Rio Vero
36 pages
Français

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Description

1966 : Une équipe de randonneurs s’attaque à l’exploration du Rio Vero, une rivière d’Aragon très mal connue à l’époque. Où se cache sa source ? Que renferment les canyons dans le secret desquels s’enfonce le cours d’eau ? Au fil des explorations, les explorateurs réalisent la première traversée des quatre canyons du rio Vero et découvre l’existence de peintures préhistoriques à l’aspect indéchiffrable.

Pierre Minvielle raconte de façon vivante les péripéties qui ont marqué cette aventure. Fréquentant ces territoires depuis plus de 60 ans, il en est la mémoire vivante. Il en résulte un récit vif et distrayant qui intéressera tous ceux –ils sont nombreux- qui s’intéressent à l’Aragon et aux canyons du Rio Vero.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour raconter cette exploration ? Parce que les témoignages archéologiques ainsi découverts étaient fragiles et l’on pouvait craindre le vandalisme. Aujourd’hui, ces précieux vestiges sont enfin protégés. Ils sont classés par l’UNESCO au Patrimoine Mondial de l’Humanité. L’auteur qui a découvert ces vestiges peut raconter.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 janvier 2013
Nombre de lectures 22
EAN13 9782350683454
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le côté d’Alquezar


Quand je veux retrouver mes plus vieux souvenirs relatifs au rio Vero je dois remonter à 1950. Cette année-là, la frontière franco-espagnole rouverte, mon père m’a entraîné visiter Alquezar. Il voulait revoir sans plus tarder ce village qu’il avait admiré et photographié dans les années vingt. Sous Franco, lorsqu’on voulait pénétrer à Alquezar, il fallait montrer patte blanche. Juste après la poterne à ogive qui donne accès au bourg, un poste de police vérifiait l’identité de chaque visiteur. Contre le mur, à côté du poste de garde, un grand panneau faisait la publicité pour les J.O.N.S., le syndicat ouvrier franquiste. À quelques pas de là, une stèle alignait les noms des nationalistes locaux tués durant la guerre civile ; en grosse lettre, une dédicace à José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange, dominait cette liste.
Par une rue montante bordée de vénérables demeures, on parvenait à un carrefour d’où l’on accédait à la « Plaza mayor ». Je me souviens que deux hommes y bavardaient assis sous les arcades qui bordent un côté de la place. Sur un cliché pris jadis par mon père, deux hommes se tenaient à la même place. Étaient -ce les mêmes ? Peut-être pas. Leur double présence symbolisait néanmoins et de façon admirable l’immobilité de l’Espagne encore hébétée par les atrocités qu’elle venait de subir.
Je me rappelle avoir aussi contemplé un orgueilleux blason sur le mur d’une maison et noté que la balustrade en fer du balcon voisin semblait devoir s’écrouler dans la minute, image de ce pays fier et ruiné que nous découvrions.
Viens, je vais te montrer l’église, déclara mon père.
Sac au dos, nous sommes montés à la Collégiale par un chemin en escalier qui se dirigeait vers les murailles ocres d’un château-fort. Les grilles qui auraient dû interdire l’accès au monument étaient rouillées en position ouverte et, tout en haut de la rampe, le vantail en bois du portail, lui aussi béant. Franchi ce seuil, un cloître s’est révélé, inattendu dans un ouvrage, médiéval, certes ! mais d’aspect militaire et de style mauresque. Une atmosphère de sérénité et de solitude régnait dans ce lieu à l’abandon. En cette fin d’après-midi, le soleil baignait les chapiteaux romans d’une lumière douce qui faisait ressortir le grain de la pierre et conférait aux sculptures une couleur de blé mur. Au milieu du cloître des passereaux voletaient parmi les herbes folles.
Nous avons fait le tour du cloître dans un silence recueilli. Sur les murs, des fresques évoquaient le XV e siècle. Sur l’une d’elles, une scène du Jugement dernier, la Mort, squelette ricanant, avec sa faux, s’emparait des damnés. Une main anonyme avait inscrit par-dessus, à la pointe d’un couteau, VIVA LA MUERTE. « Des traces de la guerre civile » m’expliqua mon père. Plus loin, on lisait P.O.U.M. (Partido Obrero de Unificacion Marxista) gravé de la même façon en surcharge d’une fresque à thème religieux. Nous avons ouvert les contrevents d’une lucarne et notre vue a plongé sur les toits du village et sur une scène de « trilla », spectacle réconfortant, doré, joyeux, presque festif. Nous lui sommes demeurés attentifs un long moment, sensibles au fait que la vie y laissait percer ses exubérances en dépit de la prostration ambiante. Malgré tout, on sentait dans ce village une disposition coutumière à se satisfaire de l’état des choses, à refuser le mouvement. Une immobilité qui avait permis de fondre dans le creuset du quotidien les vestiges arabes, les enjolivures du temps de Charles-Quint et les aménagements séculaires dictés par la nécessité.
L’église est par là, indiqua la voix paternelle.
La lourde porte cloutée n’était pas fermée à clef. Sur la gauche dans la pénombre, j’ai distingué un grand christ en bois, l’image même du dénuement dont l’expression tragique s’est gravée en moi, indélébile.
Dieu merci, ils ne l’ont pas détruit, murmura mon père.
Au fond de la nef, le maître-autel rutilait de ses vieux ors comme un rappel des magnificences qu’avait connu la foi hispanique au siècle de Charles-Quint.
Quand nous sommes ressortis de l’église, le soleil couchant nous rappela que la nuit approchait.
Nous allons bivouaquer dans le cloître, décida l’autorité paternelle.
Les hirondelles emplissaient l’espace de leurs voltes entrecroisées. Les sacs de couchage déroulés dans le déambulatoire du cloître, le réchaud de camping en aluminium posé sur le petit mur du promenoir entre deux colonnettes, nous étions chez nous au milieu de ce cadre d’une absolue sérénité. Et la soirée s’est achevée sous un ciel plein d’étoiles.
Le lendemain, de bonne heure, mon père m’a entraîné, par un chemin descendant jusqu’à un cours d’eau qu’enjambait un pont de pierre. Ce devait être le pont de Villacantal, mais je ne me souviens pas avoir remarqué qu’il était coudé. La petite rivière s’appelait le rio Vero.
Ainsi ai-je fait connaissance avec ce rio dont le cours supérieur allait devenir pour moi un sujet d’obsession, une quinzaine d’années plus tard.

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