Penser et mouvoir
248 pages
Français

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Penser et mouvoir , livre ebook

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Description

Quelles postures une philosophie doit-elle inventer pour saisir des gestes ? Comment peut-elle dé-composer des mots pour tenter de dire ce qui se passe entre des corps en mouvement ? A quels pas communs et divergents sommes-nous invités en dansant et en philosophant ? Ici se dessine le paysage d'une rencontre entre danse et philosphie. En se mettant à penser, à marcher et à rouler ensemble, danse et philosophie croiseront des problèmes de représentations, de perceptions, de compositions et de démarches collectives.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2011
Nombre de lectures 179
EAN13 9782296809130
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PENSER ET MOUVOIR
La Philosophie en commun
Collection dirigée par Stéphane Douailler,
Jacques Poulain, Patrice Vermeren


Nourrie trop exclusivement par la vie solitaire de la pensée, l’exercice de la réflexion a souvent voué les philosophes à un individualisme forcené, renforcé par le culte de l’écriture. Les querelles engendrées par l’adulation de l’originalité y ont trop aisément supplanté tout débat politique théorique.
Notre siècle a découvert l’enracinement de la pensée dans le langage. S’invalidait et tombait du même coup en désuétude cet étrange usage du jugement où le désir de tout soumettre à la critique du vrai y soustrayait royalement ses propres résultats. Condamnées également à l’éclatement, les diverses traditions philosophiques se voyaient contraintes de franchir les frontières de langue et de culture qui les enserraient encore. La crise des fondements scientifiques, la falsification des divers régimes politiques, la neutralisation des sciences humaines et l’explosion technologique ont fait apparaître de leur côté leurs faillites, induisant à reporter leurs espoirs sur la philosophie, autorisant à attendre du partage critique de la vérité jusqu’à la satisfaction des exigences sociales de justice et de liberté. Le débat critique se reconnaissait être une forme de vie.
Ce bouleversement en profondeur de la culture a ramené les philosophes à la pratique orale de l’argumentation, faisant surgir des institutions comme l’École de Korcula (Yougoslavie), le Collège de Philosophie (Paris) ou l’institut de Philosophie (Madrid). L’objectif de cette collection est de rendre accessibles les fruits de ce partage en commun du jugement de vérité. Il est d’affronter et de surmonter ce qui, dans la crise de civilisation que nous vivons tous, dérive de la dénégation et du refoulement de ce partage du jugement.


Dernières parutions

Jean-Pierre COTTEN, Entre théorie et pratique, 2011.
Jean-François GAVA, Contrariété sans dialectique, 2011.
Walter MENON, L’oeuvre d’art. L’expérience esthétique de la vérité, 2010.
Lucie REY, Qu’est-ce que la douleur ? Lecture de René Leriche, 2010.
Horacio CERUTTI GULBERG, Philosopher depuis notre Amérique, 2010.
Marie Bardet


PENSER ET MOUVOIR
Une rencontre entre danse et philosophie
© L’HARMATTAN, 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-54985-2
EAN : 9782296549852

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Une inquiétude pour le concret
« Nous voulons tout à la fois l’intemporel et le contemporain. Mais
nous aurons beau épuiser les images et faire couler les mots entre nos
doigts comme de l’eau, nous ne serons pas pour autant parvenus à
dire comment il se fait que, par un tel matin, on se réveille avec un
désir de poésie. »

