Passions bavardes

Danielle Forget

Description

Les passions, cette part surdéterminée du pathos, ont fortement ébranlé laphilosophie à ses débuts et ne cessent d'intriguer. Si, depuis les enseignementsd'Aristote, on les associe volontiers à l'esthétique de la tragédie, à notreépoque, elles s'alimentent grassement à même l'actualité en dépit des appelsà la modération. Cette ère de postcolonialisme et de postmodernisme quenous traversons avec sa dose de scepticisme a beau soutenir la déconstructiondu sens et la désillusion, rien n'empêche l'exaltation de la ferveur pathétique.Et elle trouve un terrain particulièrement fl orissant sur la place publique, oùs'ébat la contagion.Nul doute que les milieux médiatiques et politiques sont une mine d'« emportementdes âmes », et aussi des esprits. Ils prennent le visage de la provocation,de l'indignation, de l'incitation, de la promesse, de l'accusation, du reprocheou de l'aveu ; ils excitent colère, vengeance, peur, confi ance, fi erté, compassiondans les gammes du pardon, de la tolérance, de l'ouverture, du partage et dela solidarité.Mais justement, une passion à dimension collective, qu'a-t-elle donc encommun avec l'amour, la compassion, la jalousie, ces états intériorisés dont ondit souvent qu'ils échappent au contrôle de la raison ? Y a-t-il des procédéspathétiques spécifi quement attachés au débat politique et sur lequel on peutprédire l'incidence ?Avec faits à l'appui, issus de l'actualité québécoise - des campagnes électorales,des débats sur la diversité et sur les accommodements raisonnables -, cet essaiexpose la vitrine des passions, leur mode de fonctionnement ainsi que leurseff ets sur notre compréhension des événements. Le jugement est atteint.Irrémédiablement.***

Sujets

• Colonisation
• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: Marcel Broquet
• Date de parution: 06 juillet 2011
• Nombre de lectures: 10
• EAN13: 9782923860176
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

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Passions
bavardesPour connaître la rose,
quelqu’un emploie la géométrie
et un autre emploie le papillon.
1
PAUL CLAUDELPassions
bavardesDe la même auteure
Intrusion, Saint-Sauveur, Marcel Broquet Éditeur La nouvelle édition,
2008, 276 p., roman.
Traversées/Travessias, coorganisatrice avec Humberto de Oliveira,
Montréal, éditions Adage, 2008, 219 p., essai collectif.
Tambour de voix, Beyrouth, Éditions Al Najoie, 2007, 74 p., poésie.
Construire le sens, dire l’identité : catégories, frontières, ajustements,
coauteure avec Khadiyatoulah Fall et Georges Vignaux,
Québec, Les Presses de l’Université/Paris, Édition de la Maison
des Sciences de l’Homme, 2005, 103 p., essai.
Figures de pensée, figures du discours, Québec, Nota Bene, 2000, 186 p.,
essai.
Conquistas e resistências do Poder. A emergência do discurso democrático
no Brasil (1964-1984), São Paulo, Editora da Universidade de
São Paulo, 1994, 209 p., essai.
L’émergence d’un discours démocratique au Brésil : conquêtes et
résistances du pouvoir (1964-1984), Candiac, Editions Balzac, 1992,
264 p., essai.]
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada
Forget, Danielle, 1952-
Passions bavardes : essai de rhétorique sur le discours social
(Prolepse)
Comprend des réf. bibliogr.
ISBN 978-2-923715-09-4
1. Communication - Aspect social. 2. Analyse du discours - Aspect social. 3.
Communication interpersonnelle. I. Titre.
HM1206.F67 2009 302.2 C2009-940916-X
Marcel Broquet Éditeur
55A, rue de l’Église, Saint-Sauveur (Québec) Canada J0R 1R0
Téléphone : 450 744-1236
Révision : Andrée Laprise
Conception de la couverture et mise en pages : Christian Campana
Distribution :
1650, boulevard Lionel-Bertrand
Boisbriand (Québec) Canada J7H 1N7
Service à la clientèle : [e-mail]
Difusion – Promotion :
[e-mail]
eDépôt légal : 2 trimestre 2009
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèqchives Canada
© Marcel Broquet Éditeur, 2009
1. Paul Claudel, L’oiseau noir dans le soleil levant, cité dans Gabriel Pomerand, dir.,
Le Petit Philosophe de Poche, Paris, Librairie générale française, 1962, p. 96.
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NB FM!NB DFMC t VFUDP N NB DFMC VFUDPRemerciements
Cet essai doit beaucoup aux échanges fructueux avec des collègues
et des amis qui ont bien voulu me faire part de leurs commentaires
avisés ; qu’ils en soient remerciés. Je suis reconnaissante au Conseil
de recherche en sciences humaines du Canada pour son appui et
aux assistants de recherche, pour leur enthousiasme.

