Les sales bêtes
54 pages
Français

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Les sales bêtes , livre ebook

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54 pages
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Description

En suivant pas à pas les savoureux itinéraires, drolatiques et érudits, où vous entraîne Jacques A. Bertrand, vous vous prendrez d'affection pour l'araignée, le pou et le moustique, vous adorerez la chouette, la hyène et le crocodile, vous chercherez la compagnie de l'ours et du serpent, vous caresserez (peut-être) la blatte et le rat. Mais, au final, vous ne manquerez pas de partager l'opinion définitive de l'auteur : la pire des sales bêtes, c'est l'homme !




Depuis J'aime pas les autres, qui lui a valu le prix Georges-Brassens, Jacques A. Bertrand voit son talent enfin reconnu à sa juste mesure ! Auteur pudique et discret, il a su conquérir ses fidèles qui voient en lui un écrivain-culte à la croisée d'Alphonse Allais et de Pierre Desproges. Une fois encore, il se livre à un de ces exercices de haute virtuosité qui lui vaudra, sans aucun doute, l'admiration éperdue d'un nombre de plus en plus important de lecteurs.













LA HYÈNE


Beaucoup de gens qui ne souffriraient pas que l'on dise du mal de leur chat tiennent la hyène pour une sale bête. La hyène n'est pas plus sale bête qu'une autre. C'est un animal très amusant. En captivité, elle finit par s'habituer, comme tout le monde, et elle meurt de mort naturelle - c'est-à-dire d'ennui, de lassitude et de désespoir, aggravé d'un mauvais rhume. La hyène n'a qu'un seul défaut : elle ricane sans arrêt. Pourtant, elle n'est pas plus sceptique que le tigre, par exemple, ou que le rhinocéros. Elle ricane nerveusement.
La hyène se situe dans l'embranchement des vertébrés, dans la classe des mammifères, dans l'ordre des carnivores et, dans le jeu des sept familles, elle représente les hyénidés. Il existe trois sortes de hyènes: la tachetée, la brune et la rayée. Elles portent, dans les ouvrages spécialisés, des noms divertissants : par exemple, la hyène tachetée s'appelle Crocuta crocuta.
La hyène a les pattes postérieures plus courtes que les antérieures, ce qui lui donne un air de chien assis et la rend ridicule quand elle court. De loin, on dirait une panthère mal dessinée.


La hyène est un animal très humain. Elle est impatiente. Elle court dans tous les sens. Elle attend qu'on lui jette un os. Elle a les oreilles de Gainsbourg. Ou de Gaston Lagaffe. C'est un mammifère comme nous.
Il est vrai qu'elle pue le chien mouillé. Et même pire. Parce qu'elle fouille dans les poubelles. Mais la hyène est attendrissante.
Elle a toujours faim. On lui a fait une réputation de charognarde. En réalité, elle préfère manger frais. Sans colorants, ni conservateurs, ni vermine. Seulement, elle vit dans des pays où les voies de développement sont mal indiquées. Elle n'a pas encore bien compris le principe de la démocratie et de l'agriculture biologique. Elle mange ce qu'elle trouve. Elle croque facilement un fémur d'éléphant, abandonné par les trafiquants d'ivoire. Elle fait le ménage. Sans elle, la savane, la brousse et les zones semi-désertiques seraient jonchées de fémurs d'éléphant.


Si Francis Jammes (l'auteur de " Prière pour aller au paradis avec les ânes ") avait connu la hyène, il aurait sûrement voulu aller au paradis avec elle. En effet, la hyène n'est pas carnivore par méchanceté, mais parce qu'elle a des dents pointues. Si elle avait eu des dents carrées, comme l'âne, elle aurait été herbivore. Mais alors, elle n'aurait pas pu vivre dans les zones semi-désertiques. Tout se tient.
Les explorateurs détestent la hyène. Ils préfèrent être réveillés la nuit par un lion, parce que ça fait plus noble. Le lion ne ricane pas, il rugit : il n'a pas l'air de se moquer des explorateurs. (L'explorateur est un mammifère, comme nous.) Or la hyène ne se moque de personne. Elle rigole pour se donner une contenance, comme tout le monde.


Pline l'Ancien, le naturaliste antique, rapporte " maintes merveilles " à son sujet et autant de ragots. En apercevant son ombre, les chiens cesseraient d'aboyer. Capable d'imiter la voix humaine, elle appellerait le berger par son nom pour l'inciter à sortir de la bergerie. On prétendait aussi qu'elle pouvait changer de sexe à volonté. Cette capacité lui aurait permis de pouvoir s'accoupler plus facilement dans les zones semi-désertiques avant l'invention des agences matrimoniales. Mais on raconte tellement de choses...


