Tango tatouage
86 pages
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Tango tatouage , livre ebook

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Description

« Des chevaux blancs, bruns et noirs apparaissent ici et là, détendus. On ne saurait dire s’ils font partie d’élevages ou s’ils vivent à l’état sauvage.
Rien ne semble délimiter ce vaste territoire chargé d’énergie tellurique.
Aucune clôture.
Aucune affiche.
Je sors mon caméscope pour capter ce paysage fuyant, sur lequel je ne peux toutefois projeter tout ce qui me passe par la tête en même temps : les souvenirs de Buenos Aires, encore brûlants, et les réflexions sur mon séjour dans cette ville. À l’opposé, je ne pourrais non plus, même si je tentais de tout oublier en plongeant mon regard dans le décor en mouvement par la fenêtre, effacer de ma mémoire les images et les pensées chargées de questions qui me poursuivent au rythme du train.
Je me sens tatoué de l’intérieur, au son d’un tango aussi doux que déchirant. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 février 2015
Nombre de lectures 6
EAN13 9782895974987
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TANGO TATOUAGE
Jean Perron
Tango tatouage
ROMAN
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Perron, Jean, 1960-, auteur Tango tatouage / Jean Perron.
(Indociles) Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). ISBN 978-2-89597-441-3. — ISBN 978-2-89597-497-0 (pdf). — ISBN 978-2-89597-498-7 (epub)
I. Titre. II. Collection : Indociles
PS8581.E7465T36 2015 C843’.54 C2015-900174-9 C2015-900175-7

Les Éditions David 335-B, rue Cumberland, Ottawa (Ontario) K1N 7J3 Téléphone : 613-830-3336 | Télécopieur : 613-830-2819 info@editionsdavid.com | www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 1 er trimestre 2015