3

Avant-propos
st-il souhaitable de s’attacher aux passions, alors que fusent
les incitations à exercer la raison ? Pourquoi s’intéresser aux
élans passionnels quand la tempérance semble partout de mise ?
Et de toute manière, la passion existe-t-elle vraiment à notre
époque ?
Les contextes dramatiques de jalousie, d’amour, de pitié ne
semblent plus guère exercer la même fascination que dans les
siècles passés, ceux ayant vu éclore la tragédie, comme ceux
l’ayant remise au goût du jour, et qui ne dédaignent pas leur
dose émotionnelle. Les passions seraient-elles donc reléguées aux
oubliettes ou réservées à ces genres mineurs spécialisés dans le
mélodramatique où puisent les téléséries, les flms de série B, les
romans Arlequin et autres ? En outre, dans le langage courant,
quand emploie-t-on le mot passion ? Souvent, répondrez-vous.
C’est un fait, au point que la notion risque de se diluer dans des
expressions comme « je me passionne pour… » et s’attache autant
aux flms de guerre qu’au piano ou aux chiens, sans restrictions
apparentes.
Mais, mis à part ce sens passe-partout d’« engouement », on
peut se demander si le terreau des passions est toujours actif. Il
relève de préoccupations fort anciennes prises en charge par la
philosophie, la morale et rediscutées depuis par des disciplines
comme la psychologie, la psychanalyse, la sémiotique. Jouxtée
à ces discussions théoriques, s’élabore une vision de l’Homme,

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de l’humanité où la passion nourrit les préoccupations, même si
elle se fait généralement évincer au proft de la raison.
Cette rivalité entre passion et raison continue de surgir au
quotidien dans les remontrances que l’on se fait intérieurement,
dans les interactions et la circulation des discours en général, sur
la scène publique. On se prémunit contre les impulsions de cette
nature. Synonyme d’irréféchi, la passion serait la part « faible »,
sinon honteuse de l’Homme. La raison, elle, aurait tous les droits
de prendre racine et de freiner de tels élans qui sont réputés
sources de soufrance et même incitatifs de violence.
Depuis les temps immémoriaux où la raison était appelée à
l’aide, a-t-on seulement réussi à se débarrasser des passions, ou
à tout le moins à les contenir ? Rien de tel. Elles continuent de
réapparaître, tout en prenant des formes variables. Même notre
modernité bien-pensante, accro de rectitude politique, n’a pas
réussi à éradiquer cet agent perturbateur qui sévit dans le privé,
mais aussi dans le public où, d’ailleurs il faut bien le reconnaître,
il prolifère.
L’exploitation des passions dans la parole publique mérite
notre attention : leur présence surgit par des moyens parfois
détournés et elles se répandent quelquefois à notre insu sous les
abords les plus raisonnables. Manipulation, saine expressivité,
séduction ? Le « cas par cas » de l’analyse nous aidera à y voir
clair. Il n’empêche que le domaine est beaucoup plus complexe
qu’il n’y paraît, nous obligeant à voguer entre passion, vertu et
pathos et à poser cette ultime question : comment la passion,
phénomène individuel, s’immisce-t-elle dans la construction du
sens au niveau collectif ?
Je puiserai autant dans l’actualité politique que dans la
présentation de cette actualité par le médiatique, deux domaines où
discussions et prises de position ostensibles se déroulent sur la
scène publique. Sans m’y limiter, j’accorderai une attention
particulière au débat identitaire au Québec. En outre, trois élections
coup sur coup n’ont pas manqué de susciter des remous : une
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élection canadienne (14 octobre 2008), québécoise (8 décembre
2008) et, en prime, une américaine (4 novembre 2008).
Une mise en garde s’impose : je n’ai nulle prétention à
l’exhaustivité quant aux thèmes de l’actualité québécoise abordés, mais
le souci de rendre compte du phénomène passionnel plus que
jamais essentiel dans l’échange des idées. Le pouvoir des passions
est visé ainsi que le mode de transmission qu’elles empruntent
dans notre société par le biais des discours.
Le lecteur ne s’étonnera pas que l’argumentaire soit ponctué
d’exemples puisés autant à des débats ofciels qu’à des scandales
montés en épingle, qu’à des accusations plus ou moins fondées,
qu’à des dénigrements comme on en trouve trop souvent dans
les guerres partisanes en politique, etc. et qu’il lorgne du côté
de l’Histoire où les interventions pathétiques ne sont pas sans
rapport avec notre actualité. Mon objectif n’est pas tant d’établir
la « vérité » de l’événement couvert que de mettre sous la loupe les
passions et leur us