Peu d'hommes choisissent la hyène comme totem. Cependant beaucoup lui ressemblent. Ils ont du mal à se hisser sur les tabourets de bar d'où ils vont vitupérer l'époque, en ricanant, en buvant des demis et en grignotant des cacahuètes. Le monde n'est qu'une grande chaîne alimentaire.


Il faut protéger la hyène en tant qu'animal utile. Tout en ricanant, elle tient l'Afrique propre. Cependant, tout doit disparaître, comme le prétendent les boutiquiers à la fin des soldes. Un jour, il n'y aura plus de hyènes. La chaîne alimentaire perdra un nouveau maillon. Peut-être même qu'un jour il n'y aura plus d'Africains. On aura l'air malin avec nos planisphères en couleurs.






LE CROCODILE




La légende veut que le crocodile pleure quand il vient de manger un homme. Et qu'il s'agisse de larmes d'hypocrisie. On ne voit pas pourquoi. Il regrette peut-être sincèrement. Surtout de ne pas l'avoir épluché avant de l'avaler. Les chaussures à clous de certains explorateurs et les appareils photonumériques des touristes ne sont pas forcément faciles à digérer.
Selon une autre idée reçue, le crocodile bâillerait d'ennui. La vie lui paraîtrait sans intérêt. Pas du tout. Les savants ? qui l'ont baptisé crocodylus et l'ont si bien classé dans l'ordre des crocodiliens et dans la famille des crocodilidés ? l'ont amplement prouvé par la méthode des températures : si le crocodile demeure si souvent la gueule ouverte, c'est pour rafraîchir son estomac.


Le crocodile est ovipare. Il pond délicatement dans le sable chaud, puis il transporte encore plus délicatement les petits crocodiles nouveau-nés entre ses énormes mâchoires. Il les dépose, toujours délicatement, dans l'eau. Il verse une larme. Parce que seulement dix pour cent d'entre eux survivront. Ce monde, et particulièrement celui de la statistique, est infiniment cruel.
Le crocodile est un animal très humain. Tennessee Williams se comparait à " un vieux crocodile " (Mémoires d'). Le plus souvent, l'homme adore le crocodile comme il adore le comte Dracula et la fiancée de Frankenstein. Au cinéma. Ou, à la rigueur, dans les fermes de crocodiles.


Le crocodile a horreur de cette vieille blague idiote sur la différence entre crocodile et alligator (" C'est caïman la même chose "). Il déteste également la petite fantaisie de Jean Cocteau : " Odile rêve au bord du Nil / Lorsqu'un crocodile surgit... / Le crocodile croque Odile ", dans laquelle le poète prétend de surcroît que Caï ment et qu'Alligue a tort...
L'ancêtre commun aux crocodiles, alligator, caïman et gavial ? leur Hugues Capet à eux, en quelque sorte ? est le sarcosuchus imperator dont les os sont très appréciés des paléontologues. Et dont les reconstitutions sommaires font les belles soirées des amateurs de films d'horreur (homo sapiens horribilis).


De la taille d'un lézard à ses débuts, le crocodile se nourrit d'escargots et de grenouilles. Au bout de six ans, il mesure deux mètres. Quatre à cinq au bout de quinze ans. Dans la fleur de l'âge, il pèse alors sa demi-tonne et parfois sa tonne entière, il se met au régime mammifères. Le gnou est un de ses mets les plus prisés. Capable de se propulser hors de l'eau à la vitesse d'un claquement de dents, il peut courir à dix-sept kilomètres à l'heure pendant un certain temps, heureusement limité. Pourtant il est court sur pattes et sa queue, qui lui permet de nager si gracieusement " à la godille ", est sur terre un sac à dos un peu encombrant. D'ailleurs, il préfère de loin rester tranquillement à l'affût.


Le crocodile est frugal. Il se contente d'une cinquantaine de repas par an. Il finit centenaire, comme Jeanne Caïman. (Cette plaisanterie sans gravité ne manquerait pas de lui déplaire.)
Quand il ne finit pas lamentablement sous forme de chaussures, de ceinture ou de sac de luxe.