Les Éditions David remercient le Conseil des arts du Canada, le Bureau des arts franco-ontariens du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.
C’est une mythologie de poignards Qui lentement s’annule dans l’oubli ; Une chanson de geste qui périt En de sordides et policières histoires. JORGE LUIS BORGES Le tango On s’enfonce, on s’épouvante d’abord dans la nuit, mais on veut comprendre quand même et alors on ne quitte plus la profondeur. Mais il y a trop de choses à comprendre en même temps. LOUIS-FERDINAND CÉLINE Voyage au bout de la nuit
1
Sur les rails
Je regarde la pampa défiler par la fenêtre d’un train. Je suis un passager qui s’efforce de ne pas dérailler.
Soudain, au-dessus de cette plaine qui semble infinie, une nuée d’oiseaux attire mon attention. L’instant d’après, les oiseaux forment une file, se dirigent vers le soleil et plongent dans sa lumière. Juste pour faire partie de la beauté fulgurante de cette vision, j’aimerais être parmi eux à cet instant précis, loin, très loin des ombres qui hantent mes pensées.
Même si le soleil brille, des nuages s’amoncellent dans le bleu dense du ciel. On dirait des reflets purifiés des amas de terre grisâtre qui s’étendent jusqu’à l’horizon. Dans cette étendue en apparence désertique, surgissent pourtant des touffes d’herbe d’une verdeur surprenante.
Des chevaux blancs, bruns et noirs apparaissent ici et là, détendus. On ne saurait dire s’ils font partie d’élevages ou s’ils vivent à l’état sauvage.
Rien ne semble délimiter ce vaste territoire chargé d’énergie tellurique.
Aucune clôture.
Aucune affiche.
Je sors mon caméscope pour capter ce paysage fuyant, sur lequel je ne peux toutefois projeter tout ce qui me passe par la tête en même temps : les souvenirs de Buenos Aires, encore brûlants, et les réflexions sur mon séjour dans cette ville. À l’opposé, je ne pourrais non plus, même si je tentais de tout oublier en plongeant mon regard dans le décor en mouvement par la fenêtre, effacer de ma mémoire les images et les pensées chargées de questions qui me poursuivent au rythme du train.
Je me sens tatoué de l’intérieur, au son d’un tango aussi doux que déchirant.
Je me suis rendu à Buenos Aires pour revoir Ninon Destouches, que j’avais connue au cours d’un voyage au Cap-Vert, minuscule pays africain situé au large des côtes sénégalaises, archipel constitué de dix îles et de cinq îlots. Pourtant je n’avais pas vraiment gardé contact avec Ninon après ce voyage. Notre rencontre était restée imprégnée du charme des îles du Cap-Vert. L’enchantement que nous éprouvions en traversant d’une île à l’autre par bateau. Ces dunes dorées au bord des eaux tièdes de la mer bleu-vert à Boavista. Ces jardins qui semblent flotter dans le brouillard de Brava, l’île des fleurs. Le grand volcan de Fogo, dont les cimes d’un blanc cendré se perdent dans le bleu d’un ciel sans nuages. Partout, la douceur de vivre bercée par les vents d’Afrique.
Cet état de grâce a disparu quand nous sommes retournés chacun dans son pays à la fin du voyage. Nos affinités demeuraient intactes, mais semblaient inopérantes dans les échanges virtuels. Il a bien été question quelques fois de nous revoir et même de faire un autre voyage ailleurs ensemble. Mais il nous manquait toujours l’énergie de notre première rencontre, le hasard qui nous avait mis en présence l’un de l’autre au Cap-Vert et l’élan qui nous avait portés. Cette vague était maintenant retombée.
C’est un événement extérieur troublant, infernal et hors de notre contrôle qui a fini par nous rapprocher de nouveau.
2
Vidéo virale
Je suis encore ahuri par ce qui s’est passé quand j’y repense.
Une vidéo accompagnée de commentaires alarmistes, tournée à l’insu de Ninon pendant qu’elle donnait un spectacle de chansons à Buenos Aires, est devenue virale dans le cyberespace. La chanson visée, un tango chanté en français, parle d’une jeune femme pauvre qui vit une grossesse qu’elle n’a pas désirée. Elle veut se faire avorter, mais elle se bute à l’hypocrisie d’une société qui condamne l’avortement tout en le pratiquant secrètement et dans les meilleures conditions médicales au sein des classes aisées, tandis que les femmes des milieux défavorisés sont stigmatisées et doivent avorter dans des conditions insalubres et périlleuses. À la fin de la chanson construite en mode narratif, la jeune femme meurt des suites d’un avortement mal pratiqué par un faux médecin qui lui a soutiré toutes ses économies.
Sujet délicat (l’avortement reste illégal en Argentine, mais le débat fait rage), chanson dramatique qui prend position pour la justice sociale sur une musique d’une beauté mélancolique ; un tango, quoi.
Mais en voix off, en anglais avec un accent américain, sur un ton posé de présentatrice de bulletin de nouvelles, une femme qui ne s’identifie pas affirme que Ninon a du côté paternel un lien de parenté avec l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, dont le vrai nom de famille était Destouches. Elle rappelle qu’il a publié des pamphlets virulents en faveur de l’extermination des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Du côté maternel, c’est encore pire : Ninon serait la petite-fille d’un médecin allemand qui aurait été un proche collaborateur de Josef Mengele, surnommé « l’ange de la mort », un criminel nazi reconnu coupable de s’être livré à des expériences mortelles sur des enfants.
Sans se départir de son ton en apparence neutre, comme s’il s’agissait d’un exposé de faits scientifiques clairement établis, la commentatrice anonyme associe ensuite l’avortement aux nazis et à leurs crimes contre l’humanité. Elle va jusqu’à établir une filiation directe entre l’avortement légalisé et les crimes de Mengele contre des enfants et diabolise Ninon en la présentant comme une égérie de la mort qui poursuivrait l’œuvre de destruction massive de ses sinistres aïeux.
Pour moi qui connais Ninon et comprends les paroles de sa chanson, pleine de compassion et pas du tout idéologique, ce commentaire en voix off est un grossier détournement de sens, une charge d’une énormité si dégoûtante qu’elle ne vaut même pas la peine qu’on s’y attarde. Malheureusement, plusieurs médias ont vite flairé le potentiel de sensation de cette vidéo malsaine et ont contribué à la faire circuler largement. Des commentaires enflammés fusaient de partout, sur les blogues, les sites de diffusion de vidéos et les réseaux sociaux du monde entier. Des partisans du « droit à la vie » crachaient leur haine avec hystérie. Des militants pour le « libre choix » prenaient la défense de Ninon avec passion. De part et d’autre, on utilisait Ninon malgré elle dans un combat sans merci.
Bien peu de gens se préoccupaient du fait que cette vidéo, d’une violence psychologique d’une rare intensité, violait les droits d’auteur de Ninon à des fins de diffamation. La personne jetée en pâture à la meute internaute ne comptait pas. Il n’y en avait que pour l’enjeu : l’avortement.
Dévastée, Ninon a commencé à m’envoyer des courriels chaque jour. J’étais son confident dans la tourmente. Puis, au fil de notre correspondance, j’ai senti qu’elle aimerait que je sois à ses côtés, en personne, et j’avais envie de l’être.
En catastrophe, au prix de négociations parfois houleuses, j’ai réussi à mettre mon agenda en veilleuse pour quelque temps et je suis parti pour Buenos Aires en puisant dans mes

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