Un gars de Ménilmontant
210 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Qui se souvient qu'on l'appelait "la colline rouge" ? Qu'on redoutait ses barricades ? Ce livre est un témoignage exceptionnel sur le vieux Ménilmontant, le récit d'une enfance vécue dans un café-restaurant au coeur de ce faubourg où le souvenir de la répression de la Commune restait toujours vivace 55 ans plus tard, avec ce Père-Lachaise si proche et son mur des Fédérés sans cesse revisité. Dans la pauvreté, l'entraide n'était pas un vain mot. L'atelier abondait... Tout fut rasé dans les années 60, expulsant vers de lointaines banlieues ces habitants souvent immigrés qui avaient tant rêvé de la France, de liberté et de dignité, et n'avaient trouvé que la misère et l'antisémitisme.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 288
EAN13 9782336275154
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un gars de Ménilmontant

Guy Moisan
François Sauteron
De François Sauteron
Trois jours comme les autres, Julliard, 1961
Comps-sur-Artuby. Chronique d’un village provençal , 1984 (ouvrage collectif)
Histoire d’une aventure, Kodak-Pathé , 1987 (avec Michel Rémond)
Cent ans de cinéma , Glénat, 1995 (bande dessinée avec Catherine Zavatta, dessins de Gilbert Bouchard)
Au pied de mon arbre , Le Monument, Illusions perdues , diffusion Mairie de Faycelles (46100), 2004, 2005 et 2006 (histoire illustrée en trois volumes d’un village du Lot, avec Arlette Sauteron)
Quelques vies oubliées. Une enfance vendéenne , L’Harmattan, 2007
Une si jolie usine, Kodak-Pathé Vincennes , L’Harmattan, 2008
La chute de l’empire Kodak , L’Harmattan, 2009
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296115613
EAN 9782296115613
Sommaire
Page de titre De François Sauteron Page de Copyright Dedicace
À tous ceux qui ont tant aimé ce faubourg,
À ceux qui ont cru aux lendemains qui chantent,
Aux amis de Ménilmontant martyrisés, juifs,
communistes ou résistants.
Les auteurs tiennent à remercier Pierre Lherminier pour l’aide apportée à la rédaction de cet ouvrage, et Henri Guérard qui a bien voulu leur confier quelques unes de ses photographies dont l’illustration de couverture.
Mais qu’est-ce que je faisais là, passage de Ménilmontant ? Depuis longtemps j’habitais la grande banlieue, et ne fréquentais plus ce quartier de ma jeunesse. Je ne reconnaissais plus grand-chose d’ailleurs, tout avait été rasé dans les années soixante. Les promoteurs avaient tout cassé à coups de boules d’acier et de bulldozers. ils avaient dynamité sans remords ces immeubles plus ou moins délabrés, lézardés, ce quartier aux cours innombrables, inscrit depuis 1918 sur la liste des îlots insalubres, décourageant ainsi tout entretien. Dans certains escaliers, il fallait grimper prudemment, longer le mur, éviter soigneusement le côté de la rampe branlante, veiller à chaque marche à ne pas se retrouver brusquement à l’étage au dessous. Les cours répandaient souvent une odeur incertaine de latrines bouchées, que le surpeuplement rendait inévitable, au désespoir des concierges.
On avait expédié les habitants vers Créteil, vers Sarcelles, dans de grandes barres vite faites que l’on se promettait déjà de démolir. Us s’y retrouvaient au milieu de quatre-vingts nationalités différentes, dans ces grands ensembles qui sombrèrent rapidement dans la décrépitude : ascenseurs en panne, boîtes aux lettres défoncées et tags à tout va. Ménilmontant avait alors été massacré, sans se soucier des faibles hauteurs des immeubles caractéristiques de ce quartier populaire, sans tenir compte du tracé des rues le long des courbes de niveau qui suivaient depuis toujours les anciens terrains maraîchers. On avait édifié à la hâte de grandes cités, un peu dans le désordre, des immeubles qui se voulaient tous sociaux, d’une laideur affligeante, occupés par des émigrés d’Afrique du Nord, puis, à la fin des années 70, par des noirs et des asiatiques. Moi, j’avais connu les Grecs chassés de Turquie, les juifs allemands fuyant le nazisme, les Autrichiens traumatisés par le slogan viennois : « cinq cent mille chômeurs, quatre cent mille juifs » et surtout les juifs polonais, qui quittaient leur patrie autant par peur des pogroms que par l’extrême nécessité économique. Ils étaient près de soixante mille en France, ces Polonais. Les Arméniens se tenaient un peu plus haut, vers la rue de Belleville, se regroupant principalement dans la rue Jouye-Rouve où un lavoir retentissait en permanence des grands coups de battoir des laveuses aux doigts boudinés, rouges, rongés par les lessives et la javel. Ils avaient tous été accueillis avec bienveillance par les Auvergnats surnommés « les exilés du Centre », venus vers 1900 chercher du travail à Paris, qui savaient ce qu’était la misère, et avaient accepté avec le sourire les métiers pénibles de ramoneurs, de charbonnier. Beaucoup, grâce à l’entraide de leurs payses, avaient ensuite ouvert de petits bistrots où l’on servait le bœuf gros sel, comme au village, ou se retrouvaient dans la ferraille et la chaudronnerie.
