Le patrimoine martiniquais
112 pages
Français

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Le patrimoine martiniquais , livre ebook

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Description

Voici une oeuvre de prose, toujours proche de la poésie, qui pourrait passer pour un essai sur le patrimoine martiniquais, car elle fait choix de souvenirs personnels et de réflexions analytiques ou critiques, qui éclairent, de façon vive, le passé martiniquais. C'est en somme une sorte de quête identitaire qui s'élabore selon un temps diffracté jusqu'à nos jours et établit une singulière vue d'ensemble de l'histoire locale pour la génération actuelle.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2005
Nombre de lectures 187
EAN13 9782336259703
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le patrimoine martiniquais
Souvenirs et réflexions

Georges Desportes
© L’Harmattan, 2005
9782747581196
EAN : 9782747581196
« Un peuple qui n’a pas de mémoire n’a pas d’avenir ».
Aimé CESAIRE
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Epigraphe I - L’espace du regard ou l’itinéraire du matin 2 - Le boulevard de la Levée et son grand canal 3 -Terres-Sainville et ses anciennes rues 4 - Manzé Sarah : vendeuse de rue 5 - La ligne de banlieue Tivoli-Balata (taxi-pays) 6 - Un témoin dans la ville 7 - La ville en fête : Le 14 juillet place de la Savane 8 - Les promenades sur la place de la Savane 9 - Les grandes vacances 10 - Aux approches de Noël 11 - Le jour de l’an 12 - L’Eglise dans notre île 13 - Les jours saints : la pêche aux écrevisses 14 - Tourisme littéraire, suivons nos guides 15 - Costumes et bijoux créoles 16 - Les débuts de la littérature romanesque à Saint Pierre 17 - Le mobilier ancien et sa poésie 18 - Le conte, le conteur, et la tradition 19 - Carnaval : Sa Majesté le Diable 19 - Carnaval : Sa Majesté le Diable 20 - Une grande dame créole de la Martinique RÉCITS, MÉMOIRES TÉMOIGNAGES
I - L’espace du regard ou l’itinéraire du matin
Au coin du boulevard de la Levée et des Terres-Sainville. A l’angle du grand canal et du caniveau, à la limite de l’ancien et du nouveau monde, une vieille bicoque avec pignon.
Une vieille bicoque en bois, avec deux lucarnes ouvertes sur le ciel ; face à l’arme d’un palmier (gris/jaune/vert) debout en sentinelle, entre deux postes de gazoline-Made-in-U.S.A.
Ce jeune palmier, poteau indicateur d’un monde qui naît et d’un autre qui meurt ; poteau signal du sens vrai, unique, de la vie qui monte. Il prend naissance au milieu du jardin, au cœur de l’espérance, encerclant son élan de la belle tige massive de sa force.
A sa tête étoilée se balance l’azur, dans le vent.
Boulevard de la Levée et Terres-Sainville.
Pour la plus grande relève du matin, certes, lieu bien désigné où surgira sans doute, vivace, la montée placide des hommes du futur. Non ?
Terres-Sainville, terres malsaines.
Ici s’étale et se campe ce que la ville a de plus sain et de plus terne, de plus vil et de plus sale, pour la vue : prolétaires et miséreux, filles, femmes, enfants. Que d’enfants ! Et aussi que d’immondices!
Tout cela, pêle-mêle, en pagaille dans les cases, en grappes accumulées sous la tôle et la tuile.
Passons...
Matin du travail, dans la vie quotidienne d’une petite ville ensoleillée. Il faut se lever, s’habiller et partir.
Débouché sur la rue, voici retrouvée la joie vive de nos grands flamboyants. Rouges et verts !
A ma droite, le poste à essence au mimétisme de commande : rouge et vert ; mais je vois l’œil du compteur clignotant des chiffres automatiques. Texaco ?
A ma gauche, Tydol, au sourire blanc sur des lèvres de cambouis, soulage, désabusé, sa trompe dans l’estomac d’un autobus.
Les petites camionnettes de Sainte-Thérèse circulent en file indienne, pleines à craquer de gens vêtus de couleurs aussi baroques qu’insolites. Klaxons et trépidations. Des taxis-pays, énormes dromadaires, défilent avec leurs fleurs, leurs fruits et légumes. Je lis des noms de villages qui se baladent : Lamentin, Ducos, Vauclin, Sainte-Anne, Rivière-Pilote, François, Marigot, Basse-Pointe...
Mon œil surpris fait un bouquet de rêves de tous ces véhicules qui déclenchent en moi l’imaginaire des champs paisibles et des plages dorées. A quand les vacances ? Rue République, la vie s’ouvre sur la perspective d’une turbulente animation. Je rase le mur de l’Ouvroir ceinturé d’une écharpe publicitaire : « Grand rhum Duquesne ». J’entends les petites orphelines là-dedans qui butinent comme des abeilles le sucre d’orge des prières. Une cloche sonne. Peut-être aussi la classe du matin. Et la ville bourdonne sous un ciel tout bleu. Soleil et chaleur tiède qui ronronne. Au coin, à l’angle, la vieille « Pharmacie Française » d’un vieil oncle, et qui arbore à l’intérieur des grosses boules de cristal colorées : rouges, oranges et vertes. Je longe le trottoir, me faisant un chemin sur le pas des écoliers.
