Les entrepreneurs de Damas : nation, impérialisme et industrialisation
291 pages
Français

Les entrepreneurs de Damas : nation, impérialisme et industrialisation , livre ebook

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Description

Comment la domination impérialiste de la France sur le Levant peut-elle favoriser un processus d'industrialisation ? Ce livre examine comment les entrepreneurs de Damas et la France interagissent dans ce refaçonnement du marché régional. Les aspirations nationalistes des entrepreneurs aussi bien que les visées coloniales de la France se recomposent à travers de multiples processus de différenciation entre le politique et l'économie. C'est dans ces écarts que naîtra l'industrie syrienne.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 267
EAN13 9782296242470
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ÀShani
REMERCIEMENTS
Ce livre est issu d’une thèse de doctorat et mes remerciements vont d’abord à mes di-recteurs de thèse, Randi Deguilhem et Gudrun Krämer, pour leur concours inestimable à cette étude. Je suis également redevable à l’Institut de Recherches et d’Etudes sur le monde Arabe et Musulman à Aix-en-Provence et notamment à Jean-Claude Garcin, Robert Ilbert et Elizabeth Picard. Mes remerciements vont aussi à Edhem Eldem, Rashid Khalidi et Henry Laurens qui ont bien voulu accepter de faire partie du jury. Àl’Institut français d’études arabes de Damas, j’ai pendant deux ans bénéficié d’un soutien logistique sans lequel ce travail n’aurait pas pu être réalisé. Je tiens à en remercier son direc-teur Dominique Mallet. La secrétaire scientifique de l’Institut, Nadine Méouchy, a accom-pagné et encouragé pendant plusieurs années l’élaboration de cette étude ; je l’en remercie sincèrement. Je ne saurais oublier Michel Nieto, Bassam Djabi et Issam Chahada qui m’ont initié aux richesses de la bibliothèque de l’Institut. Merci également à Eugene Rogan et au Middle East Center de St. Antony’s College, Oxford, qui m’a accueilli pendant un trimestre. De nombreuses personnes ont contribué à mes recherches, à Damas et ailleurs. Je suis notamment redevable à Jérôme Bocquet, Leïla Boutamine, Georg Christ, Antun Dabbus, Sa-mih Ghabra, Ghassan Kalla, Michael Provence, Kim Sitzler, Tariq Suyufi,Vahé Tachjian et Barbara Thériault. Stefan Weber a généreusement accepté de préparer une carte et de fournir une photo pour ce livre. J’exprime ma profonde gratitude envers les enfants et petits-enfants des industriels, commerçants et entrepreneurs qui ont partagé avec moi leurs mémoires fami-liales, documents et photos. Finalement, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont facilité mes recherches dans différentes bibliothèques et archives, notamment au Centre d’archives et à la Chambre de commerce de Damas, à l’Université américaine de Beyrouth, aux archives de la Banque Im-périale Ottomane à Istanbul, au Public Record Office et au Quai d’Orsay.
Introduction e Au désiècle, Damas est en pleine transformation. La ville, qui s’but du XX était rapide-ment agrandie dans les décennies précédentes, estélectrifiée, elle est dotée d’un tramway et d’un chemin de fer qui la lieàl’Arabie et qui s’ajouteàla voie ferrée entre Beyrouth et Damas. Le premier hôpital moderne entre en fonction en 1900 et les travaux pour un nouveau système d’alimentation en eau commencent quelques années plus tard. C’estégalementàce moment, après la révolte jeune-turque en 1908 plus précisément, que les premières tentatives sont entreprisesà Damas pour fonder de véritables usines, l’utilisation de moteurs et de quelques machines ayant commencéquelque temps auparavant. Dans les quelques années qui séparent Damas de la Première Guerre mondiale, ces ten-tatives n’aboutissent pas. La mécanisation des installations industrielles se poursuit tout de même et elle prend une tout autre dimension dès la fin des années vingt, moment où sont aussi fondées les premières usines dans lesÉtats sous mandat français (E.S.M.F.). C’est le début de l’industrialisationà Damas, une industrialisation qui consiste avant tout dans l’emploi (le plus souvent partiel) d’un outillage mécanique et qui n’implique pas nécessai-rement une division du travail plus poussée ou la normalisation de la production. C’est aussi la base du secteur industriel « moderne », c’est-à-dire mécanisé, qui emploiera au début des années cinquante environ 40.000 personnes en Syrie (àcomparer avec les 60.000 personnes travaillant dans les industries artisanales) et dont les leaders joueront un rôle décisif dans les 1 années mouvementées de l’après-indépendance . Dans cetteétude, nous aborderons précisément le développement des industries damas-cènes entre 1908 et 1939 et la constitution d’un groupe d’industriels ayant de forts intérêts dans le secteur mécaniséest utilisindustrie » . Le terme « éd’abord comme terme g ici éné-rique désignant le secteur secondaire dans son ensemble. Pour ce