On connaît la mémoire d'éléphant, on méconnaît la patience de crocodile. Il lui arrive de jeûner pendant deux ans. Il se tient immobile, les mâchoires entrouvertes, en attendant qu'un troupeau de gnous décide de traverser la rivière juste à l'endroit où il se trouve. Au bout d'un an il est couvert de mousse. N'importe quel homme, à sa place, ne pourrait s'empêcher d'allumer une cigarette.
On peut approcher sans péril le crocodile après s'être assuré qu'il vient de déjeuner. C'est ce qu'avait négligé de faire le docteur Chang, le vétérinaire du zoo de Taïwan. La consultation lui a coûté un bras.


Comme ses dents se renouvellent régulièrement, le crocodile du Nil (crocodylus nilotica) n'a pas de frais de dentiste. D'autant moins qu'il use du pluvian ? un petit oiseau d'Égypte qui lui nettoie les gencives tout en se restaurant ? comme d'une brosse à dents. Ce fait était déjà attesté par Pline l'Ancien.


Pendant longtemps, le crocodile s'est appelé cocodrille. (Corcodillus, kokodrillos, cocodrillo...) Ce n'est pas lui qui est dyslexique, c'est l'homme ?
joyeux drille et drôl' de coco,
qui se promène en espadrilles,
porte une ceinture en croco,
et laisse, dans ses codicilles,
plus de dett's que d'éconocrocs...






Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 septembre 2010
Nombre de lectures 64
EAN13 9782260018704
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture

DU MÊME AUTEUR

Éditions Bernard Barrault

Tristesse de la Balance et autres signes, 1983 (J'ai lu, 1999).

Chronique de la vie continue, 1984.

Soirées dansantes à l'orphelinat, roman, 1985.

Le Parapluie du Samouraï, roman, 1987.

Je voudrais parler au Directeur, roman, 1990, prix Thyde-Monnier.

Higelin, Higelin, récit-portrait, 1991.

Julliard

Le Pas du loup, roman, 1995, prix de Flore.

Le Sage a dit, 1997 (J'ai lu, 1999).

La Petite Fille qui se souvenait d'avoir parlé avec l'ange, roman, 1997.

L'Infini et des poussières, roman, 2000.

Tristesse de la Balance et autres signes – Album (dessins de Martin Veyron), 2001.

Derniers camps de base avant les sommets, 2002, prix Grand-Chosier, prix Rhône-Alpes.

L'Angleterre ferme à cinq heures, 2003.

Rappelez-moi votre nom, 2004.

La Course du chevau-léger, roman, 2006 (La Loupe, 2007).

Tristesse de la Balance (6e édition, postface), 2007.

J'aime pas les autres, roman, 2007, prix Georges-Brassens.

Le Seuil / P. Couratin

Le Grand Con (dessins de Tina Mercié), 2003.

Gallimard

Contribution à Des Papous dans la tête – L'Anthologie, 2004.

Dictionnaire des Papous dans la tête, 2007.

Flammarion

Contribution à Des nouvelles du prix de Flore, 2004.

Actes Sud

Contribution à Ousmane Sow, 2006.

JACQUES A. BERTRAND

LES SALES BÊTES

images

Ils ont écrit :

« Bête comme un âne (Zola), un dindon (Flaubert), un mouton (Erckmann-Chatrian), une oie (Balzac)… bête comme chou (Sartre), ses pieds (Bousquet), bonjour et bonsoir (Jankélévitch)… bête à manger du foin (Stendhal), de l'herbe (Sand)… bête à pleurer (Rolland)… »

(Source : Trésor de la langue française informatisé)

« La bête est au bon Dieu, la bêtise est à l'homme. »

(Victor Hugo)

« On a déjà raconté tellement de bêtises : rien ne t'empêche d'en raconter encore. »

(Gao Xingjian, La Montagne de l'âme)

L'ARAIGNÉE

L'araignée est un être exquis. Et très ancien. Cet arachnide bien connu, de l'ordre des aranéides, fait figure d'ancêtre dans le monde des insectes dont d'ailleurs il ne fait pas partie. En effet, l'araignée était déjà dans la même classe que les scorpions, à une époque où les fougères avaient des airs de baobabs et les mille-pattes mesuraient un mètre cinquante, ce qui est assez long. Plusieurs centaines de millions d'années plus tard, une longue et lente évolution, partant du poisson et passant par le singe, finirait par donner naissance au naturaliste – qui déduirait tout ce qui précède à l'aide de fragments de fossiles et d'un peu d'imagination.