Ils sont là devant moi, ces petits gosses, ardoises sous le bras, ils jouent avec des cailloux, le vent et la lumière, ou bien avec des allumettes, des petits bateaux de papier frêle dans l’eau d’un caniveau qui traîne son filet.
Des petites filles aux cheveux ratissés, papillotes sur les fosses de la tête - jardins de rêves potagers - se donnent la main, une récitation aux lèvres, comme une fleur agitée au rythme de leur souffle.
La circulation déjà se fait dense. C’est aussi la route de Didier qui glisse sur l’asphalte ses belles voitures luxueuses. Visages blancs aux portières, belles femmes fardées, bijoux aux mains d’ivoire, ongles roses, parfums menés en laisse dans l’air frais.
Mais je bute de même sur le fumet pestilentiel des mendiants accroupis, des clochards déguenillés, dressés comme les fantômes au pied d’un pylône métallique ou d’un pilier de béton.
De la boulangerie Suvélor surgissent des porteuses de pain et des manœuvres enfarinés, vêtus de leurs vieux sacs de froment. On y voit encore des traces de lettres. La rue résonne du tintamarre des bicyclettes, des cris des ouvriers pressés, des appels des vendeuses de pain au beurre, des piaillements des écoliers survoltés de la Maîtrise.
Poules et chiens, sans liens, sans maîtres se promènent en état de divagation et s’activent à la bectance des cancrelats et des reliefs prélevés des poubelles éventrées. Un canard s’ébroue avec allégresse dans le caniveau. Sur une bonne longueur de rue, l’Hôtel de Ville, le château fort du peuple, est là, entouré de piques de fer forgé qui montent la garde.
Dans le jardin, des palmiers grêles s’éventent à la brise. Des bassins poussent leurs jets d’eau, dans un élan gracieux, éternellement retombés et remontés.
A filer l’aiguille de ma route quotidienne, j’avance ma bordée jusqu’au carrefour suivant, où je parachute d’un esprit agile un grand vol blanc de pensées joyeuses qui tombent pile dans le vaste rectangle de la cour communale, basse-cour désertée à cette heure du matin.
A vitesse d’oiseau, en droite ligne, on a une vue plongeante tout au fond sur le bord de mer, rue Deproge : cité des affaires, du commerce import-export, barrière-refuge des hommes de proie, pirates et corsaires de l’industrie, du négoce et de la finance. Et là aussi, bien entendu, grouille toute la meute avide des travailleurs de force, des salariés, des dockers, ramasseurs de miettes tombées des arrimages de sacs et de barriques.
Mais si, par caprice, je tourne à flanc gauche et bifurque rue Perrinon, je monte alors vers la liberté, je m’élance vers l’égalité et la fraternité : c’est l’imposant Palais de Justice que je coupe de biais au square Victor Schœlcher.
Et sous l’enseigne de cette trinité, je m’approche du large geste fraternel et généreux du grand abolitionniste, athée et révolutionnaire, à qui je lance, d’une chiquenaude de pensée, la petite monnaie d’un bonjour.
Bonjour d’amitié lancé au vol qu’il attrape avec élégance au creux de ses doigts de marbre aux phalanges cassées. Me voici débouchant rue Ernest Renan, proche du «Pensionnat Colonial » lycée de jeunes filles, une grande bâtisse grise, pépinière fleurie de beautés affolantes dont les allures accrochent l’œil et le cœur des rêveurs. Sur ma route, je rencontre aussi d’autres jeunesses en uniforme - des couventines - oies et joies blanches, avec quelques visages au teint de chocolat au lait éparpillés dans la file.
En face de moi s’ouvre le « Printemps », grand magasin de nouveautés au nom magique surmonté du Consulat Américain, levant à bout de bois son drapeau de 48 dollars. La petite place de l’église et sa fontaine, ouvre tout grand l’espace pour magnifier notre belle cathédrale, aussi symbolique que la tour Eiffel. La girouette grimpe, d’un lever de tête, jusqu’à la flèche, et l’on reçoit en plein cœur l’allégresse des sons de cloches qui volent dans l’air au plus haut du ciel.
A l’angle des rues Saint-Louis et Schœlcher, voici le bout de mon itinéraire, le terminus où je descends de mes songes, pour « étreindre la réalité rugueuse » du travail : c’est l’annexe d’une grande banque, la B.N.C.I., le temple de l’argent où je pénètre enfin, poème en tête, comme un épi ou un défi. Ce temple est juste en face de l’autre. En opposition. Au seuil, je retrouve mon masque d’horloge fiché au clou rouillé du destin, avec ses yeux d’aiguilles à repriser l’ennui et la mort.
Prison des corps et des cœurs.
Rideau de fer...
2 - Le boulevard de la Levée et son

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