les von Neu engut étaient des as inégalables dans la catégorie messes basses et compliments avar iés. Ludivine fit un pas de côté et se courba maladroitement, sans oser croiser le regard de Viktoria. « Vous débordez d'élégance, Fraulein. Comme toujours. Danke. » Les joues cramoisies, Ludivine détourna précipitamm ent la tête. Elle semblait particulièrement mal à l'aise dans sa robe échancré e et se coula à nouveau sur la banquette, loin des yeux inquisiteurs de la populat ion masculine alentour. Une sainte-nitouche, effacée, qui n'aurait jamais dû quitter s a campagne... Les deux autres la rejoignirent ; après un long moment de silence, Vik toria prit la parole. « Si vous m'évoquiez la raison de notre entrevue ? » Les deux femmes échangèrent un regard. Ludivine tor tillait ses doigts, riva son attention sur le bois taché de la table ; Maria s'é claircit alors la gorge. « Des bruits courent. On dit... que le Kaiser Wilhe lm n'aurait plus toute sa tête. Que Germania l'obnubile et qu'il en oublie la rancœ ur des Français pour l'annexion de l'Alsace-Lorraine. Certaines personnes à la cour, p ar conséquent, complotent et ne
l'estiment plus à la hauteur pour diriger l'Empire. » Maria avait endossé une expression mystérieuse et s 'était exprimée à voix basse, un fait nouveau pour Viktoria qui ne connais sait que braillements et gloussements de sa part. À présent, elle observait les ombres et les clients, en quête d'oreilles indiscrètes : de tels propos pouvaient c onduire droit au cimetière. Viktoria fronça un sourcil, interdite. Maria s'apprêtait-ell e à lui livrer des noms ? Pourquoi la choisir, elle, la fille du Kaiser, comme confidente ? « Le saviez-vous, Fraulein ? — La politique ne m'intéresse pas. Et rassurez-vous , le Kaiser ne redoute pas ces maudits Français. Otto von Bismarck les a humil iés une première fois et soyez certaine que l'Empire recommencera si cela ne suffi sait pas ! Ils sont faibles et arrogants, et ne sont de toute manière pas de taill e à lutter contre l'Empire. — Pardonnez-moi, Fraulein. Je ne souhaitais pas vou s blesser. » Maria adopta une posture soumise qui fit d'autant p lus ressortir son triple menton. « Je tenais juste à éviter quelques désagréments à votre... au Kaiser Wilhelm. J'ai eu vent de quelques noms, je pourrais vous les livrer... L'on parle à la cour, j'entends ce qu'il se raconte. Fraulein... Laissez- moi être vos oreilles, vous ne serez pas déçue. » Viktoria réprima une grimace de dégoût. Pour rien a u monde elle ne souhaitait côtoyer Maria plus que nécessaire et de plus, comme nt accorder sa confiance à quelqu'un qui passait son temps à trahir ? Par aill eurs, nul besoin de noms. Son père parvenait fort bien à se les procurer seul et envoy ait ensuite son sbire préféré régler la situation. « Pourquoi n'iriez-vous pas rejoindre ces deux mâle s, à la table voisine ? J'ai le sentiment qu'ils n'attendent que cela. Pendant ce t emps, je toucherai deux mots à Fraulein von Holstein. » La grosse Maria aurait souhaité répliquer, mais ell e ne s'y risqua pas. Viktoria n'était pas réputée pour son amabilité et mieux ne valait pas insister ; la question était en outre purement rhétorique, il ne s'agissait que d'un ordre déguisé. Vaincue, Maria se leva donc à regret, esquissa une misérable révér ence et s'éloigna. Les deux hommes désignés par Viktoria quittèrent aussitôt le urs chaises. Dans un rien de temps, nul doute que le trio se trouverait fort occ upé dans l'une des pièces du couloir aménagées derrière les tentures... Viktoria oublia Maria pour s'occuper de Ludivine. Cette dernière transpirait et malgré la pénombre, s on teint avait viré au pourpre. « Eh bien ? — Pardonnez-moi, Fraulein. Je ne voulais pas venir, Maria ne m'a pas laissé le choix. Par pitié, ne me demandez pas de rejoindre l 'un des clients. » La moutarde était montée au nez de Viktoria. D'ores et déjà agacée par la douleur dans son ventre et ses sautes d'humeur horm onales, voilà que ces deux sottes l'avaientforcéeà sortir de ses appartements, affronter la pluie, le smog et les ruelles sales, pour ne lui raconter que de misérabl es ragots ? Elle sentait ses narines palpiter, ses doigts tapotaient la surface de la ta ble et Ludivine se recroquevilla encore davantage. « Les von Neuengut sont au cœur du complot, lâcha-t -elle très vite. J'ai surpris des conversations et depuis, Maria ne me quitte plu s par peur que je dévoile ce que j'ai entendu. » La fille était trop terrifiée pour mentir. L'écrasa nte présence de sa comparse envolée, elle avait réussi à ouvrir la bouche. « Intéressant. Si ce que tu dis est vrai, je te pre nds à mon service. Tu seras ma
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