La démocratie libérale en procès
266 pages
Français

La démocratie libérale en procès , livre ebook

-

266 pages
Français

Description

La démocratie est sur toutes les lèvres, hante les discours politiques. Fonctionnant comme sésame et mot d'ordre, il suffit de l'énoncer pour faire consensus et réduire au silence. Que masque ce rapport incantatoire à la démocratie ? La démocratie n'est plus seulement un régime politique, mais surtout un état social. Peut-on encore parler de démocratie sans faire référence à son fondement même : le "peuple" ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2006
Nombre de lectures 56
EAN13 9782296142770
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Introduction : La «démocratie des
Anciens» et la «démocratie des Modernes».
Les Grecs sont considérés comme les "inventeurs" de la
démocratie. Ils en formulèrent le concept tout en donnant lieu
aux premières expériences démocratiques. Comme le remarque
Moses I. Finley dans Démocratie antique et démocratie
moderne, "ce sont les Grecs, somme toute, qui ont découvert
non seulement la démocratie, mais aussi la politique, l'art de
parvenir à des décisions grâce à la discussion publique, puis
d'obéir à ces décisions, comme condition nécessaire pour une
1existence sociale civilisée." La réforme de Clisthène, en 508
av. J.C., établissant dix tribus nouvelles en remplacement des
2quatre tribus "gentilices" , est l'un des événements fondateurs de
la démocratie athénienne. Celle-ci impliquait une nouvelle
organisation du "démos" (du peuple) et l'affirmation de sa
liberté, par la participation égale de tous les citoyens aux
processus de décision. C'est ce que l'on nommait "l'iségoria", le
droit de chaque citoyen à prendre la parole lors de l'assemblée.
Il s'accompagnait du "graphé paranomon", introduisant la
possibilité de juger un individu pour une proposition illégale
faite à l'assemblée. L'objectif de cette mesure était double. Elle
permettait de modérer le droit à la parole, en investissant son
détenteur d'une grande responsabilité. Mais elle permettait aussi
3au peuple de revoir des décisions prises auparavant. La
démocratie athénienne postulait deux qualités chez tous les
citoyens, indispensables à son bon fonctionnement : la
"responsabilité civile" et une "probité loyale dans l'appréciation
4de la loi et des preuves" . Elle reposait sur une participation
directe des citoyens, rendue notamment possible par la présence
de travailleurs esclaves, n'ayant pas accès à la citoyenneté.

1
Finley Moses I., Démocratie antique et démocratie moderne, Paris,
Payot, 1976, p. 141.
2
Ibid., p. 23.
3 Ibid., p. 77.
4
Ibid., p. 143.Par différence avec la "démocratie antique", la "démocratie
1moderne" se caractérise par une prise de distance des citoyens
à l'égard de la politique, qui se professionnalise pour gérer au
mieux leurs intérêts. Dans cette mesure, on peut qualifier la
démocratie moderne de "libérale", puisqu'elle poursuit un
mouvement d'émancipation des individus de toutes les
structures traditionnelles bridant l'expression de leur liberté.
"Démocratie antique" et "Démocratie moderne" s'opposent en
quelque sorte comme la "liberté des Anciens" et la "liberté des
Modernes", telles que les définit Benjamin Constant dans De la
liberté des Anciens comparée à celle des Modernes. La "liberté
des Modernes" se comprend comme la "jouissance paisible de
2l'indépendance privée" . Chez les Anciens, au contraire, la
liberté trouvait exclusivement à s'épanouir dans le domaine
politique, dans la participation au pouvoir. "Chez les anciens,
l'individu, souverain presque habituellement dans les affaires
3publiques, est esclave de tous les rapports privés." Cette forme
de liberté ne peut plus être prioritaire, aux yeux de Constant,
pour notre modernité, tout simplement parce que les conditions
de sa mise en œuvre ne sont plus réunies. La population est trop
nombreuse pour qu'un individu singulier puisse percevoir les
effets de son action, et donc jouir d'une liberté politique. Elle lui
semble vaine, infime. Par contre, la poursuite de ses intérêts
propres, sous la garantie d'un Etat assurant la sécurité, lui
apparaît plus avantageuse. Elle représente une forme de liberté
plus en accord avec ses potentialités actuelles. Constant ne
signifie pas par là que la liberté nouvelle doit effacer la liberté
politique. Il enregistre simplement un changement de priorité.
L'Etat ne porte plus les fins ultimes de l'action individuelle.
Celle-ci se déploie désormais dans la sphère de la "jouissance
privée" :