Mes parents tenaient, au 21 passage de Ménilmontant, un café-restaurant comprenant une grande salle d’une cinquantaine de couverts et une plus intime aux banquettes de cuir brun, qui en accueillait seize. Dans une grande pièce derrière le comptoir, trônait un billard, mais celui-ci avait peu de succès, les joueurs préférant se rendre à La Vieilleuse, le vieux troquet du bas de la rue de Belleville qui alignait neuf billards Henin aîné et où les hommes en bras de chemise s’affrontaient dès six heures du matin. Ils profitaient là, en outre, d’une petite machine Havas qui annonçait les résultats des courses.
La façade de notre restaurant ne comportait pas moins de six grandes vitrines. Nous étions à l’angle de la rue Crespin-du-Gast, jouxtant un grand immeuble récent de l’Armée du Salut, La Maison du jeune homme, tenue par des méthodistes. Notre immeuble faisait partie d’un groupe de quatre maisons de cinq étages, avec cours et arrière-cours. Deux donnaient sur la rue, séparées par un grand porche. S’y côtoyaient de nombreux artisans et un garage avec atelier de mécanique, tout cela pourvu de vitres en deuil. On trouvait là un spécialiste du nickelage-chromage, un ébéniste avec deux employés, un tailleur en confection. Tout au fond, une femme, dont nous ne voyions jamais le mari, toujours malade, polissait des bondieuseries dans un nuage permanent de poussières métalliques. Je traînais souvent dans cette cour et M. Costes, l’ébéniste, me laissait ramasser quelques chutes de bois pour construire des modèles réduits de navire, de préférence des bâtiments de guerre, puisque l’on ne parlait que de cela. Je passais ainsi de longues soirées sur une réplique du croiseur Duquesne de soixante centimètres de long, dont j’avais vu une photographie dans L’Illustration . On venait de l’équiper d’une catapulte pour lancer des hydravions. Je m’attardais chez le tailleur Spitalnik, dont le fils Henri, dit Riri, conseillé par l’un de ses oncles dessinateur, réussissait à merveille à croquer des têtes ou des personnages dans des situations cocasses. J’avais beau obtenir régulièrement le premier prix de dessin au petit lycée Voltaire, j’étais totalement incapable de rivaliser avec son coup de crayon.
Trois grosses machines à coudre occupaient l’atelier de son père. Dans un bruit infernal, défilaient à toute allure des pièces de tissu pour confectionner une veste, un pantalon, une jupe, en suivant les repères qu’une employée traçait à l’aide d’une craie ovale, plate, grise, d’une grande douceur au toucher, mais également très dure.
Mon père remisait notre voiture dans le garage de la cour tenu par un certain Maridor.
Le café-restaurant de mes parents jouissait d’une réputation flatteuse. On s’y sentait bien, entre voisins, à l’abri des aléas de la vie. C’était un refuge pour oublier les peines et les difficultés sur le zinc du bistrot. On y venait en famille. Peu à peu ces habitués étaient devenus des amis. L’accueil chaleureux incitait aux confidences, surtout à la fin des repas, le soir, tard, lorsque les gens sont trop gais ou trop tristes et que l’alcool plonge dans une certaine indolence. Les dispositions et les sanctions contenues dans la loi réprimant l’ivresse publique s’étalaient sur une affiche bien encadrée, mais les consommateurs manifestaient ouvertement leur dédain pour ce genre de littérature. Notre clientèle participait activement à maintenir le record français de la consommation mondiale d’alcool ! Partout s’affichaient les publicités des vins de France, et même à l’école nos buvards en vantaient les mérites.
Au bar, se lisaient de nombreuses réclames sur de belles plaques émaillées aux couleurs agressives, pour des apéritifs comme le Claquesin, le « Dubo, Dubon, DuBonnet » le Byrrh, « tonique et hygiénique », le Bonal, qu’un marchand de vin de Rodez prénommé Marius expédiait à tous les bistrots auvergnats, heureux de retrouver le goût de la gentiane d’Aubrac, le Fred Zizi, dont le nom m’enchantait... Je me souviens d’un maçon, un peu court sur pattes, un mégot impr

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