Virginia WOOLF
« La lecture », L’écrivain et la vie , éd. Payot et rivages, 2008, p. 62.
Le problème de Socrate dansant
La philosophie en se penchant sur la danse se trouve prise dans une spirale. Interrogeant postures, approches et démarches, la danse pose à la philosophie le problème de la saisie de ses « objets ». Prendre la mesure d’une possible philosophie des corps en mouvement exige d’arpenter l’approche que la philosophie peut avoir de la danse. Le premier point d’achoppement serait une saisie extérieure de ces mouvements dansés – directement impliquée par sa formulation en terme d’objet – dessinant un lieu pour la philosophie comme spectatrice et spectatrice objectivante, dans la mesure où, par exemple dans une perspective aristotélicienne d’un mouvement comme changement de lieu et d’état, pourraient être examinés les mouvements dansants depuis les points de référence de ces changements. La philosophie chercherait à se faire un regard objectivant déterminant la mesure de ces mouvements dans un espace de référence, pour décrire et expliquer son objet : la danse.
Mais quand par exemple, parmi les occurrences premières du mouvement dansant en philosophie, on rencontre chez Xénophon un Socrate dansant ( Le Banquet de Xénophon), c’est pour décrire une autre scène. Nullement un regard objectivant mais un Socrate qui, d’une part se regarde danser lui-même dans un miroir, étudie ses mouvements et ses attitudes dans un vis-à-vis trouble avec son reflet, et d’autre part le fait à l’écart des regards des autres {1} . On est donc dans une situation toute autre qu’une mesure des changements dans des repères spatiaux. On est dans une rencontre. Rencontre avec soi-même dansant, dont il demeure peut-être énigmatique de savoir ce quelle elle était chez Socrate. Que regardait-il et cherchait-il en observant son corps mouvant ? Quel rapport de ses gestes à ce soi habité par une raison en même temps que par un démon ? Quelles articulations entre penser et mouvoir à travers ses gestes et leurs reflets perçus ?
On fera le pari qu’il essayait de déchiffrer des concordances et des discordances, ses attitudes connues et inconnues, dans la situation singulière de danser et de se regarder danser. Il se livrait à une rencontre entre son activité (opérant dans un registre maîtrisable des catégories de changements de lieux – lieux discursifs, autres lieux, et changements d’états – enseigner, donner l’exemple, etc.) et son existence phénoménale et sensible ; une rencontre des mesures et des démesures des jeux du sensible et de la représentation. La scène esquissée par cette rencontre pose le problème liminaire d’une philosophie sur, de ou en danse, en ce qu’elle redistribue les rapports habituellement disjonctifs entre théorie et pratique. Ils débordent alors, comme presque toujours, l’opération de mesure d’une pratique par une théorie, ou celle d’application d’une théorie dans une pratique. Hybris , démesure propre à une danse qui « emporte » ; débordement qui est peut-être la philosophie même.
Ni objet mesuré, ni application, la pratique constitue dans ce sens pour Deleuze, dans son dialogue avec Foucault, « un ensemble de relais d’un point théorique à un autre {2} », alors que la théorie est « un relais d’une pratique à une autre {3} », sans que celle-ci ni représente celle-là, ni s’y applique, pas plus que celle-là n’inspire celle-ci, dans un rapport qui serait totalisant, réduisant l’une à l’autre. Se joue et se rejoue dans cette rencontre la distribution des postures, des interventions, des discours et des gestes, dans des relais entre eux qui débordent le cadre de leur simple application. C’est probablement ce que Socrate déchiffrait dansant devant son miroir, cherchant à voir la manière dont se reliaient ce qu’il savait de lui, ses diverses postures, le terrain depuis lequel il intervenait et dans quelle direction, les attitudes par lesquelles il prenait part aux débats, tel point théorique ou tel autre sur lequel il s’appuyait, variant selon le terrain de la discussion et selon l’interlocuteur ou l’adversaire. Socrate sachant toujours comment intervenir, depuis quel point théorique, ayant là-dessus une intuition sure, mais ignorant ce qui les relie entre eux, hors de ces débats et loin des interlocuteurs. Quel mouvement, qui est une certaine dynamique de lui-même, unit tous ces points ? Il regarde cela dans le miroir, et il voit Socrate dansant.
Cette danse est-elle encore de la philosophie ? Question que posent les rires et les moqueries des convives du banquet lorsque Socrate raconte qu’il danse devant son miroir, sachant bien qu’il sera l’objet de railleries. Est-elle une conscience de soi de la philosophie, se regardant danser, comme un savoir synthétique de tous ses points et de leur mesure ? Ou est-elle passée dans une autre dimension, dans l’intensité des reflets du mouvement dans le miroir ? Dans une image qui s’esquisse symétriquement et pourtant ailleurs, sans que ni la danse ni la philosophie n’aient totalement lieu dans ce reflet ?
En fait, ce ne sont plus les points qui comptent, les arrêts qui marquent la ligne sur laquelle viendrait s’appliquer dans l’espace un trajet du mouvement ; pas plus que les repères que fournissent les points pour prendre une question dans ses filets, ici, la danse. Ni mesure d’un objet danse, ni son objectivation par une philosophie qui l’analyserait, l’interprèterait, pour lui donner un sens, en en faisant une métaphore d’elle-même par exemple. Un miroir ne renvoie pas un identique ou une métaphore. Les saisies dans cette rencontre sont d’un autre registre : frôlements de la réalité en mouvement plutôt que projections de coordonnées représentatives ; intensifications de détails, de reflets qui ne s’épuisent pas dans un point de référence plutôt que schématisations ; clartés chatoyantes venues du réel lui-même plutôt

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