Le rire étrange

Num_Onevision

Description

Jean-Luc Giribone a entrepris ici une lecture en parallèle du Rire de Bergson et de l'Inquiétante étrangeté de Freud. Leur "secrète correspondance" mise au jour, il essaie d'en dégager la profondeur, et en propose une interprétation. A côté de notre réalité se trouve une région qui parfois nous fait rire et parfois nous fait peur.

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 septembre 2011
• Nombre de lectures: 56
• EAN13: 9782296348110
• Langue: Français

Extrait

Bibliothèquedephilosophiecontemporaine
Collectiondirigéepar Pierre-Antoine Chardel

Ce livre est l’ampliicationd’unarticleparu danslesCahiers
critiques dethérapie familiale etpratiques deréseaux(printemps 2008).

Éditions duSandre
57,rueduDocteurBlanche
75016 Paris

Jean-LucGiribone

LERIRE ÉTRANGE

B F
ERGSONAVECREUD

Éditions du Sandre

I

SoientAetBdeux personnageséchappés del’univers
moliéresque.Dans leurfuite,ilsen ontgardéun trésor
–les répliques quis’yéchangent. Quand lerideau selève,
ils sont seuls sur unbateau, commePincemi et Pincemoi.
Mais le décor sur lequel leurs silhouettes se découpent ne
doit rienauxcomptinesenfantines.Est-cesur leStyx que
vogueleurbarque ?Ou surunemer lointaine,presque
métaphysique,quiles séparepeut-être d’unbanquetdonné
par leCommandeur?L’atmosphère en toutcasest propice
auxconversations profondes.Aparle d’un ton vaguement
rêveur,leregardperduau loin ;B,plus terre àterre,semble
êtreleSancho Pançade ceDon Quichotte.Un silence
presquepesant règne.Toutà coup,Asemetàparler:
«Ilfautcroire àquelque chose, encemonde...Àquoi
estcequevouscroyez?
–Àquoi est-ce quejecrois?
–Oui.
Ceque jecrois, c’estquedeuxetdeux sontquatre etque
quatre etquatresonthuit.»
Unbrefsilence.A,quiregardait versl’horizon,ixeB,
avecintensité:«Votrereligion, c’estdoncl’arithmétique ? »
B,interloqué,nerépondpas. Peut-être,songeantà
quelqueslignesdeMallarmé,sedit-il quesoncompagnon,
maîtredanslemaniementdulangage,a toujours su«mener

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l’ironie jusqu’àunepagecime,où l’esprit chancelle »...
D’ailleurs,levoiciquireprend laparole,tandis quelui,B,se
fatigue àramer.Il passe brusquementau tutoiement:
«Montre-moites mains.
–Les voilà.
–Lesautres.»
«Lesautres? »demandeB, de plusen plus surpris.Ce
n’est plusàMallarméqu’il pensemaintenant,maisàcet
adage zen qui évoque «lebruitd’unapplaudissement à une
main»...
«Oui,les autres »continue imperturbablementA.
–Les voilà.»EtBmontre d’invisiblesmains –mainde
justiced’un roi absent,oupeut-êtremaindeDieu dans
laquelleAdametÈve sortent dela glaise,commedansla
sculpturedeRodin?Surprislui-mêmeparsonaisancedans
l’ineffable,Bcroit avoir rejointAdanslarégionspirituelle
qu’ilsemble habiterfamilièrement,mais son compagnon
sembles’enfoncerànouveau danslarêverie,etBa dumal
à supportersonsilence.Aprèsquelquesinstants,il nepeut
s’empêcher delequestionner :
«Àquoidoncest-cequevouspensez ?
–Àquoi est-cequeje songe ?
–Oui.
–Jemedemandais seulement si...enin... N’y a-t-il pas
quelquedangeràcontrefairelamort ?
–Maisnon,maisnon… »
Encore un brefmomentde silence,puisBreprend :
«Queldangervoudriez-vousqu’ily eût ? »
Asemblerassuré. Pourtant, saréplique inalen’arien
d’insouciant. Pense-t-ilàce festin de serpents auquel les a

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