qui est du terme industriel, il renvoie à des personnes qui contrôlent un ensemble de sites de production dont ils sont, du moins en partie, propriétaires. Cette désignation n’est pas exclusive puisque l’investissement de ces acteurs dans le secteur industriel se joint souvent à d’autres types d’activités écono-miques. L’usage de ce terme ne se base donc pas sur une définition stable ; et nous ne cher-chons d’ailleurs pas non plus à en produire une au cours de cette étude. L’objectif est plutôt d’esquisser les changements intervenant dans la configuration socio-économique, politique, et spatiale qui détermine ce qui est un bon choix entrepreneurial et qui façonne ainsi le profil 2 économique complexe des industriels de Damas . Le terme « industrie » présente certes le désavantage de ne pas rendre compte de la complexitéinterne de ce secteur, mais son em-ploi s’avère souvent indispensable, notamment dans le cadre des réflexions se situant sur un niveau macroéconomique. D’ailleurs, au cours de cetteétude, la structure interne du secteur industriel et l’emboîtement des différents systèmes de production (artisanat, manufacture, 3 usine…) serontétudiés de prèsàdiffé. En effet, un des principaux buts derents moments cetteétude est d’analyser la composition de ce secteur et sa transformation dès le début du
1  Pour les chiffres voir IBRD,Economic development of Syria, p. 10 sq. Les conflits entre industriels, notables et mouvements ouvriers et paysans ontété examinés notamment par Heydemann,Authoritarianism in Syria et Sadowski,Political power and economic organization in Syria. 2  Voir ch. I. 3. Le profil des industriels se complexifie davantage par leurs activités simultanées en dehors du secteur industriel et il se rapprocheàcertainségards de celui d’un entrepreneur. Sur ce point voir ch. III. 2. et VI. 1. 3  Voir notamment ch. I. 3, I. 4, III. 4 et IV.
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e XX siècle. Ajoutons que le terme industrialisation qui désigne ce processus de transforma-tion ne se refère pas au modèle d’industrialisation « classique », modèle dont la validitéest contestée d’ailleurs depuis longtemps même pour le cas des pays européens, mais se refère àla dissémination etàl’application d’un savoir technique dans un contexteéconomique et politique qui est spécifique auxÉtats sous mandat français. Si leséléments constitutifs de ce processus d’industrialisation sont dans une grande mesure d’origine européenne ou améri-caine, l’orientation de ce processus et ses résultats obéissent, comme il estàdémontrer, avant toutàdes déterminants locaux. Notre travail n’est pas le premieràaborder cette question. Un nombre considérable d’étu-deséconomiques, en majoritéthèses soutenues en France dans les ann des ées cinquante, 4 abordent la question de l’industrialisation en Syrie . Faisons mention notamment des travaux 5 de Farra Adnan et d’Adib Bagh qui lui sont entièrement consacrés . On remarquera que l’ensemble de cesétudes puise une bonne partie de ses informations dans deuxétudes de haute qualitéréalisées dans les années trenteàl’universitéaméricaine de Beyrouth,àsavoir Economic organization of Syria, ouvrage collectiféditépar Said Himadeh,etThe tariff of 6 Syria 1919-1932.de Norman Burns L’ouvrage de ÝAbd AllÁh ÍannÁ sur le mouvement ouvrier en Syrie et au Liban jusqu’en 7 1945 est le premierà. Cettetraiter de l’industrialisation du point de vue de l’histoire sociale étude, parue en 1973, et fondée presque entièrement sur des sources en langue arabe, accorde une place importante aux industriels qui sont considérés, avec une partie des propriétaires 8 fonciers, comme le noyau de la « bourgeoisie nationale » qui se constitue durant le mandat . Philipp Khoury traiteégalement dans sonSyria and the French mandate(1987) des commer-çants et industriels pendant le mandat, mais cet aspect ne figure qu’en marge d’un récit qui étudie essentiellement comment la « classe » des notables réussitàse maintenir au pouvoir. Khoury, le premieràabondamment les sources d’archives europ utiliser éennes, base son analyse des objectifséconomiques du Haut-Commissariat en Syrie,àde petites exceptions près, sur la littérature secondaire. L’étude récente de Geoffrey Schad,Industrialization in Syria(2001), qui traite de l’émergence d’une classe d’industriels dans le secteur textile alépin entre 1920 et 1954, se situe certesàun autre niveau, dans la mesure où l’auteur nous offre, grâce notammentàla lecture des archives diplomatiques de Nantes, un regard plus appro-fondi sur l’industrialisation en Syrie. Néanmoins, dans sonétude, Schad n’accorde qu’une place secondaire au traitement de la politique française dans le domaine industriel. Le fait qu’il n’y ait pas d’analyse globale de la politique douanière, qui est au centre du processus de l’industrialisation, indique bien que l’accent est mis, dans son travail, sur d’autres aspects du mouvement industriel en Syrie.