 

L'araignée est un être exquis qui fait de petits pas, d'innombrables petits pas dus à sa vivacité et à son grand nombre de pattes. (À l'arrêt, on en compte au moins huit.) L'araignée est une danseuse de première qui ne se marche jamais sur les pieds. Si son regard est insoutenable, ce n'est pas qu'elle a le mauvais œil mais, au contraire, parce qu'elle a de bons yeux. Entre quatre et huit, généralement. On peut les compter lorsqu'on se trouve nez à nez avec elle, bien qu'elle n'ait pas de nez à proprement parler. Peu de gens acceptent de regarder une araignée dans les yeux et pratiquement pas de femmes. Dès qu'elles aperçoivent une araignée, la plupart des femmes s'évanouissent ou grimpent précipitamment sur une chaise en appelant au secours. Ce comportement est incompréhensible au naturaliste, car la coquille Saint-Jacques a dix fois plus d'yeux que l'araignée et on n'a jamais vu une femme grimper sur une chaise en présence d'une coquille Saint-Jacques.

À part ça, on peut dire que la nature est bien faite. Par exemple, si l'araignée possède huit pattes et huit yeux, c'est parce qu'il n'est pas facile de se tenir en équilibre sur une toile d'araignée, d'abord, et qu'ensuite on ne sait jamais quelle piste d'atterrissage vont choisir les mouches. L'araignée nous débarrasse des mouches, des moustiques et des acariens, ces dragons microscopiques, bien que ces derniers soient pour elle des camarades de classe. Elle nous en débarrasse à condition, naturellement, qu'on ne détruise pas ses toiles sans arrêt…

 

L'araignée contient une machine à tisser miniature avec laquelle elle produit de merveilleuses pièces en soie naturelle qu'elle expose dans des angles de murs. Les jours de vernissage, le mot arachnéen – qui continue à faire les beaux jours de la critique et de la littérature des beaux quartiers – est sur toutes les lèvres. Par ailleurs, elle fabrique aussi du venin, comme tout le monde, mais elle n'en abuse pas comme certains…

En plein air, elle travaille au crochet, patiemment, de superbes filets qui, les jours de pluie, prennent des airs de rivières de diamants. La mouche qui néglige de se repérer au soleil s'y colle et se retrouve rapidement anesthésiée et emballée dans la soie. Certaines araignées qui répugnent aux travaux d'aiguille chassent à courre. Elles poursuivent leur proie dans les hautes herbes, comme fait, dans la savane, le lion pour la gazelle.

 

La femelle est généralement plus grosse que le mâle. Lorsque celui-ci prend son courage à huit pattes et décide de tenter d'accomplir son devoir conjugal, il s'approche lentement de la toile et l'agite avec précaution, en espérant que sa commère ne va pas confondre ce coup de sonnette avec le signal affolé d'une mouche en détresse. Si elle ne bouge pas, il s'avance prudemment. Une fois son affaire faite, il se tire en courant de cette espèce de trampoline, pour ne pas subir le sort fâcheux réservé aux diptères. Napoléon, qui avait fréquenté des araignées, prétendait que la seule victoire en amour, c'est la fuite.

 

À l'automne, l'araignée, qui n'est pas plus bête qu'une autre, abandonne la vie au grand air pour s'installer en appartement. Elle est alors la malheureuse victime d'un véritable génocide en chambre que les hommes pratiquent pour plaire aux femmes. C'est un spectacle désolant que celui d'un homme poursuivant une araignée, armé d'un balai (ou d'un aspirateur). Quelquefois l'araignée réussit à disparaître (généralement sous le lit) et la femme préfère demander à l'homme de lui appeler un taxi. Certains hommes – et en particulier les naturalistes – essayent d'expliquer aux femmes que la phobie des araignées est un truc idiot, comme la plupart des phobies, mais ça prend du temps et ça n'arrange pas leurs affaires. Bien entendu, il en est ainsi dans toutes les statistiques, certaines femmes adorent les araignées et certains hommes en ont une au plafond. (Notons que « l'araignée au plafond » est un phénomène exclusivement français ; les Anglais, par exemple, se contentent d'avoir « une abeille dans le bonnet ».)

 

Dieu merci, l'araignée est appelée à régner encore un certain temps sur notre monde. Il en existe près de quarante mille espèces, toutes plus exquises les unes que les autres, expertes en toiles, qui portent des noms charmants : lycose, tarentule, argyronète, épeire, mygale… Dieu merci encore, il existe également toutes sortes de femmes, toutes plus exquises les unes que les autres, expertes en voiles, qui portent des noms charmants et sont appelées à régner encore un certain temps sur les chasseurs d'araignées.

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