1
Nous n'employons pas ce terme dans son sens historique strict,
comme renvoyant à la "période moderne" (1453-1789), mais comme
synonyme de contemporain. La "démocratie moderne" désigne les
mouvements démocratiques dont sont issus les régimes politiques
contemporains, amorcés notamment par les révolutions américaines et
françaises.
2
Constant Benjamin, "De la liberté des Anciens comparée à celle des
Modernes", in Ecrits politiques, Paris, Gallimard, 1997, p. 602.
3
Ibid., p. 595.
- 10 -"L'exercice des droits politiques ne nous offre donc plus
qu'une partie des jouissances que les anciens y
trouvaient, et en même temps les progrès de la
civilisation, la tendance commerciale de l'époque, la
communication des peuples entre eux, ont multiplié et
1varié à l'infini les moyens du bonheur particulier."
La politique ne peut plus constituer le foyer principal des
motivations individuelles. Au regard de ce changement,
Constant identifie deux dangers majeurs qui ont vu ou
pourraient voir le jour. Le premier, dont il incrimine les
révolutionnaires français s'inspirant de Rousseau et Mably,
correspond à une forme de "républicanisme", à la volonté de
réintroduire de force la "liberté des anciens" dans un contexte
qui pourtant lui est défavorable. L'aboutissement d'une telle
entreprise n'est autre que le régime de Terreur imposé par les
révolutionnaires français à partir de 1793. Le deuxième danger
réside dans le travers inverse, le désinvestissement de toute
action politique au profit d'un repli sur la vie privée. Laisser
libre cours à un tel penchant serait préjudiciable à la liberté et
ce serait méconnaître le rôle fondamental des institutions dans
2l'éducation des citoyens . La démocratie moderne doit donc
composer avec ces deux dangers qui la menacent, liés à la
forme de liberté qu'elle privilégie.
Par conséquent, si la "démocratie antique" peut servir de
contrepoint pour comprendre la spécificité de la "démocratie
moderne", elle ne peut être érigée en idéal. Ce serait
méconnaître la singularité du phénomène démocratique
moderne et réintroduire de force une forme de liberté dont les
conditions ne sont plus réunies. Il faut donc admettre que nous
sommes comme devant "deux humanités distinctes", pour
3reprendre l'expression de Tocqueville. "Il faut donc bien

1
Constant Benjamin, "De la liberté des Anciens comparée à celle des
Modernes", op. cit., p. 602.
2
Ibid., p. 618 : "L'œuvre du législateur n'est point complète quand il a
seulement rendu le peuple tranquille. Lors même que ce peuple est
content, il reste encore beaucoup à faire."
3 Tocqueville Alexis de, De la démocratie en Amérique, vol.II, Paris,
Gallimard, 1961, p. 454. La référence à cet ouvrage de Tocqueville se
fera désormais sous la forme abrégée DA suivie du volume en chiffres
romains et de la page en chiffres arabes.
- 11 -prendre garde de juger les sociétés qui naissent avec les idées
1qu'on a puisées dans celles qui ne sont plus." Ce conseil de
Tocqueville, à l'extrême fin de son ouvrage, nous servira de
garde-fou pour tenter d'analyser la démocratie des modernes. Il
marque la résignation d'un aristocrate à penser la modernité
pour elle-même, sans abonder dans le sens des réactionnaires,
qui continuent à défendre des modèles politiques antérieurs.
Cette nouvelle acception de la liberté, comme
"indépendance dans la jouissance privée", modifie
considérablement l'approche conceptuelle de la démocratie. Elle
va prendre un sens nouveau, lié à la relative indépendance
octroyée par les libéraux à la société civile. Autrement dit, la
démocratie va devenir le qualificatif d'une société, avant même
de désigner un

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