4  Voir p. ex. Helbaoui,Économie syrienne; Hilan,Culture et développement en Syrie; Essaleh,L’état actuel de l’économie syrienne. 5  Farra,Industrialisation en Syrie; Bagh,Industrie à Damas. 6  L’ouvrage de Himadeh aétépubliésimultanément en anglais et en arabe. 7  Íanna,Íaraka ÝummÁlÐya. 8  Íanna a prolongécette recherche dans un nombre d’autresétudes. Voir notammentMin al-ittiÊÁhÁt al-fikrÐya.Al-Mu×aqqafÙn fi-l-siyÁsa wa-l-muÊtamaÝet son œuvre sur Šahbandar.
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Le Haut-Commissariat français et l’économie syrienne La politiqueéconomique du Haut-Commissariat telle qu’elle est présentée dans ces ou-vrages se conformeàce qui aétépendant longtemps le consensus historiographique sur les objectifséconomiques des puissances impérialistes,àsavoir la défense des intérêtsécono-miques métropolitains. Tous les auteurs font mention des mesures françaises favorables aux industries locales, mais ni l’envergure de ces mesures ni les motifs qui ont pousséle Haut-Commissariatàles prendre ne sont suffisamment examinés . Plus important, ces mesures, qui pourraient sembleràpremière vue anormales dans le contexte colonial, n’amènent pas les auteursàs’interroger sur la possibilitéd’une pluralitéle pouvoird’objectifs que poursuit « colonial ». La thèse d´une alliance de base entre la politique des puissances impérialistes et le capital métropolitain n’est ainsi pas remise en question et le rôle attribuéau Haut-Com-missariat est d’abord celui de défenseur des intérêtséconomiques français dans lesÉtats sous mandat. L’action des commerçants lyonnais (et marseillais) en faveur du mandat, telle qu’elle est décrite par D. Chevallier et M. Seurat, pourrait certainement suggérer l’existence de liens 9 étroits entre les lobbieséconomiques et le Haut-Commissariat français . Or, grâce aux re-cherches de V. Cloarec, nous savons désormais que l’intervention française en Syrie durant 10 la Première Guerre mondiale ne s’explique pas par des intérêtséAjoutonsconomiques . aussi que A. S. Kanya-Forstner et C. M. Andrew font apparaître une constellation complexe de facteurs politiques,économiques et stratégiques qui soutiennent dans des combinaisons e toujours changeantes l’expansion coloniale française depuis la deuxième moitiéXIX du 11 siècle . Bienévidemment, cette absence de mobileséconomiques lors de l’occupation ne nous renseigne pas sur la politiqueéconomique menée par le Haut-Commissariat après la prise de possession des futursÉtats sous mandat français. Cette politique peut être aussi bien en 12 faveur des intérêts mé. L’tropolitains qu’elle peut viser d’autres buts étude de C. Dubois, qui examine le développement du commerce marseillais avec le Levant dans l’entre-deux-guerres, suggère pourtant que la politique française ne correspond pas aux espérances des 13 Marseillais exprimées au dé. Lesbut du mandat français études faites sur la politique menée dans d’autres colonies nous incitentégalementàentamer une analyse plus approfondie de la politique française en Syrie. En effet, depuis les années 1960 environ, un grand nombre d’études ont mis en doute aussi bien la thèse du rôle particulier des colonies pour le capital métropolitain que l’existence d’une politique systématique des pouvoirs coloniaux en faveur
9  Chevallier,Villes et travail en Syrie; Seurat, « Le rôle de Lyon ». 10  Cloarec,La France et la question de Syrie, 1914-1918. 11  Andrew/Kanya-Forstner,France overseas, p. 7-11. Sur les groupes coloniaux en France voir aussi Persell,The French colonial lobby 1889-1938; Ageron,?France coloniale ou parti colonial 12  Tout comme les résultats des travaux de Kanya-Forstner et d’Andrew ne permettent pas de juger du rôle des colonies dans l’économie métropolitaine. Le travail de Jacques Marseille démontre justement que l’engagement des milieux d’affaires français dans les colonies est bien plus important qu’on ne le pensait, et ceci dès la fin du e XX siècle, en dépit du fait que l’expansion impérialiste ne résulte pas le plus souvent de mobiles proprement économiques. Marseille,Empire colonial et capitalisme français. 13  Dubois, « Marseille, le Levant et la crise ». Pour une discussion de la thèse de Dubois voir ch. III. 4.
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14 des intérêts métropolitains . En même temps, d’autres ouvrages ont fait apparaître dans quelle mesure la faiblesse de l’État colonial a souvent limitéses possibilités d’action. Dans sonétude sur le coton dans le Soudan français, où l’échec des projets coloniaux de mise en valeur est bien apparent, R. Roberts va ainsi jusqu’àsur l’utilit s’interroger é du terme «é» qui prconomie coloniale ésuppose non seulement que le pouvoir colonial poursuit un 15 ensemble d’objectifs cohérent, mais aussi qu’il est capable de le réaliser . C’està partir de ces réflexions sur le pouvoir ou la faiblesse du pouvoir colonial et ses objectifs parfois conflictuels que nous voulons examiner la politiqueéconomique que mène le Haut-Commissariat français dans lesÉtats sous mandat. Le premier axe de recherche qui structure notre travail concerne ainsi l’action du pouvoir mandataire dans l’économie et les finances publiques. En effet, l’industrialisation dans les E.S.M.F. est principalement le ré-sultat d’une politique budgétaire coloniale qui s’appuie depuis 1924 sur l’augmentation des droits douaniers et qui, dès la fin des années vingt, est refaçonnée afin de stabiliser la situa-tion politique et sociale par des mesures qui sont relativement favorables aux intérêts des industriels. Cette politique en faveur de l’industrie locale fait partie intégrante d’une stratégie qui a tentél’ensemble des Hauts-CommissairesàBeyrouth, stratégie qui consisteàconsoli-der le pouvoir français au Levant par une politique de mise en valeur du pays. Henri de Jou-venel, Haut-Commissaire de 1925à1926, résume de la manière suivante le raisonnement qui la soutient : « Le pays se ralliera au mandat français dans la mesure où ce mandat lui paraîtra 16 une bonne affaire ». Dans la vision française il y a donc bien un espace de coopération possible entre Syriens et Français dans le domaineéconomique. Comme l’ont démontréde nombreusesétudes, l’exer-17 cice du pouvoir impéraliste ne peut se passer que rarement des intermédiaires locaux . Dans notre travail, nous cherchonsà déterminer comment cette volontérenforcer le pouvoir de français par une politique de mise en valeur s’intègre dans l’ensemble de la politique fran-çaise afin de discerner les contraintes qui l’accompagnent. Il convient d’abord de voir dans quelle mesure cette politique est entravée par les intérêtséconomiques et financiers français dans lesÉtats sous mandat. Dans cette région, le réseau d’intérêtséconomiques français joue un certain rôle dans la politique que mène le Haut-Commissariat. La défense de ces intérêts qui incombe au Haut-Commissariat et qui lui est régulièrement rappelée par le Quai d’Orsay, limiteàcertainségards sa capacitéàréaliser une politique susceptible de contribueràla mise en valeur du pays. Ceci n’est pourtant pas la principale raison qui explique l’échec de la poli-tiqueéconomique qui constitue aux yeux des Hauts-Commissaires la cléde voûte du succès du projet mandataire. Le principal facteur qui intervientàcetégard est l’impératif fiscal qui oblige le Haut-Commissaireàéquilibrer les budgets locaux etàassurer la participation des États sous mandat aux dépenses militaires, qui sont très considérables. Cet impératif fiscal est
14  Parmi le grand nombre d’auteurs qui se sont impliqués dans ce débat, nous ne citons que H. Brunschwig, D. Fieldhouse et D.C.M. Platt. Voir notamment Brunschwig,Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français 1871-1914; Fieldhouse,Economics and empire 1830-1914; Platt,Finance, trade and politics. Mommsen, Imperialismustheorien, présente un aperçu historiographique desétudes sur l’impérialisme depuis le travail inaugural de Hobson ; les théories marxistes sur l’impérialisme sont analysées par Brewer,Marxist theories of imperialism. 15  Roberts,French Soudan 1800-1946. 16  De Jouvenel au MAE, Beyrouth, 17 décembre 1926, MAE-Paris/316. 17  Pour une disscussion de l’historiographie voir Adas, « 'High' imperialism and the 'new' history », notamment p. 318-326.
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